Samui Yuki & Suzurane Ako

« C’est moi que tu regardes de travers comme ça ? Tu n’as jamais vu quelqu’un couvert de sang avec des plaies sanguinolentes dans ta vie … »

La jeune femme tomba lourdement sur le sol. Ses jambes n'arrivaient plus à la maintenir debout, son corps tout entier avait cédé sous le poids de la douleur qu'elle s'était infligée plus tôt dans la journée. L'homme qui l'avait soi-disant dévisagé aux-dires de la bougresse en tenue d'arlequin, s'approcha timidement de cette dernière. Avec une voix tremblotante, l'individu lui demandait si elle l'entendait. Ako avait une envie viscéral de mettre son poing dans la face de ce pseudo bon-samaritain, la blonde ne ressentait nullement le besoin d'être aidée en ce moment. Une personne lambda aurait supplié de l'aide, mais pas elle, étant donné que dans ses veines coulaient le sang des valeureux Suzurane qui ne vivaient que pour une chose, ressentir la douleur. La douleur, le soldat du Shukai la dégustait avec délectation, mais ses jambes ou plutôt les lois de la nature sur le corps humain l'avait rattrapé et condamné à rester face contre terre. La jolie blonde n'émettait aucun son suite aux demandes incessantes de l'homme qui désirait lui venir en aide, elle en était incapable et au fond d'elle, l'indignation commençait à se manifester.
L'homme posa deux doigts sur le cou de la jeune femme pour voir si le cœur battait toujours par l'intermédiaire du chemin veineux du corps humain. Le pouls était faible, mais bien présent. Oubliant sa timidité ou bien en ayant gagné en courage, le bon-samaritain poussa de vive voix une demande d'aide afin que l'on appelle des gens compétents pour Ako.

Celle qui se faisait surnommer « la folle en costume » par ses comparses Heishi, essaya tant bien que mal de se relever à l'aide de ses bras, mais ses derniers restaient immobiles refusant d'obéir à la blonde. Il n'y avait rien à faire pour Suzurane Ako, cette dernière ne pouvait pas empêcher l'attroupement de se créer autour d'elle. Les paupières du soldat commençaient à devenir de plus en plus lourdes, il lui était impossible de résister à l'appel de perdre connaissance. Son psychisme surmontait parfaitement la douleur de ses blessures, mais son corps était arrivé à son seuil maximal de tolérance.

~ *Tu es en train de partir ma petite Ako. Quelle honte à ton nom ! Toi une Suzurane, tu es censée pouvoir courir comme une gazelle même avec ses blessures, mais non tu restes allonger sur ce sol crasseux où les habitants du quartier sont en train de te porter secours.*

~ *Tais-toi ! Je ne t’ai pas demandé ton avis. Je sais que je me couvre de honte en restant prostrée ainsi. Mais je suis incapable de me lever et je sens mes forces me quitter …*

~ *Alors, dors pauvre sotte et trépasse par la même occasion, comme ça ton rêve de mourir dans de terribles souffrances avec tes ennemis ne se réalisera point. Tu mourras comme tes frères ainés, lâchement. Hahahahaha*

~ *Ne me compare pas à ses deux-là ! J’aurai ma mort, crois-moi ! Mais pour le moment ce n’est qu’un léger contretemps que de …*

Les yeux de la blonde étaient clos, cette dernière venait de perdre connaissance. Une petite marre de sang s'était formée autour du flanc gauche de la jeune demoiselle. Les passants qui s'étaient arrêtés pour rejoindre la cohue qui venait de se former autour d'Ako, étaient à la fois choqués, mais aussi stupéfaits de voir la guerrière dans l'état dans lequel elle se trouvait.
Des secours arrivaient, repoussant les civils puisque ces derniers gênaient les urgentistes de terrain dans leur travail. La mission était simple pour ces derniers, conduire la Suzurane au haut lieu de médecine de la Capitale où ses blessures pourraient être guéries. La combinaison d'Ako était déchirée sur une bonne partie du flanc gauche, mais également sur sa jambe gauche. La blessure était profonde, comme si cette dernière avait été faite avec un objet tranchant. Où avait-elle eu cela ? Seule la jeune blonde le savait du moins pour le moment.

BIP … BIP … BIP … Ce bruit répétitif résonnait dans la tête de la blonde, il l’extirpait de son sommeil profond à moins que ce ne soit dû au stimulant que l’on venait de lui injecter. La jeune femme entrouvrait la bouche, cette dernière était sèche il n’y avait plus de salive qui circulait. Doucement Ako se réveillait même si ses yeux restaient toujours clos.

