Les routes seraient sauvages et luxuriantes, les rencontres ponctuelles et surprenantes, les nuits noires et les matins froids. Surtout une fois arrivé à Kaminari, et qu'il aurait pris encore plus d'altitude. Comment savait-il que ce pays était la direction à prendre pour retrouver ses propres traces ? Les visions que lui avaient offert les efforts à encaisser la toxine du Hoheinheim lui parlaient de tendre enfance, de tous premiers jours, de berceau. Le contraste dans la quantité d'oxygène avait trahit l'altitude, et bien sûr il était encerclé de montagne. Ceci avait suffit à l'orienter, mais s'ajoutait la présence d'un quartier plutôt renfermé, d'une majorité de population semblables, et par-dessus tout de scènes qui lui échappaient. Ou plutôt qui s'esquivaient d'elles-mêmes, comme volontairement effacées de la bande d'un film. Impossible de savoir ce que ces laps de temps renfermaient. À force de réflexions il finit par faire le lien avec l'impression de redécouvrir ses parents à chaque fois. Parce que c'était des trous de mémoires. Il en conclut que son amnésie n'avait pas été aussi bien défaite par le traitement. D'ailleurs, ce dernier ne lui avait ramené qu'une partie de sa vie qui pourrai s'avérer la plus insignifiante. Celle que tout être humain oublie en grandissant. Ce fut un drôle de paradoxe, que l'injection toxine/contre-toxine lui ramène cette période là, la plus éloignée et la moins accessible pour le cerveau alors que les faits plus récents et déterminants avaient disparus et restaient à ce stade méconnus.
Se passant les mains sur le haut de son crâne et dans les cheveux, il se rendit encore une fois compte qu'il partait avec très peu d'informations précises. Mais ça lui suffisait, il saurait les utiliser. Une gorgée d'eau vint nettoyer son gosier alors que son regard était toujours porté sur la salle, vague et tourné vers ses réflexions. Quelle était donc la signification de ses trous de mémoires, le lien qui les unissait… Autre gorgée. Le verre était resté posé sur ses lèvres et ses yeux portaient au-dessus du buvant. C'était un clan qu'il devait chercher. Un quartier fermé, un symbole immémorable, des ressemblances physiques et ce parmi toutes les personnes qu'ils redécouvraient à répétition. Même si pour les autres c'était bien moins fréquent, il en gardait la même sensation qu'avec son père et sa mère. Encore aujourd'hui, fixant le fond de l'assiette vide, nette, saucée, il ne gardait que de vagues impressions de toutes ces personnes.
Depuis déjà longtemps il avait compris que ce fut toute sa vie de ninja qui lui avait été effacée. Si celle-ci avait été menée au sein d'un clan, ce ne serait pas étonnant qu'il ne se souvienne pas de sa famille. Allez savoir comment ils avaient réagi à sa disparition… Recherche menées ? Froide résignation quant à une nouvelle perte ? Confiance au retour de la personne ? Et si jamais ils étaient tous dans ce cas là… Jusqu'ici Mikami se disait qu'il fallait qu'il retrouve son ancienne vie pour connaître les conditions de son amnésie et ne cherchait pas à les découvrir. Mais plus il avançait plus il trouvait que les mécanismes de celle-ci étaient étranges. Ces instincts, sa connaissance du monde, de la connaissance pratique la plus précise à la plus globale sur la nature, les comportements des hommes, les grandes lignes de l'histoire. La géographie c'était plus compliquée. Les arts ninjas, c'était zéro. Aucun mot ou pensée ne pouvait être placé dessus. Mais il était sujet à des réflexes d'urgence et des automatismes qui le sortaient in extremis de situations périlleuses. Parfois ses faisceaux de chakra le brûlaient et sa technique capotait.
En tout cas, il avait redécouvert toutes ses techniques de cette manière. Non pas par entraînements conventionnels, mais se poussant à bout, en se déconcentrant, en se laissant aller à ses plus profonds instincts. Retrouvant une étrange sérénité dans le vertige et l'atteinte des limites, un plaisir à être au bout de ses forces et tout donner, une complétude à se décharger d'une masse d'énergie conséquente d'entrée de jeu. Pourtant il se savait frustré. Une frustration qui le ressaisissait à chaque combat, qui lui prenait tout l'arrière plan de ses pensées et stratégies jusqu'au lendemain de la bataille. Un manque d'énergie, un manque de moyen, un manque de compagnie. Mikami serra entre ses doigts et sa paumes le verre vide qu'il faisait jusque là tourner sur le bois de la table. S'il ne le tenait pas par le cul, il se serait sûrement brisé.
