Physiquement présente mais l’esprit complètement ailleurs, la Natsumi ne broncha même pas lorsque le jeune Yamanaka lui apporta une part de viande. L’état de la jeune fille la rendait bien vulnérable mais bien qu’elle eût décidé de retourner dans sa carapace de froideur, elle n’avait pas activé ses barrières de méfiance. Faisant toujours confiance au garçon masqué malgré sa décision de ne plus rien tenter pour se rapprocher de lui, Mairu ne se méfiait point de son camarade. Ce dernier pouvait donc l’attaquer à tout moment si tel était son souhait mais il semblait préférer se comporter en "gentil" garçon.

Ce fut la voix du jeune Yamanaka qui ramène la Natsumi à la réalité alors qu’elle avait cessé de fredonner l’air nostalgique que sa bouche avait exécuté machinalement.

La jeune fille resta silencieuse un instant comme si elle cherchait à comprendre les paroles que le garçon masqué venait de lui adresser.

- Pourquoi chasserons-nous ensemble ? Seuls des êtres proches restent ensemble. Chose que nous ne sommes pas. Je ne tiens pas à fréquenter une personne qui n’a aucune confiance en moi et si tu t’attaches à moi, tu vas finir par souffrir comme tu n’arrêtes pas de le dire.

La Natsumi s'était exprimée sur un ton plutôt froid mais sans être sec et tout en gardant sa posture de solitude et le regard perdu dans les flammes. Pas une seule fois elle ne s’était retournée vers son interlocuteur qui mangeait pourtant juste à ses côtés.

Bien qu’elle n’eût réussi à obtenir ce qu’elle avait cherché à avoir de la part de son camarade, les efforts qu’elle avait déployés n’étaient pas cependant totalement vains car le garçon masqué avait changé. Jamais l’ancien Shigo n’aurait accepté de partager son repas, ni la servir ou encore se serait installer à ses côtés sans garder une main fermée sur son canif. Des résultats que la Natsumi ne désirait pas détruite alors elle ne chercha pas à éloigner le jeune Yamanaka malgré sa décision. Et puis, elle n’avait pas complètement abandonné l’idée de faire de lui un être qui lui serait proche mais elle avait juste décrété de ne plus entreprendre une nouvelle tentative de rapprochement. Elle le laisserait venir vers elle s'il le désirait et à son rythme.

La Natsumi finit par défaire ses bras pour attraper à deux mains la viande qui la faisait saliver intérieurement. Ne voyant pas l'intérêt de manger avec manière, en véritable vorace, elle planta sans ménagement ses dents dans le morceau de gibier cuit à souhait.

Alors que la jeune femme mangeait dans le silence, la tristesse qu'elle tentât de contenir finit par se manifester sous forme des larmes qui se déversèrent à flot de ses yeux donnant un gout amer à ce qu'elle était en train de manger …

- Je croyais que tu ne voulais pas d'une sœur ! Lâcha la Natsumi tout en réfrénant ses pleurs qu'elle avait du mal à contrôler.

Sans plaisir, la jeune fille termina ensuite le morceau de viande qu'elle avait en main avant de jeter l'os dans le feu. Bien qu'elle n'était point rassasiée et qu'il restait encore des os à ronger, Mairu ne se resservit pas.
Effectivement, ce qu'elle souhaitait c'était de se rapprocher du jeune Yamanaka mais la réticence du ce dernier avait fini par la lasser. Selon le garçon masqué, il avait sans doute fait assez d'effort mais pas assez pour la Natsumi qui était allée jusqu'à briser sa propre armure afin de l'accueillir. C’était comme si elle avait écarté les bras pour inviter son camarade à s'y blottir mais celui-ci s’était contenté d’avancer timidement avant de se figer à quelques centimètres devant elle, la laissant dans un sentiment de rejet mêlé à de l'insatisfaction.

La jeune kunoïchi était bien consciente qu’elle allait surement un peu trop vite en besogne. Qu’elle devrait peut-être accorder un peu plus de temps à son camarade qui ne connaissait rien à l’affection d’autrui mais elle jugeait lui avoir assez prouvé sa bonne intention qu’elle n’arrivait pas à comprendre la méfiance persistante du jeune Yamanaka. Réaction que la jeune fille avait fini par traduire par une mauvaise volonté de la part de son camarade.

