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Le temps n'avait désormais plus d'emprises sur moi. La vie également. J'étais là, au milieu des ombres chancelantes, dans ce monde devenu fade ou tout n'était plus que gris et ombres. J'étais seule, terriblement seule. Pourtant je n'avais pas peur. Je me contentai simplement d'attendre, comme toutes ces innombrables âmes errantes autour de moi. Je n'étais pas si différente d'elles. L'espace se tordait autour de nous. L'univers, distillé, perdait de sa constance comme de sa raison. Ici, il n'y avait ni commencement, ni fin, seule la constante agonie de l'éternité. La mort demeurait toujours un concept abstrait car, d'une certaine façon, nous étions toujours là. A penser, à rêver, mais surtout à se souvenir de nos bonheurs et nos tourments, de nos joies et nos peines passé. Il était davantage question de non-vie que de trépas, car nous n'existions plus vraiment.

La solitude m'habitait. Les démons impies, esprits jadis valeureux, désormais tourmenté, tentaient de m'assaillir de toute par, de prendre possession de mon être, pour consumer le peu d'essence qui restait de moi. Mais il n'y arrivait pas, parce que je ne les laissé pas faire. Je savais que si je flanchai, que je me laissai dévorer, alors je deviendrai comme eux et toute espoir serait définitivement perdu.

Pour beaucoup de ceux d'ici, j'étais une étrangeté, une intrus qui n'avait pas totalement sa place dans les limbes. Je n'étais pas complète, seulement une partie de mon âme si trouvait tandis que l'autre demeurait quelque part dans le monde des vivants. Durant un instant, j'avais même cru redevenir moi-même. Apercevant son visage, tentant de prononcer son nom avant de me faire à nouveau happer par les ombres. Et ce pernicieux état de non-existence reprenait. L'ironie était présente, car même dans la mort je demeurais toujours à Suna. Cependant, les cauchemars peuplaient désormais ses murs et je n'y avais plus accès. Alors j'avais été obligé de m'exiler au loin, fuyant au sommet de la muraille qui définissait l'entrée de la Voix Illusionnée. Cette dernière portait plus que jamais son nom. Alors je contemplais le lointain horizon dépourvu de soleil, là où brûlait d'infinies nuances gris.

Soudainement, sans que je comprenne pourquoi, le temps semblant retrouver son cours. Comme si un goutte d'eau venait briser la surface placide d'un étang, en créant une onde qui se répandait de part en part. Les esprits sombres se mirent aux aguets, plus agressif que jamais face à cette intrusion. Nous pouvions tous le sentir, la venue de cet étranger qui à elle seule suffisait à perturber l'équilibre spectral de cette dimension. Puis quelque chose se passa. Mon âme, mon état, qui n'était jusqu'alors qu'un feu follet se modela pour me permettre de retrouver mon apparence datant. Toujours fantomatique, je m'aperçue que je n'étais qu'une moitié de moi-même. Fendue à la vertical, l'autre partie de mon corps conservait un état vaporeux.

Jusqu'alors face à l'horizon, je me retournai vers l’intrus. Sa venue ne m'étonnait guère. Il se tenait désormais devant moi. Je n'aurais su dire si sa présence était de bonne augure ou non, mais je m'en moquai. Plus rien n'avait d'importances à mes yeux, moi la première. D'ordinaire, j'avais toujours portée en horreur tout précepte et art occulte lié à la mort. Tel était toujours le cas. Cependant, je ne pouvais nier éprouver une certaine fascination à l'égard de ce qui se produisait quand cet homme transcendait les fondements même de la réalité pour rejoindre, en tant que vivant, le monde des morts.

-Vous revoilà Ojiisan. Je ne pensais pas que vous prendriez encore la peine de me rendre visite.

Aarakoa Aare, le Trompe-Mort. Malgré tout ce qu'il avait pus me raconter sur son passé, cet homme demeurait toujours une énigme. Je ne savais pas si cela était du à ma nouvelle condition ou à sa soudaine apparition, mais je le voyais comme autre-fois. Autrement dit, comme celui qu'il était réellement. A savoir un vieil homme à la barbe grisonnante. Cette apparence lui convenait davantage d'autant plus, qu'à son égard, je n'éprouvai plus aucune haine. Sa présence me permit cependant de me souvenir que j'avais existé autrefois. Comme ici le temps n'avait plus aucune emprise, j'ignorai quelle période s'était écoulée depuis mon trépas.

