Automne de l'année 10...

Un jour était passé depuis qu’il s’était mis en route, et il était toujours aussi calme. L’homme marchait tranquillement, assurant des pas droits et simples, sans se retourner. Il contemplait le paysage qui avait bien changé par rapport à quelques heures auparavant. Des forêts, des champs, des sentiers perdus, des montagnes : ce voyage était comme ceux qu’il avait déjà fait, c'est-à-dire paisible. De tout temps, Howaito avait été quelqu’un de posé et de réfléchi, mais il n’avait jamais autant apprécié les choses simples que depuis qu’il était devenu un moine de Maskine. Cela faisait déjà dix ans. Dix ans qu’il avait rejoint Ta no Kuni à la recherche d’un espoir.

Il avait trouvé bien plus que cela. La sérénité, la passion, la compréhension, le calme et le contrôle de lui-même : tant de valeurs morales et physiques qu’il avait mis en pratique au fil du temps. La plupart des maîtres lui avaient promis un avenir riche et fort et avaient vu en lui quelqu’un promis à devenir un des plus grands moines de toute la génération. Mais ces derniers temps n’étaient – d’un point de vue personnel tout du moins – pas favorables à cela. Plus il avançait, plus il se rapprochait de Kaze no Kuni mais plus il s’éloignait des moines. En plus d’être une vérité géographique, c’était un sentiment profond.

Howaito avait réussi à faire totalement le deuil de ses parents. Il avait tout appris. Il hésitait encore, mais il lui semblait bon de prendre son envol. Sa volonté s’était endurcie et il avait trouvé sa voie, enfin. Plus il y réfléchissait plus ça paraissait compliqué mais pourtant inéluctable : il quitterait bientôt les moines pour vivre sa propre vie. Par quoi commencerait-il ? Il n’en savait rien. Allait-il donner des « cours particuliers » comme il s’apprêtait à le faire ? Sûrement pas. Qu’en savait-il ? Rien.

Le soleil tapait son visage, mais il restait impassible. Il marcha jusqu’à un petit village civil. L’adresse qu’on lui avait indiquée le mena à une petite maison en terre, dans laquelle il pénétra sans hésitation. Il y découvrit une jeune femme, correspondant au portrait qu’on lui avait décrit. Une kunoïchi qui devait avoir à peine la vingtaine.

« Bonjour, Kawaguchi Tsukiko. »

Détachant son regard d’elle, il se délaissa du sac qu’il avait transporté pour le déposer au coin de la pièce. Voilà donc le lieu qu’elle ou sa famille avait choisi pour cette « réunion » ? A vrai dire, le Moine Blanc ne savait pas encore très bien pourquoi il était ici. Mais ça rendait service à tous les fidèles de Maskine qu’il eut accepté cette mission, alors la question valait-elle la peine d’être posée ?

« Je suis Howaitaro. »

Puis il attendit, continuant à s’accommoder à la chaleur de ce si beau pays.

Même si son ouïe n’était sans doute pas la plus fine du pays, il semble au jeune moine avoir entendu des sèchement de larmes. La jeune femme se retourna et dévoila des yeux aux iris entourés d’un pourpre visible. Elle avait pleuré, et son énervement n’avait été que la conséquence de ce fait. Que lui était-il arrivée ? Rien de trop grave il espérait, mais comment en être sûr hormis lui demander ? Pourtant, il se retint. Ce n’était pas le but de sa visite, et il préféra lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Elle s’excusa rapidement. C’était étrange qu’elle eut pu confondre quelqu’un qui portait pourtant le nom d’Howaito, cela montrait un stress énorme en elle.

Blanc était quant à lui resté impassible et extrêmement calme. Pendant dix ans, il avait rendu son esprit totalement détaché de son corps et à la fois très attaché : il avait en d’autres termes atteint une maîtrise de lui-même exceptionnelle. Aussi loin que ses souvenirs l’emportaient, rares étaient les fois où il avait perdu le contrôle de lui-même, et toutes s’étaient déroulées durant les premiers moments d’apprentissage. Mais les arts de Maskine étaient complexes et s’il avait peut-être eu des prédispositions naturelles, c’était avec énormément de travail et de concentration qu’il avait réussi à devenir l’un des moines les plus appliqués et les plus puissants de sa génération.

