Un léger bruissement se fit entendre. Un amas de sable commença à s’agréger en une petite momie dans la paume de la main de Saemon. Il regardait son œuvre avec le regard mélancolique. Il rêvassait, confortablement installé sur le sable d’une ruelle peu empruntée par les habitants.

Voilà plusieurs jours que le jeune Genin était arrivé à la capitale sous l’impulsion des membres du clan Kawaguchi résidant à Suna. Etait-ce pour se débarrasser d’un élément gênant ? Y avait-il une réelle raison à la présence de Saemon à odaichi ? Toujours est-il que le jeune homme n’avait pas été affecté à une quelconque mission depuis son arrivée. C’est tout juste si l’on avait daigné lui adresser la parole.

Une attitude qu’il ne connaissait que trop bien. De nombreux membres du clan craignaient le jeune Genin. Non pas qu’ils le considéraient comme dangereux ; il s’agissait plutôt d’une peur entourant le mystérieux rituel du soldat ultime. Une épreuve traditionnelle du clan, interdite depuis la création de Suna. Une épreuve qu’avait subi Saemon il y a une dizaine d’année et qui le poursuivait encore aujourd’hui.

Le jeune ninja n’était que peu considéré par les autres membres de son clan. Shinobi de seconde zone, enlaidi par les brûlures, ridiculisé par le port aléatoire de nombreuses bandelettes, Saemon était indubitablement le mouton noir du clan. Il était donc majoritairement ignoré par sa famille et passait le plus clair de son temps à lire des ouvrages techniques et à s’entrainer mollement au ninjutsu.

C’est que, malgré tous ses défauts, le Kawaguchi maitrisait la technique signature de son clan, le sunaton. Certes il s’agissait là d’une maitrise toute relative, une compétence de Genin, mais il en était fier.

Cela le rendait en définitive encore plus amer. Il était convaincu qu’il pouvait être utile au clan et au pays. Mais personne ne semblait lui accorder sa chance. Lui qui venait à peine de sortir de l’académie ninja, il n’était pas encore parvenu à trouver une équipe et un sensei. C’est donc seul qu’il s’entrainait, avec la détermination de ceux qui n’ont rien et l’envie de ceux qui rêvent encore d’un meilleur destin…

Saemon effectua quelques mudras avec une certaine agilité qui trahissait une pratique régulière et ancienne.

« Manako miira – l’œil de la momie. » Susurra-t-il.

Aussitôt, la momie de sable qui siégeait dans sa main se désagrégea. Le sable se reforma en un œil à l’apparence putréfiée. Une fois totalement solidifié, celui-ci s’envola non loin. De cette manière, le jeune Genin pouvait analyser les environs tout en restant confortablement assis.

Alors que l’œil contemplait les environs, Saemon jouait négligemment avec la bandelette qui lui enserrait la main droite tandis que ses lèvres remuaient toutes seules sous l'effet de la curiosité.

Allait-il voir quelque chose d’intéressant ?

L’avantage indéniable d’être le mouton noir du troupeau, c’est que la majorité des autres moutons préfèrent éviter tout contact. Ce n’était pas le cas de cette Tali qui allait même jusqu’à affirmer qu’elle était « un peu comme lui ». Saemon ne parvint pas à se retenir et un léger sourire fit son apparition sur son visage partiellement dissimulé. Les commissures de ses lèvres sèches craquèrent comme du papier de verre.

« Comme moi hein ? »

Et il se releva mollement pour jeter une œillade plus précise à son interlocutrice. A n’en pas douter, elle ne parlait pas de son physique lorsqu’elle évoquait une ressemblance avec le Genin le plus momifié de tout Suna. Se grattant mollement le crâne, il analysa, non sans une certaine finesse, la posture de Tali. Elle maintenait un siège de sable à l’aide d’une technique Sunaton. Pourtant, aucune fébrilité dans son chakra, un malaxage quasi-inexistant. Il semblait y avoir une forme d’évidence dans sa technique, d’aberrante facilité qui trahissait une grande compétence. A n’en pas douter, la demoiselle était une shinobi de premier rang.

