Les galets de la rivière gardent le pâle éclat de toujours, je trouve ça assez magique. Malgré le temps, ces pierres sans intérêts de prime abord ne cessent jamais d'être ce qu'elles ont toujours été. Si on transposait ça à l'humanité, ce monde serait il pire ou meilleur? Honnêtement, je n'en ai aucune idée. Et le temps m'est compté car on m'a appelé pour remettre les documents de ma garde d'hier soir aux grandes portes. Je soulève donc ma carcasse et remet ma tête rêveuse en place histoire de ne pas divaguer durant la remise des papiers. Question de bon sens, j'ai une image à entretenir, garçon sérieux et efficace. Il fait gris aujourd'hui, une journée fraîche pour un printemps, les gens sont pour la plupart restés chez eux, alors je déambule seul les grandes avenues du village jusqu'au quartier spécialisé, c'est dans ce quartier qu'on trouve le palais du hokage, les secrétariats de tout type et même les bâtiments d'enquête, ajoutons à cela le Q.G Anbu qui doit bien trouver sa place dans la zone et vous obtenez ma destination.
Pendant mon trajet, je fredonne un air de musique calme. Lorsque je passe devant certaines fenêtres, je prends le temps d'observer les détails de mon visage et de ma coiffure. Je ne suis pas très mégalomane, ni narcissique mais le monde veut qu'on se préoccupe davantage de ce qu'autrui pensera de nous que du regard que nous avons tout d'abord sur nous même. Ce sont des débats poussés que je n'aurai pas le temps d'entamer, encore moins dans les quartiers scientifiques si j'y passe, selon les ordres.
Une fois au secrétariat général, une blonde m'accueille, plus jeune et plus pulpeuse que l'ancienne occupante de la place. Je lui adresse un sourire naïf et lui donne les papiers, elle sourit à pleine dent mais plus par niaiserie que par hypocrisie pur, pauvre fille, son profil doit lui attribuer une proportion assez élevé à se faire jeter après une nuit par des Hommes. Je n'ai pas le temps de penser davantage sur la vie qu'elle doit mener que j'entends un capitaine pester après ses hommes.
-Quoi?! Bande d'incapables! Qui a oublié de me convoquer un spécialiste en Genjutsu! Et vous savez comment ils vont gueuler là haut les boutonneux du secteur B!
Le secteur B, hum, c'est un laboratoire assez poussé. Et comme le rappelle par ses hurlements ce capitaine barbu et trapu ils n'aiment pas les imprévus. C'est bien les mathématiciens ça, l'imprévu ne rentre pas en compte, jamais. On analyse et on fait avec un schéma précis. Quoiqu'il en soit, je n'ai rien à perdre et absolument aucun boulot à rattraper à la maison. -Je peux le faire, ou essayer de dépanner. Je suis Ôzai Akira, spécialiste en genjutsu.
Il me dévisage et s'apprête à me renvoyer quand sa raison semble lui revenir, après tout je suis leur seule chance de réussir aux yeux du secteur des intellos. Il grogne dans sa barbe et me fait signe de prendre l'escalier à sa gauche marqué sur le mur d'un grand B noir.
Une fois arrivée, je repère un peu les lieux m’imprégnant de ce savoir nouveau au sujet du secteur B. Il y a pas mal d'Hommes en blouse, autant d'ordinateurs et un grand couloir délimite plusieurs salles fermées par des portes.
Un homme en habit noir assez large se présente, il a une certaine prestance et une taille qui lui approprie un semblant de charme. Ses yeux couleur dorées m'interpellent dabord mais je garde le visage masqué d'un regard neutre et d'une figure crispée mais plus naturelle qu'autre chose. La neutralité plaît souvent aux scientifiques, alors je m'adapte, comme toujours. Son visage est assez fourbe dans l'ensemble, en tout cas c'est l'impression qu'il procure.
Je ne sais absolument pas ce que je dois faire, mais l'aventure ne me fait pas peur. Je suis volontaire non pas fautif, et je suis excellent non pas médiocre.