- Reste ! Lâcha Mairu d'une voix teintée de tristesse tout en gardant les yeux rivés sur le feu alors que le jeune Yamanaka s’apprêtait à la délaisser. Tu es si pressé que ça de retourner auprès de ces personnes qui te maltraitent ? La jeune fille releva enfin la tête, plongeant ses yeux rubis et encore humides dans ceux de son camarade. Tu préfères donc leur compagnie à la mienne ? De toute évidence, ils ne prennent pas soin de toi. Ils ne te nourrissent pas ! Ils te frappent ! Et toi, tu veux quand même retourner auprès d'eux alors que tu pourrais rester ici … avec moi ? … Tu es vraiment ingrat ! Conclut Mairu à voix basse alors que de nouveau elle reporta son regard sur le feu comme pour y consumer la solitude qui l'affligeait …

La Natsumi encaissa la gifle qui comparée à celui de sa sensei était comme une caresse. De plus, elle pensait l'avoir mérité. Le jeune Yamanaka avait entièrement raison : elle n'était qu'une faible.

Le garçon masqué l'accusait de ne pas le comprendre ni de vouloir l'accepter tel qu'il était mais lui non plus ne semblait pas être enclin à l'accepter telle qu'elle était, avec ses défauts et ses faiblesses. Remarque que Mairu s'abstint d'exprimer à vive voix se disant que cela était fort inutile au vu de la situation. Une chose au moins était certaine, elle et son camarade n'arrivaient pas à se comprendre. Leur différente façon de raisonner, de voir les choses, était comme un parasite qui brouillait leur communication. Lui n'arrivait pas à capter le message qu'elle désirait lui transmettre et vice-versa.

Si Sayuri, la kunoïchi presque aussi vile que Gogyou Maka que la première servait avec dévouement, n'avait pas réussi à endurcir la Natsumi malgré les entrainements et coups qu'elle lui infligeait, ce n'était pas le garçon fétiche qui se trouvait à ses côtés aujourd'hui qui allait y parvenir. Elle a toujours été ainsi : dure en apparence mais trop tendre à l'intérieur. Si tous les malheurs qu'elle avait essuyés n'avaient pas réussi à la changer, ce n'était pas maintenant que cela arriverait. Elle était ainsi et le sera certainement pour toujours. Lui aussi allait donc devoir l'accepter telle qu'elle était.

- Reste donc auprès de cette mère dont tu préfères la compagnie ! Ne reviens pas car je ne t'attendrai pas ! Lâcha Mairu d'une voix froide alors que son camarade reprenait le chemin vers la sortie de la grotte.

Mensonge lâché pour exprimer sa vexation refoulée. En ce moment, la Nastumi priait même que son camarade meurt sous les coups de cette femme qui le maltraitait. Une sombre pensée qui prouvait l'immaturité de la kunoïchi car malgré ses propos elle déplorerait la disparition de son camarade même s'ils n'avaient pas réussi à se rapprocher comme elle le souhaitait.

Alors que le jeune Yamanaka s'éclipsa, la Natsumi resta un long moment à fixer le feu qui peu à peu perdit son ardeur. Celui-ci menaçait de s'éteindre lorsque Mairu bougea enfin pour y remettre beaucoup du bois avant de s'allonger juste à côté. Sa sensei ne rentrerait pas avant des jours alors la jeune fille préféra passer la nuit dans la caverne. Ici ou dans la petite cabane, fidèle au poste, la solitude sera de toute façon sa compagne cette nuit aussi …

Sans le moindre regret malgré les propos bien rudes et la sombre pensée qu'elle avait eus envers son camarade, la Natsumi finit par s'endormir. Son corps et son esprit étaient si épuisés d'avoir subi tant d'épreuves inutiles.

Bien qu'elle s'était couchée avec le cœur serré par la tristesse et la solitude, les songes de la jeune kunoïchi furent bien doux qu'à maintes reprises un sourire s'était dessiné sur son faciès adouci par le sommeil. Comme souvent, elle rêvait des heureux moments passés avec sa famille et des heureuses retrouvailles qu'elle espérait avec son grand frère Haru. Un rêve qui, une fois de plus, la plongea dans un profond sentiment de vide à son réveil. Le retour à la triste réalité faisait toujours désenchanté au point que la jeune fille aurait préféré ne plus sortir de son sommeil. Oui, si elle en avait le pouvoir, elle préférait plonger dans un profond sommeil et ressasser une douce chimère que de devoir affronter jour après jour cette réalité qui l'oppressait de plus en plus au point de devenir un fardeau bien trop lourd pour ses épaules qui étaient pourtant loin d'être frêles. Une vraie preuve de lâcheté de la part de la jeune fille mais c'était une faiblesse qu'elle assumait parfaitement.