Dès lors, qu’elle connaisse son nom n’était pas une surprise. Il ne devait pas y avoir beaucoup de shinobis de première catégorie qui ne connaissaient pas le funeste Saemon. Toujours désireux de redorer son blason, le Genin se redressa avant de reprendre la parole, d’une voix calme et assurée.

« Je traine ici parce que pour l’instant, on n’a pas daigné m’accorder de mission. Alors plutôt que de tourner en rond, je peaufine ma technique du troisième œil. Puis je suis tombé sur votre silhouette Tali-sama. »

Il s’arrêta un instant, jaugeant par principe la prochaine phrase qu’il allait prononcer. Après un court laps de temps, il reprit la parole de plus belle.

« Vous étiez ce qui semblait être le plus intéressant dans le secteur. Puis la dernière fois que j’ai fais passer mon œil putrescent vers les villageois je me suis pris une rouste de première catégorie… »

Il plissa l’œil d’un air malicieux.

« Mais vous disiez que vous étiez un peu comme moi ? Je dois admettre que vous piquez ma curiosité Tali-sama. »

Et il matérialisa une momie de sable à genou et mains posées sur le sol. Il s’installa sur son dos en guise de banc.

Saemon avala une rasade de saké, il en humecta les bandelettes autour de ses lèvres. Son regard se faisait étrangement fixe tandis que la shinobi faisait ses remarques. Elle lui apparaissait particulièrement sûre d’elle. Une réalité qui dissimulait parfois de nombreuses vérités. Il le savait bien, lui dont la vie était devenue un secret.

« La puissance… Beaucoup se sont perdus à la recherche de puissance. »

Il entortilla plus fermement les bandages qui entouraient ses phalanges. Son regard se perdait dans le vague alors que les paroles de Tali raisonnaient dans sa tête. Elle était une hybride ? Manifestement, le clan Kawaguchi avait multiplié les « recherches » ces dernières années. Comme Saemon, Tali était une l’une de ces âmes utilisées pour le bien supérieur du clan. Cela ne faisait que renforcer sa résolution passée.

Il porta son regard sur sa peau desséchée alors qu’elle faisait allusion à la différence évidente qui résidait dans leurs corps respectifs.

« Un corps digne de ce nom hein ? » Sa mâchoire se contracta imperceptiblement.

« J’imagine oui… »

C’était inévitable. Tôt ou tard, tout les ninjas en venait à réaliser une forme de jugement de valeur, considérant que le corps de Saemon le rendait en quelque sorte plus fragile. Ce n’était pas nécessairement la pensée de la ninja, mais pour la « momie » il devenait difficile de dissocier les regards à son encontre. Il avait déjà vainement tenté d’argumenter sur le peu d’importance de la chair et du gras dans un affrontement, mais c’était peine perdue. L’habit fait encore trop souvent le shinobi.

« Je ne suis pas dans un registre de complainte. Je n’ai jamais regretté ma condition et je ne vais pas commencer. Je regrette que le clan Kawaguchi me considère comme un échec et ne cherche pas davantage à m’utiliser. Il semblerait que mon évolution ne puisse passer que par l’extranéité. Au sein du clan mon avenir est compromis, mais je trouverai peut-être un meilleur futur à Sunagakure au sein de tous les ninjas.

Je déplore qu’une famille à laquelle j’ai dédié ma vie ne soit guère attentive à ses membres les plus ambitieux. Mais cette petite escapade à odaichi m’a convaincu que l’évolution passe par un changement radical. »

Il laissa apparaître une rangée de dents impeccables dans un sourire presque malsain.

« Tandis que vous Tali-sama, vous êtes versée dans la nécromancie. Une aptitude pleine de mystère ! Je serai curieux de voir les applications militaires de telles compétences. En définitive, vous devez être aussi mal perçue que moi par la population. Réveiller les morts est une capacité qui peut paraître effrayante de prime abord. »

Saemon parlait avec un réel intérêt et une absence évidente de dégout ou de crainte.

« Je dois admettre ne jamais avoir rencontré un ninja en mesure de faire usage des cadavres ! C’est là une vraie curiosité pour moi. »