Je me réveillai le visage encore endolori de la bagarre d’hier. Je supposais que cela faisait à présent de nombreux mois que j’avais été enrôlé de force sur ce navire pirate. Chaque jour que je passais à bord de ce maudit rafiot apportait son lot d’évènements désagréables. Hier, j’avais eu le malheur d’entrer en conflit avec un des forbans, qui comme chacun le savait, était prompt à jouer des poings. Je savais que j’avais été mal avisé de lui tenir tête étant donné l’importante différence de poids qui nous séparait, mais je n’avais pas su tenir ma langue. Une bagarre, comme il s’en produit souvent à bord, s’en était donc suivie. L’échange de coups fut aussi bref que brutal et je me retrouvais rapidement au sol, évanoui. Je n’avais pas eu l’occasion d’examiner mon reflet depuis, mais la douleur lancinante que je ressentais sous mon œil ne présageait rien de bon.
L’activité et l’effervescence se mirent bientôt à remplir le navire. Il s’agissait d’une chorégraphie répétée des centaines de fois. Chacun savait quelles tâches lui avait été assignées, et nous nous hâtions de les mener à bien, sous le regard peu amène du maître d’équipage. Même si je ne me sentais clairement pas à ma place parmi les pirates, j’étais aussi capable d’exécuter les ordres que l’on m’avait donnés aussi bien que n’importe lequel d’entre eux. Il m’avait certes fallu un certain temps d’adaptation car je naviguais sur un navire beaucoup plus grand que celui sur lequel j’avais l’habitude de pêcher, mais je m’y étais fait au bout de quelques semaines. Travailler sur le pont me procurait un certain bien-être. J’inspirais tout l’air marin que je pouvais car l’atmosphère étouffante de la cale où nous dormions m’était insupportable.
Nous étions donc tous affairés lorsque la voix du capitaine s’éleva depuis le gaillard d’avant. Mon cœur se glaça lorsqu’il annonça qu’un raid sur un village côtier aurait lieu aujourd’hui. Pour avoir participé à un certain nombre d’entre eux, je ne connaissais que trop bien la violence et l’horreur qui y seraient à l’œuvre. Je tâchais de me répéter que je suivais les instructions pour assurer ma survie, mais le fait de savoir que j’étais partie prenante de chacun de ces raids me révulsait et me donnait l’impression de me perdre chaque fois un peu plus. Fort heureusement, je fus désigné parmi quelques autres membres d’équipage pour rester à bord. Je n’aurais donc pas à être témoin des atrocités commises. Malgré moi, je pratiquais la politique de l’autruche dans la mesure où je me détournais du spectacle, prétendant qu’il ne se passait rien, pour me rassurer.
Lorsque la terre fut en vue, tous les pirates désignés se saisirent de leurs armes, et une fois l’ancre jetée, ce fut une vague d’hommes assoiffés de sangs et de richesse qui déferla sur la côte. Nous n’étions plus que trois à bord, le coq, un autre pirate et moi. Les deux premiers se retirèrent dans la cuisine, tandis que je restais sur le pont, les coudes posés sur le bastingage, à admirer la mer devant moi.
La voix qui s’éleva derrière moi me coupa à ma contemplation et je me retournai vivement. J’avais cru qu’il s’agissait d’un des pirates revenu chercher une arme, mais l’homme qui se dressait devant moi m’était totalement inconnu. Grand et imposant, le corps marqué de motifs étranges, je dus admettre qu’il ne m’inspirait aucune confiance.
- Ca roule pour moi, répondis-je sur le ton de la conversation, ça risque de pas être le cas pour toi par contre, parce que je sais pas trop ce qui t’amène ici, mais à mon avis t’es tombé au mauvais endroit.
Je restais sur mes gardes, j’ignorais de quoi cet homme était capable, et je ne me plaindrais pas si je pouvais éviter d’écoper d’un nouveau passage à tabac, ou pire encore. En effet, sa tenue ne l’annonçait pas comme quelqu’un de commode, et le fait de ne pas connaître ses motivations me préoccupait. Je me demandais ce qui l’avait poussé à monter, seul, sur un navire pirate. Il fallait être doté d’un certain courage (ou d’une certaine inconscience) pour se risque à une telle chose.