- Ça ne me dit rien.

Maître Yi (comme il souhaitait qu'on l'appelle, whatever) avait donné le nom de la soi-disant légende que je devais retrouver. Et, comme je l'avais exprimé, il ne me disait strictement rien. Si bien que je remettais clairement en cause la pertinence de ses propos.

Le concerné se contentait de sourire, et de répondre avec une infinie patience.

- Car son ombre ne s'est pas profilée en dehors des Pays Mineurs, petite fille. Mais crois-moi, ce nom a éclaboussé l'histoire de sang.

Je tiquais à petite fille. Il prenait un peu trop ses aises avec moi, alors que notre relation n'était que professionnelle. Certes, nous appartenions tous deux au Clan, à la même branche divergente. Mais je ne le connaissais pas, ne souhaitais pas faire plus ample connaissance avec sa personne, et espérais pouvoir rapidement vaquer à de plus passionnantes et prolifiques activités bientôt.

- Sans doute.

Je n'avais pas l'air très convaincue. Quelqu'un dont la renommée ne dépasse pas les pays de merde ne pouvait pas être quelqu'un d'important, ou de dangereux. Ce qui était blessant pour moi, vu que justement, ma renommée dépassait à peine Ame ... Quoi que, le Shûkai me tenait en haute estime, c'était différent. L'ironie de la chose dessina un sourire sinistre sur mes lèvres, alors que le vétéran continuait.

- Va à Shimo. Tu verras. Et tu comprendras.

Il n'y avait rien de plus à dire, il semblait. Je soupire, de façon dédaigneuse. Niveau vague, il n'y avait pas mieux, merci. Mais que cherchait-il au juste ? Me donner une leçon ? J'étais trop vieille pour ça. Je quittais l'auberge, agacée. Quoi que je trouve là bas, il l'avait déjà trouvé. Quoi que j'apprenne, il en avait déjà connaissance. Il ... me teste, j'ai bien l'impression. Et bien que la méthode ne me plaise pas, je n'allais pas me défiler. Une n'a pas peur de relever les défis qu'on lui présente, après tout.

Quelques jours de voyage, c'est ce qu'il me fallait pour atteindre la Contrée du Givre. Un pays très merdique, comme on pouvait le suspecter au simple nom. Il faisait encore froid, le dégel n'avait pas encore eu lieu en début de printemps. Peu de fermes, et les quelques gens qu'on croisait avaient l'air famélique. Beaucoup de marécages, pullulant sans nul doute de plein de bêtes odieuses.

C'était un pays odieux, si on devait le résumer.

Mais je me mettais à l'oeuvre. Tout d'abord, en cherchant de façon passive des informations sur cette soi-disant légende. J'essayais de connaître les événements d'envergure qu'il y avait eu. Des armées Kumojins s'engouffrant plus à l'intérieur des terres. Des brigands ayant fait main basse sur l'unique source de revenues du pays, la mine d'argent. Une famine. De plus en plus d'implication dans les affaires du Givre de la part du clan Kinzoku, discret jusque là.

Et plus important, une guerre civile. Mais des détails sur celle-ci ? Trop peu. Pas assez pour me faire une image de la chose. Mais quelque chose me disait que mon sinistre individu devait être impliquée là-dedans ... Que faire, alors ? Je répugnais à aller directement sur les lieux, pour trouver l'information. J'avais normalement des petits oiseaux me chuchotant tout ce que j'avais besoin de savoir ... Mais ils n'allaient pas aussi loin. Ils ne venaient pas jusqu'ici.

Je grinçais des dents.

Je déteste faire le travail moi-même, tss.

Touketsu se considère comme la capitale de Shimu, mais moi, je la considère juste comme une immense porcherie, avec ses allées mal entretenues et puant l'immondice. L'odeur m'était trop familière, souvenirs d'une époque passée revenant en tête, et je me jurais de passer des heures durant dans un bain et d'ensuite m'inonder de parfum. Qu'importe. Je n'étais pas là pour le tourisme, oh ça nan.