Le plus étrange resta que la jeune Kawaguchi n’était pas au courant de la raison de leur rencontre. Howaito ne pouvait d’ailleurs pas trop l’aider, car il ne savait pas grand-chose non plus, hormis qu’il y avait eu un arrangement entre le clan de Kaze no Kuni et les moines de Ta no Kuni.

« Il y a eu un arrangement entre ton clan et les moines de Ta no Kuni. J’ai été envoyé pour te rencontrer et t’aider. »

Il n’hésita qu’une seconde à approcher, mais fit quelques pas et dévoila un peu plus son visage assuré et calme.

« A toi de me dire en quoi je peux t’aider. » dit-il en laissant échapper un rictus.

Plus il l’écoutait, plus il voyait en cette jeune femme quelqu’un de perdu. Que cherchait-elle exactement ? Naturellement, en sa qualité de penser, le moine se mit à réfléchir à différentes options et conjectures. Il évita rapidement celle du piège et du mensonge total. Peut-être avait-elle profité de ce qu’allait lui offrir son clan pour demander autre chose ? Peut-être n’osait-elle pas avouer ce qu’elle voulait véritablement ou peut-être que ce n’était qu’une question de temps ? Dans tous les cas, cela semblait étrange de faire venir un moine pour apprendre le Taïjutsu, surtout pour un laps de temps si court. Car Howaito n’avait pas été engagé pour longtemps, une question de jours tout au plus. Et encore…

Quand bien même, il attendit et resta impassible à mesure qu’il écoutait la Kawaguchi exposer certains de ses problèmes. Apprendre le Taïjutsu, voir quel art shinobi pourrait satisfaire ses attentes et se coupler avec ce qu’elle possédait déjà. Hormis ça, quelques informations intéressantes : Genin, maîtrisant probablement le Ninjutsu et surtout ayant des idées derrière la tête. Elle avait pleuré, et la tristesse est un mal dangereux. Mais puissant.

« Restons ici et asseyons-nous, si tu veux bien. »

Son rictus avait depuis longuement disparu, et il s’assit sur les marches de la bâtisse dont ils venaient de sortir un instant. Un entraînement ? Du Taïjutsu ? Peut-être, mais il était inutile et contreproductif de garder les détours qui se mêlaient dans cette situation.

Howaito était un expert en Taïjutsu. Il avait en lui une bête qui déchirait et écrasait ses adversaires, et d’un côté avait la souplesse et la protection de Maskine. Il n’était pas un offensif, ni un défensif : il était les deux faces d’une même pièce. Depuis sa naissance, et plus récemment depuis dix ans, il avait su combiner deux aspects totalement contradictoires pour faire de lui une sorte de Moine Animal. Alors en ça, Tsukiko avait trouvé un professeur idéal cependant elle n’en savait rien. Elle ne savait qu’une seule chose : qu’elle avait un moine en face d’elle. Et le Taïjutsu des moines de Maskine ayant toujours été unique, cela avait mis la puce à l’oreille au Moine Blanc. La Genin cherchait quelque-chose d’autre, quelque-chose de plus profond.

« Un moine maîtrise un art de Taïjutsu très spécial. Certains le perçoivent comme une religion, d’autres comme un mode de vie ou un style de combat. Les trois sont possibles. Mais pour apprendre à te battre au corps-à-corps, n’importe qui t’aurait suffit. Pourtant ton clan ou toi avez tenu à ce qu’un moine vienne ici. »

Il porta son regard vers la jeune femme. Sans trop de difficulté, il arrivait encore à percevoir les empruntes que les larmes avaient laissées sur ses joues. Un visage si jeune, si perdu, si triste… mais pourtant si beau intérieurement.

« Je peux t’apprendre les bases du Taïjutsu, et même plus… Mais j’ai l’impression que tu cherches autre chose. Au-delà du contrat passé avec mon temple, je suis disposé à t’aider. Et l’apprentissage passe par la confiance. Alors tu peux tout me dire. »

Puis il détourna ses yeux de ceux de la jeune femme pour admirer le soleil chaud. Ses pupilles se fermèrent, et il se plu à sentir les rayons du soleil percer son visage.

