GAMIN

Mizu no Kuni, à la fin de la Grande Guerre...
Les tavernes sont nombreuses dans le Pays de l’Eau et sur toutes les îles qui composent son archipel. Dans l’une d’entre elles, un conflit éclate entre deux protagonistes sans doute à moitié saouls. Car si les bagarres étaient courantes tout comme les combats de plus grande envergure, c’était quasiment officiel : la Grande Guerre était terminée. Cette dispute qui était été montée d’un cran n’arrivait presque même pas aux oreilles d’un adolescent qui discutait avec un de ses aînés. Leur conversation avait trop d’importance pour être perturbée voire coupée par une vulgaire bagarre. Sur la table au milieu de deux verres – un saké et un jus de fruit – une étoffe blanche avec un étrange symbole avait tout l’air d’une vieille nappe trop petite.

« Tu es sûr de toi gamin ?
─ Oui, j’ai vu ça dans plusieurs bouquins. C’est le symbole des moines de Ta no Kuni, aussi appelés moines de Maskine. »

Le trentenaire se gratta sa fine barbe. Il faisait longtemps qu’il ne s’était pas rasé et ça le démangeait presque autant que de savoir ce que tout ceci pouvait avoir comme sens. Howaito, de son côté, se rappela en quoi Gekei Hao pouvait bien l’aider. C’était un membre de son clan qui avait bien connu ses parents et qui n’avait – comme la plupart de ceux qu’il connaissait – pas bien digéré ce qui s’était passé il y a de nombreuses semaines. Aussi dur que c’était, les deux hommes se souvinrent.

Le petit village civil où la famille d’Howaito vivait avait été attaqué par des brigands. Les Gekei s’étaient fait nombre d’ennemis, mais cette attaque avait fait tuer des innocents et quelques proches aussi bien de l’adolescent que de Hao. Tous deux avaient la haine, tous deux possédaient de la rancœur. Mais qu’un seul semblait décidé à se venger. Et c’était le plus jeune.

« C’est tout ? »

Le trentenaire faillit avaler de travers la gorgée de saké qu’il avalait, mais se reprit de justesse. Il dévisagea l’adolescent, et sembla hésiter.

« De quoi, c’est tout ?
─ Vous ne m’auriez pas fait venir sans une bonne raison. Pour l’instant tout ce que j’ai fais, c’est vous donner la signification de ce sigle qu’on a retrouvé près du village.
─ Justement… »

En un instant, le regard du jeune homme s’assombrit gravement, et il appuya ses paumes sur la table, et se retint de se lever. Les deux hommes ivres avaient continué de se battre dehors, mais il n’était pas nécessaire de rajouter de la tension dans la taverne.

« Je sais pas si je devrais te le dire, mais j’ai aussi trouvé ça. »

Hao sortit de sa poche une feuille de parchemin marqué de quelques tâches de sang. Il le tendit fébrilement à l’adolescent qui s’empressa de le lire.

« Où ça ?
─ Sur le corps d’un des brigands, pas loin du lambeau d’habit que nous avons sous les yeux. »

Garder son calme était devenu trop difficile. Le jeune Gekei se releva aussitôt, énervé. Il pointa son doigt vers le morceau de tunique qui était sur la table, et éleva la voix.

« Vous êtes en train de me dire que vous aviez trouvé ça en même temps que la tunique ? N’essayez pas de me mentir, j’ai fouillé tout le village après votre passage, je n’aurais pas pu manquer un parchemin !
─ J’hésitais à te le dire. Ce que tu n’arrives toujours pas à comprendre, Howaito, c’est qu’aussi bons furent tes parents, ils ont été tués par plus forts qu’eux : par des dizaines de brigands et de shinobis qui ont été envoyés par des clans ennemis au nôtre !
─ Et alors ?
─ Et alors vouloir te venger, c’est vouloir te suicider. Tu n’as même pas dix-huit ans, tu es trop jeune et tu ne pourrais même pas t’occuper de ceux qui sont venus attaquer le village ce jour-là, sans parler de tous ceux qui se cachent sous cette opération. »

Le jeune homme claqua la feuille de parchemin sur la table, tournée vers Hao et dans le sens de ce dernier. Howaito avait perdu son sang-froid.

