Akita Miyu:

Je pars en mission pour quelque temps.

Le rouquin, nettoyant la vaisselle restante, tourna la tête. Plutôt surpris par cette annonce, ce qui le stupéfia le plus est la vue de la jouvencelle à ses côtés. Tenue de combat traditionnelle sur le corps, sabre attaché au dos, Kusarigama et sac de provision à la ceinture. La brune est déjà fin prête à entamer son voyage.

Merci de m’annoncer ça à la dernière minute.

Désolé, je viens de recevoir la missive.

Elle-même n’est pas spécialement heureuse d’être convoquée tel quel. Normalement, elle aurait pris son temps pour se préparer. Néanmoins, l’auteur de cette mission n’est pas la haute sphère de l’Empire, mais plutôt son ennemi naturel : la rébellion. Alors qu’elle regagnait sa chambre, une lettre était posée sur son oreiller. Son contenu expliqua son devoir. Motivée, elle se prépara immédiatement et annonça son départ à son grand frère.

Je serai au pays de l’Herbe pour quelques jours. Une histoire de protéger de la marchandise en transition. Ne t’inquiète pas, ce n’est rien de risqué. Si j’ai de la chance, j’affronterai des bandits tout au plus.

Malgré ses dires, Haru se retourna et croisa les bras, concernés. Bien que le mensonge soit peu élaboré, la Samouraï sait que cela est pleinement suffisant pour berner le jeune homme. Non, le problème réside ailleurs. En réponse à cette réaction, Miyu roula les yeux vers le plafond. Elle connaît bien trop son frangin, ce dernier étant bien trop soucieux et protecteur. Ce qu’il oublie souvent, c’est que la Kunoichi est plus forte que lui. Elle est bien plus apte à se défendre que le scarifié. Ce dernier est toujours au niveau de ninja de basse classe, c’est décevant. Non pas qu’elle ne croît pas en son frère. Elle sait plus que n’importe qui qu’il donne son maximum dans chaque session d’entraînement. Seulement, sa progression est lente, voire nulle. Contrairement à la plus jeune qui est désormais une Capitaine et qui a monté les échelons en un temps record, le rouquin à la frange blanche est plus un fardeau qu’autre chose. Certes, elle ne dira jamais ces mots à haute voix pour ne pas le décourager.

Il n’y a rien à y faire, je présume ? Les lèvres de l’Heishi s’étirèrent en un tendre sourire alors qu’il soupira. Allez, file. Soit tout de même prudente. Tu ne sais jamais ce qui peut survenir.

C’est en faisant preuve d’une confiance aveugle qu’Haru laissa sa sœurette partir. Ces derniers mots causèrent un petit pincement au cœur de l’adolescente. Mentir ainsi à son ange gardien n’est pas du tout une partie de plaisir. Bon nombre de fois voulait-elle partager son secret, mais elle connaît bien trop son frérot. Et puis, pour l’heure, elle souhaite qu’il reste à l’écart de ce conflit. Sa place n’est pas sur le terrain.

Sa destination n’est pas Kusa comme l’avait prétendu Miyu, mais Tori no Kuni. Récemment, le Shûkai a porté une attaque directe sur le clan des oiseaux. « Une pacification », tel que décrit par certains soldats à la botte de l’Empire. Plutôt un massacre, dans les faits. La communauté des Kosobayui a directement été touchée. Cela fait d’eux des candidats potentiels pour rejoindre leur cause.

Tu as un nom ou bien c’est top secret ?

En chemin, un confrère vint la rejoindre. Cette mystérieuse silhouette sera son partenaire de missive. Le duo se mit en route vers la cité nommée Haitaka, traversant la végétation diverse de la contrée à une modeste vitesse. Tout d’abord, les marécages, puis d’immenses clairières à perte de vue. Un horizon de verdure qui semble infini. Ce n’est point nécessaire de souligner le bonheur qu’elle ressentit lorsque les falaises Fukurou étaient distinguables au loin. Cela est signe que, bientôt, le binôme atteindra leur destination. Une fois cela fait, que feront donc les rebelles ? L’Akita n’en a strictement aucune idée. Ces renseignements ne lui ont pas été transmis et elle s’attend à ce que son camarade ici présent partage ce savoir lorsque le moment opportun surviendra, donc inutile de creuser plus loin. Il mène le bal, Miyu suit les ordres. Elle ne s’attend toutefois pas à une confrontation qui éclatera en violence. Ils sont ici pour parler, négocier. En théorie, pas une seule goutte de sang sera versée aujourd’hui… En théorie. Comme l'a dit le sage qu'est son grand frère, l'on ne sait jamais ce qui peut se produire.