Malgré ses paupières fermées le jeune moine sentit bien que la jeune femme commençait à s’intéresser à ses paroles et de fait, à prendre considération de ce qu’il était et de ce qu’il pouvait lui apporter. Ce n’était sans doute qu’une question de temps avant qu’elle ne dévoile ses sentiments, ou du moins certains plus profonds. L’hypothèse rapidement confirmée, Tsukiko commença à parler de certains moines vivant au Pays du Vent. Une perspective de réflexion intéressante, qui avait permis à la Kawaguchi de faire un parallèle entre sa vie et celle qu’elle croyait être une vie de rêve. Se trompait-elle ? Ce n’était pas la première chose à laquelle il fallait penser. Howaito se contenta d’écouter le discours qui continuait lentement mais sûrement.

Les paroles commencèrent alors à décrire la vie de la jeune kunoïchi. Elle avait subi des pertes qui l’avaient affectée, mais s’était pourtant concentrée pour faire son possible et trouver une nouvelle voix. Etrangement, elle semblait heureuse d’être arrivée là où elle était mais pourtant elle n’était pas pleinement satisfaite. Le goût amer de l’hésitation ? Même Howaito ne le savait pas encore.

Le discours se précisait, les arguments flottaient autour de la femme qui, à mesure qu’elle parlait de son passé, se perdait en interrogations philosophiques mais pourtant véridiques. Il était important de se poser ce genre de questions. Tsukiko n’était pas une idiote, loin de là, mais comme le Gekei l’avait pressenti, elle était perdue. « La paix de l’âme et sa place dans ce monde », voilà ce qu’elle cherchait. Il n’y avait cependant pas de recette miracle pour la trouver. Et Howaito était bien placé pour savoir que même la plupart des moines ne l’avaient pas trouvée.

« Les moines n’ont pas de vie de rêve. La plupart ont cherché un mode de vie qui pouvait les satisfaire et s’y sont cantonnés parce qu’il est simple. Il est plus facile de vivre dans un temple à se mêler du strict minimum que d’affronter les dures réalités de la vie. Un vrai moine de Maskine doit trouver l’équilibre entre ces deux principes, c’est la condition principale requise pour devenir un Maître. »

Ses yeux se rouvrirent lentement et furent un très court instant gênés par la lumière envahissante du soleil. Il regarda la jeune femme à côté de lui.

« La simplicité de nombreux moines est réelle, mais ce n’est qu’une façade qui fait croire qu’ils ont réellement trouvé leur place. En vérité, rares sont ceux à pouvoir être en totale harmonie avec leur esprit. Rares sont ceux à avoir réellement trouvé leur place dans ce monde. Mais pourtant, le point de départ est si simple… »

Soudainement le moine s’apprêta à donner un coup de poing à la jeune femme qui se protégea sous un réflexe permis par Howaito lui-même. En effet, il n’avait pas voulu la blesser et s’était retenu afin qu’elle puisse parer, malgré la surprise, le faible coup de poing. Il esquissa un sourire à la Kawaguchi.

« Ce coup de poing, pourquoi l’as-tu paré ? T’es-tu simplement posé la moindre question ? Je ne pense pas. Appelle cela l’instinct, mais comprends qu’en l’espace d’un instant, pour une action bien précise : tu as su unanimement quoi faire. »

Son rictus évadé, il se leva tranquillement et fit quelques pas sur le devant. Les rayons du soleil chauffaient légèrement ses vêtements et sa peau. Ce n’était pas si désagréable que ça.

« Pourtant, le point de départ n’est pas de protéger sa vie. Ton instinct ne te dicte pas forcément de protéger ton existence. Si jamais ton père avait été là, que je m’apprêtais à le tuer et que tu avais la moindre chance de te sacrifier pour lui, tu le ferais sans te poser la moindre question. Là encore c’est l’instinct, mais pourtant il aurait agi de deux façons différentes. »

L’ancien Gekei fit volte-face et replongea son regard dans celui de la jeune fille du Pays du Vent. Une Sunajin en quête de vérité, de quiétude et d’assurance. Avait-elle compris ce que le moine lui enseignait ?

