« Hé Papa, papa ! T’as vu ? Je fais bouger les feuilles !
… Hé papa, papa ? Pourquoi tu regardes paaaaas ?! », gémissait une jeune enfant aux cheveux blonds en bataille.

« Ether, chut. »

« Mais papa, regar… »

« Ether, je t’en supplie, tais-toi ! »

Caché parmi les branchages d’un arbre, la petite fille était blottie contre son père qui ne quittait pas des yeux le sol. Plus loin, à plusieurs troncs du leur, se trouvait l’Ancien –encore relativement jeune- puis dans celui d’en face, Panthos et son frère Kreth, et enfin dans le dernier il n’y avait que Thresha. La raison pour laquelle ils se trouvaient ainsi cachés, était qu’ils fuyaient. C’était une technique de sécurité pour protéger les membres dits « normaux » de la communauté. Il était extrêmement rare que les élémentaires voyageaient en même temps que le reste de la troupe. Lorsqu’il s’agissait de traverser les montagnes, ou tout espace loin de toute ville, même civile, ils pouvaient envisager de se rejoindre. Mais dans le cas contraire, ils se déplaçaient séparément. Ainsi, la tribu courait sérieusement moins le danger d’être appréhendée et par la même occasion, décimée. Si par malheur ils se faisaient alpaguer, ils tentaient de se faire passer pour une meute nomade, cherchant un nouveau coin où s’installer. N’étant que de simples civils, ils étaient, généralement, relativement tranquilles. Le clan Gogyou était disséminé à travers le monde, chacun vivait comme il l’entendait, en solitaire ou en groupe, et parfois, certains arrivaient à se faire accepter au sein de villages. Celui d’Ether était soudé et n’abandonnait jamais personne. Sauf si son sauvetage impliquait de faire périr d’autres membres.
Le fait que les élémentaires circulaient ensemble suffisamment loin des leurs, sauvait la peau de ces derniers. Eux étaient en mesure de courir plus vite, mais ils couraient néanmoins un plus grand danger. Leur don était rare et précieux, et ils avaient déjà perdu plusieurs de leurs congénères lors de ces cache-cache et escapades. Nombreux étaient les civils également tombés lors des traversées de zones de guerre. L’avantage à être séparé du reste du groupe était que s’ils venaient à être découverts, ils seraient les seuls à disparaître. Un risque à prendre pour la meute. Sauf que depuis 4ans, il y avait Ether. La seule enfant à avoir survécu parmi tous les nouveau-nés -ou les mort-nés en l’occurrence- l’espoir pour la seconde génération de leur tribu. Elle ne devait pas mourir, car à moins d’avoir énormément de chance, il était fort probable qu’il n’y ait pas de nouveau élémentaire chez eux avant un certain moment.

Le pire n’était pas qu’il fallait la protéger des dangers humains, mais de conserver son innocence. Hélios voulait à tout prix préserver son caractère doux et chaleureux, quitte à ce qu’elle ne connaisse pas grand-chose de l’être humain en soit. Elle allait apprendre l’existence des villages, les différents clans, leurs histoires, mais rencontrer des gens autres que ceux de son propre peuple, non. C’était mieux ainsi. L’Homme était un danger pour lui-même comme pour les autres, et il en était un grand pour sa fille. Bien trop grand pour qu’elle ne le côtoie. Comment pouvait-il deviner qu’à trop vouloir l’éloigner des autres humains, cela déclencherait en elle une fascination pour ces derniers ? Une telle obsession de leur mode de vie que son rêve serait de vivre parmi eux ? Il n’était qu’un père qui voulait ce qu’il croyait être le mieux pour son enfant. Il ne la ferait pas grandir dans la haine des autres humains, seulement dans la méfiance et la crainte de ces derniers. Le second sentiment, la demoiselle allait rarement le ressentir de par son caractère audacieux, cela allait plutôt se transformer en simple prudence.
Toujours en planque, ils retinrent leur respiration lorsqu’ils crurent entendre un bruit, et ne relâchèrent plus leur attention. Ether avait encore du mal à comprendre ce qu’il se passait. Elle avait saisi qu’elle ne devait pas se faire toucher, se transformant en « touches-moi si tu peux », et que si un monsieur ou une madame qu’elle ne connaissait pas lui courait après, elle devait seulement faire comme dans le « essaies seulement de m’attraper » et gagner la partie. Hélios pouvait sentir des étrangers tout près. L’attaque n’était absolument pas envisagée, il fallait rester discret et s’extirper de ce guet-apens le plus vite possible. Le père ressentit soudainement une imposante présence et attrapa dans la seconde sa fille, qu’il bloqua sous son bras. Mais c’est alors qu’un homme apparut directement sur leur branche.

« Hé mais que voilà ? Quel joli portrait de famille.
Deux pour le prix d’… »

Hélios ne tarda pas à réagir, leurs vies étaient en jeu.
Il envoya plusieurs éclairs de foudre sous forme de projectiles en direction de l’homme, tout en se dégageant de son espace d’action, et fit des étincelles au-dessus des branchages. C’était le signal pour la fuite. Ne réfléchissant pas à deux fois, les quatre autres élémentaires quittèrent leur planque et tentèrent de semer leurs poursuivants. Ce fut une véritable course-poursuite. Des kunaï volèrent dans les airs, des éclairs fusèrent à travers le ciel et des crevasses déchirèrent la terre. Une mini apocalypse avait lieu au sein de cette forêt. Une déferlante vint balayer certains des ennemis, alors qu’un mur de flammes se dressa derrière les six élémentaires. Pourtant, malgré toute la prudence dont ils firent preuve, Kreth fut touché à la jambe. Il n’avait pas été assez vigilant pour remarquer le projectile volant, et n’avait pas pu achever sa transformation suffisamment vite. Ce n’est qu’aidé par Panthos et Thresha qu’il fut en mesure de se déplacer. Hélios – portant toujours sa fille sous le bras - et Alecto se chargeaient d’éloigner les autres.
Il se passait tellement de choses sous les yeux de la jeune enfant, qu’elle ne savait plus où donner de la tête. Pourquoi Kreth saignait ? Pourquoi malgré le fait qu’il ait éjecté le projectile en liquéfiant celui-ci, il avait toujours mal ? Qu’est-ce que ces gens pouvaient bien leur vouloir ? Ils coururent encore quelques minutes jusqu’à être hors de portée, et ils se posèrent un instant pour cautériser la plaie de du frère. Panthos s’en chargea sans hésiter. Il s’accroupit auprès de son cadet et appliqua délicatement une petite flammèche pour refermer la blessure. Après avoir respiré et reprit contenance, ils rassemblèrent tout leur courage et repartirent.