Ce jeune homme – ou plutôt, ce garçon, au vue de son comportement que l’on pourrait limite décrire comme étant enfantin – est plutôt difficile à cerner pour l’adolescente. Le dénommé Itaki – est-ce son véritable prénom ou bien un subterfuge afin de garder le secret sur son identité au cours de cette mission ? – agit tel un insouciant alors que le futur de l’organisation repose en quelque sorte sur leurs épaules. Voilà un curieux personnage. Il est soit détaché du sens du devoir auquel il est lié ou bien il possède des nerfs d’acier suffisamment puissant pour résister à la pression. De son côté, la Capitaine ne peut pas en prétendre autant. Son sang-froid réussit de justesse de maintenir une expression faciale neutre afin de ne laisser rien paraître. Et pourtant, elle n’est pas encore au cœur de l’action. Elle déglutit face à son manque d’expérience. Malgré ses compétences, elle ne peut se vider l’esprit totalement et simplement respirer, évacuer le stress qui pèse au-dessus de sa tête telle une épée de Damoclès. Elle pense trop aux conséquences qui pourraient survenir en cas d’échec. En un sens, elle est jalouse de la silhouette qui lui sert de compagnon.

Le pied franchit à l’intérieur de la ville d’Haitaka, Miyu révisa son objectif. Comme l’a expliqué son camarade plus tôt, le duo aura rendez-vous avec un représentant du clan des oiseaux. Le but de cette réunion sera d’attirer les faveurs des Kosobayui afin de renforcer la puissance de la Rébellion. Ce n’est pas un combat à main armée dans lequel se jette l’Akita, mais plutôt une guerre politique. Elle devra choisir soigneusement ses propos ; le moindre mot de travers pourra attiser le courroux de l’individu qu’elle rencontrera. En quelque sorte, cette mission est plus difficile qu’un affrontement. La Samouraï est effectivement plus à l’aise avec un sabre dans ses mains plutôt que de maintenir une conversation de la plus haute importance. Néanmoins, ce n’est pas ici qu’elle fléchira. Relevant la tête, déterminée de mener à bien sa mission, elle s’enfonça dans la ville.

Bientôt, le duo fut accueilli à l’intérieur d’un modeste logement. La maisonnée reflète l’importance du propriétaire – sa richesse ainsi que son titre. Par mesure de sécurité, elle fut séparée de son Kusarigama ainsi que de son Katana bien-aimé. Réticente de se séparer de son arme favorite, contester la décision de l’hôte n’est cependant pas la meilleure décision. Surtout dans les circonstances présentes. Une raison de plus pour choisir judicieusement ses mots pour ne pas froisser le délégué du clan. Et une pression supplémentaire sur ses épaules. Le binôme fut ensuite conduit jusqu’au personnage concerné : un homme âgé de plus ou moins cinquante ans, confortablement installé dans son sofa personnel. Les protagonistes se jaugèrent simultanément pendant un bref instant. Ce court moment fut suffisant pour la Kunoichi de comprendre, à l’aide de son sixième sens, qu’elle ne fait pas face à n’importe qui. L’aura que dégage cet individu est impressionnante. Elle déglutit une nouvelle fois, faisant doublement attention pour garder cette façade de marbre. Les négociations ont débuté le moment où elle a souillé le sol de cette pièce de sa botte.

Il se présenta sous le prénom de Toriko – Kosobayui de son nom, si l’on suit la logique. Un accueil respectant les normes de la politesse suivit immédiatement d’une question qui perça le vif du sujet. Décidemment, l’homme ne souhaite pas tourner autour du pot. Soit. Cela facilite les choses pour la Shûkaijin. Rapidement, elle révisa mentalement son monologue d’introduction et chassa la pression dans cette fébrile atmosphère.

Enchanté, monsieur. Nous vous remercions de nous accorder cette audience. Je me nomme Saya, voici mon partenaire Itaki.

Par simple mesure de politesse, elle courba son dos droit afin de saluer son hôte. Miyu espérait que le gamin en fasse autant. D’ailleurs, ce nom de code, Saya, elle venait tout juste de le concevoir. L’idée d’utiliser une fausse identité ne lui a jamais traversé l’esprit avant ce moment-ci. Par chance, son visage est à demi-couvert, donc retracer son identité ne sera pas une chose facile pour quiconque.