Malgré l'apparence d'une fille forte et inflexible qu'elle tentait d'arborer en présence de sa sensei et des autres soldats au service de Gogyou Makka, Mairu était en réalité prête à abandonner ce combat face à un destin bien trop cruel pour son être. Contrairement au jeune Yamanaka, la Natsumi était lasse de débattre. Sa volonté de survivre ne tenait plus qu'à un fil qu'elle s'apprêtait parfois à couper de ses propres mains mais, comme si le destin ne désirait pas la libérer de sa cruelle étreinte, un incident imprévu venait lui offrir une énième chance de survie. Comme lorsque le garçon masqué l'avait secouru alors qu'elle s'était apprêtée à laisser les ennemis éteindre enfin sa misérable existante.

Se rapprocher du jeune Yamanaka avait donné à Mairu le courage de survivre mais le résultat de ses initiatives était si désespérant que celui-ci l'avait poussé un peu plus profondément dans le désespoir au lieu de lui faire miroiter une lueur d'espoir.

Allongée près du feu sur le point de s'éteindre, lorsque Mairu ouvrit l'œil, la première chose qu'elle remarqua fut la présence de son camarade qui paraissait l'attendre depuis un moment. Ne ressentant aucun regret et tenant toujours le jeune Yamanaka coupable en partie de ce qui s'était passé la veille, Mairu se contenta de se remettre sur son séant sans accorder plus d'attention à celui qui patientait non loin. Décidant qu'elle n'avait plus rien à dire à son camarade, la jeune kunoïchi resta silencieuse mais le silence fut rapidement brisé par le garçon masqué qui lui annonça être venu pour la chasse qu'elle ne lui avait pas pourtant promise. Sans la moindre hésitation, Mairu se leva pourtant pour suivre son camarade et ce, sans sortir le moindre mot.

La chasse de la journée eut lieu dans le silence. Aucun ne désirait prononcer le moindre mot mais étrangement l'atmosphère n'était point pesante entre les deux jeunes gens. Quand ils devaient communiquer, c'était via le regard ou le langage gestuel. Signe qu'ils parvenaient à se comprendre en y mettant de la bonne volonté.

Chacun respectait la retenue de l'autre comme pour s'éviter de sortir un mot qui pourrait de nouveau blesser l'autre. Les paroles pouvaient être des armes si cruelles.

Après la chasse, les deux étranges personnages se retrouvèrent à partager le gibier du jour dans cette même grotte où ils s'étaient querellés la veille. Endroit qui devint rapidement leur jardin secret. Lieu où ils fuyaient ensemble la cruauté de leur monde. Dès qu'ils pouvaient, ils se retrouvaient pour répéter le même rituel qui avait fini par les rapprocher malgré leur dissemblance …

Les jours, les semaines puis les mois défilèrent et les mêmes rengaines se répétaient. Ils se disputaient, s'éloignaient puis se rapprochaient avant de se disputer de nouveau.

Lui, avait pris l'habitude de lui donner une claque pour lui prouver son affection qu'elle répondait par une plus violente avant de le serrer dans ses bras auxquels elle avait fini par l'habituer. La relation des deux jeunes gens était de plus qu'étrange et pourtant ils s'y complaisaient. Une relation "frère et sœur" loin d'être fusionnels mais dans lequel chacun trouvait son compte même si de son côté la Natsumi attendait toujours plus de la part du jeune Yamanaka. Mais la jeune kunoïchi avait cessé de réclamer quoi que ce soit auprès du garçon masqué mais se contentait juste d'accepter ce qu'il voulait bien lui offrir. Elle avait même cessé de lui reprocher son manque d'hygiène qui au début la gênait fortement mais auquel elle s'était peu à peu habituée même si au fond, elle espérait fortement qu'il daignait prendre une douche régulièrement un jour.

Un an passa. Ils s'engueulaient toujours et parfois en venait même aux mains et violemment mais ils finissaient toujours par se réconcilier. C'était comme si cette altercation qui éclatait parfois pour trois fois rien entre eux était pour justifier le moment de tendresse qui s'ensuivait. Pourtant même lui avait fini par tenir à elle que durant les batailles qu'ils devaient livrer au nom de Gogyou Makka, chacun protégeait discrètement l'autre. Ils tenaient à ce que leur relation restait sécrète pour leur servie alors en public ils se comportaient comme des étrangers l'un envers l'autre. Chose que Mairu trouvait de plus en plus dur à supporter et pourtant, tenant plus que tout au seul lien véritable qu'elle avait réussi à tisser sur l'île maudite, elle tenait bon. En bonne comédienne elle parvenait même à jouer à la perfection le jeu de l'ignorance.

