Marchant calmement à travers le village avec son ombrelle à la main, le jeune garçon sillonnait les routes du centre-ville d'un air pensif. Son regard était dirigé devant lui, il fixait continuellement le sol qui s'étendait sous ses pieds, mais il paraissait être complètement ailleurs. Il avançait sans vraiment regarder. Les passants qu'il bousculait sur son chemin se tournaient un à un vers lui avec un visage menaçant, mais le rouquin semblait être si bien plongé dans ses pensées qu'il ne leur prêta aucune attention. Il continuait à marcher avec cette expression neutre collée à la face, sans se soucier du reste de son entourage. Lorsqu'il arriva devant un grand bâtiment de plusieurs étages se dressant devant lui, il s'arrêta naturellement. Relevant sa tête en direction du sommet de cette construction aux murs blancs, il demeura un instant figé sur place à observer les ornements tout en réfléchissant silencieusement.

Il était hésitant. Il se rappelait parfaitement bien de cette façade. Ce n'était pas la première fois qu'il venait dans ce restaurant. Dans ses souvenirs, il avait eut du mal à retrouver l'adresse ne sachant pas encore bien lire, mais à présent, il pouvait déchiffrer les caractères et lire le "septième ciel" inscrit sur la pancarte. Cette fois-là, il était venu pour un stage en cuisine qui fut une bonne expérience et qui lui avait beaucoup plu. La cheffe cuisinière avait été très gentille avec lui, mais malheureusement, il n'avait pas eut l'occasion de la revoir depuis. Il s'agissait également d'une chance pour lui de la revoir aujourd'hui, il allait pouvoir la saluer et prendre de ses nouvelles au passage. Il était encore dix-sept heure de l'après-midi, le restaurant était encore fermé sans aucun client, c'était la bonne heure pour lui rendre visite, songeait-il. Allait-elle bien depuis leur dernière rencontre ?

Poussant un léger soupire, il finit par prendre sa décision. À présent qu'il était en face du restaurant, il n'allait pas repartir alors qu'il était venu spécialement pour le voir. Ce n'était pas comme s'il avait quelque chose à craindre ! Il passa sereinement le seuil de la porte d'entrée ouverte, sinon il frappait à la porte pour qu'on vienne le lui ouvrir. Avec un grand sourire aux lèvres, il salua de vives voix tout le personnel présent dans la salle, animant un peu les lieux encore silencieux avant l'ouverture. Il paraissait d'apparence de bonne humeur et plutôt enjoué, quoiqu'un peu bruyant. Il était surprenant de le revoir ici, il avait l'air d'un petit étranger un peu trop familier, mais peut-être que sa voix rappelait encore des souvenirs ? Enfin, qu'importe. D'un regard curieux, le rouquin se mit à chercher la silhouette de la jeune femme aux cheveux violets qui ne tarda pas à se montrer ou qu'il ne tarda pas à trouver. Aussitôt, il se mit à courir en sa direction avant de lui sauter dans les bras.

" Sakuraaaaaaaaa ! Hurla-t-il d'un bout à l'autre de la salle. Tu te souviens de moi, hein ? Tu te souviens de moi ? Yohru ! Je viens te rendre visite ! Comment vas-tu depuis la dernière fois ? "

Il lui sourit à pleines dents sur cette dernière question. Puis, il lui raconta quelques banalités de ces derniers temps comme sa promotion et sa nouvelle équipe, sans trop évoquer le sujet sensible des démons qui était sans nul doute la plus grande menace à l'heure actuelle. C'était encore frais dans l'esprit de chaque habitant du village, il ne voulait pas rendre la discussion triste alors il contourna l'évènement. Enfin, suite à quelques minutes passées à parler avec la jeune femme, il s'interrompit.

" Mh.. Au fait, tu ne connaitrais pas un certain Natsuki ? C'est ça qu'il s'appelle ? Normalement oui.. "

Il jeta discrètement un coup d'œil à la paume de sa main sur laquelle il était inscrit l'adresse du restaurant ainsi que son nom et le nom du propriétaire, ou plutôt l'homme qu'il recherchait. Il avait réussi à obtenir cette information durant la matinée, alors il prit son après-midi pour venir lui rendre visite et confirmer les rumeurs. Enfin, ce n'étaient plus vraiment des rumeurs. Il en avait plus ou moins conscience, il le savait au fond de lui, seulement, il avait encore du mal à avouer cette vérité. Il était venu pour se convaincre lui-même..

