Assise sur le fauteuil, je regarde ces pieds qui me sont presque devenus étrangers. Bien que confortablement installée, avec cette doudoune bleu, sur les épaules, qui a vu ma défaite, et qui bien que lavée garde une séquelle pourpre du combat, je ne me suis jamais aussi peu sentie à ma place.
L’ascenseur quitte les profondeurs de l’hôpital universitaire, dans sa portion militaire où j’étais détenue, et me mène droit vers l’air libre et frais de l’extérieur. Plusieurs semaines que je n’ai pas vu un seul rayon de soleil, pas une seule fois sentie la caresse du vent sur mes jambes, ah non j’oubliais, cela je ne le sentirais plus jamais…
A ma droite un médecin, à ma gauche un autre médecin et derrière un brancardier qui se demande ce qu’il fout ici. Je ne suis définitivement pas à ma place, je suis un oiseau que l’on a enfermé trop longtemps en cage, et maintenant les ailes brisées, je ne suis plus qu’une bête à plume.
Dans un petit sursaut le monte-charge s’arrête, laissant ses portes s’ouvrir dans un tintement de cloche. La lumière du jour qui s’échappe des larges fenêtres du bâtiment m’aveugle au début. Je plisse mes yeux, tentant de compenser le myosis tardif de mes pupilles.
Je sens que l’on me pousse, mais d’un coup bref je stoppe le fauteuil :

-Laissez, j’ai peut-être perdu mes jambes, mais pas mes bras.

Un petit regain d’orgueil, tandis que le petit groupe se voit désormais dans l’obligation de suivre mon rythme un peu moins aisé et rapide que le leur.
En une dizaine de mètres nous arrivons au niveau du shukajin. Il est là attendant patiemment adossé, les yeux perdus dans le vide et dans une tenue qui jure avec le temps local. Toujours aussi exagérément débraillé, il est ce Charly trop visible d’un album amateur, ce bouton rouge en plein milieu du visage que milles effort n’ont pas réussis à faire disparaitre, si ce n’est le rendre encore plus visible et fier de sa déconcertante exubérance.
Finalement il lève les yeux, et son regard se modifie d’un simple haussement de sourcil. Ça y est tu viens de comprendre, c’est toi qui m’a mis ici, c’est toi qui m’a rendue infirme, c’est à cause de toi si je dois me vider la vessie à coup d’auto-sondage. Si j’avais su, il y a de cela quelques années, j’aurais préféré mourir que me voir un jour insérer un tuyau en latex dans la vessie pour en vider le contenu, et je passe sur le penchant solide de la chose…

Après un échange que je suis distraitement car désormais tout me semble si distant, je vois le guerrier se penchant vers moi pour me soulever comme un poids plume. Sans un mot, sans un geste, je le laisse me prendre comme une simple marionnette de bois, et me placer sur ses épaules. Désormais son fardeau, il devait assumer, au moins un peu, les conséquences de ses actes.
Sans un mot, nous nous dirigeons vers la sortie de l’établissement, avant de voir le vent glacial et mordant, nous prendre à la peau. Ne regrettant en rien cette doudoune sur mes épaules, je profite au passage de la chaleur qui se dégage du corps musculeux de l’homme qui me porte. Me blottissant contre lui pour ne pas laisser le moindre centimètre de ma peau subir l’assaut du vent, j’entends sa voix qui me pose la première question d’une longue série.
Pendant quelques secondes je laisse un blanc dans la discussion, faisant de ses pas s’enfonçant dans la neige le seul véritable bruit se dégageant de nos deux corps. Puis finalement je prends la parole :

-Haï ? Des chances oui, autant qu’à Ame, autant qu’à Ta ou bien Yu no Kuni. Red bouge énormément, je ne l’ai jamais vu deux fois au même endroit. Il se peut même qu’elle soit encore sur Yuki actuellement. Cela dépend de ce que tu cherches, si c’est elle ou bien l’organisation…

Puis je me tais, avant de reprendre :

-Si c’est à moi l’honneur, c’est que tu auras droit aussi à ton tour. Red, tu la cherche plus pour une motivation personnelle ou bien pour l’empire ?

En fait je connais déjà la réponse, de par la volonté de cet homme d’être mon seul interlocuteur, le parchemin qu’il m’a confié, c’est qu’il est prêt à tout pour retrouver cette femme, et même passer outre toute forme de règles, même celles de l’empereur…