Assis sur le bois de la terrasse, le dos appuyé contre la longue colonne de bois, Yahiro observait dans un calme presque cérémonieux le petit jardin intérieur de cet hôtel bien sympathique, perdu quelque part dans les montagnes de Yu no Kuni, à la frontière du pays du feu. Un de ces endroits paradisiaques, dont le calme religieux était synonyme d'une paix intérieure certaine. Loin de la guerre, loin des conflits, et loin de ses obligations.

Il regarda la petite source chaude personnelle. Il y en avait de plus grande, mais elles étaient publiques. Où tout du moins, il y avait un risque que quelqu'un lui adresse la parole pour lui poser des tas de questions afin de faire connaissance. Et franchement, il n'avait pas envie de faire connaissance avec quelqu'un, pas ce soir en tous les cas. Non, il était fatigué, et la seule chose avec qui il avait envie de flirter en ce moment était une cigarette.

Fouillant dans son Kimono blanc, il trouva son paquet avec une dernière. Il roula des yeux, poussant un soupir de contrariété. Son regard se posa ensuite sur Syl, qui était soigneusement posée sur la table. Elle était proche, et pourtant, il sentait qu'elle était loin de lui. Il ne savait pas l'expliquer, ni dire pourquoi cette sensation si désagréable germait en lui dès que sa belle n'était pas à proximité.

La confusion, l'indécision, la perdition. C'était des sentiments qui lui étaient familiers quand il se sentait seul. Pourtant, quand il sentait cette présence tranchée derrière lui, dans son dos, toutes les vibrations et l'énergie mystique que cette lame dégageait et que lui seul percevait... Alors il n'était plus seul. Il ne doutait plus, il savait quelle était la bonne décision. Quel sentiment étrange...

Il apporta la drogue de malice à sa bouche, et l'alluma avec un simple briquet. Inspirant profondément, il détourna le regard et le plongea dans la légère brume d'eau sortant de la petite source de son jardin. Un moment de calme, un moment paisible dans ce monde de fou. Où peut-être était-ce la folie de ce moment dans un monde totalement normal ? Il se perdait, dans cette réalité. Nul ne le savait, mais elle... Ah, elle, elle savait.

On entra, ouvrant la porte, et brisant ce moment si particulier. La réflexion s'éteignit, et ses yeux se posèrent immédiatement sur la cause de la fin d'un instant si simple, et pourtant merveilleux. Faisant la moue, cigarette en bouche, il libéra le gaz notoire à l'extérieur de la chambre avant de tourner la tête vers celle qui était entrée. Il sentait dans l'air l'odeur de la fumée. Il avait pourtant essayé de ne pas enfumer la pièce en soufflant le produit de son plaisir à l'extérieur. Fais chier. Tant pis.

« Qu'est-ce que tu veux ? »
« Simplement voir comment tu allais. »
« Bien. »

Le ton était sec, coupant, tranchant. Il était irrité. Était-ce un « Bien » certifiant qu'il allait bien, ou simplement une affirmation, une autorisation de satisfaire son désir de savoir son état ? Et merde, ça le faisait encore plus chier. Dans un réflexe de l'instant présent, il prit une nouvelle inspiration, cherchant peut-être naïvement le calme dans cette fumée toxique.

« On en est où avec l'Hayashi ? »
« Disons qu'on y travaille. Les autres sont sur le coup. On l'aura demain ou après-demain. »
« Mhh... »

Un à deux jours. C'était long... L'anxiété monta de nouveau, et il la fit redescendre grâce au même système que son irritation. Décidément, la chose était multifonction. Finissant ce simple plaisir, il se leva en direction de la porte. La jeune femme lui demanda.

