« Au début, tout n'était qu'obscurité. Il n'y avait que les ténèbres infinies et leurs abysses insondables où que se porte le regard. Une nuit éternelle, sans lune ni étoile pour consteller le ciel. Personne ne sait combien de temps cette ère a duré, ni pourquoi cela a changé, mais un jour, la lumière apparut... »

Une allumette fut grattée, et aussitôt, sa flamme déchira le noir absolu qui régnait dans la pièce. Son éclat était faible, et ne révélait pas grand chose. Seulement les doigts de celui qui la tenait, ainsi qu'une partie de son visage. Les ombres s'agitaient fiévreusement sur les courbes de sa mâchoire et de son nez, au rythme de la danse hypnotisante de la flammèche.

« Avec la lumière, la chaleur arriva. Le confort fut découvert. Et surtout, l'espoir naquit. Le monde n'était désormais plus baigné dans l'unique obscurité, il avait une forme, des couleurs, des limites. Mais très vite, l'on réalisa qu'avec la lumière était aussi née... la peur. Lorsque les ténèbres sont votre quotidien, que vous ne possédez rien et ne croyez en personne, que peut-il bien vous arriver de pire ? Mais dès lors que l'espoir naquit, arriva avec lui la peur de perdre ce que l'on a découvert, ce que l'on a aimé, mais surtout, la peur de l'obscurité. »

La flamme de l'allumette vacilla dangereusement, menaçant un instant de s'éteindre avant de retrouver une stabilité précaire.

« Quand les ténèbres sont absolues, et que l'obscurité est partout, elle accompagne le quotidien, l'on vit avec. Mais c'est dans la lumière que le noir revêt sa véritable forme. '' Allumer une bougie, c'est créer une ombre. '' C'est grâce à la lumière que ce qui était autrefois Un devint Multitude. C'est grâce à cette flamme que ce qui était avant figé s'anima. Pourquoi avoir peur du noir alors que c'est dans la lumière que les ombres dansent ? Sans espoir ni connaissance, les ténèbres ne sont rien d'autres que ce qu'elles sont, mais à la lueur des éclats, elles se sont ancrées dans l'imaginaire. Elles ont commencé à ramper, à se mouvoir, à prendre forme à partir de rien, si ce n'est d'une étincelle de lumière. »

Il y eu un mouvement. Personne ne su dire de où, personne ne fut capable de dire de quoi, mais il avait bien été là.

« Les légendes racontent que le premier des Nara a domestiqué les Ombres. Qu'au cours d'une nuit, à la seule lueur de sa volonté de survivre, il a rencontré l'Obscurité, et a triomphé d'elle. Est-ce vrai ? Je ne sais pas trop... Après tout, que sont-ils capable de faire aujourd'hui, sinon animer vaguement leur propre ombre ? Ce ne sont rien d'autres que des singeries, des reflets que leur volonté impose sur la lumière. »

L'allumette fut déposée en parfait équilibre sur le sol, et sa flamme commença à grandir, d'abord doucement, puis jusqu'à atteindre la taille surnaturelle d'un feu de camp. Les traits du narrateur se révélèrent progressivement, tout comme son ombre derrière lui.

« Est-ce pour autant que l'Obscurité n'a jamais existé ? De cela, je n'en serai pas si sûr... Car si la lumière abondante aujourd'hui a su tapir les ténèbres, elles sont toujours là, présentes, mais surtout, vivantes. »

Au fur et à mesure qu'il parla, son ombre dansante sur le mur derrière lui prit une envergure impressionnante, mais surtout, une forme. D'abord incertaine, les traits se précisèrent rapidement, formant une gueule de loup dont le museau effleura le plafond. Son corps gagna en masse, et deux bras épais pourvu de griffes à leurs extrémités s'agitèrent. L'ombre gagna en détails à mesure que les traits se tortionnaient à l'intérieur, dessinant les contours et les formes de l'illusion.

Spoiler:

« Et elles sont partout. »

Dans un hurlement silencieux, l'animal s'arracha en partie du mur. Ses deux pattes avant se posèrent devant l'homme qui ne se retourna même pas, et lui offrirent l'appuie nécessaire pour extirper son torse, qui prit lui aussi consistance dans la réalité. La créature afficha une expression cruelle en dévisageant les enfants les plus proches, à la lisière de la lumière des flammes, avant de tendre une main griffue vers eux pour les saisir. Les enfants hurlèrent de concert, bondissant de leur place assise à même le sol pour échapper au monstre. Prit de terreur, ils se bousculèrent les uns les autres en tentant de fuir dans le noir, jusqu'à ce qu'une lampe s'allume au plafond, et chasse totalement l'obscurité.

« Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?! » s’affola la mère de famille à l'entrée de la pièce.

La cohorte de jeunes enfants lui fila entre les jambes ou sur les côtés sans demander son reste. Au fond de la pièce ne restait qu'un Natsuki solitaire, assit en tailleur sur le sol. La trentenaire passa une main sur son front, puis soupira en secouant la tête.

« Pour un Halloween, je n'aurai pas dit, mais pour animer un anniversaire d'enfant, vous êtes franchement nul, c'est le moins que l'on puisse dire. »
« Je sais. » répondit d'une moue Natsuki en se relevant.
« Vous me rappelez pourquoi c'est vous qu'ils ont envoyé ? »
« Parce qu'il n'y avait plus personne d'autre, Madame. »