« Vous avez lu cette missive, ou pas ?! »

Sur le parchemin se résumait un contrat, qui expliquait que les cibles à abattre étaient les parents d’Howaito. Il y avait un plan d’action, une façon d’encercler le village… en bref, des ordres signés par une lettre T. Il y avait également apposé le sceau des moines de Maskine. Gekei Hao ravala sa salive. Il avait déjà lu le parchemin.

« Ce moine là, je sais pas ce qu’il foutait là-bas. Mais il a engagé ceux qui ont attaqué le village. C’est pas une histoire de clan, c’est pas une histoire de Grande Guerre… C’est juste un type qui a payé des gens pour tuer mes parents ! Il n’y a plus qu’un seul responsable !
─ Quand bien même, et alors ? Tu vas faire quoi petit ? »

Howaito était déjà en train de rassembler le morceau de vêtement et le parchemin. Il ne regarda même plus Hao.

« Je vais aller à Ta no Kuni, et je me vengerai. »

VOYAGE

Se payer un bateau n’aura pas été facile, mais le jeune Howaito avait réussi avec plusieurs petits tours où son intelligence lui avait servi à subvenir aux besoins que nécessitait son voyage. Un aller simple pour le grand continent à bord d’un bateau de pêche. L’adolescent ne savait d’ailleurs pas très bien naviguer, mais de ce côté-là les précautions n’avaient pas eu besoin d’être prises.

« On se met en route gamin ?
─ Arrêtez de m’appeler gamin.
─ Pas de soucis gamin. »

Le jeune Gekei ne savait pas encore très bien pourquoi, mais Hao avait décidé de l’accompagner dans son voyage, qu’il avait pourtant qualifié plusieurs fois de « périple suicidaire ». Mais d’un autre côté, le trentenaire était seul, et même si des bruits couraient que le clan Gekei pouvait se rallier et fonder quelque-chose à Mizu no Kuni, il avait préféré accompagner l’adolescent qui n’avait eu d’yeux que pour son plan, loin d’être encore totalement au point.

Le voyage commença plutôt calmement, la mer n’était pas du tout agitée. Les deux hommes discutèrent, souvent parce qu’ils n’avaient pas d’autre chose à faire. Parfois, la fatigue se faisait tellement ressentir qu’ils parlaient de tout et de rien simplement pour se maintenir éveillé. Rapidement ils mirent au point une rotation. Lorsque c’était Hao qui ramait, il se demandait jusqu’à quel point son jeune ami pouvait faire erreur. Quand c’était à Howaito, il ne pensait qu’à la manière dont il pourrait se venger.

La nuit passa, et réconforta les deux hommes : il ne leur restait plus que quelques heures avant de mettre à nouveau le pied sur la terre ferme. L’air et la mer étaient toujours aussi calmes et doux.

« Tu vas faire quoi, là-bas ?
─ Rejoindre les moines de Maskine.
─ T’es pas sérieux petit ? »

Les yeux de l’adolescent se tournèrent vers l’horizon. Le paysage était magnifique. Le futur n’allait sans doute pas être aussi beau. Et il le savait.

« Celui que je cherche est soit un moine, soit quelqu’un qui s’est servi d’eux. Les moines de Maskine sont mon point de départ. »

Il s’arrêta là pour les explications. Hao ne soupira qu’un simple « ah », puis continua de ramer. Quelques heures plus tard, les deux hommes aperçurent le grand continent. Puis ils posèrent le pied sur Yu no Kuni.

Ils marquèrent bien entendu une pause, cherchèrent de quoi se restaurer, puis continuèrent leur voyage. La marche dura d’abord presque trois heures, avant une nouvelle pause. Le moment adéquat pour des nouvelles questions jugea apparemment Gekei Hao.