~ *Tu es vraiment minable ma pauvre … Ton corps ne ressent plus la moindre douleur.*

~ *Qu’est-ce que … tu me parles de quoi là ? Je … euh … comprends pas.*

~ *Réveille-toi idiote et tu auras la réponse. Je te rappelle que je ne suis qu’une voix dans ta pauvre caboche. Donne-moi la pleine possession de ton corps et tu verras, je ferais de grandes choses avec ce dernier. Hahahahaha !*

Celle qui possédait une tenue d'arlequin, mais qui ne la portait plus - remplacer par une affreuse blouse médicale que l'on donnait à ceux qui sortait du bloc opératoire et qui attendait en salle d'éveil, tentait d'ouvrir les paupières.
La tâche se révéla plus compliquer que d'habitude comme si une force supérieure empêchait la Suzurane de les ouvrir avec aisance. Quand elle y arriva, du moins à moitié, son regard embrumé fut agressé par l'absence de couleur. Il y avait du blanc tout autour d'elle, des murs jusqu'au plafond qu'elle pouvait admirer facilement puisqu'elle était allongée. BIP … BIP … BIP … Le bruit avait toujours la même cadence, mais cette fois-ci il était bien plus fort, ce qui était normal à la fois, étant donné que la blonde émergeait de son sommeil profond et non-naturel.

La belle jeune femme tourna légèrement la tête sentant une présence juste à côté d'elle. Bien que sa vision se trouvait amoindrit, Ako arrivait à discerner quelques traits de la « présence à côté d'elle », il s'agissait d'une femme, d'une brune. La Heishi n'aimait pas les brunes. En fait elle n'aimait personne, même elle, il n'y avait que la douleur qu'elle aimait dans sa « chienne de vie », elle qui vit le jour que pour embrasser cette dernière et la ressentir quotidiennement.
Justement en parlant de souffrance, celle que l'on surnommait « la folle en costume » ne ressentait plus la moindre douleur, tout son être était apaisé. Elle avait l'impression d'être sur un petit nuage de douceur au grand dam de ses ancêtres se disait-elle. Ako se demandait quel maléfice elle venait d'être victime pour ne plus rien ressentir, alors qu'avant une douleur extrême et jouissif lui parcourait tout le corps pour son plus grand plaisir.

~ *C’est la faute de la brune à côté de toi, idiote ! D’ailleurs ce n’est pas un maléfice, mais un produit qui est le fruit de l’annihilation de ta souffrance.*

~ *Tu me parles de quoi là ? Je ne pige pas, j’étais dehors le ventre sanguinolent face contre terre…*

~ *Hmmmm. Tu es vraiment irrécupérable toi. On t’a soigné et tu te trouves sans doute dans un hôpital et la femme à tes côtés, doit être celle qui t’a soigné.*

Cette fois-ci, les yeux d’Ako étaient grands ouverts. La révélation que venait de lui faire sa voix intérieure l’avait complètement réveillé. L’humeur de la blonde était passée du mauvais côté, celui qu’on lui reprochait tout le temps et qui lui causait sans doute toute cette douleur qu’elle appréciait tant.
La Suzurane tournait la tête afin de fixer du regard celle qui lui était venue en aide. Son regard azur était menaçant ou dément, à moins que les deux cohabitaient ensemble à ce moment.

« Je n'ai jamais demandé à être soignée … Je veux avoir mal, t’entends ! Injecte-moi un truc qui peut faire que j’aie mal, très mal. Sinon je vais devoir m’ouvrir le ventre pour la ressentir, cette bonne vieille douleur. Hihihihi. »

Les soins qui avaient été prodigués pour la jeune femme ne la rendaient pas plus saine d’esprit, bien au contraire ils aggravaient sa pathologie et la jolie brune qui l’avait sauvé, allait devoir se coltiner cette folle dingue.

La belle blonde n'avait pas encore reconnu la jeune femme qui se tenait à ses côtés. Les antidouleurs qui circulaient dans l'organisme de l'arlequin lui brouillaient le cerveau, même si ce dernier était déjà potentiellement bien atteint. Dès que son esprit se serait rendu compte de son erreur, la Heishi se sentirait confuse aussitôt. Ako avait beau être une sauvage et une folle, elle n'oubliait pas l'importance de la hiérarchie et des convenances qui allaient de pairs.
Samui Yuki se tenait droite, le dossier médical de « la folle en costume » dans les mains, elle attendait les informations qu'elle avait réclamées sans sommation. La Suzurane devait s'y plier, elle n'avait pas trop le choix, même si avant de se lancer la blonde allait converser avec elle-même.