« Maîtriser son instinct et l’étendre avec l’intelligence et le savoir, voilà le point de départ. Plus tu apprendras de choses, plus tu gagneras en assurance, plus tu étendras ton intelligence. Ton instinct grandira, se développera et tu maîtriseras non seulement ton corps et ton esprit, mais aussi tout ce qui t’entoure. Et un jour, tu sauras par exemple qu’il ne valait même pas parer mon coup de poing, parce que tu sauras que je n’avais pas l’intention de te frapper. Ressentir les choses, les comprendre te conduiront naturellement à prendre la bonne décision les concernant. »

Si oui, alors Kawaguchi Tsukiko venait sans doute de recevoir la plus grande leçon de sa vie. L’instinct, sa maîtrise et l’aboutissement d’une vie. Tout cela ne pouvait se travailler que si elle avait saisi son sens.

La jeune fille s'attendait à ce que le moine s'enorgueillisse de sa simple et paisible existence mais il ne fit rien de telle. Il opta pour un discours bien différent et surprenant. Tsukiko écoutait avec attention, tentant de comprendre sa propre vision de l'existence. Ainsi les moines étaient également des humains et ils devaient faire face aux mêmes problèmes du haut de leur montage. Finalement, il n'y avait pas d'échappatoire nulle part, une amère conclusion qui lui faisait peur. Si elle ne pouvait pas trouver la paix nulle part, où devait-elle se rendre ?

Cependant, elle fut interrompue par un geste inattendu du moine. Instinctivement, elle leva ses bras pour protéger son visage de ce poing inattendu et sans raison. Elle ne reçut aucun "coup". Certes, il avait tout même touché ses petits bras mais il n'y avait aucune force, du moins rien de comparable à une attaque de sunaton lors d'un entraînement ou combat à l'amical entre Kawaguchi.

- Pourtant, le point de départ n’est pas de protéger sa vie. Ton instinct ne te dicte pas forcément de protéger ton existence. Si jamais ton père avait été là, que je m’apprêtais à le tuer et que tu avais la moindre chance de te sacrifier pour lui, tu le ferais sans te poser la moindre question. Là encore c’est l’instinct, mais pourtant il aurait agi de deux façons différentes.

Elle aurait effectivement protégé son père mais lui en ferait-il de même ? Accepterait-il de protéger une enfant qui sort de nulle part au bout d'une quinzaine d'années, sacrifier son existence et laisser une petite famille qu'il chérissait sans père ? Le ferait-il ? Méritait-il qu'elle se donne la peine de tout sacrifier pour lui, la peine de tous ses efforts quotidiens ?

- Je le ferais mais je doute que ce soit réciproque.

Une réflexion qui avait échappé naturellement de ses lèvres sèches. Par contre, voilà des paroles prononcées davantage sous le coup de la colère et de la frustration. Elle ne pouvait plus supporter de voir son père se taire quand on parlait de sa propre mère, quand on osait dire qu'elle n'avait pas su éduquer comme il se devait Tsukiko et tant d'autres choses. Elle n'en pouvait plus d'avoir à choisir continuellement entre ce père maladroit et sa merveilleuse mère, défunte malheureusement.

Le moine fit volte-face avec une souplesse et une agilité étonnante. Ses mouvements tenaient plus du félin que de l'humain. Etait-ce donc les capacités qu'elle pouvait acquérir si jamais elle apprenait le Taïjutsu ? Peut-être devrait-elle, au moins elle sera moins vulnérable au corps à corps.

- Et si l'on a peur d'apprendre ? demanda-t-elle à la suite de son long message. Si on a peur d'apprendre ce que l'on veut pas, si l'on apprend des choses décevantes ou terriblement horrible... comment tenir debout, comment prendre la bonne décision alors ?

Tsukiko cherchait sa place certes mais elle avait peur d'avancer en parallèle. Peur de découvrir si son père avait vraiment aimé ou pas sa mère. Peur de découvrir qu'il la haïsse ou qu'il se contrefiche d'elle. Peur d'imaginer un court instant que peut-être il n'était pas son père et qu'il s'était seulement pris de pitié. Peur de n'être qu'un poids mort tant pour son clan, son village et son équipe. Peur de tuer, peur de mourir, peur de vivre... Elle avait peur, elle était effrayée.

Et surtout, Elle craignait qu'à chaque instant que son château de sable à Suna ne s'écroule et qu'elle se retrouve à nouveau seule, désespérée et sans beau lendemain. Elle ne voulait plus revivre ces mauvais moments, elle ne voulait plus goûter à ces jours sans fin et sans goût.