« Tu sais petit, t’es pas obligé de les rejoindre, tu pourrais simplement leur demander ou même les espionner.
─ Qu’est-ce qui me garantira que je ne demande pas à la personne que je cherche ? Et si jamais je me fais prendre à les espionner, et que le dénommé T est au courant, il fuira ou prendra ses dispositions. Je les rejoindrai comme de nombreux shinobis ayant connus la guerre et voulant se reconvertir. Et c’est parmi les leurs que je m’informerai et que j’établirai un plan.
─ Si tu veux gamin, mais je viendrai pas m’enrôler avec toi hein. Les délires de vieillards qui bouffent des lotus magiques ça m’intéresse pas trop. »

Hao esquissa un sourire, Howaito non. Ils continuèrent de marcher jusqu’à arriver à Ta no Kuni. Ce fut là-bas qu’ils se séparèrent, à quelques kilomètres du Temple de Maskine. Hao avait sa propre mission : trouver un logement. Celle du jeune Gekei en était à une nouvelle étape : rejoindre les moines.

CROIX

Le Temple de Maskine était majestueux. A vrai dire, Howaito avait beau avoir lu plusieurs ouvrages au sujet des moines et de leurs bâtiments somptueux, il ne s’était jamais attendu à une telle splendeur. Grand, puissant et bien dessiné, la bâtisse avait tout du culte symbolique et presque légendaire qu’il représentait. Les moines étaient-ils également de cette ampleur ? L’adolescent n’en pensait pas tant. Pour lui, les moines n’étaient pour la plupart que des hommes qui vivaient d’une certaine façon, préférant se contenter du strict minimum pour éviter le reste. Après tout si on ne s’occupait pas de quelque-chose, si on ne donnait pas son avis sur un sujet, alors on ne pouvait avoir tort. Eviter les difficultés, voilà sans doute ce que bon nombre de moines cherchaient.

Mais pour l’instant, les quelques moines qu’il avait pu voir cherchaient sans doute quelque-chose d’important : il y avait tellement d’agitation à l’extérieur du temple qu’Howaito fut pris d’une certaine immobilité. Que pouvait-il se passer ? Il du s’avouer qu’il n’en avait aucune idée. Mais il continua d’avancer, et chercha du regard un des passants. Les voyant courir les uns après les autres, il stoppa un moine chauve pris au hasard, qui s’arrêta, l’air toujours hâtif.

« Excusez-moi, je cherche un de vos représentants.
─ Désolé, mais nous sommes un peu occupés en ce moment, revenez un autre jour !
─ Je dois avouer que je suis un peu pressé, serait-il possible que…
─ Dans ce cas allez dans le temple et cherchez un maître, moi, je n’ai pas de temps à vous accorder pour l’instant, désolé ! »

L’homme partit en courant avant même que le Gekei puisse lui répondre. La hâte était telle que Howaito s’imagina entre autre que le temple avait peut-être été attaqué. Mais il s’exécuta et pénétra dans ce dernier, à la recherche d’un fameux « maître ».

Plus tard, il apprit que ces derniers portaient un bandeau par-dessus leur habit blanc, preuve de leur titre au sein de la faction. Le maître qu’il trouva était plutôt préoccupé, mais il avait plus de temps que le précédent moine à accorder au jeune Gekei.

« Nous avons pas mal de nouveaux apprentis en ce moment, et les récents évènements ne nous permettrons bientôt plus d’en accueillir de nouveaux. Cependant, Maskine accepte tous ceux qui l’acceptent. Nous te trouverons une place au sein de notre ordre, et elle sera définitive si tu fais tes preuves.
─ Je vous remercie. Néanmoins, puis-je savoir ce qu’il se passe ici ? Beaucoup de moines semblent préoccupés, et vous avez parlé de certains « récents évènements »...
─ Je ne sais pas si c’est bon pour un esprit aussi jeune que le tien de savoir cela, mais puisque tu sembles décidé… Un de nos apprentis a été tué. Il y a un mois, c’est une femme que nous avons retrouvé égorgée à un kilomètre du temple.
─ Et vous pensez qu’il y a un lien ?
─ Nous en sommes persuadés, mais assez parlé de ces horreurs. Je vais te montrer tes nouveaux quartiers, je suppose que tu n’as pas d’endroit où loger à proximité ? »