La guerre civile. Neuf-Sanglant. C'était pour ça que j'étais là. Pour ça que je m'engouffrais dans cette auberge, en tentant de me rendre aussi discrète que possible (ce qui est difficile quand on a les tifs verts, c'était quoi cette idée à la con qui m'est passée par la tête ?!). Je suis à l'intérieur, je jette un rapide coup d’œil. Peu de gens, des habitués buvant un verre à une table, un couple d'artisans, pas des prospères, et ... Un adolescent, adossé, contre le mur du fond, jetant des regards sévères à tout le monde.

Qu'est-ce qu'on peut être con à son âge.

Je me désintéresse de tous ces gens, m'accoude au comptoir alors que l'aubergiste, chauve et à la tête plate, l'air malin qu'ont tous les représentants de sa profession, s'approche de moi.

- Je peux vous servir quelque chose, mademoiselle ?

- Un verre de lait, merci.

Il acquiesça, et me servait dans un verre à la propreté douteuse un liquide blanchâtre qui ressemblait à peine à du lait. Et qui avait à peine le goût de lait, après avoir trempé mes lèvres dedans. Néanmoins, comme je m'y attendais, le chauve engageait la conversation.

- Sauf votre respect, mademoiselle, on a pas l'habitude de voir beaucoup d'étrangers - à part l'éventuelle brigade de Kaminari de passage. Vous venez faire quoi dans le coin ?

Haussement d'épaule, alors que je glisse une pièce sur le comptoir.

- Oh, trois fois rien ... Je cherche juste à m'informer sur quelques broutilles ...

Il m'adressa un sourire entendu, alors qu'il s'occupait de faire disparaître rapidement le butin.

- Vous êtes au bon endroit alors.

J'acquiesce, tout simplement.

- C'est bien ce que je pensais. Que pouvez-vous me dire au sujet du Neuf-Sanglant ?

Là, j'ai eu l'impression de lui avoir donné un coup de fouet. La surprise mêlée d'un brin de peur s'est lue sur son visage, avant qu'il se recompose un masque impassible. Interdit. Là, je me rends compte que tout le monde nous écoutait. Que tout le monde brûle mon dos de son regard. Et sur un ton bien plus froid, voilà ce qu'on m'annonçait.

- Mademoiselle, nous allons fermer.

Froncement de sourcils.

- Mais il n'est que seize heures !

- C'est bien ce que je dis, on ferme.

- Je n'ai pas fini ma boisson.

- Vous pouvez l'emporter avec vous.

Je regarde autour de moi. Plus aucun visage amical. Quelque chose me dit que je viens de sortir un sujet tabou, et que si je tenais à faire de vieux os, il valait mieux partir comme on m'invitait à le faire.

- Oh, je comprends. Un homme comme vous, avec tant de responsabilités, doit être pressé.

- Ouais.

J'étais sortie, et on avait claqué la porte derrière moi, comme ça. Quelque chose était définitivement wrong. Qui qu'était ce Neuf-Sanglant, ces gens ne voulaient pas en entendre parler. Et ce que j'allais découvrir ? C'est que ces gens là n'étaient pas une exception. La simple mention de ce nom me fermait toutes les portes, tournaient les faciès amicaux en d'autres hostiles. Certains baissaient la tête et bredouillaient des excuses quelconques pour s'évader. D'autres m'ordonnaient de partir sur le champ. Les mères éloignaient leurs enfants, et on finissait par me fixer d'un regard mauvais.

Something is really wrong and it's getting awful.

Et cette voix, qui m'interpelle alors que je me balade dans une avenue déserte, n'annonçait rien de bon.

- Toi, l'étrangère.

Je me retourne, pour surprendre un visage que j'ai aperçu à l'auberge. L'ado' en pleine crise, avec ses regards m'as-tu-vu histoire de se la péter. C'est lui qui a eu les couilles pour venir me voir, et quelque chose me disait que la conversation serait loin d'être agréable.

- Pardon ?

Je battais des cils, l'innocence même.

- Tu sais très bien pourquoi j'suis là.

- Non.