- Si l'on est confus, si nous ne savons plus ce que nous ressentons, si nous nous contredisons ... comment savoir si la décision est bonne ou pas ? Avez-vous déjà été confronté à de telles situations ?

Est-ce que le moine avait connu des moments fatidiques dans son existence ? Elle voulait savoir, elle voulait connaître. Elle ne voulait pas que des paroles, mais peut-être un récit de vie.

- Cependant .. c'est peut-être indiscret comme question.

Avait-elle compris le message ? Peut-être pas dans l'immédiat mais chaque mot était gravé dans son esprit. Elle y réfléchira et un jour, elle en comprendra le sens profond, le vrai. Et ce jour-là, elle remerciera ce moine.

La jeune femme semblait saisir le sens général des mots que le moine prononçait. Pouvait-elle tout comprendre d’emblée ? C’était difficile à dire. Howaito avait toujours été quelqu’un de secret, autant sur ses actes que sur ses paroles. Il aimait se dire qu’il était quelqu’un d’intelligent, il en était même persuadé, et il y avait toujours plusieurs couches à chaque mot qu’il prononçait, ainsi qu’à chaque chose qu’il faisait. Il était fait ainsi, et s’était développé dans ce sens. Ce fut avec la tête légèrement inclinée qu’il accueillit les premières réponses de la jeune Sunajin. Elle y glissait un souci de réciprocité avec son père. Sous-entendait-elle qu’il ne l’aurait pas protégé au péril de sa vie ? La vie de la Kawaguchi ne semblait réellement pas évidente. Mais aussi heureusement que malheureusement, Howaito était sans doute le mieux placé pour parler de vie aussi originale que difficile.

Mais dans sa timidité qui semblait lui être accoutumée, la jeune femme parla de « peur d’apprendre ». Il était vrai que tout n’était pas forcément agréable à saisir ou à connaître. Mais…

« J’ai connu un moine qui aimait une demoiselle de tout son être et qui était persuadé que cette dernière était aussi chaste et spirituelle que lui… »

Le Gekei esquissa un sourire tout en pointant l’horizon du regard. Il ne faisait même plus attention à la chaleur omniprésente.

« … il s’est pendu lorsqu’il a appris que c’était en réalité une prostituée de luxe. A vrai dire, c’est moi qui lui ai appris la nouvelle. Et pour poursuivre sur ma franchise, je me doutais qu’il n’allait pas bien le prendre. Je ne l’aimais pas trop. »

Howaito se tapota chacun de ses deux genoux à tour de rôle. Son regard était toujours pointé vers l’horizon. Pourtant en l’espace d’un court instant, il jeta un petit coup d’œil à son interlocutrice, avant de retourner regarder le paysage auquel il faisait face.

« Est-ce que je regrette d’avoir montré la vérité à un homme qui ne se rendait pas compte qu’il vivait dans un mensonge ? Non. Est-ce que je pense souvent à sa mort ? Non plus. On peut influer sur les gens, même très fortement, mais jamais on ne peut décider à leur place. Rien n’est monotone, ce n’est jamais totalement blanc ni totalement noir. »

L’homme leva doucement sa main droite qui vint caresser son coup alors qu’il faisait craquer ce dernier. C’était une bonne manière de se détendre, ou de rester calme en toute circonstance. Il le fit avec ses doigts, en les croisant en une seule fois.

« Est-ce que cet homme aurait du continuer de vivre dans un mensonge aussi important ? Chacun aurait son avis sur la question. Moi, je pense que tout doit se savoir, d’autres diront qu’il aurait pu vivre un peu plus longtemps dans son beau mensonge. Mais une chose est sûre : si cet homme ne s’était pas suicidé, il aurait changé sa façon de penser et ne se serait plus laissé piéger aussi facilement par une femme. »

Sur quoi il fut comme intéressé par le sol sur lequel il marchait, et se pencha pour ramasser dans le creux de sa main quelques grains de sable et minuscules cailloux, qu’il laissa ensuite s’échapper entre ses doigts.