~ *Et bah ! Qui avons-nous là, Samui Yuki. Tu sais de qui il s’agit au moins idiote ?*

~ *Merde … Je ne l’avais pas reconnu sur le moment. Je fais quoi ? Je joue celle qui ne sait pas trop où elle est dans l’espoir qu’elle oublie son petit questionnaire ?*

~ *Tu crois vraiment que ça va marcher … Ma chérie, tu as en face de toi une Onshi. Y a pas moyen qu’elle tombe dans cette farce aussi ridicule que ton costume habituel.*

~ *Attends, j’ai une idée-là !*

Ako était sûre d’elle sur le moment, sa deuxième personnalité elle l’était beaucoup moins, néanmoins elle s’abstenait de faire tout commentaire. Après tout, la deuxième facette de la Heishi prenait beaucoup de plaisir à voir sa comparse en difficulté.

« Suzurane … Ako. Vingt et un ans, Heishi du Shukai. Je me montre coopérative là, j’aimerais avoir mal, je ne peux pas être moi-même si je ne suis plus sujette à la douleur. »

~ *Tu n’oublierais pas quelque chose ? Je ne sais pas, le pourquoi du comment de tout ceci, idiote.*

~ *La ferme ! Je sais ce que je fais là. Je lui donnerai l’information que si on me vire de mon organisme ce foutu produit qui annihile la douleur.*

~ *C’est toi qui vois Ako. Moi je dis ça, moi je ne dis rien. Hihihihihihi.*

« Nous venons tous les deux de Yuki no Kuni, vous savez que nous les Suzurane sans la douleur nous n’avons plus de raisons d’être. »

La jolie blonde tentait d'une manière plus douce d'obtenir ce qu'elle désirait, souffrir. Le fait d'avoir devant elle une Onshi, qui plus est le Seigneur de Guerre de Yuki no Kuni, son pays natal, l'avait contraint à se mettre dans le rang, même si la jeune femme n'appréciait guère le faire, elle n'avait pas le choix. Sa loyauté envers le Shukai était du même acabit que son amour pour la douleur. Ako leva sa main où était placée l'intraveineuse et se rendit compte que son bras était découvert. La Heishi comprit qu'elle ne portait plus sa tenue d'arlequin, certes la belle en avait plusieurs de rechange chez elle, mais le fait d'en être séparée ne la laissait pas indifférente.

« Où sont mes vêtements … Pourquoi me les avoir ôtés ? Je ne veux pas que l'on examine mon corps, on ne doit pas voir mes cicatrices et mes tatouages hors d'un combat. »

D'un geste brusque la demoiselle remonta la couverture pour ne laisser apparaître que le haut de son visage afin de cacher son corps aux yeux de tous.

« Je ne veux pas que l'on me voit ainsi. »

Les Suzurane étaient fiers des marques indélébiles que laissaient les cicatrices sur leurs corps et de les exposer aux yeux de tous, ce n'était pas le cas d'Ako. A l'instar de ses frères et sœurs, la blonde préférait les masquer, car ils étaient une honte pour elle, à ses yeux cela signifiait qu'elle avait été blessée dans un combat. Bien qu'elle fût âgée de vingt et un ans, « la folle en costume » avait encore des réactions de jeune enfant. En fait, elle n'avait jamais eu d'enfance, on l'avait obligé à passer directement au stade d'adulte dès son tout jeune âge.

~ *Elle n’y va pas par quatre chemins, dits donc. Elle te fait passer pour une malade de la douleur ma chérie.*

~ *Arrête ! Je ne suis pas malade, j’aime juste ça et je suis née pour la ressentir.*