« Nous devons absolument rejoindre le clan et le faire virer de bord.
Il est bien trop dangereux pour nous de traverser Hi no Kuni pour tenter d'aborder Konoha. Je pense qu’il est plus judicieux de rejoindre immédiatement la frontière la plus proche, et de rejoindre n’importe quel autre pays. Nous nous sommes déjà fait attaquer 3 fois depuis notre entrée au sein de cette région. C’est déjà trop. La première fois, nous étions préparés. La seconde fois, Tresha a failli se faire prendre, et cette fois-ci, Kreth. Il faut mieux partir pour Ta no Kuni et s’y installer quelques mois, voire pour un an, le temps de trouver un nouvel endroit où s’installer. »

Les élémentaires présents approuvèrent le plan de l'Ancien.
Le plus dangereux maintenant était de retrouver la tribu pour la prévenir du changement de destination.
Vérifiant avec une des plus grandes prudences si leurs poursuivants étaient encore à leurs trousses, ils décidèrent de faire le tour et reprirent la voie des arbres. Ils étaient hors de question d'établir un campement au sein de Hi ni Kuni au vu des derniers évènements. Leur principal et unique but était de quitter au plus vite les lieux, quitte à ne jamais se reposer, c'était bien trop dangereux. Toujours sa fille dans les bras, Hélios craignait de croiser à nouveau le chemin de ces hommes. Décidément, il ne comprendrait jamais cette haine que les Autres et Normaux avaient à leur encontre. Les Virus étaient encore pire que ça, mais il ne préférait même pas y penser. L'élémentaire de foudre espérait un jour voir tous les clans Gogyou réunis sous la même bannière, mais chaque tribu avait ses croyances et sa morale. Il était donc quasiment impossible que cela puisse arriver, même dans un futur lointain. Chacun possédait une ligne directrice qui régissait leur vie. Son clan à lui avait choisi d'embrasser la voie de l'humilité et de la bonté. Même si ils avaient du sang sur les mains, il n'était que le résultat d'agressions qu'ils avaient subit. Longtemps, les Gogyou de leur tribu ne s'étaient pas défendus une fois pris ou capturés, pour éviter de faire du mal à qui que ce soit. Avec le temps, ils avaient apprit à vendre plus chèrement leur peau. Quitte à mourir, autant emporter avec soi le plus de "contaminés" moralement possible.

Hélios n'avait tué qu'une seule fois dans toute son existence, le reste n'était que des combats où tout le monde avait gardé la vie.
L'unique fois où il n'avait eu d'autre choix que de se salir les mains, fut lorsque sa femme et sa fille, encore très jeune, avaient failli périr par la main d'un ninja de Kumo. Ils s'apprêtaient à quitter le pays pour s'expatrier vers Shimo no Kuni, quand un petit groupe réussit à tromper leur vigilance. En pleine nuit, alors que les deux êtres les plus chers à ses yeux dormaient paisiblement, il était sorti vérifier que tout allait bien du côté des autres caravanes. Un bruit avait attiré son attention et les pleurs de sa fille l'ont immédiatement alertés. Sans attendre, il fit demi-tour et tomba nez à nez avec des brigands. Ces derniers étaient dans sa roulotte, et avaient déchirés une partie des vêtements de sa femme, terrorisée et tenant au plus prêt d'elle Ether qui ne cessait de pleurer, agitant ses petits bras en essayant inconsciemment de brasser de l'air. L'un d'eux allait égorger Aura, mais il n'eut pas le temps d'esquisser un seul geste qu'un éclair de foudre l'avait transpercé, le carbonisant au passage. Lorsqu'il s'écroula, ses deux autres collègues se jetèrent sur Hélios avant de tomber raide morts au sol, les corps encore tremblant des décharges reçues. Le Gogyou était fou de rage, les bras encore crépitant d'éclairs, et regardaient sans aucun remord les cadavres gisant à ses pieds. Ce ne fut qu'en voyant sa femme et son enfant qu'il reprit ses esprits et courut vérifier qu'elles allaient bien. Ce qu'il ne savait pas, c'était que malgré le jeune âge de sa gamine, celle-ci avait parfaitement imprimé ces images dans son cerveau. Bien qu'elle ne s'en souvient pas consciemment, de nos jours, il lui arrive de repenser à cette scène dont elle ne parvient pas à resituer l'époque. A partir de cette nuit, le père eut beaucoup de mal à contenir sa colère. Dès qu'il sentait la rage monter en lui, des éclairs gerbaient de ses mains sans qu'il n'y puisse quoi que ce soit. Il y travaille encore à ce jour, et même si ce défaut commence à se corriger, il lui arrive encore de ne rien maîtriser. Ether en savait quelque chose.

Malgré cela, Hélios n'aimait pas ôter la vie de quelqu'un, cette nuit-là lui avait amplement suffit.
Les Gogyou n'étaient pas venus sur terre pour tuer et massacrer, leur but était tout autre, mais personne n'en avait quoi que ce soit à faire, et il était même grandement probable qu'ils soient les seuls membres de ce clan à croire encore à un juste retour des choses. Il lui arrivait parfois de douter. Pourquoi s'obstinaient-ils tous encore à vouloir vivre en harmonie avec les humains, alors que ces derniers ne souhaitaient que les voir tous morts ? Sa tribu était en grande partie fait d'humains, mais en chacun subsistait le gêne des élémentaires, faisant d'eux autre chose que de simples Normaux. Ils étaient en quelque sorte différents des autres. Ni tout à fait humain, ni tout à fait élémentaire, leur sort était peut-être encore moins enviable que le leur. Ils ne savaient pas au fond ce qu'ils étaient réellement, ce qui était en soi limite pire. Mais le sujet n'était pas là. Ils devaient retrouver le reste de la caravane avant qu'ils ne se fassent prendre.

"Papa ? On va où maintenant ?"

"Quelque part où personne ne pourra jamais nous faire de mal, ma chérie."

"Tu crois que ça existe comme endroit ? Une maison qui nous aime ?"

Ether n'était pas si bête pour son âge, mais encore un peu crédule et naïve.
Si en soi, la naïveté était un défaut, son père préférait qu'elle la conserve le plus longtemps possible, pour ainsi préserver son innocence. Son père ne répondit pas à la question de la petite et se concentra plutôt à aller le plus vite possible. Il jetait parfois quelques regards en arrière et sur les côtés, vérifiant que personne ne les suivait. Alecto était le seul devant eux, les guidant vers là où il ressentait la présence des autres membres de la tribu. A la gauche d'Hélios de trouvait Thresha, alors que légèrement derrière se trouvaient Panthos supportant Kreth. L'élémentaire de foudre avait peur de perdre l'un des leurs lors de cette traversée, et l'Ancien semblait en avoir conscience à la vue des rides naissant sur son front. Leur chef ne supporterait pas de perdre le peu d'élémentaires encore en vie. Il fut un temps où ils étaient bien plus nombreux, mais cette époque était révolue depuis bien des siècles et à présent, très peu d'élémentaires naissaient à chaque nouvelle portée. Si ce n'était que ça... Parfois, un nouveau né démontrait des capacités avant de mourir quelques secondes après, comme si sa consistance n'était pas assez puissante pour supporter cet afflux de pouvoir et de chakra. A ce rythme-là, ils risquaient de tous disparaître.

L'Ancien fit un signe comme quoi ils approchaient de la caravane.
Effectivement, après une bonne dizaine de minutes suivant le signal, ils finirent par retrouver leur tribu, soulagés de les revoir enfin. Cela faisait des heures qu'ils n'avaient pas eus de nouvelles de leur part. Le chef fit passer le message à tous, comme quoi il fallait absolument quitter le pays et franchir la frontière de Ta no Kuni avant ce soir. Personne ne rouspéta, parfaitement conscients qu'ils n'avaient pas le choix, et se mirent en route sans tarder. Hélios en profita pour rechercher sa femme. Lorsqu'il vit enfin ses cheveux argentés, il se jeta dans ses bras, étouffant par ailleurs légèrement la petite qui se trouvait entre eux.

"J'ai eu si peur..."

"Ne t'inquiètes pas, tout va bien.
Kreth est blessé, mais rien de très grave. Il boitera un peu pendant quelques semaines puis ça passera."

"ça aurait pu être toi... Vous devriez cesser de voyager aussi loin de nous, même si c'est pour nous protéger."

"Non, il faut continuer de cette manière.
Sans nous, vous aurez plus de chances de survie. Nous n'avons pas le choix ma chérie.
Maintenant, vous devez faire au plus vite et quitter les lieux ! Nous vous rejoindrons plus tard. Tout va bien se passer, ne te fais pas soucis, vas-y !"