« Votre pays a beau n’avoir presque que ça, ce sable est magnifique. »

L'image que se faisait Tsukiko se craquelait au fur et à mesure des paroles du moine. Ce dernier lui contait une histoire extrêmement triste et horrible. C'était l'histoire d'un homme désabusé par les charmes d'une femme facile, un homme qui s'était fait avoir par les apparences, un homme qui s'était emprisonné dans ses propres certitudes sans fondement. Elle ne put s'empêcher de tenter de juger le moine assied à ses côtés, jouant un tantinet avec ses genoux. Avait-il eu tord? A son sens oui. Il aurait dû laisser les choses telles qu'elles et attendre que chacun découvre le mensonge de l'un et la déception de l'autre. Peut-être que la situation aurait fini différemment. Mais voilà, ce n'était que des peut-être qui resteront ainsi à tout jamais. Le personnage principal de l'histoire avait préféré couper court à cette existence, et ne plus envisager d'autres possibilités, d'autres espoirs.

- Est-ce que je regrette d’avoir montré la vérité à un homme qui ne se rendait pas compte qu’il vivait dans un mensonge ? Non. Est-ce que je pense souvent à sa mort ? Non plus. On peut influer sur les gens, même très fortement, mais jamais on ne peut décider à leur place. Rien n’est monotone, ce n’est jamais totalement blanc ni totalement noir.

Sur ce point, elle était en accord avec le jeune homme. Tout le monde avait effectivement le choix. Ce dernier pouvait être dur ou facile mais toujours est-il que les situations où une seule solution était disponible étaient rares. Le moine trompé avait le choix de vivre avec sa menteuse, de vivre sans elle, d'abandonner sa vocation de moine ou au contraire de s'y dévouer davantage... il avait eu droit au choix de vivre ou de mourir. En aucun cas Howaito ne l'avait poussé à prendre telle décision plutôt qu'une autre.

- Effectivement, votre ami avait le choix. Comme tout le monde.

Elle ne pouvait s'empêcher de repenser à sa situation. Est-ce que comme ce moine suicidaire, elle se berçait d'illusions? Empruntait-elle le bon chemin pour atteindre son objectif? Avait-elle un objectif noble tout bonnement? Elle doutait. Ce même doute commençait à la forcer à imaginer de nouvelles possibilités, de s'extirper d'une situation de jour en jour plus inconfortable. Inconsciemment, ou consciemment, le moine avait brisé un cercle vicieux où elle s'était enfermée sans le vouloir et avait ouvert les portes des choix multiples, bonnes comme mauvaises.

Il se leva et ramassa une poignée de sable. Il complimenta la seule ressource valable en grande quantité du pays du vent -ou plutôt pays du sable-. Elle offrit un petit sourire et prit également une petite poignée de sable à son tour.

- C'est vrai, vous ne trouverez nulle part ailleurs un tel paysage et un sable aussi doux et chaud. Et nous n'avons que ça ... termina-t-elle avec une moue boudeuse. Cependant n'hésitez pas à voyager de nuit ou rejoindre quelques caravanes de nomades. Les nuits sont des plus animées et chaleureuses, entre les musiques, les bonnes boissons, les conversations et tant d'autres ...

Pourtant en y réfléchissant bien, ce désert n'offrait-il vraiment que ça? Par exemple, où se cacher ses bêtes sous-terraines comme les serpents en période de grandes chaleurs? Ou encore, existaient-ils encore des grottes cachées sous tout ce sable, comme les grottes du temps? Il y avait beaucoup de chances comme aucunes. Malheureusement voilà une préoccupation qui n'était pas dans l'ordre du jour pour Suna. Entre les tensions avec les voisins, les Furyous ... il y avait de quoi s'arracher les cheveux.

Malgré tout, lorsqu'elle voyait cette étendue sablée, elle avait l'impression qu'il n'y avait rien à craindre. Et qu'il y avait toujours une solution à tout.

- Merci ... je pense avoir compris. Nous avons toujours le choix, et à nous de savoir quel choix prendre, en creusant toujours et toujours. Aussi douloureuse soit la vérité, je ferais toujours tout pour la découvrir.

Etait-ce la leçon du moine ? Elle n'en savait rien, mais voilà ce qu'elle retenait, ce qu'elle avait ressenti.

- Que sont exactement les moines Kiezan ? Vous semblez bien différents des moines du pays du vent, du temple d'Ichibi.

