- Un jour ça y est, un jour ça y est plus.

Bren avait commenté ça sur son ton habituel, le mélancolique chargé de glaires. Il avait ensuite pris une gorgée de sa bouteille, puis me l'avait tendue.

- C'est l'époque qui veut ça.

Pas de tact ni d'affect, c'était juste un constat aussi triste qu'il soit. Mizu no Kuni avait été un jour une des plus grandes puissances que ce monde avait porté, et désormais, il n'était plus grand-chose. Le Shûkai avait pris sa place, et il était probable qu'une organisation encore plus méconnue prendrait sa place un jour. C'était le cycle de la vie, on n'y pouvait pas grand-chose.

- Bon bah ... J'te laisse ici, miss.

- Ouais, ouais.

- Mais tu me rends la bouteille avant.

- 'culé.

Et c'est comme ça qu'on se séparai, sans ajouter quoi que ce soit. Après tout, il n'y avait rien d'autre à dire. Bren avait été mon guide, rien de plus. Je ne l'appréciais pas, et lui me considérait avec l'indifférence qu'on accorde aux clients que l'on va quitter dans quelques jours. Et voilà que je me trouvais seule, et que ça me faisait rien. Je m'étais toujours sentie mieux abandonnée à moi même, qu'entourée de gens avec lesquels je n'arrivais à me trouver aucun point commun. Je soupirais, avant de reprendre la route, ma main serrant la courroie de mon sac à dos.

Pourquoi le Pays de l'Eau ? Pourquoi pas je vous dirai. C'était un pays comme un autre, dévasté certes, mais en tant que vagabonde, je n'étais liée à rien ni à personne, et je me laissais porter par le chuchotement des vents.

Il y avait d'étranges rumeurs portées par ceux-ci. Inquiétantes, même. Mais j'étais assez inconsciente pour aller les vérifier moi-même.

Je marchais quelques heures durant, avant de m'arrêter une fois le Soleil laissant place à sa sœur Lune.

Installée contre un arbre, une couverture sur les cuisses, je somnolais. Difficilement.

J'avais le sommeil difficile, depuis ce qu'il s'était passé.

Une femme tout à fait chelou débarque des feuillages, juste devant moi, avec une putain d'arme pointée sur moi. Comme quoi, dormir ça servait qu'aux morts. T'imagines j'étais pas éveillée là tout de suite ?! PAM ! Flèche entre les deux yeux ! T'es morte ! On te vole tes bottes ! Et t'es dég'. Mais genre, pas un peu dég', mais genre ultra dég'. Bref, une seule pupille est ouverte. Une pupille grise où rien ne se reflète. Je reste assise, même si elle sait que je suis éveillée. Qu'elle sait que je l'ai entendue. Je lui montre que je n'ai aucune peur, après tout, elle m'a quittée il y a bien longtemps avec bien d'autres choses. Et ma voix, tel le grésillement du vent, s'élève, pour dire uniquement.

- Si tu veux pas que je te casse la gueule, baisse ton putain d'arc tout de suite.

Aucun tact, aucun affect dans cette simple affirmation. Si elle ne s'exécutait pas, je n'y penserai pas deux fois avant de m'exécuter, et de nous deux ce serait pas moi qui le regretterait.

- Hop hop hop, plus vite que ça meuf.

Je détestais être visée par une quelconque arme, alors si elle ne voulait pas que je m'adresse avec elle avec mon agréable verbe habituel, elle ferait mieux de faire vite. Après tout, c'est pas l'envie qui me manquait, d’abîmer son jolie petit visage de poupée. Je serrais les poings, sentais mes phalanges. Un sourire se dessinait sur mes lèvres, et il n'avait rien de rassurant.

Allez, tire, donne-nous ce qu'on veut, ALLEZ !

C'est le son de la révolte, de cette colère inextinguible.

Plus que le voir, j'ai senti le mouvement de l'inconnue et de son arc. Très rapide, même selon mes standards. Mais ce n'était pas la première fois qu'on me tirait dessus, et avant que le fer se fiche dans l'arbre contre lequel je me reposais, je m'étais plaquée au sol afin d'esquiver les projectiles.

Mon état, là tout de suite ? Plus qu'enragée, et ce n'était pourtant pas chose aisée. Cette sale petite salope chelou vient me faire chier, MOI ?! MAIS ELLE SAIT A QUI ELLE A AFFAIRE ?! JE SUIS FÉROCE ! DONT LES PUTAINS D'EXACTIONS FONT PUTAIN DE PEUR AUX PUTAINS DE VILLAGEOIS !

Enfin, j'étais, Féroce. Féroce a été pendue sous un châtaignier. Et quand je l'ai vu dansée au vent, j'ai pas pu m'empêcher de me sentir dégoûtée. De me sentir mal à l'aise, alors que je sentais son regard mort me supplier. Elle me ressemblait même pas en plus, et elle était là, à ma place.

Vie de merde.

Je m'étais jurée d'arrêter toutes ces conneries. Mais cette petite salope méritait une correction, et j'ai jamais pu me faire violence. Ce qui faisait de moi ma pire ennemie.

Quand je me suis redressée, j'ai regardé le tronc. Cinq traits ? J'haussais un sourcil, un peu troublée. On m'avait déjà tirée plus de projectiles, mais pas en si peu de temps et par une seule personne. Et je constatais clairement qu'ils ne visaient pas mon corps. Ils étaient fichés de telle façon à m'intimider, mais en aucun cas à me blesser. Une sorte d'avertissement pour me dire que d'elle et moi, c'était pas moi qui avait le pouvoir.

- Va te faire foutre.

Je lui ai quand même dit ça. Pour lui montrer que c'était pas la première fois qu'on m'intimidait, et que je n'étais en rien impressionnée. Elle me tournait le dos, et mon animosité était à son comble. On tournait jamais le dos à un quelqu'un qu'on a offensé. Quelqu'un dont on ne sait rien. Et quelqu'un qui, comme moi, n'avait attendu qu'une excuse pour lui sauter dessus et lui casser la gueule.

Mais j'sais pas. A la place, j'ai préféré prendre mes affaires, et me casser. La laisser en plan. Elle a dit quelque chose, mais j'étais assez éloignée, j'entendais plus grand-chose. Mizu no Kuni était un grand pays, et il y avait de place pour nous deux, même si cette pensée ne me réjouissait pas. J'aurai pu lui sauter dessus, oui. La rouer de coups. Mais après ? Et si après, tout tournait mal ?

C'est pas que j'ai peur de mourir, nan. La peur m'a quittée il y a bien longtemps, et plus grand-chose ne m'attachait ici. Mais j'avais fait un serment, je devais voir le jour se lever.

Aujourd'hui, tout du moins.