Quelques jours. C’est tout ce qui nous sépare de notre première rencontre, et pourtant comme chien en laisse j’ai déjà contacté la petite pour qu’elle montre le lieu de ses bains de sang. Pour que nous y allions-nous amuser et exacerber notre violence sur de vulgaires pirates qui se croient dieu dans ce domaine. Sont-ce des enfants pour que nous, du haut de ma vingtaine, sachions les battre comme elle le décrit ? J’espère au moins qu’ils violent, parce que devoir aller jusqu’à leur donner des cours dans ce domaine serait pour le moins gênant pour eux, et s’ils perdent tout leur réputation ils perdront toute leur distraction. Fermant mes yeux, j’inspire profondément l’air glacial qui vient irriter l’ensemble de mes poumons, telle une brûlure portée par un givre hivernal. Ne serait-ce point mieux que tout soit teinté de l’odeur du sang ? Que les flammes, les corps brûlant figés sur des buchers ou habitations de fortune… Sentir les insectes mortuaires se déplacer à même le sol dans un bain de morts et d’amour, voir la mère manger l’enfant pour assurer sa survivre et le père violer la sœur pour ses besoins… Où est ce monde si doux que l’on m’a promis ? Où est ce monde si tendre ?

Je secoue la tête calmement, effaçant la perversion du rictus de mon visage. Il n’existe pas encore. Je n’ai pas encore eu l’occasion et le temps de le créer. Je n’ai pas encore trouvé les bons alliés pour y arriver. Je n’ai pas encore… J’ouvre les yeux, cessant court à ma session de relaxation, afin de la voir enfin arriver vers moi et lui adresse un grand sourire sauvage. Peut-être est-elle l’une de celles qui sauront devenir l’alliée que je nécessite ? Je me tords presque en deux rien qu’à penser que seul le temps nous le montrera, car je suis le temps et ma décision a déjà été prise, n’est-ce pas ?

« Ah, bien le bonjour ! Comment vas-tu ? »

Nous nous sommes donnés rendez-vous au petit matin dans le seul et unique but de parcourir le trajet au plus vite, ne voulant rien perdre des festivités locales, et déjà… Déjà l’envie de la frapper de toutes mes forces me prend, ne serait-ce que pour voir la beauté de ses gestes, de sa cruauté si pur qu’un diamant. Hélas, le village nous entoure encore et les apparences... Je sais ce qu’il faut en faire, n’est-ce pas ?

« J’espère que tu t’es bien amusée ces derniers jours ? Et que les vents seront bons pour la côte, amenant les bateaux vers celle-ci plutôt que dans l’autre sens. »

Mon allusion est on ne peut plus claire et, profitant des ténèbres des horaires matinaux hivernaux, je fais scintiller mon or dans un sourire des plus dérangeants, ma langue effleurant presque sensuellement le coin gauche de ma lèvre avant de rabattre mes dents en un claquement vivace, tel un loup tapant dans le vide avec sa morsure furtive.

Il avait l’air tout excité, ah s’il serait toujours aussi facile de le satisfaire, la Kaguya pourrait s’y habituer. Quant à elle, les horaires si matinaux la gardaient toujours avec plus de réserves et des yeux gonflés, elle était fatiguée de se lever si tôt, pas l’habitude, mais ce qui les attendait lui donnait malgré tout du baume au cœur.

-« Je vais toujours bien et toi ? »

Trêve de politesse, elle souriait à sa remarque et l’effet la réveillé un peu plus, même si elle avait de la difficulté à retenir un bâillement. Logique donc, que la brunette ne se jetait direct dans l’échange de la provocation pour s’attirer une bagarre, à la place, elle lui tendait un liquide fumant qui encombrait sa seconde main.

-« Si seulement ça soufflait assez fort pour ne pas nous retenir trop longtemps sur les flots. »

L’embarquement ne tardait pas, la petite île tristement célèbre des navigateurs ne faisait pas partie de leurs escales préférées, en effet, le capitaine insistait une fois de plus auprès d’eux : il n’était pas question qu’il les attendrait, s’ils n’étaient pas revenus au moment du départ, c’est-à-dire après qu’ils avaient déchargé et rechargé leur bateau, il partirait sans eux. Qu’importe, il était certain qu’ils ne seraient pas de retour à temps, à eux deux, ils arriveraient surement à convaincre un autre de les ramener. À compter qu’un autre bateau s’attarderait sur cette petite île mal fréquentée…

La brunette s’abstenait de tous ses détails, inutile de gâcher le plaisir, d’autant que de nombreuses occupations les attendaient sur place. Elle profitait du trajet pour offrir plus d’informations à son complice, notamment concernant le type de correction qui avait été infligée aux pirates, leurs corps seraient probablement toujours suspendus au large, à moins que leurs confrères n’étaient venus les décrocher. Ou encore l’éventualité que quelques survivants du dernier passage seraient toujours vivants dans le puits où elle les avait jetés, avant de le refermer. Au passage, la Kaguye en profitait pour se plaindre, de la frustration qui avait été celle en restant proportionné vis-à-vis de sa dernière partenaire et surtout de sa certitude que cet élément avait fait qu’ils reviendraient toujours.

