Polo fuyait, à toutes nageoires.
Cette rivière était pourtant paisible d'habitude, mais pas de chance pour lui : à peine une semaine après son éclosion, il était déjà en train de fuir un prédateur surnaturel contre qui même ses frères aînés poissons avaient perdu tous leurs moyens. Ils étaient déjà morts, empalés sur le gigantesque nez pointu de ce monstre au cou gigantesque, qui semblait s'allonger à volonté.

Heureusement, la rivière n'avait pas de fin, et Polo pourrait la descendre encore et encore, sans craindre la moindre espèce de cul-de-sac.

Mais ses espoirs moururent bien trop tôt. Le grand dragon au bec pointu le rattrapa, lui passa devant.

Polo rejoignit ses frères aînés.

Tawako, quant à elle, sortit la tête de l'eau.
Puis sa main, une vingtaine de mètre plus loin.
Puis son autre main, près de l'autre rive.
Rien de mieux qu'un corps télescopique pour pêcher.

- Vlà le souper.

De retour sur la terre ferme, elle posa d'abord le kunai de sa main droite, sur lequel elle n'avait embroché qu'une seule carpe. L'autre bras n'en avait pas attrapé du tout, mais bien entendu, c'était le kunai qu'elle avait tenu entre ses dents qui totalisait le meilleur score : trois poiscailles à la suite. Combo breaker.

Après les avoir installé au dessus du feu pour les faire griller tranquillement, elle se mit en tailleur et s'étira tranquillement. L'heure de récompenser son exercice sous-marin allait bientôt sonner.

Elle réajusta ses lunettes, expira un coup, et regarda son sempai de l'autre côté des bûches.

- D'habitude j'en attrape bien plus dans les oasis. Pas l'habitude de lutter contre le courant, ni d'être portée par lui d'ailleurs.

Les premières étoiles commençaient à percer le ciel. Hayato et elle venaient de passer la frontière du pays des rivières, et avaient planté leur camp près d'un des innombrables cours d'eau du pays. Après avoir plus ou moins noblement accompli la mission que son sensei leur avait donné, ils rentraient paisiblement au bercail. Étrangement, le paysage lui parut bien plus accueillant au retour, surtout depuis qu'ils avaient passé la frontière Kawa-Konohajin.

- Il est quand même drôle, Rei-sensei. Nous envoyer tous les deux pour un pauvre bout de papier, sérieux... je pensais jamais dire ça un jour, mais j'espère qu'on sera pas trop payé pour cette mission.

Elle attrapa une brochette de poisson.

- C'est vrai quoi, autant mettre des sous dans des trucs plus utiles, genre... de l'armement, des trucs comme ça. Ces mongols de Saibogu nous feraient des merveilles de guerre si on leur donnait les moyens.

Une bouchée.

-Dis, Bvlue-fempfai, fit-elle la bouche pleine, tf'as un fenfei tfoi ? Il est cfomment ?

Polo avait un goût de vase.

- Ignition ! Feu ! Embrasement !

Le délire des deux bouts de bois à frotter les uns contre les autres, pour ainsi créer une petite flamme qui embraserait l’ensemble des brindilles n’existait que dans les fictions. En vérité, le procédé prenait… beaucoup plus de temps, ce dont Hayato manquait justement. Il était tout simplement incapable de faire naître la moindre flamme. D’habitude, il évitait cette partie du boulot en se proposant d’emblée pour aller chercher la nourriture, mais cette fois elle l’avait devancé.

- On va pas y passer toute la nuit…

« Plus rapide, plus efficace, moins prise de tête, le kunai explosif. Parce qu’allumer un feu n’a jamais été aussi facile. »

Hayato n’arrêtait pas de repenser à la mission. La lettre visiblement pas très croustillante, l’attitude du Kage, les paroles de ce dernier, l’arrivée à Konoha, le départ de Suna, les instructions du Yondaime… « Mission accomplie », la mention figurerait dans les archives relatives à cette journée, tandis que son dossier personnel se verrait gratifier d’une unité supplémentaire à l’emplacement indiquant le nombre de missives menées à terme. Mais en dépit de tout ceci, une forte impression d’insatisfaction subsistait chez notre marionnettiste perfectionniste. Il se dépêcha d’avaler ses pilules car sa partenaire était déjà de retour.

- C’est intéressant, je trouve, de voir comment on cherche toujours à se justifier après une piètre performance.

En attendant la cuisson du poisson, il sorti des parchemins sur lesquels figuraient les premiers croquis de sa prochaine « marionnette artistique », nom qu’il leur donnait pour les différencier de ses trois marionnettes de combat. Rien de bien concret pour l’instant, des dimensions, des idées de matériaux, il pensait le faire proportionnellement plus grand que ce qu’il pouvait vraiment être par rapport aux autres modèles de sa collection. Il serait intéressant de lui ajouter un petit instrument à cordes… Hayato avait en effet découvert que malgré son grade, l’Hokage s’occupait d’une lutherie. Soudain, l’appellation « Rei-sensei » tira son nez de ses dessins.

* Elle parle. Elle parle beaucoup... J’imagine qu’on est dans l’une de ces scènes où il faut sociabiliser. Non mais elle parle économie, je n’y connais rien moi et j’ai pas envie de passer pour un inculte. Qu’est-ce que je fais ? Si je tente de changer de sujet, elle va comprendre et si je ne dis rien… je vais vraiment renvoyer une image de personne froide. Je ne suis pas froid ! Il faut que je parle ! *

Il prit une inspiration et ouvrit la bouche sans réfléchir d’avantage.

- Je n’aime pas les Saibogu, mais je suis une personne chaude.

Petit moment de solitude. Il fallait enchaîner, ne pas laisser le malaise s’installer, agir comme si rien ne s’était passé. Hayato projeta un fil de chakra sur l’un des poissons, qu’il attira ainsi à lui et mordit à pleines dents… Geste qu’il regretta très vite. Il pensa immédiatement à recracher, mais Tawako revint avec une autre question. Inquiet à l’idée de rattraper son image, il avala ce qu’il avait en bouche – geste qu’il regretta très vite – pour pouvoir lui répondre.

- Un sensei…

La première image qui lui vint à l’esprit fut celle d’Hao. Il l’avait initié à la maîtrise des marionnettes, mais tout ça remontait à une époque où Suna n’existait pas. La seconde personne qui lui apparut en image fut Nishimura Kusanagi. Ça avait été bref, mais il se souvenait encore des pigeons Hyoton qui venaient le réveiller les jours de mission. C’était l’époque du Triumvirat, c’était « le petit Hayato »… Le dernier souvenir à lui parvenir fut celui d’une odeur de cigarette caractéristique. Kurogane Akio, le premier Kazekage, illustre eisen-nin.

- Non et c’est très bien comme ça. Les sensei, ça finit toujours par te faire souffrir.

Dans ce genre de situation, il est de bon ton de relancer poliment son interlocuteur, en lui retournant sa question ou en lui posant une autre question, histoire de maintenir la conversation. Chose qu’Hayato ne fit volontairement pas. Tawako le perturbait trop… il n’osait pas s’aventurer plus loin, finalement, être froid n’était pas une si mauvaise chose.