Entre-temps, le jeune Yamanaka prenait enfin une douche régulièrement à la plus grande joie de la grande sœur qui doublait alors la dose d'étreinte. Pour justifier son excès de tendresse auprès de son frère de cœur qui ne se réjouissait pas autant qu'elle de cette proximité excessive, elle avançait que c'était sa récompense pour l'avoir soigné de sa phobie de l'eau et l'avoir appris à nager.

Le petit frère aurait certainement de souci si sa mère apprenait qu'elle fréquentait une fille qui prenait soin de lui alors que la grande sœur était certaine que sa sensei n'hésiterait pas à tuer le garçon masqué si elle venait à apprendre leur relation et pourtant aucun ne tenait à mettre un terme au lien qu'ils avaient réussi à forger. Un lien qui leur permettait de s'épanouir un peu sur l'île cruelle d'où ils ne parvenaient pas à s'échapper. Mais, un incident vint soudain bouleversé leur quotidien. Le jeune Yamanaka s'était pointé dans leur cachette en retard et grièvement blessé avant de s'effondrer sous les yeux de la Natsumi qui l'attendait avec impatiente autour du feu. Affolée, la jeune fille se précipita vers son petit frère. Sans craindre de se souiller par le sang du blessé, elle le retourna avec précaution pour le mettre sur le dos.

- Shigo ? Shigo ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Questionna une Mairu désorientée.

Submergée par la peur de perdre le seul être à qui elle tenait vraiment sur cette île où elle était prisonnière, la jeune kunoïchi mit un certain avant de penser à aller examiner la blessure du jeune Yamanaka. Ce dernier avait son propre canif planté dans le haut de la jambe gauche.

- Tiens bon petit frère ! Je vais te soigner ! Rassura la Natsumi qui tentait de se rependre.

La jeune fille alla faire chauffer la lame du sabre tanto qui ne la quittait jamais avec laquelle elle cautérisa la blessure de Shigo après avoir retiré l'arme puis elle banda celle-ci avec un des deux rouleaux de bandage qu'elle avait pris l'habitude de garder dans son sac de shinobi. Elle s'assit ensuite en tailleur sur le sol avant de reposer délicatement la tête du jeune Yamanaka sur ses jambes croisées.

- Ça va aller ! Je suis là ! Lâcha-t-elle d'une voix tremblante alors qu'elle ne parvenait plus à contrôler ses émotions. Je t'interdis de mourir ! Tu m'entends ? … Je te tuerais si tu meurs ! … Et celui qui t'a fait ça aussi ? Dis-moi qui est-ce ? …

À peine le jeune Yamanaka perdit conscience que celle qu’il avait évoquée se présenta à l’entrée de la grotte. La mère de Shigo avait suivi son fils blessé jusque dans le jardin secret que le jeune garçon partageait avec sa grande sœur de cœur.

En apercevant l’intruse, délicatement Mairu reposa la tête de Shigo inconscient sur le sol avant de se redresser puis se diriger vers la femme qui la fixait d’un regard méprisant. Tout en avançant, la Natsumi avait fermé la main droite sur le poignet du sabre tanto qui avait été remis dans son fourreau caché à l’horizontale en bas de son dos.

- Alors c’est toi qui es derrière tout ça ? C’est toi qui as monté la tête du petit pour qu’il s’engraisse derrière mon dos ? Je vais …

Soudain, la pie à la langue de vipère se tut alors que Mairu venait de lui envoyer son arme blanche dans le ventre. Cette femme était bien naïve de s’être aventurée dans leur antre sans la moindre précaution. Sans doute pensait-elle ne trouver que son fils qui lui était entièrement soumis en train d’agoniser dans un coin.

- Que !?

Les mains fermées sur le poignet du sabre dont la lame s’était entièrement enfoncée dans ses viscères, l’indésirable s’écroula sous le regard glacial de la Natsumi. Elle venait de tuer la mère de son propre petit frère mais c’était pour leur bien à tous les deux. Si elle l’avait laissé repartir en vie, la sorcière les aurait dénoncés et ça aurait marqué la fin de leur tranquillité dans cette grotte. Pire, ils auraient même couru le risque de se faire décapiter pour complicité non autorisée. Et puis, il était hors de question pour Mairu de laisser cette mère indigne qui maltraitait son propre enfant vivre plus longtemps. Si elle la laissait en vie, un jour ou l'autre elle finirait par tuer Shigo. Comme ces soldats sans scrupules, sa place était en enfer.