- « L’idée serait de les chasser de cette île, non seulement, ça dorerait nos réputations comme tes yeux. Elle lui laissait un clin d’œil. Mais en plus, ça les obligerait à changer de point d’assaut. Il y a de nombreuses autres îles qui pourraient être prises pour cible et nous servir. Dernier point, qui dit pillage, dit fortune ou autres documents capables de servir. Dernier point des partisans sont des complices utiles plus ils te vénèrent, moins ils sont apte à dénigrer tes défauts. Tu vois où je veux en venir ?«

Elle ne le savait pas encore, mais son intérêt pouvait servir aussi celui du brun dans son objectif macabre. Pour poursuivre, elle expliquait que le régent de l’île était plus que véreux, probablement leur plus grande gêne sur place, la brunette le soupçonnait d’être de mèche avec les visiteurs de l’île. Après de longues explications peut-être même ennuyeuses, au loin avec un soleil toujours bien haut, l’horizon dévoilait leur destination. Le brouillard leur offrait un suspense jusqu’au bout et le sourire animait la brunette quand il ne restait qu’un bout de la corde des pendus. Au moins, elle était sûre pour ceux du puits, elle comptait bien commencer par eux, avec encore une discussion dont ils avaient le secret. Un premier pied au sol et déjà le constat sur le village du port démontraient qu’il n’y avait pas encore eu de visite, peut-être seraient-ils aux premières loges ou alors étaient-ils venus pour rien ? La Kaguya ouvrait la marche un peu en retrait du village, à peine poussait-elle la plaque qui avait couvert la prison des pirates, d’une odeur leur chatouillait le nez.

-« Il y a quelqu’un ? » Marmonnait-elle. « Pitié !! À l’aide ! » Grognait une voix affaiblie. « Je parie que tu es très talentueux pour faire parler les gens. Ça fera passer notre temps. » Une corde et un sceau se jetaient dans l’obscurité du bruit, ils restaient plus qu’à remonter le poisson.

Je bouillonne littéralement d’impatience durant la totalité du voyage, me montrant trop insatiable, trop sauvage, trop vulgaire, pour répondre pas plus que de simples sourires compréhensifs aux petites manigances de la Kaguya. Ainsi, elle n’est pas aussi stupide qu’elle aimerait le faire croire non plus et sais posséder un secret ou deux, ainsi qu’une intrigue ou deux – aussi simples et vulgaires soient-elles. Heureusement pour elle, c’est un maître en la question qu’elle s’est trouvée comme partenaire de voyage, et d’un hochement de la tête je lui fais comprendre oh combien facilement que oui, la danse sera rouge sang, mais gardera la beauté de l’or. Qu’il en soit ainsi. A l’issue de cette journée, et de quelques suivants peut-être, ils la vénéreront tous comme la mère nourricière, comme la messie tant attendue – ne se doutant guère du jugement dernier qu’ils auront à subir sous son courroux. Un village entier. Une île même ! C’est tellement sublime que de voir l’étendue et la portée de ses projets, et quelque part j’ai envie de croire que ce n’est pas que les siens mais d’une entité bien plus élevée, tirant douteusement quelques ficelles avec hasard. Une question qu’il conviendrait certainement de lui poser.

Oh douceur ! Oh extase ! Rien que cette odeur de chaire avariée, de mort, de sang, de misère – c’en est assez pour exacerber mes sens et faire plonger dans une douce transe proche de la folie. Que j’aimerai enclencher l’or de mes pupilles et contempler l’étendue du massacre antérieur, sa force, son animosité. Croquer dans les limbes et les entrailles des cons s’était fait prendre à un jeu qui les dépasse. Ce n’est que d’égard à la jeune et ma propre image que je me tiens à carreau, tendant même ma main au miséroïde extrait du puit sous le joug de nos efforts communs. Et c’était censé être quelqu’un de dangereux, ça ? Une brindille sur laquelle suffirait-il de souffler pour la voir craquer en deux.

« Bonjour ! Je me présente, Jisetsu Yuno, et voici ma collègue qui doit déjà vous êtes connue : Kaguya Hakana. Nous sommes ici pour mettre un terme, au possible, aux pirates. Quel est votre nom ? »

Alors que la conversation avec la victime, ou le coupable, ou qu’importe soit-il – tous méritaient la mort de toute façon – continue au plus doux, j’active mes pupilles et contemple sa tenue, m’abreuvant calmement des souvenirs contenus dans l’objet dans une sorte d’hypnose passive marquant un creux dans notre conversation. Jusqu’où était-il allé dans la vie douce ? Oh que oui ! Oui ! Encoure plus ! Ses dents, abimées par l’isolation et la prison, la fin, s’enfonçait doucement dans le corps d’autrui, décéder de sa faiblesse seule – et voilà le charognard se nourrissant doucement de sa proie, choisissant l’infâme au prix de la vie. Un sourire rend mes lèvres alors que je me tourne vers la Kaguya.