Après un dernier baiser à ses deux grands enfants, elle courut rejoindre les autres alors qu'Hélios la regardait partir, inquiet mais déterminé. Leur vie était un long fleuve tumultueux, parcouru d'obstacles et semé d'embuches. La route pour vivre enfin en harmonie avec des humains allaient être longue, car nous ne changeons pas les mentalités en une décennie, mais ça valait le coup d'essayer. En espérant que cela porte un jour ses fruits... Mais ils s'en sortiraient tous ensemble de cette traversée, il ne pouvait en être autrement.

Les élémentaires attendit qu'une heure entière se soit écoulée pour reprendre la route.
Ils se déplaçaient lentement et avec prudence, scrutant le moindre mouvement, le plus infime craquement, prêt à s'extirper immédiatement de la zone. Si tout se passait correctement, le clan devrait avoir traversé la frontière le lendemain matin ou en début d'après-midi. Ce n'était qu'à cet instant qu'ils les rejoindraient enfin. Malheureusement, attendre que la caravane soit en sécurité impliquait que leur groupe restreint serait en constant danger. La nuit était le pire moment pour eux, leurs sens étant en partie amoindris par le manque de luminosité ambiante. Pour l'instant, le soleil brillait encore haut dans le ciel, mais d'ici quelques heures, il perdrait en intensité et descendrait lentement se coucher, les plongeant ainsi dans le noir le plus complet. Il fallait donc se rapprocher le plus possible de Ta no Kuni avant la nuit, pour pouvoir dès le lendemain atteindre ces terres où ils seraient davantage en sécurité.
Tout était calme, beaucoup trop calme. L'Ancien demanda à ce que tout le monde cesse de bouger et tous s'immobilisèrent entre les branches, retenant leur respiration. Le regard rivé au sol, ils patientèrent une bonne dizaine de minutes avant de voir du mouvement. Au-dessous d'eux se déroulait une traque dont ils étaient les cibles. Un groupe d'une douzaine de personnes venaient d'apparaître, fouillant les environs, jetant des regards frénétiques tout autour d'eux.

"Ces saloperies de Gogyou ne peuvent pas être bien loin, il faut absolument les trouver et les exterminer ! Ces... Choses n'ont absolument rien d'humains, on ne peut pas les laisser en vie ! Ce ne sont que des assassins, des monstres... Leur existence même est un pêché, une erreur."

"OUAIS ! A MORT, A MORT !", firent-ils en chœur.

"Hé hé, je me ferais un plaisir de les dépecer..."

"Si encore t'arrives à les toucher. Ce sont des élémentaires abruti !"

"Ah oui, c'est vrai. 'tain, ce qu'ils me dégoûtent !
T'imagines ? Tout aqueux ou tout terreux... AH, c'est dégueulasse !"

"Mais ce que t'es con toi."

Les Gogyou, toujours cachés, continrent leur aigreur.
Entendre ces humains parler d'eux de la sorte les dégoutaient, eux qui faisaient de leur mieux pour être acceptés par ces tarés. Qui étaient les monstres entre ces êtres qui les traquaient comme des bêtes, et les nomades qu'ils étaient, n'ayant jamais attaqué de leur plein gré l'un des leurs ? La question méritait d'être posée. Hélios avait bien du mal à conserver son calme. Soucieux de ne pas faire de bruit pour ne pas être repéré, il n'avait pas bouché les oreilles de sa fille. Cette dernière avait absolument tout entendu et en avait été toute retournée. Ether ne comprenait pas pourquoi ces gens qu'ils ne connaissaient même pas, désiraient avec tant de violence leur disparition. Cette haine à leur égard donnerait naissance à ce besoin de reconnaissance de la part de la gamine, ce comportement excité mais toujours avenant. Ne sachant trop comment agir envers eux, jamais elle ne cesserait d'être joyeuse pour tout oublier, et ainsi espérer qu'ils l'accepteraient malgré sa nature.
Ce qui était étrange, était qu'elle ne voyait pas la différence entre elle et les Autres. Eux aussi possédait un pouvoir qui altérait leur nature. En quoi ne se ressemblaient-ils pas alors ? Etait-ce tout simplement cette subtile notion du ; "Eux sont humains à la base, pas vous" ? Peut-être. En tout cas, ils avaient l'air d'y croire dur comme fer, même si entre un Gekei et un Gogyou la frontière était relativement mince. En conclusion, personne ne bougea tant qu'ils étaient dans les parages.

L'attente fut longue, leurs poursuivants ne partant pas.
Non mais quand est-ce qu'ils allaient continuer leur traque plus loin ?!
C'était comme si ils sentaient leur présence sans pour autant être certains que leurs cibles se trouvaient bien dans les parages. Ils fouillaient les buissons, jetaient parfois des pierres dans les arbres pour espérer en déloger un, puis se dispersaient cinq minutes avant de se rejoindre à nouveau dans cette petite clairière. Alecto vérifia l'état de Kreth. Celui-ci, toujours maintenu par son grand frère, souffrait et suait à grosses gouttes. Sa blessure semblait être plus grave que prévue. Ce n'était pas normal... Serait-il possible que les projectiles avaient été enduits de poison ? Ah, les fils de chien !!! L'Ancien bouillonnait de rage mais se retint de déverser sa colère sur ces humains monstrueux. Certains d'entre eux étaient des ninjas et seraient capables de les poursuivre sans interruption. Toute intervention était dangereuse. De plus, ils avaient une enfant avec eux, il était hors de question qu'il lui arrive quoi que ce soit, elle était bien trop jeune et synonyme d'un nouvel espoir pour la tribu. Depuis combien de temps n'avaient-ils pas vu naître un élémentaire au sein de leur communauté ? Aussi loin que remontaient leur souvenirs, aucun ne se remémorait à eux, c'était dire...

"Ils sont ici, c'est certain.
Je ressens une présence... Plusieurs présences."

"Ils sont forcément dans les arbres, sinon on ne les sentiraient pas d'aussi prêt."

"Tu as raison. ON GRIMPE !"

Et merde !
Ils devaient fuir, vite !
Aucun Gogyou ne bougea, restant le plus silencieux et discret possible, espérant du plus profond de son âme qu'ils ne les remarqueraient pas. Si la plupart d'entre eux passèrent à côté de Thresha, les deux frères et l'Ancien, deux d'entre eux s'approchaient dangereusement de l'arbre où se trouvait Hélios et Ether. Le père serra tout contre lui sa fille, prêt à réitérer des charges d'éclairs meurtriers s'il le fallait pour les protéger. Alors qu'ils s'apprêtaient à être découvert, il se produisit un évènement imprévu. Une vague venant du côté opposé vint frapper le tronc de l'élémentaire de foudre et d'air. Mais, qu'est-ce que... Sautant des branchages, Thresha se jeta à corps perdu parmi les humains, tournoyant dans une bulle d'eau. Esquissant des mouvements martiaux, elle lacérait autant qu'elle pouvait ses ennemis à l'aide de sa condition. Stupéfaits et effarés, les autres Gogyou furent prêts à se lancer à son secours lorsque Alecto fit un signe d'arrêt. La Gogyou d'eau, se battant avec rage, s'était donnée en appât pour leur permettre de fuir. Lorsqu'elle émit un cri digne d'une chouette à l'agonie, ils comprirent que c'était leur seule et unique chance de s'extirper de ce piège à rats.
A contrecœur, ils se mirent à sprinter à travers les branches, laissant leur camarade aux prises avec ces barbares. Si les adultes savaient qu'ils ne la reverraient sans doute jamais, Ether ne comprenait pas. Collée à son père et par-dessus l'épaule de celui-ci, elle ne quittait pas du regard Thresha qui se battait désespérément, tentant de gagner le plus de temps possible. A mesure que la silhouette se faisait de plus en plus floue et vague, la petite fille sentit une boule se créer au sein de son ventre. Après une bonne demi-heure de course, elle eut l'impression d'être transpercée de part en part et commença à pleurer. De petits hoquets vint secouer son corps d'enfant et elle sera les vêtements de son père. L'étreinte d'Hélios se resserra, ressentant la même chose qu'elle et réprima sa douleur de perdre l'une des siens.