Disait-elle vrai en affirmant qu’elle avait compris le fond des choses ? C’était peu probable, mais ça restait possible. Après tout, qui aurait pu s’imaginer que derrière cette kunoïchi appartenant à un des plus grands villages shinobis, tant de maux y régnaient. Elle se devait d’aller de l’avant, et de comprendre que la vie était loin d’être toujours rose. Au contraire, elle était souvent sombre mais le principal était simplement de trouver sa voie, de façon véritable. Et de la suivre jusqu’au bout. Les réflexes et la foi ne viendraient qu’après.

Ainsi, elle « ferait toujours tout pour découvrir la vérité ». Cela allait sans doute affecter sa relation avec ses parents, ses proches voire même son clan. Bien entendu, elle pourrait faire une informatrice de choix, mais il y avait plusieurs épines. La première, c’était que Howaito ne savait pas encore ce qu’il allait faire de la Ruche, ni comment il allait mettre tout cela en place. Bien entendu il avait déjà des contacts et des idées, mais il voulait prendre le temps de réfléchir, encore quelques semaines tout au plus. La seconde, c’était qu’il préférerait se servir de quelqu’un d’autre. Cette fille-là avait déjà souffert et en plus de comporter certains risques, se jouer d’elle ne l’aiderait pas. De plus, Suna était un grand village et Kaze no Kuni une grande nation : lorsqu’il voudrait trouver quelqu’un, il y parviendrait quoiqu’il arrive.

Il aurait pu lui proposer de le rejoindre, de devenir son alliée, mais elle semblait avoir encore beaucoup de choses à régler. Peut-être plus tard, qui sait ? Mais une chose était sûre : il n’avait pas envie de s’en servir contrairement à beaucoup d’autres. Si un jour ils devraient partager quelque-chose : ça serait avec franchise.

« Les moines Kiezan ? Ce sont des moines qui vivent principalement à Ta no Kuni et qui sont considérés comme les plus sages et les plus puissants des moines. Il faut savoir qu’un moine peut être un shinobi et l’inverse peut également être vrai. »

Encore une fois, il se tapota les cuisses avec ses doigts, et inclina sa tête pour regarder le paysage qui s’offrait à lui d’un angle nouveau.

« C’est la seule généralité que tu puisses en faire. Pour le reste, il s’agit de personnes d’horizons totalement différentes : certains sont là pour oublier leur passé, d’autres pour s’inventer un futur. Il en existe même qui sont venus sans trop savoir quoi y faire, ou qui voulaient apprendre un nouvel art de combattre. »

Pourquoi cacherait-il ce genre d’informations ? Ce n’était pas secret, et puis dans un futur proche…

- Si nous n'arrivons pas à maîtriser l'art des moines, peut-on malgré tout prétendre à comprendre leur philosophie? demanda-t-elle, se contentant ensuite d'écouter le reste des explications du moine sur cette existence qu'il démystifiait.

Tsukiko ne put s'empêcher de penser qu'elle aurait dû le rencontrer bien plus tôt. Peut-être aurait-il pu l'empêcher de quitter une maison pour une autre similaire matérialisé sous les traits d'un clan extrêmement sévère et exigeant? Peut-être aurait-il pu la guider vers une autre contrée bien "meilleure"?

Cependant, que voulait dire "tôt"? Si elle l'avait rencontré lorsqu'elle vivait encore à Konoha, elle n'aurait mendié ou chipé discrètement que quelques sous - quoique, elle se serait fait prendre vu qu'il semblait être un excellent ninja - et aurait ignoré toutes ces leçons de vie. Si elle l'avait rencontré durant son voyage pour rejoindre Suna, elle n'aurait pas dévié davantage de son but de découvrir une famille ou, à défaut, d'apprendre plus sur les origines de son don. A moins qu'il ne lui propose le Paradis, elle ne pouvait ni le suivre ni se rendre dans ce temple où il y avait une possibilité de s'inventer un futur.

- Ta no Kuni ... un lieu où je me rendrais dès que je pourrais quitter de mon plein gré le pays du Vent mais sûrement pour apprendre un nouvel art ninja. Je ne peux pas me réinventer un futur ... Il est plus que temps de m'en construire une définitivement.