Mairu traina le corps sans vie à l’intérieur de la taverne qu’elle délaissa dans un coin avant de retourner auprès de Shigo une fois avoir extrait son sabre qu’elle avait nettoyé avec les vêtements de sa victime.

- Shigo ? Shigo ? … Tu m’entends . Ouvre les yeux s’il te plaît ?

N’ayant aucune réponse, ni réaction de la part du jeune Yamanaka, la Natsumi retira délicatement le masque qui couvrait en permanence le visage du jeune garçon. Le faciès balafré de son petit frère arborait une expression bien trop paisible pour une personne en mauvais état. C’était comme si le jeune Yamanaka avait rendu l’âme que la Natsumi se baissa immédiatement pour écouter son cœur. Ce dernier semblait toujours battre et à un rythme régulier mais pour se rassurer, la Natsumi tâta en prime les pouls de son petit frère. La jeune fille laissa échapper un soupir de soulagement avant de tâter le front de Shigo pour vérifier s’il n’avait pas de la température. Elle alla ensuite ajouter du bois au feu dont la chaleur et le crépitement la rassuraient alors qu’elle se trouvait seule avec un mort et un inconscient.

De nouveau, Mairu avait reposé la tête de Shigo - dont le visage était toujours à découvert - sur ses jambes alors qu’elle s’était installée non loin du feu, patientant que son petit frère - dont elle vérifiait de temps en temps l'état - ne se réveillât …

Mairu saisit la main frêle qui tâtait le front cherchant le fameux masqué qui rarement quittait le visage de Shigo. Chaleureusement la Natsumi sera la main tremblante dans la sienne alors que, perchée sur le jeune Yamanaka qui était toujours allongé la tête reposant sur ses jambes, elle le fixa des yeux humides alors que ses lèvres tentaient d'esquisser un sourire déformé par ses véritables sentiments. La grande sœur souffrait en même temps que son petit frère mais la jeune fille était également soulagée de constater que le blessé qu'elle choyait semblait être hors de danger de mort.

- Tu n'as pas besoin de me cacher ton visage ! … Je te préfère sans ce masque ridicule, fit Mairu tout en caressant les joues de Shigo … Ne t'inquiète pas, personne d'autre ne verra ton visage ! … Rendors-toi maintenant ! Il faut que tu te reposes encore !

Alors que le jeune Yamanaka referma de nouveau les yeux, la Natsumi fixa la cicatrice qui marquerait à tout jamais le visage de son petit frère. Cette marque, Mairu savait sa provenance.

Le cœur de la Natsumi se sera rien que de repenser à la triste histoire que le jeune Yamanaka lui avait raconté alors qu'intriguée par le fait qu'il tenait tant à cacher son visage, Shigo lui avait alors raconté son horrible passé ainsi que le triste présent dans lequel il vivait. Comme si l'enfer qu'était l'île où ils se trouvaient ne suffisait pas, il fallait en plus que son petit frère subissait quotidiennement les courroux de sa propre mère. Cette dernière était une victime de ce monde cruel mais cela ne lui donnait pas le doit de maltraiter son enfant, même s'il était le fruit d'un viol. Si elle le ne désirait pas alors pourquoi ne pas l'avoir tué à la naissance au lieu de lui faire vivre l'enfer tous les jours ? Voilà ce qu'avait pensé la Natsumi de cette relation mère et fils qu'elle rejetait au plus haut point.

Le jour où elle avait appris le passé du jeune Yamanaka, la Natsumi avait versé des larmes avant d'enlacer fortement son petit frère qu'elle avait enfin réussi à mieux comprendre même si cela ne les avait pas empêché de se chamailler pour autant. Le fait qu'ils étaient si opposés, qu'ils pensaient si différemment, ne rendaient pas leur relation fusionnelle mais ce lien étrange et quelque peu compliqué complaisait à tous deux. Se prendre la tête faisait partie intégrante de leur relation.