Thresha venait de tomber et elle l'avait senti mourir.
Son dernier souffle s'évaporait dans l'air, son corps retournait à la terre et elle partait rejoindre les esprits. Son existence ici-bas s'achevait pour débuter une nouvelle vie parmi les songes de ses pairs.

Le reste du trajet se fit dans un silence de mort.
Personne n'osait parler de ce qui venait de se passer, résultat d'une souffrance encore trop récente. Ils, ou plutôt, le clan venait de perdre l'une de ses Gogyou les plus émérites, une femme au coeur si grand et à l'âme si bonne, que son deuil promettait de rester gravé dans les mémoires à jamais. Chaque disparition de l'un des leurs signifiait une nouvelle cicatrice dans leurs souvenirs et l'espoir de vivre en harmonie s'amenuisait davantage. Thresha... Comment avait-elle pu mourir ainsi ? Elle était certes tombée au combat, pour tout guerrier cela signifiait une fin honorable, mais aucun d'eux n'étaient des soldats. Ils n'étaient que de simples créatures désirant vivre comme le reste du monde. Et dire que certains Gogyou parvenaient à se faire accepter au sein de village... Pourquoi pas eux ? Etaient-ils trop nombreux, devaient-ils se séparer pour s'éparpiller aux quatre coins du globe ? Il était hors de question qu'ils brisent leur unité ! Pas un seul membre ne désirait une telle chose. Ils avaient traversé tant de choses ensemble, ils s'en sortiraient tous ensemble.
Ether avait cessé de pleurer. A présent, elle regardait vaguement par-dessus l'épaule de son père, espérant voir apparaître à nouveau la silhouette élancée et élégante de Thresha, mais personne ne vint. Une simple brise caressait leurs visages, accentuant d'autant plus la détresse que ressentait la petite fille. Alors c'était vrai, elle ne la reverrait donc jamais... Fini les anecdotes de ses amours maudits, terminé les danses endiablées dans les rivières, adieu son sourire bienveillant lorsqu'elle faisait des bêtises. Plus jamais, jamais, elle ne lui frottera le crâne ni ne jouera au Uno avec elle. Et maintenant, elle était seule maîtresse de ce jeu dont elle devra initier les prochains enfants.

Hélios était à la fois exultant de rage et en proie à un profond désespoir.
Thresha, ils avaient grandi ensemble, joué ensemble, fais les quatre cent coups ensemble. Elle qui avait toujours rêvé de donner naissance à un nouvel élémentaire, s'était vue fauchée en plein vol. Aucun d'entre eux ne se remettrait jamais de sa disparition et encore moins Panthos et Ether. Cette dernière avait beaucoup appris de son aînée. C'était avec elle qu'elle jouait jusqu'à pas d'heure au Uno. Thresha était une pro dans ce domaine et elle y avait initié sa gamine qui y avait montré énormément de talent. Ensemble, elles pouvaient jouer jusqu'à en perdre la notion du temps, et ce n'est que tard dans la nuit qu’on les retrouvait, les yeux explosés à jouer encore et encore. Quant à Panthos, tout le monde savait qu'il n'avait d'yeux que pour elle et que c'était réciproque. Depuis qu'ils étaient en âge d'aimer, ils n'avaient cessé de se tourner autour sans jamais rien tenter et ce n'était pas faute de les y avoir poussés ! Puis Thresha s'était mise à avoir des relations par-ci, par-là alors que le Gogyou de feu se contentait de la regarder batifoler.
Pourtant, on les soupçonnait d'avoir débuté une relation sans en parler aux autres, ce qui en avait ravi plus d'un. L'élémentaire de foudre osa jeter un regard vers Panthos qui supportait toujours son frère. Celui-ci regardait droit devant lui, sans mot dire. Il s'était muré dans un silence dont il n'était pas prêt de sortir. Le cœur meurtri, il regrettait de ne pas avoir eu le courage de se battre à ses côtés, de mourir avec elle. Ces non-dits, ces actes manqués... Ils n'avaient au final que peu passé de temps réellement ensemble en tant que couple. Et maintenant, elle était morte, disparue à jamais. Mais il ne devait pas se laisser abattre, ce n'était pas ce qu'elle aurait voulu. Il devait encore se battre pour son petit frère. Kreth était encore jeune, il avait toute la vie devant lui, il était donc de son devoir en tant qu'aîné de le sortir de ce traquenard.

Alecto non plus ne parlait pas.
L'Ancien savait qu'il devait sortir tout le monde de ce bourbier pour que le sacrifice de la Gogyou ne soit pas vain. Mais pourquoi avaient-ils décidés de traverser ce pays ? Quel genre de chef était-il pour les avoir menés droit jusqu'à leur mort ? Ils devaient absolument dégager d'ici et plus jamais ils ne reviendraient en ces lieux, jamais, quitte à ce que les voyages soient plus longs.

« Les enfants, nous allons légèrement bifurquer sur la droite.
Nous allons continuer à cette allure pendant encore une heure, puis nous trouverons un endroit où dormir. Compris ? »

Ils acquiescèrent faiblement, encore secoués par la soudaine disparation de Thresha.
L'Ancien savait qu'il devait se montrer ferme envers eux, malgré la tristesse qui l'accablait lui-même. Cette femme avait été sa protégée, sa meilleure élève et voilà qu'elle n'était plus là. Le choc était immense et la douleur infiniment violente, mais il devait être fort pour montrer l'exemple. L'aîné marqua une pause et tout le monde fit de même. Puis il s'approcha vers Hélios qui tenait toujours Ether dans ses bras. Cette dernière s'était endormi tant les larmes l'avait épuisée. Il l'observa avec tendresse et lui caressa doucement la joue, avant d'ôter une mèche sur son visage. Tout n'était pas encore terminé. Si la Gogyou d'eau avait péri, cela n'était pas encore le cas pour eux. Après avoir silencieusement dévisagé la petite fille, il leva la tête vers le père encore soucieux. A bien regarder, l'élémentaire de foudre commençait à avoir des rides entre les sourcils, trahissant le mouron qu'il ne cessait de se faire à chaque minute, à chaque seconde pour sa famille et les siens. Doucement, il le rassura d'une voix calme.

« Tout ira bien Hélios, il ne lui arrivera rien.
Nous allons la protéger, tout comme la prochaine progéniture. »

« Comme nous avons protégé Thresha ? », fit Panthos d'une voix brisée, sortant enfin de son silence.

L'Ancien se tourna vers le garçon qui le toisait d'un regard enflammé par le désespoir.
Le jeune homme commençait à craquer, la douleur d'avoir perdu celle qu'il aimait était encore si vive qu'il était prêt à exploser. Le chef lui parla d'une voix douce, dépourvu de tout reproche ou d'animosité pour tenter de désamorcer sa colère grandissante et fulminante. Il s'approcha doucement de lui et posa une main qui se voulait compréhensive sur son épaule.