Pendant qu'Ako se disputait avec elle-même, la jolie blonde n'avait pas le temps de se rendre compte que son médecin la redressait et lui arrachait les couvertures que la Heishi s'étaient mise sous le nez. Et pour ne pas en rester là, la Onshi lui dévoilait le bas de son corps pour montrer les sévices que s'était infligée la blonde. Si cela avait été une autre personne, pour sûr que la Suzurane aurait montré son côté bestial et peu diplomate, mais là la belle devait se retenir face à sa supérieure hiérarchique, mais également sa souveraine, étant donné que les deux demoiselles venaient de Yuki no Kuni et que la brune n'était autre que le Seigneur de Guerre du pays de la neige.
Comme une enfant, la jeune arlequin se faisait gronder ou plutôt réprimander, car le geste qu'elle avait eu était certes stupide, mais surtout il aurait pu entrainer la mort de la Heishi si elle avait entaillé sa chair plus bas selon les dires de Yuki. Ako était extrêmement gênée que son corps se retrouve quasi-nu comme un ver, elle ne voulait pas que la Samui puisse voir toutes les balafres qui imprégnaient son corps mince.

« S’il vous plait… j’ai honte de mon corps, il symbolise ma faiblesse… »

La Suzurane n’avait pas véritablement fait attention aux remarques de la jeune femme aux cheveux bruns. Elle les avait écoutées, mais ce n’était pas sa principale préoccupation sur le moment.

~ *Tu ne vas pas te mettre à chialer quand même idiote ! Eh tu as en face de toi une Onshi, Miss, un peu de dignité bon sang.*

~ *Je ne sais pas si tu te rends compte de l’humiliation que c’est pour moi que d’être dévêtue par l’une des personnes les plus fortes de l’Empire et qu’elle puisse voir toutes mes faiblesses !*

~ *Euh si, puisque je suis toi. Si tu me donnais plus de pouvoir, je n’aurais pas honte moi, mais madame contrôle le corps tout le temps, donc je ne peux pas montrer ce que moi je ferais.*

~ *Tais-toi s’il te plait, tu es soulante à jacasser, une vraie pie celle-là.*

« Pourquoi m’avoir soigné ? J’aurai pu mourir, personne ne m’aurait pleuré de toute façon. Donc il n’y avait aucune raison de le faire. »

La Suzurane était l'une des rares de son clan à s'être portée volontaire pour entrer dans l'armée impériale et devenir une Heishi. Les raisons qui l'avaient motivé était assez simple, faire honneur aux siens qui étaient obligés de donner des leurs sous demande de l'Empereur, mais aussi pour cacher sa folie mentale.
Être fou de douleur n'était pas une honte dans ce clan sanguinaire, au contraire cela était une qualité, voir même une très grande qualité. Néanmoins, perdre la tête littéralement était tout autre puisque cela était vu comme une faiblesse au sein des Suzurane et il y avait eu suffisamment de honte pour les parents de la blonde puisque ses deux frères ainés – des jumeaux, avaient été vaincus respectivement lors de l'année de l’Épreuve où ils avaient pris part. Il était hors de question pour la jeune femme de rendre davantage sa famille plus honteuse qu'elle ne l'était déjà.

« Je veux juste souffrir, j’ai été éduquée ainsi qu’élevée pour ça et rien d’autre. Même avec toute la souffrance que je m’inflige, je n’arriverai même pas à vous blesser. Preuve que mon existence n’est pas encore assez douloureuse puisque je suis toujours faible. »

Les dires de « la folle en costume » pouvaient être osés, parler de combat à une Onshi quand on est une Heishi, ce n’était pas rien. Mais la belle parlait avec son cœur, pour une fois qu’elle disait des choses qui n’étaient pas farfelues ou sous l’emprise de la folie.

~ *Hihihihihi. Tu ne mérites même pas ce geste de tendresse idiote. Tu n’as le droit qu’à la solitude ainsi que la douleur, rien de plus et rien de moins.*

~ *Laisse-moi tranquille s’il te plait. Tu ne veux pas dormir plutôt et me donner un peu de répit là.*

~ *Oulalala, je ne sais pas si ce sont les antidouleurs dans l’organisme qui te font dire ça, mais là ma chérie je ne te reconnais plus trop.*

~ *Arrête par pitié d’embrumer mon esprit.*

~ *Risible ! Tu es bien contente de me trouver, car après tout c’est quand tu viens me chercher que tu t’infliges ta souffrance. Regarde la blessure que tu as fraichement reçu, elle n’a pas été faite par autrui, mais par toi avec un Kunai que tu t’es enfoncée dans le corps après m’avoir consulté …*

La vérité sur les évènements qui s'étaient déroulés plus tôt dans la journée avait éclos, néanmoins cela était resté à huit clos dans les méandres de l'esprit de la blonde. Il était inconcevable pour la demoiselle en tenue d'arlequin de révéler les raisons de son hospitalisation en urgence à sa supérieure, bien que cette dernière avait deviné les causes en examinant le corps de la Suzurane.
La démente était étonnée du geste qu'avait eu son homologue plus haut gradé, elle ne s'y attendait vraiment pas. Jamais dans sa triste vie, elle n'aurait pensé se faire toucher par quelqu'un d'aussi important, elle qui n'avait jamais reçu la moindre marque de tendresse et d'affection de toute son existence. Les baisers d'une mère ou d'un père, Ako ne les connaissaient pas, ces pratiques n'avaient pas leurs places dans les us et coutumes de son clan.