Alors que Shigo finit par s'endormir de nouveau, Mairu reposa en douceur sa tête sur le sol. La jeune fille s'assura ensuite qu'il y avait assez de bois au feu qui éclairait tout en réchauffant la taverne avant d'aller se poster à côté du cadavre de la mère de l'endormi. Elle toisa un instant le corps sans vie et sans la moindre compassion puis elle attrapa les deux jambes du cadavre pour le tirer en dehors de la grotte. Elle traina ainsi sans la moindre délicatesse le corps qu'elle finit ensuite par jeter dans un profond ravin où se reposaient déjà quelques-uns de ses victimes.

Sans perdre de temps, la Natsumi retourna ensuite dans la taverne dont le secret de l'emplacement avait été sauvegardé maintenant que le seul être qui avait pu le découvrir n'était plus.

Elle raconterait à Shigo ce qui s'était passé lorsqu'il irait mieux. La jeune fille appréhendait la réaction du jeune Yamanaka mais Mairu ne regrettait pas de s'être débarrassée de cette femme qui ne méritait pas son enfant …

Après avoir longuement hésité, le Yamanaka s’était finalement rendormi, terrassé par la fatigue que lui infligeait sa blessure. C’était la première fois qu’il dormait le visage à découvert. Sans doute était-ce pour ça que son sommeil fut des plus agités. Ou bien était-ce de la fièvre, fruit de tout le sang qu’il avait perdu en se trainant jusqu’à cette grotte ? Peut-être que, quelque part, son âme avait senti le trépas de sa génitrice et son cœur de pierre criait sa peine dans sa convalescence ?

Mairu avait décidé de lui raconter ce qu’elle avait fait lorsqu’il irait mieux. Pourtant, il lui fallut deux jours pour que cela arrive, bien que le Yamanaka ait pu marcher 24 heures plus tôt. La demoiselle hésitait. Elle cherchait ses mots mais, surtout, elle avait peur que lui avouer serait le perdre. Non, elle ne regrettait pas de l’avoir tuée, seulement de ne pas l’avoir fait plus tôt. Mais elle appréhendait malgré tout le moment des confessions. Or, quand son petit frère commença à montrer des signes d’inquiétude pour la disparition de sa mère et qu’il s’était mis en tête de fouiller tous les recoins de l’île pour la retrouver, même les plus dangereux, Mairu ne put se taire plus longtemps.

Elle l’avait tuée !

Shigo entendit ses raisons. Il les comprenait sans les accepter. Il savait les ressentiments de sa sœur envers elle. Mais elle n’avait pas le droit ! Silencieux, il écouta ce qu’elle avait à lui dire. Il ne la coupa point, attendant patiemment qu’elle finisse. Ou bien son esprit refusait la réalité de telle sorte qu’aucun mot ne lui vint ?

Quand elle eut fini, le Yamanaka ne demanda qu’une chose : où se trouvait son corps. Réticente au premier abord, Mairu lui répondit malgré tout alors que ses yeux suppliaient de savoir ce qu’il pensait, ce qu’il ressentait. L’avait-elle perdu ? La détestait-il ? Elle maudit comme jamais ce masque qui l’empêchait de voir les traits pâles du va-nu-pieds. Shigo se contenta de lui dire qu’il avait besoin d’être seul un moment et quitta la grotte pour se diriger vers le ravin.

Descendant avec précaution, il mit un certain temps avant de trouver le corps de sa mère, déjà nauséabond après deux jours seulement. Il resta là, debout à côté du cadavre inerte de sa génitrice. De cette femme qui lui avait tant donné. Que lui avait tout donné. La vie, et presque la mort. Tout. Shigo savait que Mairu était sans doute là-haut, à l’observer après s’être effondrée quelques instants dans la grotte lorsqu’il s’en était allé. Mais il ne leva pas la tête vers elle et fit mine de ne pas avoir remarqué sa présence. Il fixait sa mère, simplement.

Au bout de quelques minutes qui semblèrent interminables, le Yamanaka rapprocha ses mains de sa tête et en ôta son masque, dévoilant le visage qui rappelait tant celui de son violeur de père. Mais sa mère ne cria pas. Personne ne le frappa, le poignarda, ou le brûla d’une torche. Elle ne réagit pas. Les lèvres du Yamanaka à la pâleur morbide remuèrent, mais personne n’entendit ses mots. Personne d’autres que les morts. Des mots dénués de vie pour une dépouille inerte. Finalement, une fois sa prière ou ses adieux finis – personne ne sut jamais ses paroles – Shigo s’agenouilla près de sa mère et sortit le fameux couteau. De cette lame, il découpa délicatement la chair de sa génitrice. Après une heure d’un travail appliqué, le Yamanaka récupéra la face de son crâne : son nouveau masque. Le précédent était le premier homme qu’il avait tué. Mais cette fois, celui-ci aurait un tout autre sens. Et celui-ci aussi résiderait sur son visage quotidiennement, les orbites de son crâne tourné vers l’extérieur pour que jamais elle n’ait à le revoir. Etait-ce vraiment pour elle qu’il masquait sa tête ? Il avait toujours vécu ainsi que ça en était devenu naturel pour lui.

