Kawaguchi Tsukiko était la personne pour qui le Nukenin avait eu le plus d’hésitation à enrôler. Même si ce n’était que pour un temps – apparemment pour traquer et se venger de la Tempête – elle représentait la seule chose qui avait importé à Gekei Howaito. Et comme ce dernier était l’un des collaborateurs que l’Autocrate avait le plus apprécié, il n’avait pas trop réfléchi à la manière de faire les choses. Mais ce qui était sûr, c’était qu’elle courrait bien plus de risques si elle rentrait à Suna maintenant.

Ils marchèrent une dizaine de minutes dans Sai’ham. Puis ils s’arrêtèrent à une taverne, dans laquelle ils pénétrèrent. Une bonne trentaine de personnes s’étaient déjà accaparés l’endroit. Beuveries, lendemain de mariage, disputes : il y avait de tout. Un homme s’était même endormi après avoir trop bu. Et ce fut précisément à cette table que l’Autocrate se décida à s’asseoir. Il poussa le somnolent insomniaque du pied et prit sa place.

Après que Tsukiko se soit assise en face de lui, il la regarda. Puis il soupira.

» La Tempête, c’est donc lui qui l’a tué ?

Tout comme Howaito probablement, Alpha n’avait jamais apprécié cet idiot de Tempête. Sa force au combat avait créé chez lui une arrogance hors-normes et de cette dernière avait découlé une idiotie devenue accoutumée.

Le clone de l’Autocrate leva la main. Un serveur ne tarda pas à venir.

» Un verre d’eau fraîche pour moi, et pour la demoiselle servez-lui ce qu’elle voudra.

Une fois la commande passée, il reprit la conversation avec la Kawaguchi.

» Je suis tout à fait disposé à vous le laisser, à condition que vous le tuiez. Néanmoins, je ne peux garantir qu’il sera le premier des sept traîtres que nous rencontrerons. Est-ce que cela vous convient tout de même ?

La planque à Ta no Kuni l’avait prouvé : la Corporation avait évolué sous la direction des Huit. De nouvelles planques avaient vu le jour, de nouvelles méthodes s’étaient probablement mises en place. Et pour l’instant, rien ne pouvait assurer à Alpha de pouvoir trouver la Tempête en premier.

Tsukiko n’était guère heureuse. Au contraire, elle était morose. A bien compter, en l’espace de quelques semaines – moins d’un mois – elle venait de perdre trois personnes dans des conditions dramatiques : une demoiselle avec un bout de bois dans la tête, sa première alliée du clan suite à une longue et traînante maladie, Howaito dont la tête s’était détachée du corps … Il faut dire, elle n’avait aucune raison d’être heureuse, ou d’être animée d’une rage vengeresse. Elle était lasse de courir derrière des Bêtes, lasse de toujours être celle qu’on blessait … Autant dire, lorsqu’Alpha prétendait que « peut-être » la Tempête ne sera pas la première cible, un rire étrange et ironique s’échappa de ses lèvres asséchées et blanches. Ce rire nerveux dura cinq bonnes minutes, attirant au fur et à mesure l’attention sur eux. Elle se tut, finalement, et lança un regard noir et effrayant – cerné, dont le blanc des yeux avait laissé place aux rouges –, ordonnant implicitement à chacun de se préoccuper à nouveau de ses affaires.

- T’es un malin, Alpha. Me dire que « peut-être » la Tempête ne sera pas le premier qu’on découvrira.

Elle n’appréciait pas le manque de garantie que l’Alpha lui donnait. Elle avait l’impression qu’en disant oui, elle n’allait être qu’un toutou enchaînait à une promesse aux retombées inconnues, et qui allait encore – et toujours – subir à la place des autres les différentes blessures, les abandons, les morts … qu’elle allait encore être celle qui allait rester derrière, à regarder l’enfer du décor, à être à nouveau seule.

- Je ne désire que tuer à ma façon la Tempête, et il sera ma priorité. Si l’on tombe sur les autres traîtres, il faut me dire « pourquoi » j’ai à les tuer. Disons que ma situation, ou plutôt ma santé, m’oblige à ménager mes forces et à choisir mes batailles. Je préfère risquer tout pour quelque chose que je pense « durable ».

La paix, le chaos, l’entente, la guerre, le bonheur, le malheur … Tant de choses qui se fanaient au fil des caprices du destin. Elle n’était plus la demoiselle aux cheveux roses bonbon qui suivaient le premier étranger au discours qui inspirait ni la Shinobi qui œuvrait à tout prix pour un monde – ou un petit pré carré – de paix. Elle était parée à tirer profit de la paix, comme de se battre à tout instant. Elle n’était plus une rêveuse. Elle était une Shinobi, soit une arme aiguisée et froide, dont les sentiments n’étaient plus humains.