« Voilà qui n’a pas dût être facile, consommer la viande d’autrui afin d’assurer votre survie… C’est navrant, mais nous sommes capables de comprendre. La fin… La fin justifiait les moyens dans ce cas précis. »

Un sourire de plus, et voilà qu’en reprenant mon sérieux je me tourne vers notre interlocuteur, l’or de mes yeux marquant détermination et fureur du courroux qu’il risquait de subir pour ses actes s’il refusait la moindre coopération. Les secrets, les souvenirs, les folies – je dévore tout telle le pire des insectes, et c’est doucement que je sens mes mots frapper enfin son esprit simplet. Putain de paysan marin. Crève !

« Nous pourrions… Oublier cette partie. Si vous répondez aux questions de ma collègue. Car j’imagine qu’il serait fâcheux que ça se sache, et nous ne voulons vraiment pas votre mal. Pour preuve, je ne m’attendais pas même à trouver de telles choses… »

D’un geste de la main, j’adresse la petite pour qu’elle fasse sa partie. Qu’elle ne s’attende pas à ce que je mâche tout à sa place question parole pour qu’elle puisse profiter d’un terrain plus important à l’action. Je suis venu jouer aux bonnes sœurs ici seulement dans le but de faire couler du sang, et si je n’avais pas satisfaction… Le sien ferait tout aussi bien l’affaire.

Il énonçait du cannibalisme et à la vue de la tête de leurs victimes, le brun avait vu juste, restait à savoir comment il en était venu à cette conclusion. Que maintenant que la brunette observait ses yeux dorés avec plus d’intérêt, avaient-ils un lien ? Après tout, elle n’avait pas grand-chose en réserve concernant les clans et leur talent, pas le genre de chose qui lui avait été enseigné. C’était surement un tort. Quoi qu’il en soit, c’était son tour de jouer et il lui serait difficile de faire la même sensation.

-« Nous voulons simplement rendre visite à ton capitaine, ce serait tellement mieux encore s’il revenait de lui-même. Peut-être que vous savez quelque chose sur l’organisation des pillages. C’est juste sous un coup de tête ou bien… Vous attendez une opportunité précise… ? »

La question n’avait rien d’un hasard, la Kaguya avait remarqué un phare au loin lors de sa dernière arrivée, mais pourtant, il y avait deux lueurs provenant de l’île quand ils étaient au large. Elle et sa coéquipière avaient fait le tour, toujours qu’un seul phare, alors par déduction, le seul point assez haut pour laisser émaner une telle luminosité restait la seule possibilité à cette explication. Par ailleurs, il s’en était suivi l’attaque de pirate, mais aussi, alors qu’elles les attendaient, à la vue de cette même indication, leur invasion s’était stoppé. Ils voulaient fuir littéralement. Il était donc très probable de penser que quelqu’un sur l’île était là pour guider leurs visites. Il ne restait plus qu’à connaitre le code, davantage que qui au final, mais l’homme secouait la tête négativement en serrant ses lèvre, refusant de parler. Peut-être qu’il s’imaginait un sort pire encore que celui que ces deux-là pourraient lui offrir. C’était un peu insultant, ça aurait pu si simple, elle adressait un regard au second survivant, plus hésitant, mais tout aussi muet.

-« Bien, bien, je vois, puisque vous avez déjà mangé des cadavres, vous n’êtes plus à ça près. » Elle jetait son regard vers son partenaire pour chercher son approbation. « Et si on les faisait s’entredévorer, et qu’on laissait tranquille le survivant des deux. »

Qui serait le plus féroce ou comment les obliger à participer, cette solution était toute trouvée pour la brunette, qui d’un poignard osseux sorti de sa peau, avait déjà pelé, si on pouvait le dire ainsi, le bras du gars le plus proche d’elle. Elle tentait le morceau de chair à son compagnon de mauvaise fortune en souriant.

-« Si tu manges ton ami, je couperai un autre bout et tu sauveras ta propre chaire. Si tu refuses, c’est toi que qu’on découpe pour voir s’il se montre plus intelligent, si vous refusez tous les deux… Vous aurez deux morts douloureuses et inutiles. C’est long l’écorchage à petites languettes… » C’était aussi simple que cela visiblement, aucun état d’âme ne semblait la troubler, c’était que la gamine avait connu bien pire parmi les siens. Les faibles n’avaient aucune place, mais surtout aucun droit… « Est-ce que ça te parait honnête à toi aussi ? »

Une question plus pour l’intimidation qu’avec un réel intérêt, qu’importe que les pirates ne dénonçaient pas leur complice ici, ou bien le code. C’était déjà une belle mise en appétit, de toute façon, ils trouveraient bien l’emplacement de la zone d’appel, quant au code. Déjà allumer un feu, puis ensuite, si rien ne se passait, il serait toujours temps d’aviser. A moins que leur sérieux concernant le programme ne motivait les deux muets à parler pour survivre…

-« Imagine si on arrivait à les faire débarquer par groupe entier… » Ils étaient distrayant ces pirates, elle le lui avait bien dit, mais est-ce qu’il s’amusait tout autant ?