Marche en avant. Marche en arrière. Marche à droite. Marche à gauche. Et te voilà perdue. Quelle va être ta décision pour la prochaine marche? Avancer, t’arrêter ou revenir sur tes pas ? Tu entends des voix et des murmures qui t’assurent que cette décision sera cruelle pour ton avenir. Tu sens aussitôt ton cœur battre plus vite, voire s’affoler. La vérité est tout autre, cachée et ignorée de tous. Ta destination ultime ne changera pas, qu’importe ta décision car chaque route est marquée par le sceau de la Mort.

La véritable question que tu dois te poser est la suivante : ta marche est-elle un prélude à une nouvelle aventure, ou une marche aussi éphémère qu’une feuille ? Lorsque tu auras la réponse, tu pourras alors continuer à marcher d’un pas sûr, sourd à toutes ces voix perfides et ignorantes. En l’absence de réponse, tu ne seras qu’une aveugle se jetant tout droit dans la tanière d’un loup, ou de plusieurs loups.

*

Moi. Je suis aveugle, et sourde. Ce qui ne me rend que plus stupide, et je le sais. Pourtant, j’avance dans cette incertitude, guidée uniquement par mes Compagnes. Se rendent-elles là où elles doivent se rendre ? Trouveront-elles ce que je recherche ? Ou alors m’égareront-elles ? Etaient-elles aussi sourdes et aveugles que je le suis ?

Je ne sais absolument pas. Je continue juste d’avancer, espérant que je ne me dirige pas tout droit vers la tanière d’un loup plus menaçant et plus fort que moi, mais plutôt vers la destination voulue. Je désire que mes Fourmis retrouvent une personne particulière dans cette forêt verdoyante et pleine d’ombres. Je désirais qu’elle suive une odeur particulière, et une seule et unique odeur, celle qui nous différencie de toutes ces autres personnes.

Je suis arrivée à la fin du chemin. Le mauvais chemin.

- Hm… Atten… AH !

« Ah ». Ah, c’est le cri de surprise d’une femme dont la cheville se retrouve subitement prisonnière d’une corde, et qui se retrouve tête en bas.

« Toc ». Toc, c’est le son sourd qu’un crâne émet lorsqu’il se cogne sur un tronc, avec violence et brutalité.

*

« Tu es tombée dans un piège, et un piège des plus stupides. Tu es misérablement prise au piège » me narguait cette « autre ». Je grogne, je soupire, je jure, je marmonne, je beugle. La vérité est que je ne sais pas ce que je fais. Ma tête est lourde, ma vue trouble et le corps courbaturé.

- La belle se réveille !

La voix était grave, moqueuse et pâteuse. Lorsque j’ouvris les paupières – enfin- je n’étais guère surprise du gabarit de mon bourreau, et encore moins lorsque je vis ses compagnons. A son approche, je tente naturellement de me libérer. Malheureusement, j’étais enchaînée.

« Encore enchainée. Que vont-ils bien faire de pire que ces Impériaux ? Vas-tu à nouveau subir ce qu’ils t’ont infligé ? Que vas-tu faire ? Supplier un fantôme roux ? Implorer leur pitié ? Et tu saignes, en plus ».

Le sang. Liquide écarlate qui avait coulé tout le long de mon visage, et qui avait eu le temps de sécher sur la commissure de mes lèvres. Je sentais encore ce goût de fer, toujours plus prononcé avec le temps.

- Non. Pas ça. Pas encore.

Je regarde autour, cherchant désespérément une aide. Pourrais-je survivre ? Pourrais-je m’en sortir ? La panique était là, impitoyable et maîtresse, empêchant cette logique froide qui me guidait jusqu’à maintenant.

« Tu as du chakra. Tu peux te défendre. Sauf si tu veux que je nous défende ? ».

Laisser ma place à l’autre ? L’idée est rassurante, et effrayante à la fois. Pourrais-je revenir, ou ne serais-je qu’une autre voix à mon tour ? A l’image du magicien durant son spectacle, serais-je l’homme de la boîte, ou l’homme du prestige ? Qui serais-je si je « la » laisse ?

