Stormy Weather

Le crépuscule que l’on peut observer au pays de la neige, Yuki no Kuni, est l’un des rares spectacles qui vaillent la peine de mettre un terme à toute activité autre que celle de le contempler avec délectation. Disparaissant derrière une herse de pics hérissés que forment les monts dominant le pays, l’astre diurne décline en ternissant son spectre, virant à une couleur agrume. Auréolé de diverses nébuleuses rosées et avalé derrière une semi-mâchoire de rocs, ce coucher de soleil crée une ambiance unique l’espace de quelques instants. En hiver, lorsque le sol est recouvert d’un large manteau blanc, la scène prend un aspect onirique, la neige reflétant la luminescence émanant des cieux. Bien sot serait celui qui n’en profiterait pas un tant soit peu.

Malheureusement, ce monde est empli de sots ; êtres ne sachant apprécier le moment présent aveuglés par leurs vaines préoccupations. Vaines car elles ne concernent souvent que l’individu qu’elles assaillent de tourments. Cependant, d’un point de vue purement subjectif, l’on pourrait sans doute justifier ce désintérêt bucolique en jugeant la gravité des faits étant échus auparavant. En effet, l’encéphale humain est conçu tel qu’une forte émotion est capable de prendre le dessus sur tout raisonnement sensé. Ainsi, notre cerveau reptilien fait de nous de réelles bêtes régressées à l’état de primates effrayés par tout élément étranger à eux-mêmes lorsque nous sommes en grand émoi. Dès lors, la personne que nous avons construite au fil des années s’évanouit, laissant place à l’animal primaire. On peut donc comprendre que ce genre d’individus ne souhaite pas perdre son temps en contemplation, étant trop occupé à aller en sens inverse de l’évolution.

S’il existait de telles personnes en ce moment même au pays de la neige, le jeune Kaito Hakushi n’en faisait point partie. Assis sur une pierre humide fraîchement débarrassée de la couche de neige l’ayant précédemment recouverte, le jeune homme, lassé par une journée de course frénétique à travers tout le pays, avait décidé de prendre un temps pour lui durant quelques minutes. Rarement intéressé par les phénomènes naturels, il n’avait pourtant pas manqué de noter la beauté du spectacle s’étalant devant ses yeux. Fasciné par le corps céleste coruscant, il ne bougeait plus d’un pouce, sagement assis sur son siège improvisé. En bordure d’un lac gelé par les températures hivernales, encerclé de cerisiers dénudés, le lieu avait un certain côté charmant. Aucune habitation n’était visible à l’œil, bien qu’une légère colonne de fumée s’échappait du versant invisible situé de l’autre côté d’un des géants de roc. C’était là la destination finale du genin, celle pour laquelle il avait parcouru grand nombre de kilomètres. Harassé par une éreintante journée, il allait pouvoir en l’échange d’une juste rémunération y trouver le gîte et le couvert le temps d’une nuit, avant de reprendre sa quête.

En attendant ce moment, il avait décidé de ne pas tout de suite poursuivre sa route et de profiter du déclin solaire. Mais l’arrêt n’était pas uniquement dû à cet amour de la nature. Un besoin bien plus intense, l’assaillant tant au niveau physique que psychologique, l’avait forcé à stopper sa progression. Il ne s’agissait cependant en rien d’un besoin que l’on pourrait qualifier de "naturel". En effet, le jeune homme était sujet à une addiction réprouvable pour sa santé et sa longévité, bien qu’il n’en eut pas grand-chose à faire. Cette assuétude - dont le genin n’était pas le seul à être un esclave - se trouvait être le tabac. En ne quittant pas le spectacle des yeux, Kaito sortit donc sans surprise de sa sacoche un paquet géométrique cartonné. L’ouvrant par le dessus, il en retira un cylindre empli de la substance hantant ses désirs. Portant le tube à ses lèvres, il referma et rangea le paquet à l’endroit exact d’où il l’avait sorti et se saisit d’un élément situé dans son voisinage, complément indispensable au paquet pour un fumeur. L’objet qui s’avérait être un briquet fut rapidement actionné, et d’une longue inspiration Kaito alluma sa source de plaisir consommable. Savourant la première bouffée qu’il avait tant attendue, il s’amusa à tenter de la recracher sous forme de cercles. Cependant, il avait beau s’entraîner sans relâche à ce genre de discipline, il ne parvenait à en réaliser que fort peu en comparaison au nombre de tentatives. Et ceux qu’il réussissait se dissipaient en volutes chaotiques avant de disparaitre complètement dans l’atmosphère. Exaspéré par ce manque de résultat, Kaito ne perdait cependant pas espoir de parvenir un jour à compter parmi les hommes capables de réaliser autant de cercles de fumée qu’ils le souhaitaient.

Fortement occupé par sa double activité de contemplation-création, le genin ne manqua cependant pas de remarquer que les nuages s’étaient amoncelés au-dessus de lui. Ils allaient bientôt déverser leur contenu glacial sur le sol et sur tout ce qui se trouvait dessus, à savoir - notamment - Kaito. Celui-ci comptait cependant achever sa consommation enfumée avant de poursuivre sa route.

Alors qu’il tirait une dernière fois sur le tube, l’incandescence arrivant presque au filtre, il remarqua un léger crissement, puis un autre, et encore un autre… C’était indiscutable : quelqu’un marchait dans la neige à proximité de lui. L’éclairage ayant fortement diminué au cours de ces dernières minutes (ceci étant dû au fait que le soleil avait maintenant complètement disparu derrière la chaîne de montagnes à l’horizon), une légère brise s’était levée de surcroît, soulevant quelques tourbillons de neige. Il était donc difficile de constater qui s’approchait de ce pas régulier. Les sens en alerte, le genin ne bougea pas d’un cil, guettant en direction de la perturbation qui donc pouvait bien venir briser la sérénité de ces lieux.