Mais il ne s’arrêta pas là. Shigo retourna à la grotte, croisant comme attendue Mairu sur le chemin. Son regard le supplia de lui dire quelque chose, de ne serait-ce que prononcer un mot, mais le Yamanaka poursuivit sa route tel un robot qui devait accomplir sa tâche sans s’en détourner un seul instant. Ne lui avait-il pas dit vouloir être seul ? Il récupéra quelques morceaux de bois du feu et redescendit dans le ravin. Là, il offrit à sa génitrice, à sa mère, l’ultime honneur. Shigo mit sa dépouille sur le feu et attendit. Mairu ne comprendrait sans doute pas. Comment le pourrait-elle ? Mais elle le laissa faire, se contentant de l’observer, toujours silencieuse au sommet du ravin. L’homme au crâne de sa mère se mit à dévorer sa dépouille, savourant chaque morceau et prenant son temps pour lui montrer son affection à cette femme qui avait tout donné pour lui. Sur cette île où l’on tuait pour quelques baies, il ne laisserait aucun charognard la prendre elle. A travers lui, elle pourra continuer à perdurer, d’une certaine façon… Shigo n’avait pas l’habitude de manger autant, aussi son estomac en régurgita une partie. Le Yamanaka prononça quelques mots qui s’envolèrent avec les morts avant de reprendre tout ce qu’il venait de cracher, jusqu’à la dernière goutte. Il lui devait bien ça. C’était ce qu’elle aurait voulu. Du moins, c’est ce qu’imaginait son fils.

Cela lui prit deux bonnes heures pour qu’il n’en laisse rien, allant jusqu’à ronger les os de sa défunte mère. Elle lui avait vraiment tout donné... Et ainsi, Shigo lui rendait son amour en retour. Mais, bien qu’il eut terminé, le Yamanaka demeura là, agenouillé face aux restes de sa génitrice. Il continua à veiller sur elle toute la nuit durant.

Le lendemain, Shigo retourna dans leur fameuse grotte, où il découvrit Mairu recroquevillée sur elle-même près d’un feu éteint depuis longtemps. Sans doute n’avait-elle pas eu la force de l’alimenter. Elle le fixa de ce même regard suppliant tandis que l’homme masqué s’approchait. Il se pencha sur elle et, silencieux, la gifla. Mais il n’y avait aucune animosité dans cette frappe. C’était sa façon habituelle de saluer sa sœur, de lui témoigner une certaine affection comme le fit sa mère avec lui. Comme elle le faisait…

Inspirant profondément, Shigo exprima un nouveau murmure. Mais cette fois, ses mots étaient pour une vivante.

« Je crains n’avoir plus que vous… »

Sa voix semblait moins froide qu’à l’accoutumée. Tremblait-elle ? Son chuchotement était-il une résignation ou un aveu ? Mairu l’enlaça plus fort qu’elle ne l’avait jamais fait tandis que des larmes de joie venaient entacher son visage. Quant à Shigo, son masque empêchait de savoir si ses yeux s’exprimaient, mais ses épaules semblèrent frémir dans les bras de sa sœur.

La Natsumi mit un certain temps avant de parvenir à avouer la vérité au jeune Shigo qui commençait à se poser des questions sur l'absence inhabituelle de sa maternelle. La peur de la réaction de son petit frère adoptif, la hantise de se faire rejeter par cet être à qui elle tenait, la crainte de voir cette confiance que le garçon masqué lui avait accordée après tant d'effort pour l'octroyer s'effriter avaient poussé Mairu à garder le silence. Seulement, sa raison lui murmurait qu'elle ferait mieux de tout lui raconter avant qu'il ne découvre le fait par lui-même. Chose qui risquait fort de compliquer les choses. Cette éventualité pourrait en effet n'offrir aucune chance à la Natsumi de sauvegarder le lien qu'elle avait réussi à tisser avec celui qu'elle considérait à présent comme un véritable petit frère. Ce dernier pourrait le rejeter pour traitrise et cachoterie.