« Tu es fatiguée. Confies-toi à moi. Je te promets d’être la parfaite Gardienne… ».

A nouveau j’étais seule.
A nouveau, je faisais face à un danger.
A nouveau, j’étais attachée.

La vérité était que j’étais lasse et fatiguée de ce destin maudit, qui s’acharnait constamment sur moi. Voilà une pensée que j’avais ignoré volontairement des années, tentant d’adopter désespérément et avec toute ma volonté un mode de vie dit « positif ». Malheureusement, la vie n’était pas qu’une échelle qui vous menez vers le haut. Il y avait également une seconde issue, vers le bas, vers là où tout a commencé, là où l’homme n’est qu’une bête faite de violence et de sang.

« Deviens-le aussi. Devenons-le. Nous n’avons plus rien à craindre. Nous n’avons plus à perdre. Nous n’avons que nous-même » disait « l’autre ». Elle avait bien raison. S’il y avait bien une Force qui ne m’avait jamais quitté, et qui était restée fidèle à moi – en dehors de mes Fourmis -, c’était « Elle », cette « autre », celle qui m’a protégée durant ma plus grande et ma plus éprouvante épreuve, celle qui m’aide à oublier, celle qui me montre comment être plus brave…

« Je ne suis pas mauvaise. Je suis une partie de toi. Tu es une partie de moi. Nous ne formons qu’un, au final. Accepte-moi, accepte-toi. Accepte-nous ».

Pourquoi chercher à éduquer des Fourmis ? Pourquoi vouloir se défendre ? Pourquoi combattre cette bande de malfrats de pacotilles qui pense avoir dégotté une fille pour la soirée ? Pourquoi subir son Destin, et non la prendre en main ?

- Eh bien. On pensait attraper du gibier ou un truc comme ça, en faisant ce piège au sol. Et on attrape une petite mignonne ! dit celui qui semble être le chef de la bande, m’approchant, me prenant le menton pour que je lève la tête.

Il puait un tantinet l’alcool. Je n’étais pas inquiète pour autant. Au contraire, je ressentais une peine pour lui. Ce n’était qu’une question de temps avant que je ne me libère physiquement. Mes petites Fourmis se chargeaient discrètement d’arracher un à un, avec rapidité, la corde qui me retenait prisonnière. La question était de savoir ce qu’il adviendra de ces quatre hommes, une fois pieds et poings libres.

« N’attends pas. Maintenant. Ou Jamais. Tu le sais non, celui qui attaque a toujours une longueur d’avance sur l’autre. Car l’autre voudra se défendre, constamment ».

A croire que les prières de l’autre ont été entendues. Soudainement, une partie des Fourmis se glisse dans le sol. D’abord petite fourmilière, celle-ci grossi dangereusement de secondes en secondes tant et si bien que même les quatre nigauds de criminels le remarquent. Malheureusement, il était un tantinet trop tard. Le sol s’effrite sous leurs pieds et ils s’enfoncent davantage à chaque pas. Les premiers cris s’élèvent.

« Et Maintenant, tu sais ce qu’il te reste à faire ? Etre la plus forte. Etre la plus crainte ».

Un geste suffirait. Une concentration de chakra suffirait. Une seule envie suffirait. Suffire à quoi ? A donner ces idiots comme repas pour les prochaines larves des Fourmis – dit vulgairement, et de façon horrifique. La vérité était autre évidemment. Tout simplement les réduire en cadavre perforé d’un bout à l’autre par des Fourmis nourries, et renforcées par du Chakra.

« Si tu t’arrêtes là, tu seras considér… ».

Nous nous arrêtons subitement : les Fourmis, l’autre et moi-même. On ressent une présence non loin. Une présence familière. C’est comme un électrochoc. Je regarde mon œuvre, je regarde cette main qui aurait pu faire pire. Sans surprise, je prise d’une panique soudaine. Je ne m’étais que défendue, mais comment allait-on interpréter ? Allais-je être punie ? Allais-je retourner à l’hôpital ? Avais-je raison ? Avais-je tort ? Rester, ou fuir ?

L’indécision me clouait au sol, et j’attendais tout simplement. Avais-je un tout autre choix ?