« Panthos... Je sais que tu as perdu bien plus que nous tous aujourd'hui, mais nous n'y pouvons rien. Elle a elle-même prit sa décision quant à son destin, c'était son choix et tu ne peux t'en vouloir. Nous devons accepter cette immense perte, mais nous ne pouvons pas nous arrêter pour la pleurer. Tu sais parfaitement que ce n'est pas ce qu'elle souhaiterait. »

L'élémentaire de feu baissa la tête, retenant ses larmes, puis se mordit la lèvre de dépit.
Ses poings serrés tremblaient de rage et de souffrance, mais il ne prononça plus aucun mot contredisant les paroles du chef, conscient qu'ils n'avaient plus de temps à perdre à palabrer. Le vieux lui lança un dernier regard affectueux et il fit signe aux autres de reprendre la route. Hélios accéléra pour rejoindre le flanc de l'Ancien.

« Vous croyez sincèrement que nous nous en sortirons vivants ? »

« Je ne peux rien vous promettre, mais je l'espère.
Si nous venions à tomber dans un traquenard, il vous faudra fuir le plus loin possible avec la petite. Je tenterai de les contenir et jamais vous ne devrez vous retourner. Est-ce que c'est clair ? »

« Oui chef. »

Puis Hélios ralentit pour atteindre le niveau des deux frères.
La peur commençait à s'emparer de lui. Et si ils venaient à perdre davantage d'entre eux aujourd'hui? Cette traversée risquait de leur coûter bien plus cher qu'ils ne l'avaient redouté.

La nuit commençait à tomber sur le Pays du Feu et la lune se réveillait doucement de son doux sommeil. Quatre silhouettes filaient à toute allure dans la plus grande discrétion. Une cinquième se distinguait à peine entre les bras d’une de ces ombres. Cela faisait à présent une heure que le groupe de Gogyou sprintaient pour semer leurs poursuivants, et le fatigue commençait à se faire ressentir dans leurs membres. Malgré une faiblesse grandissante dû à cette course interminable, ils ne s’arrêtèrent point. Mais lorsque Alecto découvrit enfin un endroit idéal pour établir un rapide campement, il leur fit signe de s’arrêter. Des soupirs de soulagement se firent entendre

« Nous allons faire une pause ici !
L’obscurité envahit la forêt, nous risquons de perdre le chemin. »

« Mais voyager de nuit nous permettrait de gagner de l’avance ! »

« Oui, c’est vrai. Mais ne crois-tu pas que chacun d’entre nous a mérité un tant soit peu de repos ? Regarde-nous ! Nos jambes sont tremblantes, la petite s’est endormie il y a de cela presque deux heures et notre regard se fait moins perçant. SI nous venons à subir une nouvelle attaque, il nous faudra être au meilleur de notre forme. Tu comprends ce que je veux dire, n’est-ce pas, Hélios ? »

L’élémentaire de foudre devait se rendre à l’évidence ; l’Ancien avait raison.
Il acquiesça mollement et s’assit par terre contre un arbre, épuisé. Sa fille, toujours dans ses bras, dormait à poings fermés. Elle était encore jeune et ne comprenait pas que bientôt, elle se verrait obligée de faire comme eux, de dormir que d’un œil, toujours prêt à se défendre. De nos jours, Ether se souvient encore de cette traversée. Le résultat de celle-ci a contribué à construire ce qu’elle est aujourd’hui, mais la conclusion viendra plus tard. A cette époque où elle n’était encore qu’une enfant, Ether préférait lire que combattre. Dès qu’elle avait été en âge de savoir donner un sens aux lettres, elle fit preuve d’une assiduité sans précédent. Et quelques mois plus tard, elle avait déjà lu tous les écrits qu’elle aurait dû apprendre en une année. La Gogyou espérait trouver la solution à leurs problèmes dans les livres. Si dans l’ancien temps, ils avaient tous pu vivre ensemble sans jamais en venir aux mains, alors pourquoi ils n’en seraient pas capables aujourd’hui ? Leurs différences n’avaient dérangé personne, qu’est-ce qui avait changé ?
Dans son sommeil, la petite fille fit un mauvais rêve. Au départ, elle se voyait jouer avec Thresha et perdre encore, avant de lever la tête pour voir son mentor du Uno déchiquetée par les cartes du jeu et disparaître dans une gerbe de flammes. Lorsque son père remarqua qu’elle tremblait, il la serra tout contre lui et lui caressa tendrement la tête, ce qui contribua à doucement la calmer et ce pour le reste de la nuit. Elle se retourna parfois mais cessa de gémir. Chaque membre du groupe prit son tour de garde et lorsque vint le tour de Hélios, il délégua la garde de son enfant à Panthos. Ce dernier était un peu comme le grand frère qu’elle n’avait pas. Intelligent, sérieux et généreux, c’était auprès de lui qu’elle allait apprendre en s’amusant. Lorsqu’il ne sermonnait pas son petit frère, Kreth, qui apprenait tout un tas de bêtises à Ether, il illustrait leurs légendes pour lui expliquer ce qu’elle ne comprenait pas. L’élémentaire de feu possédait un certain talent pour le dessin et la gamine en était admirative. Il donnait vie aux mythes, créait des images pour placer les histoires, tout devenait soudainement vivant sous son pinceau. Alors qu’avec lui, elle s’instruisait, avec Kreth, ils imaginaient des combos. Une tempête d’eau, une tornade de gouttes… Avec lui, elle tentait de maîtriser ses pouvoirs mais de manière ludique.

Chaque élémentaire de la tribu avait collaboré à la construire.
La disparition de chacun d’entre eux l’affectait encore plus que ce qu’ils pouvaient l’imaginer.

Pour en revenir à l’époque du récit, le groupe veillait encore.
Lorsque pointèrent les premières lueurs de l’aube, ils reprirent immédiatement la route et prirent bien soin d’effacer toute trace de leur repos en ces lieux, pour ne donner aucun indice quant à leur position future. Hormis les gazouillis des oiseaux qui se réveillaient en même temps que le soleil, pas un seul bruit ne se faisait entendre et aucun danger ne se profilait à l’horizon. C’était le moment parfait pour une course effrénée sans craindre une quelconque attaque. Et pourtant, leur prudence était d’autant plus grande. Depuis la mort de Thresha la veille, la crainte d’en perdre un autre d’entre eux s’était amplifiée, leurs regards frénétiques balayaient la moindre branche susceptible de cacher un ennemi. La petite Gogyou les observaient regarder ainsi les environs et se mit à les imiter. Cette habitude de toujours garder ses yeux en mouvement pour éviter d’être surprise ne la quitterait finalement plus jamais. Heureusement, son air de parfaite gamine immature réussissait à faire passer cette manie pour de la curiosité. La matinée se passa sans encombre, bien qu’ils eurent quelques petites frayeurs à la vue de buissons frétillants qui se soldèrent par des apparitions de lapins. La frontière ne devait plus être qu’à quelques heures d’ici, la délivrance était proche ! Mais si tout avait pu être aussi simple...