La belle blonde restait silencieuse. Son esprit la laissait tranquille pendant quelques instants. Elle pouvait pleinement en profiter pour écouter la jeune femme qui s'était assise au pied de son lit. Celle qui était surnommée « la folle en costume » n'avait pas d'avis sur ce que venait de dire Samui Yuki concernant son éducation. La Heishi avait toujours voulu minimiser la honte sur sa famille en se comportant le plus sauvagement et en acceptant sans broncher toutes formes de douleurs physiques.
Quand le Seigneur de Guerre de Yuki releva le visage de la demoiselle meurtri, la Suzurane poussa un petit bruit craintif face à ce geste, se mordant la lèvre inférieure sévèrement. Se faire toucher par autrui dans un cadre non belliqueux, terrorisait la blonde. Néanmoins, Ako écoutait les dires de sa supérieure attentivement même si elle ne comprenait pas tout ou du moins, elle ne voyait pas trop où voulait en venir Yuki.

~ *Bin dit donc, c’est vachement profond ce qu’elle dit, tu ne trouves pas Ako ? Cette histoire que la plus grande douleur serait celle que l’on ne pourrait pas ressentir… C’est beau.*

~ *Tu veux en venir où ?*

~ *Je veux en venir que tu n’as pas à blesser ton mental cocotte. Inflige-toi une douleur physique, il n’y a pas de soucis, mais ce qui se passe dans la tête, tu me laisses gérer, ma chérie !*

La démente ne savait pas trop quoi répondre à ses deux interlocutrices. La jeune femme avait l’impression d’être prise dans un étau, qu’elle n’avait pas de réponses pour ses deux comparses et que la moindre phrase qu’elle prononcera, elle s’adjugerait les foudres de ces dernières.

« Je ne connais que ça moi la douleur physique … toute autre forme de douleur est considérée comme moindre aux dires des miens. »

La belle blonde était gênée, elle avait l'impression de marcher sur des braises enflammées tellement qu'elle ne se sentait pas à sa place aux côtés de Samui Yuki, Seigneur de Guerre du pays des neiges. La jeune femme se remordait la lèvre inférieure. Elle se remémorait les phrases que venaient de prononcer à l'instant son médecin.
Oui, Ako voulait devenir plus forte, elle voulait être aussi valeureuse que celle dont elle portait le nom. Néanmoins, l'histoire de la souffrance pouvant annihiler la douleur la rendait craintive et lui donnait l'impression de remettre en cause toute son histoire, son passé, son présent, mais également son avenir. Que serait-elle sans douleur ? A moins que dans le fond, ce que lui proposait Yuki n'était pas vraiment une annihilation de la douleur, mais quelque chose d'autre, de plus complexe et qui échappait pour l'heure à la jolie blonde en arlequin.

« Je … euh … »

La Suzurane avait dû mal à trouver ses mots, cela se voyait dans son langage corporel, mais surtout sur son visage.

« Oui, je veux gagner en puissance et être utile pour le Shukai, mais j’ai peur de votre histoire de douleur qui neutralise la douleur, je ne connais que ça moi … »

Il y avait de l’espoir, mais aussi beaucoup de peine dans les paroles de la demoiselle. Elle ne savait pas sur quel pied danser là. Peut-être que les médicaments dans son organisme la rendait un peu plus docile, civilisé et à l’écoute de ce que les « vrais » gens lui disaient. Si cela s’avérait exact, qu’en sera-t-il une fois remise sur pied ? La Suzurane retombera-t-elle dans ses vieux et éternels démons ou bien aura-t-elle pris du plomb dans la tête ? Pour le moment ces questions restaient en suspens, car il était encore bien trop tôt.
Ako fixait à l’aide de ses prunelles vertes la Onshi qui était toute proche d’elle. La belle avait envie de lui demander quelque chose, mais elle n’osait pas le faire, par honte.