L’adolescent acquiesça. On lui montra sa chambre, très petite mais plutôt coquette. De toute façon, il n’y avait plus grand-chose qui pouvait le décevoir : il avait déjà réussi à pénétrer au sein de l’ordre des moines de Maskine. Mais sa curiosité continuait de le piquer. Aussitôt seul, il décida de suivre l’agitation de certains moines et par chance, il se laissa conduire jusqu’au corps. Certains murmuraient…

« C’est la même marque que la femme de l’autre fois ? »

Par-dessus certaines épaules, Howaito réussit à frayer un chemin pour ses yeux. Par terre gisait un corps ensanglanté. Mais sur la nuque était gravé un symbole étrange. Cela semblait être une croix pour tout le monde. Mais pour le jeune homme, il n’y avait aucun doute : c’était un T.

DISCOURS

« Mouais… Moi je dirais que ça ressemble plus à une croix qu’à un T, mais bon…
─ Vous dites ça pour que je renonce, Hao. »

Le trentenaire esquissa un sourire, puis s’esclaffa. Le jeune homme avait encore une fois percé à jour son aîné. Mais ce n’était pas nouveau : pour le plus âge, Howaito allait faire une grave erreur. La vengeance ne résoudrait rien, et c’était surtout que se venger serait une tâche bien trop risquée.

Hao avait réussi à trouver un petit logement à un peu plus d’un kilomètre du Temple de Maskine. Trouver un boulot serait sa prochaine « mission », mais il avait assez d’économies pour se laisser le temps de bien chercher. Howaito quant à lui était content de pouvoir sortir de son temple parfois, et de retrouver une figure amicale. Après tout, il ne pouvait se fier à personne chez les moines. Car pour lui, il ne faisait aucun doute que parmi ces derniers se trouvaient le fameux T ou un de ses hommes de main.

Le Gekei de trente-et-un ans but une gorgée de thé, puis reposa le verre sur sa table. Son regard pointa timidement celui de son petit camarade.

« C’est quoi la prochaine étape, alors ?
─ Les moines passent presque une année à s’intégrer. Il y a une cérémonie pour célébrer l’officialisation de chaque moine. J’attendrai jusque-là avant de passer à la suite. Si j’agis avant, T n’aurait qu’à s’enfuir et je ne peux pas le permettre, pas avant d’au moins connaître chacun des moines du temple.
─ Fais gaffe gamin, je ne sais pas ce que t’as prévu de faire, mais…
─ Je n’ai rien prévu encore. Merci pour le thé. »

Howaito se leva, et sortit de la petite maison de son ainé, puis partit rejoindre le temple.

Presque un an plus tard…

L’intégration du Gekei prit légèrement moins de temps que prévu. Il avait fait preuve d’une rigueur remarquée par plusieurs maîtres, qui portaient leur espoir en ce dernier comme rarement. Howaito avait découvert dans la philosophie et le mode de vie des adeptes de Maskine des choses plutôt intéressantes. Mais il était surtout heureux de pouvoir enfin assister à la prochaine cérémonie, non seulement en tant que spectateur mais également en tant qu’acteur. Il allait être reconnu comme un moine officiel.

Depuis son arrivée, deux meurtres avaient porté la signature de T. Cela avait bien entendu réconforté Howaito dans l’idée que le coupable ou un de ses complices était à l’intérieur du temple. Il avait bien entendu eu le temps de se familiariser avec les adeptes, à tel point que si quelqu’un s’en allait, il le remarquerait.

Le grand soir arriva. Le Gekei dut comme les autres moines « officialisés » faire un discours. Quasiment tous les moines étaient là. Plus d’une centaine d’adeptes, rassemblés dans la salle principale. Certains écouteraient plus que d’autres. Mais le message serait passé.