Les heures défilaient sans interruption, et ils se mirent à accélérer la cadence.
A mesure que la distance entre leur but et eux s'amenuisait, le stress grimpait jusqu'à les étouffer. Bien sûr qu'ils avaient l'habitude de ce genre de croisade, mais cela faisait bien longtemps qu'ils ne s'étaient pas fait avoir de la sorte. La frustration de ne rien avoir pu faire pour sauver Thresha contribuait à cultiver cette colère qu'ils gardaient constamment en eux. Malgré leur rage bouillonnante, jamais ils ne la laissaient exploser, pour éviter de faire des blessés. Dès leur naissance, ils étaient haïs, craints pour leur condition de pur élément. Cependant, le fait qu'ils soient aussi peu humains ne renforçaient que d'autant plus ce désir de s'acclimater, de vivre avec le reste du monde en harmonie. En quoi cela était-il si compliqué à comprendre ? Les familles de ninjas étaient bien toutes différentes, et pourtant, ils cohabitaient bien ensemble au sein de plusieurs villages. En quoi leur cas était-il si différent du leur ? Autant de questions et si peu de réponses, cela avait de quoi agacer et nourrir une certaine consternation.
Alors que la luminosité s'affaiblissait à mesure qu'ils couraient, ce qu'ils craignaient se produisit. Sortant de nulle part, un groupe de poursuivants les prirent en chasse. Beaucoup étaient salement amochés mais d'autres n'avaient pas la moindre égratignure, comme si ils étaient des renforts envoyés pour le groupe décimé par Thresha. Et merde ! Son sacrifice avait-il était aussi inutile ? Ether, toujours accrochée à son père, ne quittait pas du regard ces hommes qui les talonnaient, ces mêmes hommes responsables de la mort de son aînée. Elle ne ressentit aucune haine à leur égard, seulement... de la pitié. La vie d'un être ne jurant que par la violence devait être bien morne. Une légère tristesse se mit à l'envahir, avant de se transformer en profond désespoir lorsqu'elle se souvint de la silhouette de la Gogyou d'eau, s'évaporant pour la dernière fois dans l'obscurité de la fin.

Bien décidé à ne pas se laisser faire, les élémentaires se mirent en formation rapprochée et élaborèrent un plan d'esquive. Ils continuèrent leur course pendant quelques secondes, avant de brusquement se retourner pour jeter un combiné de leur élément ; foudre, eau, feu et terre. Une violente explosion retentit au sein de la forêt et les Gogyou profitèrent de l'instant de surprise pour tenter de les semer. Ils n'eurent que quelques minutes de répit avant de les voir réapparaître dans leur dos, deux ennemis en moins parmi eux. Mais ce n'était pas suffisant pour qu'ils les laissent tranquilles... Alors Panthos et Hélios tirèrent de quoi les ralentir, ce qui n'eut pour effet que d'amplifier la haine de leurs poursuivants à leur égard. Ils étaient si proches du but, il n'était pas question qu'ils meurent tous ici ! Des shurikens et autres kunaïs volèrent autour d'eux, et l'un d'eux vint se planter dans l'épaule du père de la petite. Celui-ci grimaça de douleur et s'écroula en pleine course, roulant ainsi sur plusieurs mètres. Voyant que le Gogyou de foudre était à terre, les trois autres, menés par l'Ancien, empêchèrent les assaillants d'avancer pour lui donner le temps de se relever. Ce dernier grommela et se releva d'un bond, faisant fi de la souffrance qu'il ressentait. D'un coup sec, Hélios arracha l'arme qu'il garda dans sa main, et balaya les alentours avec rage, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que son enfant ne se trouvait pas dans ses bras. Où était-elle ?!!

« PAPA !!! »

Un cri strident le fit se retourner en direction des ninjas ennemis et il découvrit sa prunelle blonde à terre, totalement terrifiée. Son visage se décomposa en l'espace de quelques secondes et la détresse l'envahit.

« ETHER !!!
NE BOUGES PAS, J'ARRIVE !»

A peine Hélios s'était-il relevé pour s'élancer sur la petite que Kreth courait déjà vers elle.
Celui-ci, n'écoutant que son courage, esquiva les projectiles envoyés dans sa direction et liquéfia un bras pour laisser passer un shuriken. Une fois à la hauteur de la Gogyou de vent, le jeune homme l'attrapa et la serra contre lui avec force, avant de faire demi-tour et de courir à toute vitesse sans jamais se retourner. Les élémentaires couvrirent sa retraite, et ensemble, prirent la fuite. Les hurlements dans leur dos leur firent comprendre qu'ils étaient encore poursuivis. Ether, toujours dans les bras de Kreth, avait enfoui son visage dans le creux de son cou, tremblant de tout son être. Jamais un de leurs voyages n'avaient été aussi mouvementé et horrifiant. Après quelques minutes de course, ils finirent par enfin quitter la forêt et coururent vers le cours d'eau, Anshin, qu'ils pouvaient apercevoir au loin. L'objectif était de le traverser et se frayer un chemin entre le Mont Mori et la forêt San'rin, pour ensuite atteindre la frontière menant à Ta no Kuni. La liberté n'était plus qu'à une heure de leur position.
Lorsqu'ils atteignirent enfin la rivière, ils sautèrent de pierre en pierre sans s'arrêter et s'engouffrèrent dans le bosquet. Ils ne s'arrêtèrent qu'à cet instant. Plus qu'une centaine de kilomètres et ils seraient enfin tirés d'affaire... Profitant de cette pause, ainsi que du fait que Panthos et Alecto montaient la garde, Hélios se jeta sur sa fille pour l'embrasser. Le jeune élémentaire d'eau la décrocha de son cou et la déposa dans les bras de son père qui l'étreignit avec force.

« J'ai eu si peur... J'ai cru t'avoir perdu. », murmura-t-il la voix tremblante.

« ça va Papa... Kreth m'a sauvé !
Y fait pas qu'des bêtises, tu vois ? », dit-elle en riant.

Le Gogyou de foudre l'enlaça de nouveau, savourant chaque seconde, remerciant Kreth d'un signe de tête que le jeune garçon lui rendit. Lorsqu'Hélios se desserra d'elle, il remarqua quelques traces rouges sur son visage. Intrigué, il vérifia l'intégralité de son corps et s'arrêta sur ses mains, rougeâtres, tachetées de sang encore frais. Horrifié, il la crut blessée et attrapa ses doigts avec force.

« Tu es blessée ?!! Où as-tu mal, où t'as été touchée, montres-moi !!! Oh mon bébé, non... »

« Papa, papa ! Ça va, j'ai rien !
Regarde... », elle essuya ses paumes sur son tee-shirt et les lui montra, « C'est pas l'mien ! »

« Mon dieu, j'ai vraiment cru que... Mais attends... S'il n'est pas à toi, à qui est-il ? »

Tous entendirent une toux étouffée et se retournèrent pour en découvrir l'origine.
Kreth les observaient d'un sourire faible, son teint avait pâlit et ses jambes tremblaient. Après quelques secondes, il tomba à genoux, du sang s'échappait d'entre ses lèvres en un gargouillis atroce, littéralement craché, et il s'écroula finalement sur le flanc. Les trois adultes coururent en sa direction, mais son frère fut plus rapide.

« KRETH ?!! », hurla t-il de désespoir.

Panthos les écarta tous d'un geste et se jeta sur son cadet.
Il souleva précautionneusement sa tête et la posa sur ses genoux. La respiration de l'élémentaire d'eau était rauque mais faible, et il continuait à cracher du sang. Pour éviter qu'il ne s'étouffe, il inclina légèrement le crâne de celui-ci. C'est en le déplaçant qu'il remarqua la raison de ses blessures. Dans son dos, des kunaïs et autres shurikens étaient profondément enfoncés dans sa chair. Le Gogyou avait su esquiver les premiers, mais n'avaient pu anticiper les suivants lors de sa course dos à eux. Pour sauver la jeune Ether, il avait pris sur lui, occultant la souffrance qu'il ressentait pour n'effrayer personne. En faisant cela, il leur avait fait gagner énormément de temps, mais avait perdu autant en quantité de sang. Lorsqu'Alecto ausculta rapidement le garçon, il comprit que ses blessures étaient mortelles et qu'il ne s'en sortiraient probablement pas. Lui et Hélios échangèrent un regard navré, puis se murèrent dans un silence maussade, pendant que Panthos pleurait en regardant son frère, souriant malgré tout.