« Tu pars quelque part ? »
« Pas loin. »
« Tu veux que je vienne ? »

Il resta silencieux, l'observant. Plongeant ses yeux d'or dans son regard. Il n'en avait aucune idée... Il déplaça son regard vers le Nodaichi posé sur la table. Instinctivement, il s'avança et le récupéra, l'attachant avec une délicate attention dans son dos. La lame fit un petit vrombissement, suivis d'un simple cliquetis, avant de s'éteindre une nouvelle fois peu après qu'il annonça un simple :

« Non, repose-toi. »

A qui parlait-il ? A sa coéquipière, ou à sa bien-aimée ? Il sortit de la chambre, dévalant les couloirs d'un pas assuré, continuant jusque dans la salle de séjour principale. De là, il aperçut cette trentenaire, relativement bien conservée, fumant une clope. Son désir de s'en griller lui revint en pleine face, tout comme sa non-envie de taper la discute. Pendant un court instant, une guerre interne entre deux envies éclata. Deux désirs, deux tentations, deux frustrations. Comment trancher ? La lame vibra, balayant d'un revers de main ses doutes, avant de replonger dans un sommeil imperturbable. Finalement, ce serait l'envie de s'en griller une qui prendrait le dessus.

S'avançant vers elle, il lui fit un large sourire, dévoilant des dents impeccablement blanches malgré ce penchant pour la cigarette. Comment ? Pourquoi ? Il ne le savait pas. Tout ce qu'il savait, c'était que, depuis qu'il avait perdu ses pouvoirs de Dentô et acquis la chose sommeillant au plus profond de lui, sa peau, ses dents, et toutes les couleurs de son corps n'avaient pas changé d'un pouce.

« Puis-je vous prendre une cigarette ? »

Une simple demande. Avec de la chance, elle ne serait pas bavarde. Avec moins de chance, il devrait répondre à ses questions pour rembourser sa dette matérielle.

Aussi surprenant que cela puisse paraître après l’affaire Seitô et cette histoire avec la fille mentalement dérangée, l’Aburame s’était arrêtée une dernière fois à Yu no Kuni à l’une des stations thermales paradisiaques de la région. Elle avait beau être en cavale elle connaissait ses priorités … Non sa véritable raison était que justement on ne s’attendrait pas à ce qu’elle séjourne dans un endroit comme celui-ci. Pour les prix mais également étant donné la situation. Une nuit de détente et elle reprendrait son chemin. Onpu devrait bientôt recevoir sa missive que devait lui apporter Clogs, la chauve-souris qu’elle avait invoquée. L’animal s’était montré utile pour leurs précédents courriers. Il était tout naturel qu’il le soit resté.

Elle le rencontrerait dans deux jours au nord d’Hi. D’ici là elle se devait d’être patiente et se pointer au rendez-vous à la toute fin afin de ne pas compromettre leur réunion … ou du moins son rapport. Continuant à fumer sa cigarette dans la salle principale, elle tourna l’une des pages de son livre qu’elle lisait devant la cheminée. Le Clan des Otori. Un roman passionnant sur une époque qui s’apparentait à la leur plein de samourais, d’honneur, de ninjas et de trahisons mais qui se déroulait dans un monde fictif, le Japon féodal. Ce livre lui faisait regretter le fait qu’elle ne prenait plus le temps pour quoique ce soit récemment. Enfin ce n’était pas vrai. Elle prenait le temps pour errer dans tous les bars de toutes les villes sur son chemin. Un déchet.

Soufflant un petit nuage de fumée, elle remit en place son livre qui avait légèrement glissé alors qu’elle se calait un peu mieux dans son fauteuil. L’aubergiste avait été d’une amabilité rare. Amabilité sûrement motivée par la bourse pleine qu’il avait pu entrapercevoir. Elle était arrivée sans réservation et par malchance la seule chambre qui venait de se vider n’était pas encore nettoyée. Mais bon, ici aussi elle était très bien. Même si se débarrasser de ses vêtements de voyage et prendre un bon bain dans sa propre petite source thermale sonnait tout aussi alléchant. Yu no Kuni. Un pays merveilleux. Mais elle avait bien peur d’en garder des souvenirs assez … désagréables.