Après tout, quand quelqu'un s'attende à ce que tu mentes, pourquoi le décevoir en disant la vérité ?

- Tu fous le bordel avec tes questions, quitte la ville avant la tombée de la nuit sinon ...

Je haussais un sourcil, en croisant mes bras sous ma poitrine, insolente.

- Sinon quoi ?

Il allait répondre quelque chose, mais une voix enrouée l'a fait à sa place.

- Sinon je vais te foutre une fessée, freluquet.

Oh ? On se retourne, de concert, pour apercevoir une vieille femme telle qu'on se l'imaginerait, avec des tifs blancs coupés courts, une paire de petites lunettes, assise sur un fauteuil à balance. Elle nous regardait comme si nous étions ce qui était de plus palpitant à des kilomètres à la ronde. Ce qui n'a pas dû échapper à l'ado', qui lui répond avec toute la violence que son petits corps peut contenir.

- Retournez à vos affaires, grand-mère ! Ça ne vous concerne pas !

Elle éclate de rire, avant de répliquer amusée.

- Bien sûr que ça me concerne, gamin. Je ne vais pas laisser un p'tit con comme toi agresser une jeune fille sans bouger le petit doigt. Tu veux pas que ta mère soit au courant, pas vrai ?

Là, si il avait eu une réplique cinglante à placer, elle s'était envolée. Ce qui dessina un sourire en coin sur mes lèvres, sourire qui ne lui échappait pas.

- Ouais bah rigole pas, si j'te croise encore par ici ... Ça va mal se passer.

- Mes amitiés à votre mère.

Il crachait au sol, avant de s'éloigner, furibond. Je me retournais alors vers ma sauveuse bien malgré moi, m'approchant du porche de ce qui devait être son habitation, alors que je disais sur un ton léger.

- J'aurai pu me débrouiller toute seule, madame.

- C'est bien pour ça que je suis intervenue, je ne le connais que trop bien ce regard.

Haussement d'épaule.

- En effet, et peut-être pourriez-vous me renseigner, vous ..?

- Aye, aye. Je le peux. Je sais ce que tu es venue chercher, les rumeurs courent vite.

Au moins, mon interlocutrice semblait plus ouverte que les autres habitants de ce bled. Ce qui était rassurant, je commençais sérieusement à perdre patience et j'étais à deux doigts de recourir à la torture et à d'autres procédés tout aussi ignobles afin d'obtenir les putains d'informations que j'étais venue chercher. Mais cela aurait été fâcheux, je ne dispose pas encore d'une réputation détestable ici, autant ne pas tout gâcher.

Aussi tôt, tout du moins.

- Pourquoi tout le monde a si peur de ce nom ?

Un rire sans joie s'échappait de sa bouche édentée.

- Ce n'est pas du nom qu'ils ont peur, c'est de celui qui l'a empreint de tant d'horreurs. Et ils font bien.

- Racontez-moi tout, je vous prie.

- C'est une longue histoire.

Je souriais, alors que je m'appuyais contre la rambarde, face à elle.

- J'ai toujours aimé les histoires.

Elle soupira, modifia sa position sur son fauteuil, avant d'introduire la chose ...

- Depuis l'aube des temps, les samouraïs s'assuraient de la protection du Daimyo, et de celle du peuple. Mais c'était appelé à changer. L'ère des Samouraïs était sur la fin, alors que celle des Shinobis ne faisait que débuter. Le vénérable Dosan mourait dans la fleur de l'âge, et laissait le trône à son aîné, Akeno, un jeune homme beau et charmant, mais terriblement vain. Il était libéral, il voulait le progrès pour le progrès. Du jour au lendemain, il a cessé de prendre conseil auprès des vétérans. L'on voyait plus de shinobis itinérants dans les rangs de l'armée. Jusqu'à ce qu'il décide, sur un coup de tête, de limoger ces Samouraïs qui avaient dévoué leur vie à la protection du pays.

Certains, la majorité, s'en était retournée à Tetsu, amère. Mais certains étaient restés. On avait trahis leur confiance, leur serment, et ils allaient le faire payer.