- Je préviens bien vite, ne prétendez pas pour la sauvegarde de la planète, car si on la sauve aujourd’hui, elle sera à nouveau un bain de sang demain. A mon sens, la paix et l’équilibre sont deux concepts éphémères.

En somme, elle ne disait ni « oui », ni « non » et son ardeur pour tuer la Tempête n’était que plus forte.

Lorsqu’il la regardait, il ne pouvait s’empêcher de saisir des choses qu’il aurait préféré éviter. Howaito avait été à coup sûr quelqu’un de bien, mais il était évident – du moins pour quelqu’un d’aussi perspicace qu’Alpha – que les liens qu’il avait tissés avec la Kawaguchi étaient devenus si forts… Trop forts. Le choc de cette perte devait être conséquent pour la kunoïchi et l’ancien leader de l’organisation Nukenin le prenait en compte.

Et c’était ce qui pouvait justifier ce long rire, presque dérangeant. Alpha n’était pas satisfait des épreuves que son interlocutrice avait traversées, mais force était de constater qu’elle avait changé. Mais au moins, elle, avait survécu. Ce n’était pas le cas de nombre de ses proches.

L’homme regarda la jeune femme pendant quelques secondes. Il y retrouvait dans ses traits quelque-chose de familier. Il esquissa un sourire.

» Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne vous ai jamais demandé de tuer d’autres de mes adversaires. Mais si vous souhaitez vraiment que je vous réponde, sachez que si vous voulez vous venger de la Tempête et que vous tombez sur l’un de ses alliés, vous serez en danger… et vous essayerez d’éliminer la menace. C’est un réflexe, c’est de la survie, c’est humain.

Il sentait que la jeune femme était aveuglée par son désir de vengeance. Car oui, compte tenu de ce qu’elle avait pu traverser, c’était de la pure vengeance qu’elle désirait. Alpha ne préférait pas penser à ce qu’elle pourrait éventuellement faire à la Tempête si ce dernier tombait entre les griffes de la Sunajin.

Il reprit une gorgée d’eau fraiche, puis se craqua légèrement la nuque d’elle-même. Ses pupilles ocres ne quittaient pas les yeux sanguins de la Kawaguchi.

» Comprenez bien, mademoiselle Kawaguchi, que je ne vous impose rien. Si vous voulez partir seule à la traque de la Tempête, grand bien vous fasse, vous vous perdrez dans un engrenage dont vous ne pourrez jamais vous débarrasser seule. A l’heure actuelle, vous êtes autant en danger que moi. Et éliminer la Tempête, ça doit passer par l’élimination des six autres traîtres de mon organisation.

D’une drôle de manière, l’homme aux lourds secrets et au passé enfin retrouvé leva son verre, comme s’il mettait son interlocutrice à l’honneur. Il trinquait, avant de terminer.

» Aidez-moi à reprendre le contrôle de mon organisation, et en échange vous obtiendrez vengeance ainsi que des réponses à nombre de vos questions.

A une certaine époque – notamment celle de sa rencontre avec Howaito – elle aurait suivi sans réfléchir Alpha dans sa quête de reprise de contrôle de sa mystérieuse organisation semblant répondre en tout point à ses principes, soit l’équilibre du monde. Malheureusement – ou Heureusement, selon les points de vue – cette époque était révolue.

Lorsqu’elle était revenue à Suna suite à un départ précipité et sans raison, son clan avait pris soin de rééduquer la demoiselle pour qu’un tel comportement ne se reproduise plus. Dès lors, elle n’avait eu que deux choix : soit subir ce lavage de cerveau, soit mourir pour trahison. Inconsciemment, elle avait opté pour cette première solution et en quelques mois, elle était ressortie d’entre quatre murs totalement changée.

Son attitude immature et spontanée avait laissé place aux actes réfléchis et calculés. Ainsi donc, malgré son désir de tuer de ses propres mains – et à sa façon la Tempête – elle ne comptait nullement y foncer tête baissée sur les paroles d’un parfait inconnu.

- Je le dirais, et je le répéterais. Je ne ferais rien qui ira à l’encontre des intérêts de Suna.

Ce n’était pas purement par patriotisme mais par désir de survie. A son retour, elle aura à passer cette fameuse épreuve d’interrogatoire, et elle ne souhaitait nullement finir bêtement derrière des barreaux pour les beaux yeux d’un étranger.