-Bonjour, j'ai été appelé en urgence pour vous soutenir dans le rôle de spécialiste en genjutsu.
Pas la peine de tendre la main, je plisse un peu les yeux et fronce sensiblement les sourcils pour signaler mon expertise et mon sérieux au travail. Cet homme semblait différent des autres rats en blouse, il avait le monopole de mon intérêt, en tout cas.
Ils le faisaient attendre, et il n’aimait pas ça. Aussi bien une qualité qu’un défaut, l’impatience d’Ichiro était à la hauteur de sa difficulté à être sociable. Il avait demandé aux « autorités compétentes » de lui amener quelqu’un pour une tâche particulière. Un expert en Genjutsu aurait d’ailleurs été le bienvenue, mais pour l’instant il n’y avait personne. Personne. Du coup, le médecin s’était remis sur un autre travail en cours. Un travail pour recoudre un foie ouvert. Extrêmement intéressant mais visuellement peu accueillant.
Mais rapidement, la personne était arrivée. Un jeune brun… très jeune en fait. La tête de celui qui devait avoir deux fois plus d’années à son compteur se laissa tomber sur le côté. Il dévisageait sans gêne le nouvel arrivant. Ce dernier s’était dit avoir été appelé « en urgence » et s’était présenté comme un expert en Genjutsu. Ah… tant mieux. Mais il n’en restait pas moins très jeune. Et dire qu’il y avait des Genin ou même des Chûnin qui arrivaient à être aussi jeunes…
« Bien. Très bien. J’ai eu peur que tu n’aies pas la taille requise, mais en fait, ça suffira. Oui, ça suffira. »
Il laissa aller ses mains dans tous les sens avant de se retourner et d’aller chercher quelque-chose dans un tiroir. Autour de lui, ses hommes travaillaient sur des petites machines ou sur des projets personnels. La médecine, il adorait ça, mais il aspirait à laisser un peu de temps à chacun de ses « employés » pour qu’ils fassent eux-mêmes ce dont ils avaient envie. C’était important.
Il ressortit du tiroir un écriteau noir, sur lequel le nombre « 12 » était marqué de la même manière que le « B » qu’il y avait devant la porte de son laboratoire. Rapportant l’écriteau à l’enfant, Ichiro ne put s’empêcher de le dévisager une nouvelle fois.
« Va remplacer l’écriteau de la porte du laboratoire par celui-là et ramène-moi l’ancien. »
Une fois qu’il le lui donna, le médecin acharné se retourna et se remit au travail sur son foie, sans réellement faire attention à ce que ferait le gamin qu’on lui avait envoyé.
Bon, il était carrément antipathique, froid et désagréable. Cependant, il possédait un profil assez atypique, le fait de se soustraire si clairement de la masse de scientifiques en blouse et à lunettes. Ce médecin a pour lui une prestance rare, laissant entendre quelques facultés uniques ou simplement rarissime pour la moyenne. Mais les apparences sont parfois, souvent, trompeuses. Peut être n'est il qu'un déchet bien déguisé.
Je ne reste pas planté face à lui, je m'active pour remplacer les écriteaux d'un B par un 12. Je constate encore les lieux, un peu comme un espion dans son propre village. On dit que la curieux est un vilain défaut, mais il le faut bien pour être savant. Je termine déjà ma si mince oeuvre, il n'avait quand même pas besoin de moi simplement pour un détail du genre?
Certains se seraient vexés, mais je relativise, il y a pourtant bien pire, ce n'est pas si grave. Je m'en souviendrai lorsque j'accomplirai de grandes choses pour ce monde, que mes actes débutèrent par ce genre de travail pas des plus pénibles mais assez offensant. Le sauveur d'un peuple a très bien pu être un larbin à son commencement.
Puis, je lui apporte son écriteau de ce B si significatif du QI moyen de la salle et de l'étage tout entier. Je me sens un instant comme un animal parmi les hommes, une sous créature parmi l'élite. Puis, j'entends les bruits de machines qui forment une mélodie mal entamée, sans coordination auditive. Moi qui adore la musique, je dois avouer être agacé par ces machines bruyantes. J'apporte le B à mon supérieur.