-Rei... Êtes-vous parvenu à l'arrêter?

Par deux fois il avait tenté de détruire Suna. Par deux fois le Nidaime s'était opposé à lui. Peu importait les raisons qui l'avait poussé à agir, que ce soit par égoïsme ou par altruisme, il avait risqué sa vie pour sauver le village et cela, même dans la mort, je ne l'oubliai pas. Pas plus que je ne pourrais oublier ce qu'il avait fait à Yami. Néanmoins, malgré mes efforts pour conserver mon individualité, tout ceci ne cessait de me paraître de plus en plus lointain.

-Puisque vous êtes-ici. Sauriez-vous me dire ce qu'il est en train de m'arriver et ce qu'il va se passer ensuite ?

Je faisais référence à cette partie de mon corps qui ne semblait pas exister dans ce monde. Car je n'étais pas complète. Même ici je n'avais pas l'impression d'être à ma place... Les mauvais esprits quant à eux tournaient autour de nous, attirés par la présence de Celui-Qui-Déjouai-La-Mort, mais ils n'osaient pas approcher davantage. Peut-être par peur, car à lui seule, il était en mesure d'inverser le cycle de la roue. Il était le tourmenteur des esprits tourmentés.

J'étais présent lorsque la vie s'arracha de son visage. J'étais présent quand la mort vint tendre ses bras à son corps. Il fut tout naturel pour moi de lui rendre visite. Quant bien même notre dernière rencontre ne se termina pas dans une condition heureuse. J'avais découvert qu'elle était habitée par quelque chose à cette occasion. Enfin, me voilà dans le monde des morts, face à une Oniri spectrale ou du moins à moitié. Son âme était fendue en deux. Je n'avais aucun doute, c'était fortement liée à la créature qui peuplait son corps. Elle s'exclama lorsqu'elle me vit et j'affichais un sourire lorsque j'entendis ses propos. Je m'asseyais en tailleur face à elle avant de répondre.


« Pourquoi ? Vous êtes fâchée après moi, je ne le suis pas envers vous. Ce monde vous plaît-il ? Tout ce que l'on peut dire c'est qu'il est incroyablement monotone. Enfin de mon point de vue. »


Elle me parla ensuite de Kyoshi Rei, l'homme qui l'avait conduit à sa perte, elle souhaitait savoir si nous étions parvenu à l'arrêter. Une fois de plus je me mis à sourire. Toujours à se préoccuper de son village, même dans la mort. Une Sunajin jusqu'au bout des ongles, jusqu'au fond de son être. Je lui apportais donc la réponse tant désirée.


« Oui, on l'a arrêté, mais c'était un faux, le véritable Rei était le premier. Mais la définitive est qu'il a perdu. Il est mort. Et à vrai dire je ne peux dire pourquoi, mais je ne ressens aucun soulagement. Peut-être que comme vous le disiez lors de notre précédente discussion, je perds petit à petit, morceau par morceau, ce qu'il reste de mon humanité. Peut-être serais-je le prochain Rei.»


Un silence s'installa, ces paroles n'étaient pas forcément les meilleurs mots que je pouvais dire dans cet instant. Ce silence fut brisé par une nouvelle question de la jeune femme. Ce qui était en train de lui arriver ? Elle l'ignorait vraiment n'est-ce pas ? Je n'avais aucune obligation de lui expliquer, mais rien ne m'obligeait à l'inverse non plus. Je lui présentais donc la chose simplement.


« Votre âme est divisé, une partie de vous vie encore et celle se trouvant ici ne tardera pas à la rejoindre. En somme vous êtes en train de ressusciter petit à petit. Si je devais résumer votre condition en un mot. Vous êtes ou du moins une partie de vous est un démon. Vous serez sans doute détesté par une bonne partie du village à votre retour à cause de vos pouvoirs. Mais vous avez un avantage que je n'ai jamais eu. Vous possédez un proche dans la même condition que vous. Peut-être cela vous empêchera-t-il de finir comme moi ? »


Un instant de pause avant de reprendre de manière très simple. J'allais lui parler de cet être proche dans la même condition qu'elle, Ketsueki Yami.