Entre-temps des shinobi étaient rentrés. Sans plus les regarder, le jeune rônin tendait l'oreille à leur conversation. C'était ainsi qu'il se tenait informé de la situation des différents pays. Aujourd'hui, il n'avait que faire de ce qu'il pourrait se dire, de si Suna allait se faire attaquer et si la politique du shûkai allait connaître un sacré revirement. Il pensait à ses camarades, à ce qu'il pourrait vivre et les risques auxquels ils pourraient faire face. S'il allait tous les retrouver, si Asuka allait retrouver son frère, dans quels conditions… Une pensée, mais rien de plus. Ses doigts repoussèrent le verre qui glissa sur la table en une dangereuse rotation. Le bouillonnement qui prenait son corps remuait ses tripes et le faisait frémir sur sa chaise. Songeant à ce qu'il pourrait retrouver au pays de la Foudre, l'amnésique ne tenait plus en place. Ce n'était pas une question de mémoire. Ses souvenirs seraient la surprise, un bonus ou un malus selon les circonstances. Non, ce qu'il voulait retrouver, était ce qui lui était cher avant d'être mis dans ce piteux état de manque à chaque fois qu'il était face à l'adversité. Même s'il adorait l'excitation que provoquait chaque surprise au moment où la mort semblait vouloir le prendre, et où son corps se mouvait de lui même, invoquant un oiseau de foudre quasi parfait alors que deux cornes lui transperçaient le bassin.... sentir cette douleur, savoir que l'on y succomberait pas, rester lucide jusqu'au dernier souffle en donnant ce qu'il reste de force… c'était… il se savait lui-même. Poussé volontairement dans les derniers retranchements, presque comme dans un… dans un cocon familial. Maintenant qu'il savait un peu plus précisément ce qu'il cherchait, un clan, un clan qui l'avait rompu aux arts ninjas à l'âge le plus tendre, il pouvait mettre des mots dessus. L'heure n'était pas au sens critique de ces informations, mais à l'aiguillage. Un ninja, combatif, déterminé, sans limite et peu importe lesquelles pouvaient-elles être ; une part de sa force, de sa propre identité, de ses désirs les plus profonds.
Tout ceci il allait chercher à le reprendre et s'en ressaisir de ses pleines mains une fois à Kaminari. Peut-être en voulait-il trop ? Son désir de puissance touchait peut-être la course insatiable et laissait-il la perspective d'un bonheur simple s'en aller ; vivre une vie sans trop d'obligation et de contrainte, d'engagement et de devoir… Peut-être. Mais ce qu'il cherchait, avait déjà fait partie de lui. Pourquoi l'avait-il perdu ? Ce serait une énième surprise, la chantilly recouvrant la cerise sur le gâteau. Un dessert, maintenant ? Les ninjas à deux tables plus loin parlaient de l'alliance, bien sûr avec leur point de vue extérieur ; sûrement fort intéressant. Les mains de Mikami tremblaient. Impossible de se concentrer sur autre chose, il fallait qu'il suive son envie soudaine qui lui secouait toutes les tripes. Une chambre avait déjà été réservée aux étages supérieurs de l'auberge.
Plongeant sa main au hasard des profondeurs de sa poche, il se leva subitement et déposa sans sommation ni plus d'attention les pièces qui restèrent prisonnières de ses doigts. Qu'il y en est plus ou moins que l'addition, peu importe. Il partait. Un signe de la tête à un des serveurs débordé derrière son comptoir et il se revêtit de son chaperon qui se fondait déjà aux couleurs du ciel derrière la fenêtre. Il serra son seul sac à la ceinture et se recouvrit de l'ample capuche alors que les dernières lumières de l'intérieur s'amenuisaient dans son dos. Quand la porte claqua, le shinobi avait déjà disparu dans la nuit noire.