Pour autant que l'on s'en souvienne, le personnage de Yohru n'est pas quelqu'un de foncièrement mauvais, ou qui inspirait la peur. C'était même tout le contraire. Enfant sympathique, bon vivant et plein d'énergie, il était peut-être juste un peu turbulent, le genre bulldozer avec des petites roulettes à l'arrière qui avance comme il l'entend et qui ne s'inquiète que quand l’obstacle sur sa route résiste aux trois premières charges.

Ainsi, quand le jeune garçon se présenta au restaurant du Septième Ciel encore fermé pour l'heure, le serveur qui lui ouvrit fut prit d'une légère appréhension alors que la tornade rousse filait déjà sur le côté pour entrer. Non, Yohru ne faisait pas peur au sens strict du terme, mais s'il était connu de tous, c'était justement parce que chacun savait ce qu'il pouvait potentiellement faire : les normes et les conventions sociales, cela ne lui parlait pas.

Une chance pour le visiteur impromptu, peut-être un peu moins pour le personnel, Reiji n'était pas de service aujourd'hui, à assurer un ordre strict et une efficacité irréprochable de la part de son équipe d'un simple regard – même si son aura, elle, ne quittait jamais les lieux. De fait, tous le personnel en salle se regardaient mutuellement un peu bête, en attendant que l'un d'entre eux ose faire le premier pas et intervenir.

Et le premier pas, ce fut Yohru qui le fit.

« Yohru? »

La tête de Sakurako apparu par l'endroit du bar où transitaient les plats de la cuisine à la salle de restauration lorsqu'elle entendit quelqu'un l'appeler. Puis, apercevant le jeune garçon, elle fit le tour pour entrer dans la grande salle. Les bras grand ouverts, elle réceptionna le bond agile de Yohru, ce dernier étant largement amorti par les courbes généreuses de la cuisinière bien en chair.

« Ah, Yohru. Je me demandais quand est-ce que tu as allais repasser. » lui dit-elle d'une voix maternelle, mais sans le relâcher. « Je ne t'ai plus vu depuis ton dernier passage ici, pour le stage. Tout va bien pour toi ? Tu m'as l'air un peu plus maigre. Tu manges bien au moins ? »

Sakurako n'avait aucune difficulté pour soutenir sur un bras Yohru, et lui tâter la peau et les joues de l'autre main. S'en suivit une discussion légère, la cheffe cuisinière étant vraiment heureuse de revoir son jeune commis, même si elle sentait que quelque chose le tracassait. Elle n'insista pas pour commencer, le laissant lui raconter les formidables événements qu'il voulait lui narrer à sa façon : peut-être s'ouvrira-t-il de lui-même. Et effectivement, le ton changea lorsqu'il mentionna le nom de Natsuki.

« Tu dois voir quelque chose avec lui ? » s'enquit-elle en haussant les sourcils, alors qu'elle découvrait à demi effacée dans la paume de Yorhu la preuve qu'ils parlaient tous deux de la même personne . « Il travaille encore à cette heure-ci, il doit être dans le bureau du Hokage. »
« Était dans le bureau du Hokage. » corrigea une voix derrière eux.

Natsuki se tenait à quelques mètres de eux, son éternel sac en bandoulière en travers du corps. En l'apercevant, Sakurako reposa doucement Yorhu au sol, et le gratifia d'un sourire.

« Voilà celui que tu cherches, Yohru. »

Elle passa une main dans les cheveux du jeune garçon, puis se recula et retourna à son travail après avoir salué Natsuki. Le Nara tatoué, lui, se contenta de dévisager Yohru, un fin sourire sur les lèvres.

« Que me vaut l'honneur de recevoir dans mon humble établissement le futur porteur du titre trop classe de Hokage ? Vous venez repérer le terrain pour être sûr d'être servit comme un roi le jour venu ? »

Des paroles qui ne faisaient peut-être pas écho dans les oreilles de la tête rousse, mais que le Nara tatoué, lui, avait toujours à l'esprit. Des mots beaucoup plus affutés dans sa bouche que dans celle de son interlocuteur lorsqu'il les avait prononcé avec davantage d'innocence.