Quelques gouttes commencèrent à s’échapper des yeux de la jeune femme. Le fait d’être sous antidouleurs avait littéralement flingué le comportement et les habitudes de la belle, elle était une autre, plus la sanguinaire et violente Suzurane.

« J'aimerai avoir les pompons de ma coiffe ... »

~ *Elle est plutôt dure la Onshi à ce que je vois en te refusant de te donner tes stupides pompons de ta coiffe. Ne fais pas la tête, je suis là moi. Hihihihihi*

~ *Hm …*

~ *Bravo, tu fais ta boudeuse maintenant ! Je sens que ça va être ennuyeux les jours à venir.*

Ako était assez désemparée face au refus de la brune de lui remettre ce qu'elle demandait et désirait le plus à l'instant. La belle blonde ne se rendait pas compte qu'elle était testée sur le moment, elle ne pensait pas que cela avait commencé dès qu'elle avait dit « oui ».
La jeune femme ne disait rien, trop contrariée pour parler. Samui Yuki serrait davantage les liens qui maintenaient la Suzurane sur son lit. La Onshi lui annonçait le programme à venir, du repos et une éventuelle visite avec de la nourriture si elle se tenait tranquille, puis la brune s'en alla, laissant Ako seule avec ses propres démons.

~ *Tu comptes faire quoi la boudeuse ? J’aimerai le savoir, parce que tu sais, je dis toujours l’inverse de toi.*

~ *Je n’ai pas envie de me reposer là ! Je dormirai une fois morte.*

~ *Ah là, je retrouve ma fifille. Je préfère davantage ce visage que le précédent, trop niant niant à mon goût. Bref, on opère comment ?*

~ *J’ai dit que je ne voulais pas me reposer, pas que je refuse son offre de gagner en puissance. Tu écoutes par moment ?*

~ *Euh …*

~ *Voilà, ne dit rien, je préfère.*

Les rôles s'inversaient dans l'esprit tortueux de la jeune Heishi, le refus de Yuki face à sa requête pour ses pompons lui avait donné plus de courage pour remettre à sa place son double, alors que c'était le rôle de cette dernière.
La Suzurane n'aimait pas être attachée, les sangles étaient bien fixées sur ses poignets et solidement attachées au lit. La blonde poussa un profond soupir. Il fallait qu'elle réfléchisse, mais les médicaments qui circulaient dans son organisme ralentissaient grandement sa capacité à la réflexion.

« Je n’ai jamais demandé à ce que l’on me soigne et en plus on m’attache … Je veux bien l’un, mais pas les deux quand même ! »

Ako commençait à se débattre avec ses liens. La jeune femme remuait, mais elle se fatiguait également. Elle s’arrêtait voyant que rien ne se produisait mise à part des gouttes de sueurs qui dégoulinaient le long de ses tempes.

« Aaaaaaaaah ! »

La Heishi hurlait de rage, elle se sentait faible face à ses entraves.

~ *Brise-toi le pouce gauche Ako. Tu pourras glisser ta main avec la fracture et tu pourras détacher ta main droite ensuite.*

~ *Pourquoi tu m’aides ? Tu ne m’as jamais aidé auparavant.*

~ *On va dire que c’est exceptionnel aujourd’hui, fait ce que je te dis, ça marchera.*

Un grand sourire se dessinait sur le visage de « la folle en costume », l'idée que venait de lui souffler son double était bonne, elle avait davantage de chance de fonctionner que de remuer comme elle le faisait auparavant. Néanmoins, le fait d'avoir des antidouleurs dans le corps embêtait la belle puisque la douleur de se briser le pouce allait être grandement amoindrit.
Pendant plusieurs minutes, Ako cherchait un moyen de briser l'articulation, mais elle n'y arrivait pas aussi facilement qu'elle le pensait. La tâche s'avérait bien plus ardue.

Un crac résonna enfin. La Suzurane s'était servi de son pied pour se déboiter le pouce en appuyant sur ce dernier. Une petite douleur se faisait ressentir, mais elle n'était pas très importante, alors que cette dernière en temps normal aurait fait mal.
Maintenant, la Heishi glissait sa main meurtri pour se libérer de la sangle. Elle y arrivait étant donné que cette dernière n’était pas serrée au maximum. Si elle l’avait été, jamais Ako aurait pu glisser sa main, néanmoins le sang n’aurait plus circulé. Avec ses quatre autres doigts, la belle enlevait la deuxième sangle manuellement. Contente d’elle, la démente souriait de joie, elle se redressait et croisait les bras en attendant que la Onshi revienne en espérant que cette dernière ne la gronde pas trop, mais Ako n’aimait pas être attachée.