« Kreth... Pourquoi t'as fait ça ? », gémissait Panthos, ses larmes se mêlant au sang de son cadet mourant.

Le Gogyou agonisant toussa et cracha, puis regarda le visage de son frère penché sur lui. Il lui sourit doucement. Le garçon avait toujours été comme ça, éternellement souriant, un trait de personnalité qu'Ether assimilerait par la suite.

« Hé frérot... T'inquiètes, j'vais bien. J'me suis jamais senti aussi vivant. », il explosa en une quinte de toux, répandant du sang sur les vêtements de Panthos, « Et puis... hhh... avoue qu'elle mérite de vivre la p'tite. »

La petite en question restait interdite. Elle fixait le blessé mais était comme ailleurs, partie.

« Toi aussi tu méritais de vivre, Kreth... T'as pas l'droit de partir comme ça... Pas après ça... Pas après Thresha. »

« Hé, j'suis pas encore mort hein ! … Hugh, hhhh... J'suis désolée, j'ai pas géré cette fois encore... J'ai pas maîtrisé mon pouvoir. »

« Qu'est-ce que tu racontes ? T'as été parfait ! »

« J'suis désolée pour tout c'que... », une nouvelle quinte, « … Pour toutes les conneries que j'ai pu faire. J'voulais rendre notre vie plus... Hhhh, hugh... Moins triste. »

« T'excuses pas pour ça ! T'as bien fait, c'était parfait... Tais-toi maintenant, reposes-toi. »

Un long silence s'ensuivit, durant lequel Panthos peinait à retenir son désespoir et sa souffrance, alors que son jeune frère se vidait littéralement de son sang. Hélios rejoignit sa fille et lui cacha la vue de cet horrible spectacle, bien que l'image de cette mort s'était déjà imprimée sur sa rétine, et tenta de la rassurer. Mais l'enfant n'était pas dupe.

« Ma chérie... Tout v... »

« … Kreth va mourir ? », la coupa t-elle.

« Je... », il marqua une courte pause, « … Oui. Il va mourir. »

« C'est ma faute ? »

L'élémentaire de foudre fut perturbée par la question de sa fille et ne sut quoi répondre pendant quelques secondes, avant de finalement se rattraper.

« Non ! Ce n'est absolument pas de ta faute, oublies ça tout de suite ! … Ecoutes, ce n'est ni ta faute, ni celle de Kreth. C'est celle de ces... Autres et des Virus qui nous pourchassent. Vous n'y êtes pour rien... »

« Mais Kreth va quand même mourir. »

« Oui. »

« Je n'comprends pas... Pourquoi ? J'croyais qu'on pouvait pas être touché, qu'on pouvait pas mourir ! POURQUOI ?! »

L'enfant commença à pleurer.
Son monde entier s'écroulait et elle ne pouvait rien y faire, elle n'avait que 6ans ! Être Gogyou signifiait pour elle qu'ils étaient intouchables dès qu'ils devenaient pur élément. Alors pourquoi Kreth ne l'était pas devenu ?

« Je... Parfois, il arrive que l'on ne maîtrise pas suffisamment notre condition, que l'on ait pas assez travaillé notre concentration, nos techniques... C'est pourq... »

« NON ! On n'devrait pas mourir ! … Pas comme ça ! C'pas juste... C'est... », elle se tut.

« Ether ...? »

La gamine resta silencieuse quelques instants puis reprit la parole.

« Jamais on m'touchera si j'veux pas.
J'veux devenir air. »

Kreth demanda à ce qu'Ether vienne à lui.
Lorsqu'elle vint à ses côtés, celui-ci tendit la main vers elle et prit l'une des siennes. Il lui sourit difficilement, la douleur durcissant ses traits habituellement espiègles.

« Ether, ma p'tite Ether... Si t'avais été plus grande, j't'aurais épousé. », il lui fit un clin d'oeil et ria, avant de finalement cracher à nouveau du sang. Quelques gouttes atterrirent sur le visage de la fillette qui ne broncha pas. « Non sans déconner, tu veux bien m’promettre que’que chose ? ... Tu veux bien, hein ? »

Elle hocha vigoureusement la tête, le visage sombre.

« C'bien... Promets-moi de ne jamais cesser de sourire, ok ? »

« Promis. »

« Et puis... », il lui chuchota faiblement dans l'oreille, « Continues à faire des bêtises pour moi. »

Ether sourit tristement, puis le regarda sans rien dire.
Celui-ci continua de respirer comme s’il tentait d'happer l'air sans y parvenir.
Le visage de Panthos était renfermé. Le regard vide, ses yeux se promenaient dans le vague, comme si son monde s'écroulait également, ce qui, dans un sens, était probablement le cas, autant pour lui que quiconque d'autre. Son âme sœur se sacrifiant pour eux, son petit frère s'éteignant à petit feu dans ses bras, un scénario digne des pires films dramatiques pour kunoichi en détresse. Et pourtant, il le vivait actuellement. Comme s’il lisait dans ses pensées, Kreth émit un petit rire nerveux.

« Hé hé, Hhhhh... J'suis juste un gros cliché, tu trouves pas frérot ? … La respirat... Hhhh, d'un ventilateur usagé, le sang, les dernières paroles... On s'croirait dans un vieux film pour les pucelles. »

« Ouais, hé, hé… Ouais. », des larmes coulèrent en silence sur ses joues brûlantes.

« Pan’ ? », murmura doucement le Gogyou d’eau.

« Oui, tête à crête ? »

« … Hhh… Je suis ton frère. », expira-t-il avec le plus grand sérieux.

Un grand silence s’installa avant que tous rirent de bon cœur à l’entente de cette blague bien vaseuse, digne de l’humour de Kreth.

« … Mais t’es con ! », soupira l’aîné.

« Aha… Avoues qu’elle était bonne quand même, non ? »

« Elle était franchement nulle. Ça te ressemble bien ça ! »

« Hé hé… Hhh… C’était la dernière pour la route, frère. »

Le reste du groupe se rapprocha du duo et regardèrent avec compassion le jeune garcon s’éteindre lentement.

« Panthos ? … J’ai froid. »

« Prends ma main, j’vais te réchauffer. »

Tous les deux serrèrent aussi fort qu’ils le purent leurs mains, et planta leur regard dans celui de l’autre, comme pour partager un dernier instant fraternel. La poigne de l’élémentaire se fit de plus en plus faible, puis quelques larmes coulèrent sur ses joues. Un bref sanglot trahit sa terreur et il commença à pleurer comme un enfant. Ether s’agenouilla auprès de lui et lui prit l’autre main qu’il se mit à serrer aussi fort qu’il le put.

« Je ne veux pas mourir ! … Pas comme ça ! »

« Je sais mon frère, je sais… »

« Je retourne… hhhh… à Gaïa et à l’océan qui m’a créé.
J’saluerais Thr… Hugh... Thresha pour toi. J’espère que ça s’ra… fun… », termina-t-il en un soupir.

Et c’est ainsi qu’il expia son dernier souffle.
Son visage était serein, souriant mais des larmes continuaient de couler, rappelant qu’avant d’être un Gogyou, il n’était surtout qu’un adolescent qui ne voulait pas mourir avant d’avoir vécu. Un horrible silence s’installa avant d’être brisé par les hurlements déchirants de Panthos, extériorisant toute sa colère et son désespoir d'avoir perdu la seule personne qu'il lui restait.