Elle prit une pause, sombre, avant de poursuivre.

- Le freluquet ne les a pas pris au sérieux. Il les a considérés comme de vulgaires brigands, ce qu'ils n'étaient pas. Le peuple les a soutenu, car il sait qu'ils se sont toujours montrés justes et bons envers lui, et en quelques mois, la guerre civile était proclamée.

Elle cracha du flegme, avant de continuer, tristement.

- Une sombre, très sombre époque. Des années sanglantes pendant lesquelles le frère tuait la soeur, où le père poignardait le fils. C'est dans ces moments là qu'on voit à quel point l'Homme est inhumain, que les actes les plus gratuits et haineux sont perpétrés au nom de torts réels ou imaginaires ...

Son regard se perdait dans le néant.

- La guerre ne tourna pas à l'avantage du Daimyo, loin de là. Ses coffres se vidaient, et même ses mercenaires commençaient à changer de camp. De façon précipitée, il chercha à arranger une trêve. Les Samouraïs n'en avaient que faire, et poussèrent leur avantage. Assiégé, finalement il capitulait. On réhabiliterait les protecteurs du pays, pour aujourd'hui et pour la fin des temps. Tout le monde se réjouissait, tout allait redevenir comme avant !

Sauf que certaines personnes ne se satisfont que de feu et de sang.

Elle soupira, longuement.

- Le Neuf-Sanglant s'est invité lors des négociations de paix. Il n'avait, alors, aucune renommée ni réputation, c'était un simple soldat parmi tant d'autres. Ce qui ne l'empêcha pas d'exécuter chaque homme et femme se trouvant sur les lieux, avant de se proclamer lui-même Daimyo. Tous les hommes et femmes justes se sont alors ligués pour le renverser, mais c'était un ennemi différent auquel nous faisions face. Feu Daimyo et ses mercenaires, ainsi que les Samouraïs, n'étaient pas des partisans de la violence gratuite. Lui, si. Il tuait pour son bon plaisir, et nul ne lui échappait. Et ceux qui restaient en vie ? Leur sort était encore moins enviable.

Il se faisait une réputation terrifiante en quelques mois. Son nom n'était plus que chuchoté avec crainte dans les tavernes, les gens préféraient abandonner leurs hameaux et périr dans le froid plutôt que d'affronter sa venue. On disait qu'il était possédé, et qu'il se repaissait du sang de ses victimes.

Un frisson parcourait le corps frêle de l'ancienne, et il fallait quelques longues secondes avant qu'elle ne continue.

- Mais un tel individu n'était pas appelé à vivre vieux. C'était il y a sept ans. La première implication du clan Kinzoku dans les affaires du pays. Ils sont descendus de leur Mont, les armes au poing, et ont mis fin une bonne fois pour toute à la Rébellion. Un Daimyo légitime a été mis sur le trône, mais les Samouraïs, en disgrâce, quittèrent le pays définitivement. Voilà le fin mot de cette histoire.

Elle soupira, et parut soudain bien plus vieille. Bien plus triste.

- Mais tu sais, quand on vit autant de temps que moi, on finit par tout voir. Des jours radieux, et des nuits d'encre. J'ai survécu à plusieurs famines, à des invasions de brigands et mercenaires sans maîtres, et même à deux incendies qui ont dévasté cette cité jusqu'à ses fondations. Et pourtant, jamais notre futur n'a semblé plus sombre qu'en ces années là.

Je devinais des pertes. Une fille, un fils sûrement. Mais ça ne m'intéressait pas plus que ça. Je n'étais pas là pour faire dans le bénévolat, oh ça nan. J'étais venue pour découvrir ce qui se tramait.

- Mais qu'est-il arrivé au Neuf-Sanglant ?

La réponse tarda, tellement que je pensais qu'elle s'était endormie.

- On dit qu'il a été abattu lors d'un duel dantesque par Kinzoku Aki, Première Lame du Givre. Vous devriez aller au Palais, c'est là qu'il réside désormais ...