L’attente était longue, très longue pour la démente. Néanmoins, elle restait calme étonnement, ne changeant quasiment pas de position depuis qu’elle s’était libérée de ses entraves. La porte de sa chambre s’ouvrit, la Heishi se focalisa sur cette dernière espérant que la personne qui allait entrer dans la pièce était le Seigneur de Guerre de Yuki no Kuni.
Il s’agissait bien de la Onshi qui était revenue avec un plateau repas. La Suzurane avait faim, les nombreuses heures d’attente à rester à moitié assisse sur son lit lui avait creusé l’appétit.

La belle blonde n’avait plus d’yeux que pour la nourriture qui s’approchait d’elle, même si la brune lui avait demandé de lui donner sa main. De toute façon, « la folle en costume » ne cachait pas vraiment la fracture au pouce qu’elle s’était infligée pour se libérer. Elle se laissa soigner en lui tendant sa main et regarda avec ses prunelles azur la Onshi agir. C’était la première fois qu’Ako voyait du Ninjutsu Médical lui être administré.
Le médecin demanda à sa patiente si cette dernière avait d’autres blessures sur elle. Après tout, la blonde était restée un long moment seule et tout était possible avec l’arlequin.

« Non, il n’y en a pas d’autres. Je ne vais pas m’infliger de la douleur physique si je ne ressens rien avec ce que j’aie dans le sang, ce serait contreproductif pour moi. »

Ako était beaucoup moins assommée par les substances qui circulaient dans son organisme, elle était plus vive d’esprit et sa locution s’en trouvait changer. Le ventre de la Heishi se mit à gargouiller très fortement depuis que la nourriture était à côté d’elle.
La belle ne se laissait pas prier et commençait à manger. La nourriture n’était pas fameuse, après tout nous étions dans un hôpital, mais cela était mieux que de rien n’avoir. L’arlequin préférait la nourriture moins raffiner, un morceau de viande bien cuit lui suffisait pour la combler, inutile de lui mettre de la sauce et des légumes taillés de façon grotesque.

Pendant qu’elle mangeait, Samui Yuki l’interrogeait. La belle brune voulait savoir ce qu’il en était de ses propositions, les heures avaient défilé et même si tous ces évènements c’étaient passés dans la même journée, le contexte s’en trouvait encore modifier.

~ *Alors, Miss ! Tu vas choisir quoi ? Tu connais mon avis sur la question, on ne touche pas à l’esprit, cette partie m’est réservée. Et si tu y touches, on ne sera plus copine, mais alors plus du tout.*

~ *Cela fait combien d’années que tu me parles ?*

~ *Hm … Depuis tes sept ans, quand tes deux abrutis de frères ont été tués lors du rituel de l’Épreuve, pourquoi ?*

~ *Quatorze ans. Cela fait quatorze ans que tu diriges ma vie en ayant quasiment toujours le dernier mot. Aujourd’hui, c’est à mon tour d’avoir le dernier mot … Kasumi !*

~ *Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas entendu Ako, ou plutôt devrais-je dire Suzurane Kasumi puisque tu fus appelée ainsi le jour de ta naissance, mais que mademoiselle à dix ans changea son Kasumi en Ako.*

La belle blonde poussa son plateau repas afin de pouvoir s'exprimer devant la Onshi sans avoir de la nourriture devant elle.

« Je ne vous cache pas que je ne sais pas dans quelle direction je vais … Ceci est l'inconnue la plus totale pour moi, puisque cela ne ressemble en rien à ce que l'on m'a toujours appris et enseigné. Mais je veux devenir plus forte … »

La démente de vingt et un ans, marqua un petit temps d'arrêt pour reprendre son souffle, car ce qu'elle s'apprêtait à dire, allait la changer.

« Je ne suis plus une Suzurane de Yuki no Kuni, mais une Suzurane du Shukai maintenant. »

Il y avait pleins de convictions dans les dires de la belle, mais avoir de belles convictions au départ ne signifiaient pas pour autant qu'elle les garderaient jusqu'au bout. La difficulté pouvait briser n'importe quelle bonne volonté si cette dernière était fragilisée au commencement.