Levant les yeux rapidement en direction de l’étranger qui venait d’entrer, elle rabaissa légèrement son livre quand il s’adressa à elle. Qu’espérait-il ? Que les cigarettes étaient gratuites ? Eh bien non. Mais bon … Elle en avait suffisamment. Et en toute honnêteté le fait de croiser un inconnu normal qui ne brûlait pas des villages devant elle pour prier un dieu mort … Cela la changeait. Il voulait juste une cigarette, pas lui prendre sa vie.

Hmmm ? … Bien sûr.

Tenant son livre et sa cigarette de la main gauche, elle chercha le paquet de la droite avant de le lui tendre. Un enchaînement bien insignifiant et totalement banal mais elle ne s’apercevait pas encore du plaisir que c’était que d’avoir deux mains. Rangeant le paquet alors qu’il s’était servi, Miko replongea dans son livre, cherchant des yeux la ligne où elle s’était arrêtée.

Belle épée au passage.

Plus fort qu’elle. Une petite remarque comme à son habitude. Quoique pour une fois il s’agissait d’un compliment. Elle avait entraperçu le pommeau de l’épée certes mais surtout ce qui en émanait. C’était à cause d’elle qu’elle avait levé les yeux à son entrée. Deux présences si proches l’une de l’autre mais non rien d’étrange ou presque. Rien qu’un homme et son épée. Un sabreur ? Grand bien lui fasse. À chacun son passé, sa vie et ses histoires.

Alors... Allais-je avoir de la chance ou non ? C'était là toute la question. J'observais la trentenaire précédemment plongée dans un livre, mais qui accepta ma demande avant de me tendre le paquet. Je me servais ensuite d'une cigarette après avoir reçu sa bénédiction... Car oui, c'était une bénédiction de pouvoir avoir quelqu'un de fumeur dans un endroit aussi reculé de la civilisation.

« Merci. »

Le ton que je prenais était un mélange se situant entre gratitude et accomplissement d'une nécessité quasi-absolue. Où peut-être était-ce la gratitude qu'elle m'offre le moyen d'accomplir ce désir, cette nécessité ? Je l'ignorai, et je me foutais bien de la réponse. Je ressentais un sentiment de gratitude, c'était l'important, non ? Enfin, c'était l'important et en même temps ce qui me gênait.

Car qui dit gratitude, dit présence d'un sentiment parasite menant irrémédiablement à l'accomplissement d'un acte de la volonté d'autrui afin de se détacher de ce fardeau. Et alors que celui-ci est, en apparence, un acte altruiste... Il s'agit, en vérité, de l'acte le plus égoïste et calculateur qu'il soit. « Faire quelque chose pour un autre dans le but d'atteindre un objectif précis ... » n'était-ce pas là, la définition même de l'égoïsme ? Et dire qu'il fallait croire que notre société, en sa globalité, fonctionnait par ce système, avec une pincée d'ignorances. Au fond, tout le monde le savait, mais personne ne souhaitait le voir. C'était juste pitoyable.

Récupérant mon briquet dans ma poche, j'allumais la cigarette tout en regardant l'horizon extérieur. La remarque de la Trentenaire sur ma Douce me fit tilt... Libérant le nuage toxique dans les airs, je pouvais sentir les doux ronronnements de la lame dans mon dos. Puis, j'inspirai une nouvelle fois avant de lui répondre.

« Une fidèle amie... Bien plus que la plupart des Hommes. »

Et je parlais des Hommes avec un grand H. Car que ce soit les sexes Masculins ou Féminin, cela revenait au même. Au fond, ce n'était qu'une question d'espèce. Mais je me risquais tout de même a avancer ma main avant de lancer un.

« Mitsumori Yahiro, Simple Mercenaire. Enchantée. »

Une simple présentation, rien de plus. Elle m'avait offert une cigarette, n'avait-elle pas le droit de connaître mon identité ? Simple question de bon sens...

« Qu'est-ce qui vous amènes dans cette station thermale, vous ? »

De quoi faire la discussion... Non pas que j'avais envie de lui parler, simplement, elle m'avait l'air sympathique.