Avez-vous déjà songé à l’importance que revêt la prime impression ? Enjeu d’envergure pour certains, elle pousse à se montrer autrement que ce que l’on est vraiment. D’aucuns usent d’artifices tels que l’habillement ou le maquillage afin d’améliorer leur apparence, espérant ainsi se faire aimer dès le commencement des interactions sociales. D’autres au contraire s’efforcent de se faire sous-évaluer pour que leur interlocuteur soit par la suite agréablement surpris de découvrir que la personne imaginée au départ est inférieurement appréciée par-rapport à celle qu’elle est réellement. Nous nous sommes tous déjà souciés d’une rencontre avec un inconnu, par peur de lui plaire. Comment préparer son apparence ? Comment se tenir ? Dans quel registre de langage puiser ? Quelle attitude adopter ? Autant de questions qui par le passé nous assaillirent, et nous tourmenteront encore par la suite. La première impression est donc (bien que certains puissent ergoter encore longtemps sur le sujet) un élément important d’une relation, que chacun soigne à sa manière, et rares sont ceux qui tentent de faire mauvaise impression à la genèse d’une relation.

Or, il se trouvait que le Hakushi venait sans doute de rencontrer l’un de ces singuliers individus. Non pas qu’il fût désagréablement affublé ou encore de faciès repoussant - bien au contraire -, il y avait tout de même quelque chose de déplaisant dans le quidam qui se tenait à quelques mètres de Kaito. Sans doute était-ce cette manière de s’adresser à son interlocuteur qui laissait transparaitre cette mauvaise appréciation. Quelques instants plus tôt, le jeune homme avait enfin pu distinguer l’un des éléments de l’inconnu approchant : la tonalité de sa voix. Peu mélodieuse, celle-ci semblait se vouloir posée et réfléchie dans un effet tant réussi que le genin du village de la foudre crut au préalable que cela était tout à fait naturel. Notant pour lui le conseil, il n’en remercia pas directement son expéditeur. Les traits de la silhouette se découpant progressivement dans l’environnement dissimulateur, le jeune shinobi put détailler progressivement le quidam se dirigeant vers lui.

Affublé d’une épaisse cape brunâtre volant au caprice du zéphyr se faisant de plus en plus insistant, il portait sous cet accoutrement chaleureux un kimono blanc, en accord avec sa chevelure. Opalescent dans toute son apparence, il était tel que l’oxymore parfait de Kaito. Son œillade azurée se livrait à la même activité que celle du Hakushi. Sa corpulence était dans la moyenne du peuple, mais sa carrure laissait deviner une certaine musculature développée au fil des années. Sous son épais manteau se distinguait au fil des foulées un objet particulier de forme oblongue porté à la ceinture ; Kaito ne pouvait cependant dire de quel ustensile il s’agissait là. Il devint rapidement aisé de découvrir que l’individu qui s’avançait n’était autre qu’un shinobi. Les armoiries du village de la brume qu’il arborait le prouvèrent rapidement.

Les relations entre les deux villages étaient ambiguës. Par le passé, les deux nations s’étaient unies pour combattre un ennemi commun menaçant leurs propres intérêts ainsi que leur sécurité. Mais alors que les protagonistes de cette guerre s’étaient établis sur leurs territoires respectifs, les relations internationales s’étaient ternies. Rapidement, les alliances furent implicitement brisées au fur et à mesure que les échanges se dégradaient. On pouvait maintenant dire que les relations brume-foudre étaient cordialement antipathiques, et qu’un simple incident sur la scène mondiale pourrait brusquement mener à un conflit armé. Dès lors, le jeune Kaito n’était pas tout à fait sûr des intentions de l’individu se tenant maintenant à quelques mètres de lui. Ses craintes furent confirmées par la deuxième phrase émise. D’un ton empli d’acidité, elle requérait le départ immédiat du Kumojin de ces lieux. Joignant le geste à la parole, le shinobi du village de la brume posa sa main sur le mystérieux objet qui s’avéra être un katana de bonne facture pour ce que le Hakushi pouvait en juger.

Ainsi donc, le quidam se trouvait être le parfait cliché du mâle provenant de Kiri. Dans ce village, on pensait que le pays de la neige n’était qu’un vassal de celui de l’eau. Tant officiellement qu’officieusement, ce n’était évidemment pas le cas. Cette défense territoriale était donc malvenue, mais ce n’était pas en leur faisant remarquer que l’on allait faire avancer les choses. De plus, cette tentative d’intimidation démontrait le manque de contrôle que l’individu avait sur sa testostérone. Voulant à tout prix asseoir sa domination sur ses pairs, il ne songeait point à d’autres moyens d’ouvrir une conversation. Du moins était-ce là ce qui transparaissait. Réfléchissant rapidement sur comment interagir avec cet individu sans déclencher un conflit tout autant inutile qu’improfitable aux deux parties, Kaito ne céda pas à la tentation de laisser ses instincts mâles prendre le dessus. Oh, il aurait aimé faire ravaler cette impertinence au garçon qui se trouvait en face de lui, mais il n’en avait point le loisir.



Son ton était apaisant. Usant de ses dons d’orateur, il espérait ainsi calmer les esprits l’espace de quelques instants.



Il tendit une main amicale vers le protagoniste. Sa moue ne changea pourtant pas, gardant son habituelle dureté. Il plongea un regard profond et inquisiteur dans les yeux du nouveau venu. Serait-il capable de le soutenir ?