Il est dos à moi, il parait grand sur le moment. Je ne le décrirai pas comme impressionnant, non. Pourtant j'hésite quelques instants avant de l'appeler, une timidité nerveuse et idiote sans doute. Finalement, il pivote pour chercher quelque chose, un outil peut être?
Il me remarque, alors je prends la parole voulant démontrer une once d'assurance.
-C'est fait.
Son regard sévère, toujours, me défigure littéralement.
-Je peux vous être utile d'une quelle qu'autre manière? Je suis à disposition... Comment dois-je vous appeler?
Dès que le gamin avait accepté sa tâche et que le médecin s’était retourné, tout avait mentalement disparut autour de ce dernier. Ichiro ne voyait plus rien hormis son foie et ce qu’il devait lui faire. Il avait cette capacité à ignorer ce qu’il voulait pour pouvoir se concentrer exclusivement à quelque-chose en particulier. Et si des travaux pour recoudre un foie n’avaient rien d’extraordinaire, c’était quelque-chose sur lequel il voulait expérimenter, et c’était donc devenu durant un instant, la chose la plus importante à ses yeux.
Le foie était posé sur la table. Si en faire l’acquisition était devenue une chose familière et courante pour le médecin depuis toutes ses années dans ce laboratoire, en trouver un déjà ouvert était une autre paire de manche. Il fallait donc l’ouvrir avant d’espérer pouvoir s’entraîner à le recoudre. Et pour ça, il n’y avait pas mieux qu’un scalpel de troisième taille. Il en sortit un, nullement au hasard malgré tous ceux qu’il possédait, et s’adonna à sa tâche. Sans dévier, il ouvrit le foie dans un tracé segmentaire presque parfait. Une habilité qu’il avait su développer sous plusieurs formes.
Après tout, si les instances de Konoha l’avaient directement nommé Chûnin lorsqu’ils avaient voulu en faire un shinobi officiel, ce n’était pas pour rien. Avec ses arts médicaux et toutes les expériences et travaux qu’il avait pu faire, il avait développé d’autres capacités pourtant à première vue ignorées. Ainsi, trancher précisément et adroitement un foie pouvait l’aider à se perfectionner dans la précision du maniement de kunaï et vice-versa. La médecine était quelque-chose qui avait de nombreux liens avec les arts shinobis et ça, le scientifique s’en était rapidement rendu compte.
Quelqu’un parla. Mentalement, le laboratoire et tous ses locataires revinrent avoir une place dans l’esprit du médecin, qui se retourna aussitôt. C’était le gamin, de retour avec l’ancien écriteau.
« Comment dois-tu m’appeler ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Ah, euh… Je vois. Bien. Ichiro. »
Il se retourna pour vérifier rapidement l’état de son foie. L’incision avait été bien faite, mais il ne fallait pas trainer pour le recoudre. Aussitôt, l’homme enchaîna.
« Détruis cet écriteau. Et reviens me voir ensuite, mais pas trop tôt, pas trop tôt. Laisse-moi au moins cinq minutes, veux-tu ? Bien. Laisse-moi maintenant. »
Sans attendre de réponse il fit volte-face et se replongea mentalement dans son exercice.
Il n'y avait rien que je ne puisse faire de plus, vraisemblablement. Alors comme le temps ne se faisait pas pressant, j'observe du coin de mon oeil le foie qu'il travaille. Sa manière de faire et de regarder, comment un brillant scientifique s'y prend il pour travailler? Il semble dans sa bulle, loin de tout et pourtant si près de nous. Comme si rien d'autre que son oeuvre n'avait de l'importance, je ne sais pas vraiment si il est appliqué dans ses coups et incisions, je n'ai pas assez de connaissance pour en parler à vrai dire. C'est un calme plat entre nous dans la salle de ce scientifique. Ichiro les yeux d'or, c'est ainsi que je m'en souviendrai.