A mesure que le soleil déclinait, les gémissements de Panthos se faisaient de plus en plus faibles.
Thresha et maintenant son petit frère, en moins d’une journée, il avait perdu les deux êtres les plus chers à ses yeux… Le destin s’acharnait-il contre eux, contre lui ?! Comment tout cela avait-il bien pu se produire ? Ce pays ne leur avait-il pas suffisamment pris ?! Les civils, les Gogyou… Leur tribu s’amenuisait au fur et à mesure de leurs pas. Si cela continuait ainsi, ils finiraient par disparaître, leur histoire et leurs croyances avec eux. Alors que Panthos se nourrissait de rage et de colère, la jeune Ether continuait à regarder le visage de Kreth dans la mort. Elle n’avait pas lâché sa main, de peur qu’il disparaisse. Ce que l’enfant craignait vint à venir ; lorsque tout organe cessa de fonctionner, le corps de l’élémentaire d’eau commença à devenir translucide, puis aqueux avant de totalement se liquéfier et nourrir la terre de son eau. C’était inévitable. A leur mort, ils redevenaient ce qu’ils étaient à l’origine et repartaient rejoindre leur élément. Lorsque viendra son jour, Ether disparaîtrait dans les airs. Une fois que le corps eut totalement disparu, Panthos resta muré dans un silence si profond que personne n’osa lui dire quoi que ce soit, de peur de le voir exploser.
La mort n’était pas une fin chez eux, mais un éternel recommencement, ce qui n’empêchait pas d’en être effrayé. Leur tribu n’avait pas cette culture d’enterrer les morts d’une manière fixe, car chaque membre avait droit à une cérémonie différente selon leur personnalité et leurs actes. Malheureusement, seuls les corps des Normaux pouvaient être récupérés, car ceux des Gogyou, n’étant pas humains, étaient irrécupérables. Chaque élément retournait à la terre, à la mer ou dans les airs. Mais y avait-il réellement une seconde existence après la première ? Leur clan le pensait mais en ignorait la forme. Une fois la dernière goutte absorbée par la terre, le dernier frère se releva doucement. Tous le regardèrent avec inquiétude, mais seul l’Ancien brisa le silence.

« Nous n’oublierons jamais son courage. Nous chanterons ses… », commença-t-il avant d’être coupé par Panthos.

« A quoi sert de chanter s’il n’est pas là pour les écouter ? », rétorqua-t-il avec amertume. « C’est lui qui chantait, et nous qui suivions. »

« Je comprends ta peine Panthos, mais il f… »

« Non, vous ne comprenez pas !!! », commença-t-il à hurler.
« Kreth et Thresha sont morts, point final ! … Je n’ai plus rien, plus personne. Jamais plus je ne l’entendrais se faire engueuler par les cuisinières pour avoir chipé de quoi grignoter pour les enfants, jamais plus je ne verrais Thresha nouer ses longs cheveux immaculés. Plus de chansons, plus de rires, rien que le silence de leur absence… Plus jamais… », il planta son visage entre ses mains et se mit à sangloter.

L’Ancien ne dit rien.
Bien sûr que sa douleur était différente, mais en tant que chef de clan, voir mourir un par un les membres de sa tribu, qui était comme sa famille, lui faisait autant de peine qu’à n’importe qui d’autre. Les plus jeunes mourraient alors que lui, le plus vieux de tous, tenait encore debout. Si sa mort aurait pu ramener tous les disparus, il aurait échangé sa vie contre la leur sans hésiter. Mais la vie ne fonctionnait pas ainsi… Ether vint s’accrocher aux jambes du Gogyou de feu et les étreignit de toute sa petite force. Celui-ci baissa le regard et s’accroupit pour prendre dans ses bras cette enfant qui n’aurait jamais dû assister à toutes ces choses. Elle s’agrippa à son cou et ils ne prononcèrent plus un mot. Ils restèrent ainsi de longues minutes, comme pour oublier l’espace d’un instant où ils étaient.

Alors qu’ils profitaient chacun de la douceur de l’autre, le groupe entendit des voix se rapprocher.
Leurs poursuivants les avaient retrouvés ! La frontière n’était plus si loin, ils pouvaient s’en sortir tous ensemble ! Mais ils n’étaient pas destinés à tous se retrouver de l’autre côté. Lorsque les sons humains vinrent aux oreilles de Panthos, ceux-ci déclenchèrent un sentiment profondément enfoui au fond de lui, allant à l’encontre des préceptes mêmes de leur tribu ; la vengeance.

« Il ne faut pas traîner, nous avons encore une chance ! »

Hélios s’approcha doucement de sa fille pour prendre la relève.
Avant que l’élémentaire de foudre n’enlève la gamine de ses bras, Panthos lui murmura quelques mots à l’oreille.

« N’oublies jamais tout ce que je t’ai appris, les contes, les dessins, les histoires… Tout. Continues à les faire vivre, apprends, découvre, et peut-être trouveras-tu la vérité. Tu es le vent ma petite Ether, tu ne peux pas vivre éternellement enfermée. L’oiseau en cage rêvera des nuages, saches-le. »

L’enfant ne comprit pas tout de suite ce qu’il voulait dire, mais le découvrit bien assez tôt.
Lorsque l’échange fut fait, Panthos adressa un dernier sourire attendri et désolé à la petite puis lui caressa la joue, avant de soudainement faire volte-face et courir à l’extérieur des bois.

« PANTHOS, NON !!! », hurla Alecto.

« PANTHOS, QU’EST-CE TU FOUS ?!!! », supplia Hélios.

Il ne fit pas demi-tour et continua sa route.
Ses poings devinrent flammes et il se jeta sur le groupe d’ennemis, brûlant tout ce qu’il touchait.
La rage et la colère l’habitait, et pourtant son visage n’était que souffrance. Son cœur saignait de la perte des êtres chers à son âme, et rien ne pourrait venir le réparer, pas même le sourire d’Ether. Dans un dernier élan de détresse, il s’enflamma tout entier, et dans une gerbe de flammes commença à grandir et grandir…

« Oh putain… Il n’est pas sérieux ?!! Il va s’faire exploser, COUREZ !!! »

La petite dans les bras, il traça vers la frontière, l’Ancien à ses côtés. Ether vécut une seconde fois la vision lointaine de la mort d’un ami. Elle se souvient encore aujourd’hui de ce spectacle de flammes dansantes, symbole de la douleur, et de cette explosion qui avait embrasé les paysages environnants, tuant sur le coup tous les ennemis qui les poursuivaient. Si Panthos avait toujours été le plus fort d’entre eux, il était le seul à n’avoir jamais utilisé ses capacités au combat. Conscient que son pouvoir était purement meurtrier, il avait décidé de s’en servir uniquement pour venir en aide aux autres. Le plus intelligent d’entre eux s’était laissé envahir par la colère et l’amertume, et avait cédé à la bestialité propre aux humains. Une leçon était à tirer de cette traversée. Les deux Gogyou adultes restants cessèrent de courir et se retournèrent pour voir la lumière produite par l’explosion s’affaiblir jusqu’à disparaître. Ainsi mourut Panthos à la suite de son jeune frère. Quel gâchis… Quant à Ether, les dernières paroles tournaient encore en boucle dans sa tête. « L’oiseau en cage rêvera des nuages » - « Apprends, découvre, et peut-être trouveras-tu la vérité ». Quelle vérité ? Découvrir quoi ? L’enfant ne mesurait pas encore toute l’importance de ces paroles, mais le temps viendrait où elle serait en âge de saisir la pleine signification de celles-ci. Et alors, elle saurait enfin ce que Panthos avait voulu qu’elle découvre.

C’est sur ces pensées qu’ils traversèrent enfin la frontière et arrivèrent à Ta no kuni.