« Comme vous le savez, je m'appelle Howaito. Un jour, mes parents ont été tués dans un petit village de Mizu no Kuni. Depuis, je n’ai qu’un seul but : pouvoir faire mon deuil et me soulager de cette douleur. Et je sais que Maskine m’aidera… »

De l’émotion, des applaudissements… et un sourire. Celui d’un homme qui venait de trouver un adversaire.

RÉPONSE

A la fin de la cérémonie Howaito se rendit dans sa petite chambre, placée dans un des quartiers du Temple de Maskine. Il était satisfait de ce qu’il avait fait et surtout de son petit discours d'officialisation. En racontant quelques détails de sa vie, il avait fait une déclaration indirecte à T ou à celui qui pouvait l’aider dans le temple. Ce dernier avait forcément compris que le jeune homme n’était autre que le fils des deux Gekei assassinés dans le petit village de Mizu no Kuni. La personne qui répondait au nom de T ne pouvait avoir oublié un assassinat qu’il avait lui-même commandité.

De plus, le nouveau moine officiel avait attendu presque un an afin de connaître plus ou moins tous les adeptes du temple. Si jamais il s’avérait que T n’était qu’un traitre et un peureux, alors il pourrait fuir… mais dans ce cas-là, Howaito le saurait immédiatement, et cela reviendrait à savoir qui se cachait derrière le meurtrier. En bref, que T eut été un adepte du temple ou que ce soit un de ses acolytes, cette personne était bloquée. Et elle avait conscience qu’Howaito ferait tout pour se venger. Le duel était lancé.

De ce qu’il avait vu, à propos des quatre meurtres de l’année, T semblait être quelqu’un qui aimait faire le travail seul. Ses victimes, c’était lui qui les avaient tuées. Bien entendu, il pouvait y avoir des exceptions, mais Howaito les verrait sous un angle bien particulier. En plus d’être un psychopathe, T était quelqu’un de solitaire, mais probablement doté d’un petit réseau, sans quoi il était difficile de penser qu’aucun des moines ne l’aurait vu commettre l’un de ces quatre meurtres.

T était sûrement un moine du temple, qui avait des complices à qui il ne déléguerait les tâches importantes qu’en cas d’extrême nécessité.

Mais même si les choses avançaient plutôt bien, la suite allait s’annoncer périlleuse. Il y avait plus d’une centaine de moines dans le Temple de Maskine, le temple principal. Il se pouvait très bien qu’il n’y ait dans ce dernier que de simples complices, et que T soit ailleurs. Il se pouvait que ce dernier fasse exprès de faire quitter quelqu’un du temple pour amener Howaito dans un piège. Il y avait tant de possibilités, tant de plans à échafauder. Tout ça pour ne pas donner raison à Hao. Tout ça pour ne pas faire de cette mission un simple « suicide ». De quoi donner un sens réel à cette vengeance. Le Gekei devait poursuivre ses efforts, il devait continuer à travailler sur son plan. Il ne devait y avoir aucune faille. Les choses étaient de toute façon déjà allées trop loin.

Et comme susdit, le duel était désormais annoncé.

Le Gekei fut extirpé de ses pensées. Quelqu’un avait frappé à sa porte. Cela n’arrivait que très rarement. Un simple « entrez » suffit. La porte s’ouvrit, et dévoila le maître Joshun, celui qui avait recueilli Howaito en tant qu’apprenti du temple.

« Bonsoir Howaito, je sais qu’il se fait tard, mais j’aimerais te parler d’une affaire importante. Puis-je m’asseoir ?
─ Bien entendu, maître. »

D’un mouvement de la main, le jeune Gekei repoussa une chaise pour que le maître moine puisse s’y asseoir, et alla lui-même faire de même. Les deux hommes étaient désormais face-à-face, séparés par une petite table en bois.