« J'ai eu vent que vous étiez venu libérer la jeune Yami du Genjutsu que je lui avais lancé. Je ne dirais pas que je regrette ce que j'ai fais. Il me paraît juste de blesser quelqu'un qui vous blesse. Et elle est parvenue à faire une entaille si profonde dans mon âme qu'à l'instant précis où c'est arrivé, le talion était la seule chose que je pouvais reconnaître. C'est votre amie et un jour il ne fait aucun doute que je m'exposerai à vos vengeances. Mais cela m'importe peu au final. Après cet incident, deux choix subsistaient, changer de corps et me cacher, ou simplement partir. J'ai préféré la seconde solution. Mon âme servira à jamais Kaze no Kuni, mais je n'y mettrais plus les pieds pendant un temps. Je suis en route pour Yu no Kuni à cet instant même, je médite sur un rocher pour tout dire, passionnant non ? »


Quelques points avaient été tiré au clair. Elle ne comprendrait peut-être pas mon geste, mais ça, encore une fois, ce n'était pas réellement important.

-Je trouve ce monde étrange, mais j'estime celui des vivants l'être tout autant si ce n'est plus. Pour preuve, vous en faites parti.

Ce n'était pas tellement un reproche, ni un compliment. En soit, le Nidaime incarnait une de ces curiosités qui se détachait du cercle même de l'existence.

Je l'imitai en venant m'asseoir en tailleur juste en face de lui. Les esprits maléfiques s'agitaient dans un ballet macabre au point d'en former un dôme autour de nous. A croire que les morts ne demeuraient que pour consumer la vie. Hors il leur était impossible d'approcher davantage. L'aura qui se dégageait d'Aare suffisait à les repousser. Cela m'arrangeait, car ainsi, je pouvais aviser cette conversation comme un temps de répit avant que ne reprenne ma lutte perpétuelle contre ces cauchemars désincarnés.

Il m'expliqua alors ne pas être touché par la mort de Rei. Que cela ne lui apportait aucun soulagement avant de finalement se comparer à lui.

-Alors les shinobis de Suna seront là pour vous arrêter. Mais vous le savez sans doute déjà.

Même si ma mort avait été vaine, je me confortai dans l'idée que mon village était en sécurité entre les mains de ce que j'aimais. Rei avait échoué dans sa tentative pernicieuse et il en serait de même pour tous ceux qui attenteraient à Kaze dans l'avenir.

Moi qui craignait de finir par irrémédiablement sombrer dans l'oubli des limbes je ne pus que m'étonner des propos que le vieil homme vint tenir à mon encontre. Je le regardai, étonnée, me demandant s'il n'était pas simplement en train de se moquer de moi.

Alors je me posai cette question, à savoir si j'étais réellement morte ce jour là. Mon âme n'avait jamais été complète, il m'avait semblé apercevoir Kioshi l'espace d'un instant lors d'un songe éveillé et les âmes errantes de la dimension spectrale ne m'avaient jamais reconnu comme l'une des leur.

Et puis il y avait cet étrange état lié à ma condition démoniaque. Celle là même qui avait suscité tant de remise en question.

-Comment cela est-il possible? Comment cette chose a-t-elle put se retrouver en moi? S'agit-il d'une bénédiction ou d'une malédiction?

Il me parla une fois de plus de Yami. Cette fois-ci je restai sereine. Je baissai le regarde, arborant un maigre sourire en repensant à elle.

-Vous vous trompez. Je ne chercherai pas à me venger de vous, mais jamais je ne vous pardonnerai. Simplement, ne revenez plus à Kaze. Vous n'y avez plus votre place.

Mes mots étaient durs, mais le ton de ma voix était calme, dépourvu de toute forme d'animosité.

-C'est étrange. A vous entendre j'ai presque l'impression que vous êtes jaloux de moi. Que vous aussi, vous auriez aimé avoir quelqu'un pour vous comprendre et vous soutenir dans votre condition.

Je marquai une pause. Nul doute qu'il chercherait sûrement à démentir mes propos. Moi-même je n'étais pas certaine de ce que je disais, mais cela m'étonnait de le voir agir ainsi. Alors je repensai à la conversation que nous avions eux autrefois.

-L'immortalité ne fera pas de vous un monstre. Au contraire, ceci dépendra de ce que vous ferez d'elle... Dis-je avec toujours autant de sérénité.

Tel était ce que je craignais depuis le départ. Ce qui m'inspirait tant de méfiance et de crainte à son égard. Parce qu'il se perdait dans son propre pouvoir. Il n'y aurait plus que les autres pour l'arrêter.