Nous souhaitions rencontrer le clan Kosobayui suite au récent accrochage entre votre clan et le Shûkai. Comme vous le savez certainement, l’Empire a ordonné la répression des vôtres lorsqu’ils ont élevé leur voix face à l’assassinat du précédent Gouverneur. Résultat : ce fut l'élimination. Ce n’est pas normal que l’Empire ordonne une telle chose envers les siens et a démontré sa vraie nature une fois de plus. C’est pour ça que nous sommes ici : vous avez goûté amèrement aux méthodes impériales, donc nous vous invitons à rejoindre notre cause. Et en échange de votre soutien, vous pourrez compter sur l’aide de notre organisation pour vos autres difficultés.

Son monologue toucha à sa fin. Cartes sur table. La proposition a été énoncée et la balle est désormais dans le camp adverse. Son discours achevé, elle remplit ses poumons d’air frais à nouveau. Bien que son visage dissimulé à moitié reste stoïque malgré les propos ardus qu’elle prononce, toute la pression sur ses épaules éprouve un stress incommensurable. Une seule action de travers ; un seul mot contrariant le délégué du clan et le plan tombe à l’eau. Un tel échec n’est point permit pour l’organisation. Sous son foulard, elle mordit sa lèvre inférieure alors que son interlocuteur réfléchissait à ses précédentes tirades, la plupart relatant les récents événements et expliquant pourquoi la Rébellion serait intéressé par un partenariat. Néanmoins, elle se sent à court de munitions. Ses connaissances ne s’étendent pas au-delà de ce qu’elle a déjà partagé. L’ancien Gouverneur a été assassiné, cela est un fait. Pour quelle raison ? Et qui est l’auteur de ce meurtre ? Une hypothèse naquit dans son esprit, mais aucune certitude. Et dans le domaine de la négociation, l’information est la principale arme pour dissuader l’opposant. Dans ce cas-ci, Miyu se sent désarmée – autant de ses outils ninjas que d’arguments.

Comme anticipé, le dénommé Toriko ne mordit guère à l’hameçon. Évidemment. Une affirmation immédiate aurait été preuve d’une idiotie sans mesure ou bien d’un complot suspicieux. Il posa la fameuse question qu’elle redoutait tant : qu’est-ce que la Rébellion peut bien apporter de plus au peuple de Tori no Kuni ? Le regard doré de l’Akita s’assombrit. Intérieurement, elle maudit cette mission improvisée. Son supérieur a-t-il fait un mauvais choix en la choisissant ? Il y avait certainement un meilleur élément dans les parages possédant les arguments nécessaires pour remporter cet échange. Sa canine s’enfonça dans sa lèvre. En vitesse, elle réfléchit à un compromis. Autre qu’un soutien financier et de labeur, il n’y a pas grand-chose qu’elle puisse offrir au nom de l’organisation. Cette décision n’est pas de son ressort.

Peut-être sentait-il l’hésitation émanant de sa collègue ou bien avait-il prévu d’intervenir à ce moment précis de la conversation. Ce fut celui qui se nomme Itaki qui enchaîna la parole afin de répondre à leur hôte, et ainsi, sauver la demoiselle en détresse. Ce jeune garçon semble être en meilleure position pour négocier avec le délégué puisqu’il émit les conditions de partenariat sans grande difficulté : il débuta par confirmer les soupçons de la Kunoichi et expliquer pourquoi la Rébellion a commandité l’assassinat du précédent Gouverneur de ses terres. Après les justifications, il posa sur la table leurs conditions d’alliance : en échange de liberté entre les mains d’un tout nouveau dirigeant, les Kosobayui devront apporter leur soutien à leur cause. En soi, pour l’organisation, il s’agit d’une idée de génie. Itaki a dit qu’un Gouverneur de leur côté sera placé. Ce qui signifie que Tori no Kuni deviendra le bercail de la Rébellion, assisté du clan des oiseaux. Si le plan est exécuté à merveille, l’organisation gagnera un immense avantage. Ce sera un petit pas pour l’Homme, mais un grand pas vers un avenir libre du Kamui.

Les modalités connues, Itaki proposa de laisser un délai de douze heures avant d’en venir à une réponse, respectant ainsi la coutume du clan. Les formalités de respect faites, le binôme fut escorté à l’extérieur de la demeure. Le garçon tourna les talons vers l’adolescente, tout sourire et demanda en mimant son opinion. Miyu expira, la pression désormais dissipée. Qu’est-ce qu’elle peut bien en penser de tout ça ? Autre le fait qu’elle se sente peu utile dans ce contexte. Le mystérieux personnage qui lui sert de frère d’arme aurait bien pu prendre l’initiative plutôt que de laisser la brune patiner. Bref.