Deux jours après l'incident, la jeune fille finit donc par tout avouer à son petit frère qui étrangement ne réagit pas alors qu'elle s'attendait à une attaque directe ou bien des paroles la condamnant de la part de Shigo mais lieu de cela, le garçon masqué ne chercha pas à l'atteindre par aucun moyen. Il se contenta de lui demander où elle avait mis le corps de sa défunte mère. Endroit que la kunoïchi lui indiqua. Aussitôt le garçon s'éclipsa de leur taverne après avoir exprimé son désir de rester seul.

Mairu le laissa prendre une grande distance avant de le suivre.

Connaissant le garçon masqué pour l'avoir fréquenté depuis longtemps, une appréhension sur ce que Shigo s'apprêtait certainement à faire s'était emparée de la Natsumi. Elle soupçonnait son petit frère de vouloir manger sa propre mère. Scène dont la jeune fille ne désirait point être témoin mais elle rejetait si farouchement le cannibalisme du jeune Yamanaka, qu'elle pensait d'ailleurs avoir cessé, qu'elle espérait qu'il ne passerait pas à l'acte alors elle l'avait suivi pour s'en assurer.

Perchée en haut de la falaise, ce que la Natsumi aperçut en bas la laissa bouche béé. L'enfant avait récupéré le crâne de sa propre mère pour en faire un nouveau masque. La Natsumi avait toujours su que le masque derrière lequel le jeune garçon cachait son visage était celui d'un être humain - sans doute celui de son père - mais découvrir que c'était la vérité la faisait frisonner de répulsion. La jeune fille se demanda pourquoi son petit frère se comportait-il de la sorte. Pourquoi se comportait-il donc comme un véritable sauvage ?

La scène du cannibalisme qui s'ensuivit fit glousser la Natsumi qui, l'estomac tout retourné par le dégout, s'éloigna. Courant comme fuir le spectacle abominable qu'elle désirait effacer de son esprit, Mairu finit par atteindre sa demeure, le cabanon qu'elle partageait avec sa sensei, où elle se terra jusqu'au lendemain. Elle retourna ensuite dans la fameuse grotte qui se révéla être vide. Sans prendre la peine d'allumer un feu, elle se recroquevilla dans un coin.

Plus d'une heure s'écoula lorsque Shigo fit enfin son apparition. Bien qu'elle l'attendait, Mairu ne se précipita pas pour l'accueillir. Elle ne lui adressa même pas le moindre mot mais se contenta juste de redresser la tête. Sa joue fut accueillie par une claque suivit des mots qui auraient pu la faire bondir de plaisir mais au lieu de cela, la Natsumi toisa son petit frère d'un regard déçu puis de toutes ses forces elle lui donna un violent coup de poing au niveau du front. Elle n'était pas aller de main morte car par cette violence soudaine elle espérait pouvoir fissurer le nouveau masque du jeune Yamanaka dont elle n'arrivait pas à supporter la présence.

- Faux ! Tu as ce crâne pour te tenir compagnie ! Tant que tu le porteras je ne te veux pas à mes côtés ! Je croyais que depuis le temps tu te comporterais comme un humain mais on dirait que j'ai eu tort ! Sur ces mots bien rudes la jeune femme se dirigea vers la sortie avant de s'arrêter un instant, le temps d'ajouter ces quelques mots : la prochaine fois que tu me gifles, je te couperais les deux bras. Je t'avais pourtant dit que ce n'était pas une façon de saluer quelqu'un qu'on apprécie !

La jeune fille disparut pour ne plus jamais revenir dans la grotte, du moins pendant plusieurs jours. Temps qui avait permis à sa colère de retomber et de lui faire comprendre à quel point elle s'était comportée comme une véritable égoïste. Elle avait tué la mère du jeune Yamanaka pour ensuite le rejeter alors qu'il lui avait déclaré de n'avoir plus qu'elle.

- Pourquoi ? Pourquoi ça finit ainsi ? Se lamenta toute seule Mairu qui n'arrivait pas à voir clair dans ses sentiments.

La jeune kunoïchi regrettait son acte mais elle ne tenait pas cependant à s'excuser auprès de Shigo dont elle n'arrivait pas accepter le comportement de cannibale. Elle condamnait ce comportement qu'elle n'accordait pas à un humain digne de ce nom.

Pourtant la jeune fille finit par revenir dans la taverne animée d'un sentiment de regret mêlé à de la frustration ...