J'envoie l'écriteau valser dans la poubelle sans en faire trop pour ne pas le gêner. Son harmonie ne donnait nulle envie de la briser à vrai dire. Alors j'attends et j'observe autour de moi. Ca y est l'ennui me prend. Alors j'attrape mon petit carnet et le stylo accroché dessus. Je commence à gratter le papier de quelques pensées, c'est tout un manège, un rituel que j'entame à chaque phase de flottement telle que celle-ci. Pendant mes mots et mes lignes, j'imagine comment doit être l'extérieur du pays du feu, ailleurs. J'aimerais voyager et combattre à travers les peuples, je suis sûr que cela m'apporterait énormément.
Je consulte l'heure, l'horloge au dessus de la porte me me l'indiquant. Je vais encore attendre cinq petites minutes, je pense à cette femme aveugle qui a enfanté mon père. L'interrogation est grande est sans réponse, Ichiro connait peut être bien le monde? D'un élan sûrement très naïf, je décide de lui poser la question.
-Connaissez-vous bien le monde Ichiro Sama?
Il incise toujours, je ne laisse aucun répit au blanc qui voulait s'installer après ma question.
-Je veux dire, connaissez-vous bien les shinobi? J'aimerais en apprendre plus sur ce qu'on appelle communément le Jigokugan et le clan qui portent ses pupilles.
Peut être n'était il qu'un monstrueux ignorant à ce sujet, pourtant il respirait une connaissance qu'on aurait du mal à ignorer. Ainsi je saurais par quel procédé scientifique logique cette pupille a aveuglé ma grand mère, et quels propriétés si maudites procurent ces yeux. Pourquoi était-elle traqué à cause de ce Jigokugan? Si je l'apprenais, je saurais enfin la raison qui a poussé Fugaku a priver mon père de sa mère.
La vie est donc faite de corrélations multiples, j'en suis certain maintenant. J'espère simplement qu'il puisse m'instruire à ce sujet. J'ose croire qu'il est plus qu'un rat de laboratoire, qu'il en sache autant que son attitude puante et hautaine le laisse penser.
Un bruit, comme un objet qui a été envoyé quelque-part. Mais ce n’était pas assez pour perturber le médecin dans son travail actuel. De dos, on le voyait faire de larges mouvements de bras, et parfois des choses plus délicates, plus lentes, qui demandaient plus d’attention. Petit à petit, l’homme était en train de recoudre le foie qu’il avait ouvert. Un exercice particulièrement délicat, mais qu’il semblait réussir avec brio. Lorsqu’il eut terminé, il recula d’un pas pour regarder son travail sous un angle plus large. Son visage resta impassible, sa tête s’inclina puis se redressa. Derrière, on lui avait posé une question, qu’il avait ignoré. Mais maintenant qu’il en avait terminé, qu’est-ce qui lui empêchait de répondre ? Il se retourna vers le gamin.
Le monde ? Connaissait-il bien le monde ? Une question étrange. Pourquoi avait-il été appelé et par qui ? Par lui, bien sûr. Maintenant qu’il n’était plus trop concentré sur quelque-chose en particulier, Ichiro se souvenait de certaines choses, qu’il avait volontairement oubliées précédemment. Mais ça n’expliquait pas pourquoi cet enfant avait posé une telle question.
« Je connais bien le monde, ou plutôt sa façon de vivre et mourir. »
Ses yeux dorés se baladèrent dans tout son laboratoire. Mais le bruit de tout à l’heure. Et l’écriteau ? Où était-il ? La tête du médecin passa d’un côté à l’autre. La poubelle ! Il se précipita pour ramasser l’écriteau et revint se positionner devant le gamin.
« Tu as mis l’écriteau à la poubelle. Non. Je n’ai pas dis de le mettre à la poubelle ou de le jeter. Je n’ai pas dis ça. J’ai dis de le détruire. J’ai dis précisément détruis cet écriteau. »
La question sur le nom étrange que le gamin avait posé avait été ignorée puis oubliée par le scientifique, qui n’apportait désormais de l’importance qu’à l’écriteau qu’il avait entre les mains.
Et qu’il s’empressa de rendre au gamin. C’était à lui de s’en occuper. C’était à lui de le détruire.