Si elle n'arrivait pas à s'inventer le futur avec cette "seconde" maison, cela signifierait qu'elle n'y arriverait pas davantage avec une troisième, une quatrième ou une centième maison. Abandonner cette seconde maison signifiait abandonner une lutte et faire preuve de la pire lâcheté possible: fuir la vie et sa réalité. Elle fuyait les combats pour rester en vie et il fallait qu'elle assume maintenant la conséquence de faire face à cette dernière.

Enfin, pourrait-elle quitter cette seconde maison aussi aisément? Elle avait juré allégeance à Suna en devenant une Kunoichi, elle avait été admise dans une équipe et elle avait tout de même réussi à se faire des amis - en dehors du clan évidemment. Elle ne pouvait définitivement pas les abandonner aussi facilement, sur un simple coup de tête. D'une certaine, elle était condamnée.

Cette situation était claire comme de l'eau de roche mais elle ne l'avait pas été autant pour Tsukiko, perdue dans la brume des "peut-être" et des "si" ou des "éventuellement".

- Et vous, pourquoi êtes-vous devenus un moine? demanda-t-elle inconsciemment.

Inconsciemment car cette discussion s'ouvrait sur tant d'horizon et les mots coulaient si aisément de sa petit bouche qu'elle en oubliait la bienséance et les limites. Il connaissait plus ou moins sa faiblesse et quelques facettes de sa personnalité. Allait-il en faire de même? Ou alors allait-il couper court à cette conversation? Ou alors allait-il mentir?

- Si vous avez quitté Ta no Kuni, cela signifie-t-il que vous êtes un moine accompli? Je pensais qu'un moine restait au temple pour transmettre son savoir ... cherchez-vous cet élève en dehors de ce temple?

Lorsqu’elle parla de maîtrise de l’art des moines, elle semblait indiquer leurs talents au combat et leur Taïjutsu très particulier et puissant. Elle n’était définitivement pas là pour forcément apprendre une constante ou un art shinobi – quoi que si ça avait été possible elle l’aurait probablement fait – mais elle voulait surtout philosopher. Intéressant mais triste maintenant que le Kiezan avait percé à jour la grande partie de l’état d’esprit de Tsukiko. Un passé lourd, une famille puissante mais pas réjouissante, un présent troublé et un futur à chercher. Ou plutôt, « à construire »…

La philosophie était un terme qui ne plaisait pas trop à Howaito, mais il avait bien compris ce à quoi la jeune femme faisait allusion en l’utilisant. Et la pensée que les moines de Maskine voulaient instaurer dans l’esprit de leurs disciples n’était pas aisée à saisir mais à la portée de tous.

Il y eut bien entendu un déclic lorsqu’elle parla de « quitter le Pays du Vent dès que possible », cela indiquait clairement qu’elle envisageait un futur différent que celui qui pouvait lui être tracé actuellement en tant que kunoïchi de Suna. Mais elle enchaîna avec une question prévisible, mais qui avait mis du temps à sortir de la bouche de la Kawaguchi. Et quelque-part, ce n’était pas une mauvaise chose…

« Pourquoi ? Pour me construire un futur différent que celui auquel j’étais destiné. »

Il jeta un regard amusé à son interlocutrice. Elle allait le faire, elle devait le faire : appartenir à un village n’était pas la situation la plus aboutie qui existait. En réalité, il y avait énormément de contrainte. La liberté, l’information, la découverte du monde : Howaito ne pourrait définitivement pas être un shinobi relégué à un village ou même à une nation toute entière.

« En effet, j’ai reçu le titre de maître Kiezan, mais comme tu as du t’en douter je ne suis pas un total fidèle. Pourtant, il y a des choses que je n’oublierai jamais sur Maskine et sur tout ce que j’ai appris, et l’engagement de transmettre mon savoir en fait partie. Je le ferai. Un jour. »

Le Gekei se tapota encore les genoux, puis décida de se lever. C’était le bon moment, le bon timing.

« Un jour, bientôt, je quitterai probablement les moines et vivrai une nouvelle étape de ma vie. Et peut-être que toi aussi, il ne tient qu’à toi d’en décider. Sache que je serai prêt à t’épauler et à t’accompagner dans ce nouveau futur. N’oublie jamais mes mots. »

Etrangement, il n’adressa pas de regard à la Kawaguchi cette fois. Il se contenta de rester debout quelques instants, puis commença à marcher. Vers un nouveau futur, déjà presque tracé.