- Je ne peux répondre à l’instant. Je viens de perdre un ami cher, mais j’ai également des obligations à Suna même.

Elle avait pris la décision … de prendre son temps tout d’abord. Elle devait réfléchir sagement à la stratégie à employer : le suivre, ou au contraire, se retourner contre lui. Quel que soit la méthode, elle avait à choisir le meilleur pour un seul et unique objectif : attraper la Tempête.

- Je trouve toujours une échappatoire à toute situation, je peux assurer de cela, disait-elle avec un sourire narquois. Je ne les aime pas, et je les tuerais pour le simple plaisir de me venger. Cependant, je ne peux vous suivre immédiatement. Comme vous pouvez le voir, ma santé n’est pas vraiment au beau fixe, et j’ai plusieurs obligations à Suna même. Plus je m’absente, et plus j’aurais des difficultés à y retourner, et je peux vous assurer une chose : je suis plus efficace au sein du village, qu’à l’extérieur.

Elle demanda une feuille et un stylo.

- Vous vous nommerez Ichi, producteur de vin ou dégustateur. Vous me direz que vous avez goûté à un délicieux vin au lieu où vous souhaiterez me rencontrer. Vous me direz qu’une terre est prometteuse d’un vin d’un cru exceptionnel selon les rumeurs lorsque vous flairez un indice sur l’un des membres, indiquant le lieu ainsi que le nom. A votre guise d’imaginer une poésie pour chaque nom. Selon le contenu, soit je me déplacerai par moi-même, soit je confierai cette tâche à une personne de confiance.

Elle tendit le bout de papier où les codes étaient indiqués.

- Je suis gérante d’un bar à Suna, et je traite avec plus d’un fournisseur d’alcool, ainsi ma correspondance ne risque pas d’attirer davantage l’attention.

Elle se tut, et le regarda.

- Voilà mes conditions. A vous de me dire si vous les acceptez ou non.

A sa façon, elle imposera son engrenage. Telle a toujours été sa façon de faire …

Lorsqu’il regardait la jeune femme qu’était Kawaguchi Tsukiko, le Nukenin ne pouvait s’empêcher de se rappeler tous les secrets qui l’entouraient. Ces derniers étaient comme des peintures, dont l’encre coulait lentement tout autour des traits de la kunoïchi. Et en constatant la perte de certains de ses automatismes, l’homme ne savait pas quelle était la plus importante cause à cela : ce qui entourait la Sunajin ou alors sa longue phase d’amnésie.

Sa loyauté envers Suna était impressionnante. Pour autant, elle ne surprenait guère celui qui, pendant que son interlocutrice poursuivait une tirade assez large, s’amusait à regarder à droite à gauche. Là-bas, il constatait qu’un homme venait de demander la main de sa femme. Ici, un moine semblait parler avec deux petits escrocs, eux-mêmes sans doute frères.

Puis lorsque la Kawaguchi prononça le mot « conditions », Alpha reporta aussitôt sa pleine attention vers l’intéressée. Et plus que son regard, c’était toutes les rides et les traits qui dessinaient alors son visage qui s’était pris d’une noirceur profonde.

» Des conditions ? Vous voulez me poser les vôtres ?

L’homme ne put s’empêcher de rire nerveusement. Après quelques secondes d’une sonorisation aussi intense que forcée, le calme revint pleinement chez l’Autocrate. Mais tout ceci était toujours accompagné d’une sévérité palpable.

» Je vous ai pourtant tout expliqué. J’ai cru qu’avec tout ce qui était arrivé à vos proches, à votre village et à vous, vous comprendriez la dangerosité de rester avec des personnes qui ne connaissent encore rien de ceux qui en ont après vous.

Il se resservit un peu. Sur quoi il lâcha un peu le regard de la jeune femme, pour prendre deux gorgées. Puis il soupira.

» Voilà ce qu’il va se passer. Naïve comme vous êtes, vous allez retourner dans votre village incapable de tenir le moindre de ses engagements et de fait, de vous protéger. Là-bas, vous assisterez impuissante à la douleur d’autres de vos proches, avant de tomber une nouvelle fois sur un de ceux qui m’ont trahi. Sauf que cette fois-là, ni Howaito ni moi ne serons là pour vous tirer d’affaire. Vous serez capturée, torturée, puis tuée. Tout simplement parce qu’aujourd’hui, vous avez placé votre arrogance au-dessus des avertissements de la seule personne qui connaît les criminels qui en ont après vous.

L’homme adressa un dernier regard à la jeune femme. Puis il termina son verre, lâchant des mots secs entre deux gorgées finales.

» Maintenant, déguerpissez.