Surpris par la voix qui apparut derrière le dos de la jeune femme, Yohru passa la tête par-dessus son épaule pour dévisager le jeune homme qui venait de faire son arrivée. Il n'avait pas de raison d'être surpris, c'était lui qui était venu lui rendre visite. Cependant, maintenant qu'il repensait à son visage, il l'avait déjà rencontré une fois auparavant lors d'une séance d'entraînement alors qu'il était encore le pupille du seigneur du feu. C'était bien cette même personne. Il était également difficile de croire qu'il gérait cet établissement alors qu'il était décrit comme l'homme le plus fort. Ses passe-temps étaient différents de ce que pourrait laisser croire son titre. Haussant un sourcil, le jeune garçon observa son interlocuteur de la tête aux pieds pendant quelques instants avant de se mettre à penser à haute voix.

" Enfin, les apparences sont trompeuses. Je n'aurais jamais cru que tu serais le patron de ce restaurant. Enfaite, la première fois que je suis venu ici, je n'y avais pas pensé, mais si tu es également un shinobi, cela explique comment le directeur te connaissait et pourquoi il aurait choisi ce restaurant plutôt qu'un autre. "

Néanmoins, ce n'était pas pour parler de cela que Yohru était venu, même si c'était une bonne chose à savoir pour l'avenir et qu'il allait pouvoir revenir plus souvent. Le jeune garçon salua la cheffe cuisinière qui retourna en cuisine, puis dirigea à nouveau son attention sur le jeune homme, laissant son regard s'assombrir légèrement sans afficher un air menaçant, mais juste un regard neutre et serein. Il ne savait plus vraiment si ce titre l'intéressait comme avant, peut-être qu'il avait quelque peu perdu de sa signification ces derniers temps ? Ou peut-être qu'il s'était finalement rendu compte qu'il lui était impossible d'atteindre ce titre ? Il voulait devenir comme cet homme qu'il avait rencontré dans la forêt qui disait protéger les plus faibles, mais Yohru était-il capable de faire quelque chose de semblable ? La réponse était qu'il en était incapable. Il n'avait plus le droit de prétendre à ce titre alors qu'il était lui-même un de ces faibles personnages qui s'était fait protéger par un héros. Néanmoins, refusant toujours de l'avouer, refusant toujours d'admettre sa faiblesse, il se contenta d'afficher un large sourire à pleines dents en guise de réponse.

Cela ressemblait à un mensonge, mais il voulait se convaincre lui-même, se mentir à lui-même et croire qu'il parviendra un jour à atteindre son objectif. Il voulait devenir fort, un de ceux qui n'avaient pas besoin d'être protégé, un de ceux qui étaient capables de faire face au danger, un de ceux qui ne tombaient jamais et qui étaient capables de vaincre n'importe en toutes circonstances. Il voulait effacer ses doutes et se convaincre qu'il deviendra un jour ce genre de personne, forte et infaillible. Enfin, en rafraîchissant un peu sa mémoire, il se souvint que le jeune homme avait dit quelque chose comme lui casser la figure, alors peut-être qu'il fallait mieux se taire s'il s'agissait d'un sujet sensible. Il finit par reprendre une expression plus sérieuse pour la suite de la discussion, n'étant point venu pour repérer un terrain, quoique rien qu'un peu pour ses futurs repas.. Mais ce n'était que secondaire.

" Non. Je ne suis pas venu pour ça. À vrai dire, je suis venu, pour, mh.. Serrant les poings, durant l'attaque du démon à six queues, des équipes ont été envoyées sur le terrain pour faire face à la menace. Tu faisais parti de l'une d'entre elles, de l'une de ces équipes. Et.. Kimimaro aussi. J'ai entendu dire qu'il était mort durant cette attaque. J'ai entendu dire qu'il avait fini dans un sale état. Est-ce vrai ? Malgré le fait qu'il ait été dans ton équipe.. Je me souviens encore, durant notre première rencontre l'entraîneur Knot's t'avait présenté comme étant le plus fort.. Si c'est vraiment le cas, pourquoi est-ce qu'il est mort ? Pourquoi tu ne l'as pas protégé ? Comment a-t-il pu mourir, hein ? " Questionna-t-il sans l'once d'une colère dans sa voix.

Il n'était peut-être pas bien placé pour demander ça alors qu'il avait lui-même échoué comme un minable. Néanmoins, cela le tracassait et le démangeait depuis quelque temps comme une colère qui le rongeait doucement. Maintenant que sa rage contre lui-même s'était apaisée, il voulait également savoir ce qui s'était produit et comment cet homme avait également put perdre sa vie, alors qu'il était avec celui qu'il pouvait peut-être considérer comme le plus fort. C’était la dernière chose sur laquelle il voulait tirer une croix avant de tourner la page, la mort de Kimimaro. Ce n’était pas comme s'il allait bondir sur son interlocuteur et lui demander de lui rendre la vie de cette personne, bien qu’il en avait légèrement envie avec ce caractère à foncer tête baissée, mais ayant fait exactement la même chose de son côté, c’était plus difficile de lui sauter dessus avec le poids des remords sur ses jambes qui le maintenait au sol. Néanmoins, il était curieux de savoir s’il avait ces mêmes remords, il était fort alors pourquoi il n’avait pas pu le sauver ?