« Sais-tu qui je suis ?
─ Oui, vous êtes le maître Kiezan Joshun.
─ Mauvaise réponse… »

Du tréfond de sa manche, le maître avait sorti un poignard, qu’il pointait vers Howaito.

« Je suis T. »

RÈGLES

Leurs yeux se croisaient, mais il était impossible de savoir quel regard était désormais le plus noir, le plus empli de haine. Howaito finit par ravaler sa salive. Jamais il n’aurait imaginé que l’homme qu’il cherchait se montrerait ainsi, sous son véritable jour, le soir même où leur duel aurait été annoncé. De fait cela soulevait d’autres questions. Mais comment le moine pouvait-il y réfléchir sereinement alors que l’homme qui avait commandité le meurtre de ses parents se tenait devant lui ?

L’intéressé ne bougeait plus. La pointe de sa lame était toujours tournée vers le jeune homme, sûrement prête à bondir sur sa gorge au moindre faux pas. Howaito devait prendre en compte de nombreux facteurs, et surtout celui de son impuissance : il avait un maître moine de Maskine en face de lui. Il lui était difficile d’imaginer que c’était un mensonge. Cela sous-entendait donc qu’en combat singulier, il n’avait que peu de chance.

« Je sais ce que tu te dis. Si je suis vraiment T, et que je sais que tu es ici pour te venger, pourquoi prendre le risque de te tuer de mes mains ? De même, si ceci est un stratagème et que je ne suis que l’un de ses acolytes, pourquoi te tuer maintenant ? La nuit est tombée et il est impossible d’effectuer un meurtre sans alerter tout le temple. »

C’était exactement ce à quoi le Gekei pensait. Est-ce que ça voulait dire que c’était bien T qu’il avait en face de lui ? Pas forcément, il avait pu préparer un discours que Joshun n’aurait eu qu’à répéter.

L’arme reluisait malgré les reflets sombres de la lune.

« Si tu penses que je suis T, alors écoute ce que j’ai à te dire. Si tu penses que je suis un de ses envoyés, alors prends mes paroles pour les siennes. La raison à ma venue est simple : je ne vais pas te tuer. Pas maintenant. »

Howaito ne bougeait pas. Pas plus que le maître, dont seules les lèvres tremblaient dans la nuit.

« J’ai encore plusieurs affaires à régler ici. Je m’occuperai de toi une fois que tout sera fini. Et comme tu dois toi-même t’en douter, pour que l’un de nous tue l’autre, il faudra avoir pris les précautions nécessaires pour que personne n’en soit témoin.
─ Dois-je comprendre que si le temple n’était pas rempli d’une bonne centaine d’adeptes, vous m’auriez déjà tué ? »

Le Kiezan laissa s’échapper un petit rire sordide. Sans surprise, Howaito le prit comme le ricanement le plus malsain qu’il n’ait jamais entendu.

« C’est possible. Mais je dois t’avouer que je n’ai que rarement eu l’occasion d’affronter quelqu’un comme ça. Et tu as fait un long voyage ainsi que toute une année d’apprentissage pour te venger, tu mérites au moins de te rendre compte à quel point tu as fais erreur. »

Doucement, le maître de Maskine se leva. Sa silhouette trapue repoussa la chaise sur laquelle elle s’était assise, puis recula lentement.

« Au fait, qu’as-tu l’intention de faire ? Me tuer, m’emprisonner ? Après tout, nous savons tous deux que ce n’est ni moi ni mes hommes qui ont tué tes parents.
─ Une fois que vous aurez terminé vos affaires, je serai là. Et vous mourrez.
─ Bien, même si je ne sais pas combien de temps ça me prendra, les règles sont établies. Je me voyais mal ne pas répondre à ton discours de tout à l'heure. Il fallait bien que tu saches que tu vas bientôt mourir. Nous nous reverrons donc… »

Il ouvrit la porte, et laissa son regard se poser une dernière fois sur celui du Gekei.

« … pour mettre un terme à toute cette histoire. »

La porte se referma.