Je suis peut-être un peu trop optimiste, mais je crois qu’ils accepteront ce marché. En théorie, ils n’ont rien à perdre et tout à gagner. S’ils souhaitent venger leurs confrères, alors l’opportunité est là. Mais je ne serais tout moins pas surprise d’entendre un refus catégorique. Beaucoup des leurs ont péri lors de ce conflit, il se peut bien qu’ils soient intimidés et veuillent rester à l’écart du jeu politique au Shûkai. Enfin, nous verrons demain matin je suppose.

Oui. À l'aube, le duo aura leur réponse.

Le jeune Itaki est du même avis que notre héroïne. Désormais, la proposition passe ou casse, comme l’a-t-il si bien dit. En ce moment même, les Kosobayui s’assemblent afin de discuter la possibilité d’un partenariat avec la célèbre Rébellion, ce mouvement discret opposant la dictature impériale. Il s’agit d’une question risquée et qui mérite tout son sérieux. Se lever contre les ambitions de l’Empereur est synonyme d’une déclaration de guerre en soi. Ce n’est en rien une décision qui doit être prise sur un coup de tête. Elle-même a prise quelques jours de réflexion avant de devenir officiellement une rebelle.

Un élément de la réponse du garçon la laissa sceptique. Revenir dans six mois si jamais le plan tombe à l’eau ? Certes, ils peuvent toujours revenir après un certain temps avec des arguments plus convaincants, mais pourquoi six mois ? Il y a-t-il autre chose dont elle ignore ? Émettre des suppositions est une perte de temps et la Kunoichi sait bien que, même si elle demande, ce serait déjà un miracle d’obtenir une réponse vague. Quelqu’un de sa trempe n’est qu’un pion sur un échiquier. Afin d’obtenir la confiance de ses supérieurs et en connaître plus sur les desseins des siens, elle doit prouver sa valeur. Et accomplir cette mission sera un bon début. Oui, Miyu n’apprécie pas être laissée dans la pénombre, l’ignorance.

Quoi qu’il en soit, les deux protagonistes sont d’accord sur un point en commun : le pays des Oiseaux est trop important. La Rébellion a besoin de cette contrée dans leur poche afin de réussir leur objectif ultime. Le soutien du clan natif de la région est également une pièce qu’ils ne peuvent se passer.

Le duo se quitta donc pour la nuit. Seul Dieu sait où a disparu Itaki. C’est sans un mot, mais sur un sourire, qu’il laissa sa partenaire de missive. Il sera difficile pour Miyu de retrouver la trace de ce mystérieux bonhomme malgré son sixième sens, mais il ne fait aucun doute qu’il en sera beaucoup moins difficile pour ce dernier. Tant qu’à elle, elle décida de se terrer dans une auberge, louant une chambre pour quelques heures en se faisant passer pour une touriste.

Ainsi vint l’aube. La nuit fut longue pour l’apatride. Elle a passé une bonne partie de la soirée à calculer les chances de réussite de la négociation et que faire en cas de refus. Éventuellement, la fatigue l’emporta dans les bras de Morphée pour quelques heures. Dès que l’astre lunaire céda sa place au soleil, elle se leva et se présenta face au domicile de la veille, rejoignant son compagnon. Cette fois-ci, le binôme reçu un accueil plus chaleureux que la dernière fois. Chacun avait son propre fauteuil diablement comfortable malgré son apparence miteuse ainsi que des gâteries et du thé. Est-ce une preuve que le vent a tourné en leur faveur ?

Toriko entama la discussion. L’épuisement se détecte facilement sur son visage ainsi que la tonalité de sa voix. Quoi que de marbre, la première tirade du second du clan réjouie l’Akita. Les hommes-oiseaux sont d’accord avec les conditions d’alliance. À un détail près : si le duo réussi à prouver leur valeur en remplissant une mission, alors le pacte sera conclu. Elle avait déjà prévu cette possibilité, alors aucune surprise pour sa part. Son camarade reçu les détails dans une enveloppe qu’il parcourut immédiatement. Un moment plus tard, il partagea les détails : un Kosobayui emprisonné lors du soulèvement qui sera transféré dans vingt-quatre heures. Évidemment, la Samouraï et son compagnon devront le libérer, ce qui signifie qu’ils devront affronter des Shûkaijins – une première pour Miyu. Sera-t-elle à la hauteur ?

À son tour, elle survola les détails de l’ordre de mission. Tout est comme l’a expliqué Itaki. Néanmoins, il y a un détail manquant.

Savez-vous d’où partira le convoi ainsi que le chemin qu’il empruntera ? Vous connaissez le terrain, donc vous devez connaître le meilleur endroit pour tendre une embuscade.

Une question légitime qui peut faciliter la tâche à nos héros.