Si survivre présentait une quantité d'avantages essentiels et non négligeables, survivre à son prochain entrainait parfois aussi des inconvénients. La survie avait parfois un prix, celui de son intégrité physique ou moral par exemple. Dans d'autres cas, elle imposait de faire face à des veufs ou des orphelines qui demandaient : '' pourquoi mon papa/mari est-il mort et pas vous ? ''. Des questions qui n'étaient pas méchantes ou accusatrices, et c'était justement leur innocence qui les rendait d'autant plus cruelles.

Natsuki resta un moment silencieux à observer Yohru après que ce dernier l'ai questionné. Quelque chose avait changé chez lui depuis la dernière fois qu'il l'avait vu, il le percevait à travers son regard. Le garçon avait-il été confronté au monde, lui qui avait assuré qu'il ne se laissera pas briser ? Son discours laissait croire en tout cas que sa nuit avec Rokubi ne l'avait pas laissé indifférent. N'importe comment, c'est grâce à ce changement que le Nara tatoué n'expédia pas Yohru dans les cordes : parce que le garçon n'était pas venu pour le renvoyer dans son échec.

« Peut-être parce que Notsuu s'est trompé en disant que j'étais l'homme le plus fort de Konoha. » annonça finalement Natsuki, toujours debout face à Yohru.

« Peut-être parce qu'être le plus fort ne signifie pas être tout puissant et sans limite. »

« Peut-être parce que Kimimaro était plus fort que moi, vu que c'est lui qui a dû me protéger. »

Peut-être parce que être fort signifie être davantage capable de tuer, et non de protéger.

Il regrettait sincèrement la mort de Kimimaro, tout comme il regrettait toujours celle de ses équipiers, mais l'affect jouait un poids sur la culpabilité qu'il éprouvait. Il ne connaissait pas le Gekei plus que cela, mais il savait ce qu'il représentait aux yeux de Mizuki. Et lorsqu'il s'était écroulé devant elle, inconscient, il se disait parfois que ce n'était pas que dû à son état, la douleur, ou le fait d'avoir boité sur des kilomètres avec le corps de Kimimaro sur son dos. Non, ce qu'il avait craint peut-être, c'était d'affronter le regard de Mizuki, de la même façon qu'il se tenait devant celui de Yohru.

Natsuki aurait pu être sur la défensive, tenter vainement d'alléger son sentiment d'échec en crachant à quoi cela pouvait bien lui servir de savoir tout cela, maintenant que le Gekei du chat était mort, mais il n'y avait aucun intérêt à cela, aucune nécessité, parce qu'il comprenait tout simplement que si Kimimaro et Yohru avaient été amis, alors le garçon avait besoin de savoir ce qu'il s'était passé.

Qu'y avait-il de plus à ajouter ? Que c'était de sa faute ? Qu'il était incapable de protéger même ceux qu'il aimait ? Que tout ceux qui s'approchaient de lui finissaient par être blessés ou disparaître ? Tout n'était pas entièrement vrai, tout comme tout n'était pas totalement faux. Au final, il n'y avait que le résultat. Lui était toujours là, sur un pont où il avait vu tomber bien des compagnons sans pouvoir leur tendre la main.

« C'est tout ce que vous vouliez savoir ? » demanda finalement Natsuki, les mains posées sur les hanches.

S'il continuait cette discussion, il savait qu'il deviendrait amer, il en avait conscience. Et il n'aimera pas où cela le mènera. Alors il espérait que Yohru ne lui réponde pas '' non ''. Qu'il ne lui demande pas pourquoi il était '' fort '' mais incapable de sauver les gens qu'il appréciait. Parce que cela tenait en une seule phrase : les forts mouraient toujours en dernier. Pas à cause de leurs capacités, mais parce qu'ils trouvaient toujours quelqu'un au-dessus de eux, quelqu'un qui prend un malin plaisir à détruire leur monde, et être sûr qu'ils y assistent impuissants jusqu'à la fin.

Être fort ne permettait pas de protéger les autres, seulement de choisir sa place dans la file d'attente du destin.