~ *Te voilà embarquer dans une aventure que je ne cautionne absolument pas. Je te préviens avec un peu d’avance, tu n’as pas intérêt à revenir me voir en me disant que tu as fait une erreur, assume ton choix jusqu’au bout Ako !*

~ *Je n’ai pas besoin que tu me le dises, puisque je sais par avance et par expérience que tu prendrais ton pied en me voyant agir de la sorte.*

La belle blonde regardait la Onshi quitter les lieux, laissant seule Ako avec son plateau repas et son esprit engagé dans une bataille dénuée de tous sens. La démente continuait de manger, elle n'allait laisser aucun reste, même si la nourriture n'y était pas extraordinaire cela était mieux que rien.
La démente, une fois rassasiée souriait bêtement. Il n'y avait pas vraiment de raison dans son attitude, puisque même elle ne savait pas trop pourquoi elle se mettait à sourire niaisement. La jeune femme s'allongeait, abandonnant sa position assisse qu'elle avait adopté pendant de longues heures pour se laisser emporter par Morphée.

Même si elle n'aimait pas dormir, car en phase de sommeil la demoiselle ne pouvait pas s'infliger une quelconque douleur, il s'agissait néanmoins des seuls moments de répits où son double était lui aussi en phase de sommeil.
Il ne fallait que quelques dizaines de minutes pour qu'Ako s'endorme et se repose enfin. Demain sa vie allait changer en embrassant une voie bien plus complexe et difficile que celles que put emprunter l'arlequin au cours de ces vingt et une années d'existence.

**********************

La nuit fut courte, très courte même. Pour la première fois, la jolie blonde fut attaquée par son esprit. Kasumi comme elle se plaisait à appeler son double, prit un malin plaisir à torturer la Heishi. Apparemment le choix de la Shinobi que de découvrir une douleur capable d'annihiler les souffrances et de gagner en puissance ne convenait guère à l'autre, qui changeait et adaptait son comportement face à ces changements.
Une infirmière rentrait dans la chambre d'Ako, elle y amenait un petit-déjeuner, mais également des vêtements. L'humeur de la jeune blonde n'était pas au beau fixe et quand elle vit cette pauvre infirmière arriver avec des vêtements qui n'étaient pas les siens, elle en prit pour son grade.

« Par … Pardon ! J’ai très … très mal dormi et j’ai une affreuse migraine. »

La belle s'excusa voyant que cela ne servait à rien d'engueuler le personnel de l'hôpital. Sa tenue d'arlequin avait dû être jetée puisqu'elle était couverte de son sang.
La Suzurane mangea, puis elle se leva – l'infirmière lui retira l'intraveineuse posée la veille, pour se rafraichir. Il n'y avait pas de salle de bain, juste un lavabo, la Heishi se passa de l'eau sur le visage et à quelques endroits du corps en mouillant un linge blanc. Une fois sa toilette faite, celle que l'on surnommait « la folle en costume » même si ce surnom n'avait plus de sens aujourd'hui, enfila les vêtements qu'on lui avait amenés. Il s'agissait d'une tenue lambda que pouvait revêtir les Heishi s'ils le désiraient.

« Il est temps. »

La motivation n'était pas vraiment présente dans la voix de la demoiselle, mais cette dernière avait accepté la proposition de Samui Yuki et elle ne pouvait plus faire marche arrière. Elle se mit donc en route pour l'Académie Shinobi du Shozaichi.
Durant ce petit périple entre l'hôpital et le lieu où la Onshi lui avait donné rendez-vous, Ako ressentit une gêne constante lorsqu'elle marchait. Sa blessure de la veille n'avait pas été une blessure banale, elle ne s'était pas loupée et elle s'en rendait compte maintenant.

~ *A cause de toi ça Kasumi !*

~ *Blablabla … Va retrouver ta chère Onshi, tu verras ce que je te prépare moi pour l’avoir écouté plutôt que moi, Ako… *

La blonde arriva à l'Académie. Elle fixait les portes, ne sachant pas trop quoi faire. Devait-elle rentrer ou bien attendre devant ? La demoiselle décida de rester dehors, d'attendre plusieurs minutes, mais si elle ne voyait rien, elle rentrerait dans le lieu et si elle ne trouvait pas son médecin elle repartirait chez elle pour retrouver ses tourments ainsi que ses faiblesses ou plus grand bonheur de son double, Kasumi.