"Le sabre est l'âme du samouraï ", nous dit l'une des plus vieilles maximes du Bushidô, la Voie du guerrier. Symbole de virilité, de loyauté et de courage, le sabre est l'arme favorite du Samouraï. Mais dans la plus pure tradition, le sabre est plus qu'un symbole philosophique : c'est une arme magique. Il peut-être maléfique ou bénéfique selon la personnalité du forgeron et du propriétaire. Le sabre est comme le prolongement de ceux qui le manient, il s'imprègne mystérieusement des vibrations qui émanent de leur être. Selon la vision l'antique religion shinto, la fabrication d'un sabre est une véritable alchimie où l'harmonie intérieure du forgeron est plus importante que ses capacités techniques. Avant de forger une lame, le maître armurier passait plusieurs jours en méditations variées, puis il se purifiait en procédant à des ablutions d'eau froide. Revêtant des vêtements blancs, il se mettait alors au travail, dans les meilleurs conditions intérieures pour donner naissance à une arme de qualité.

Masamune et Murasama étaient d'habiles armuriers forgerons de Tetsu. Tous les deux forgeaient des sabres d'une très grande qualité. Murasama, au caractère violent, était un personnage taciturne et inquiétant. Il avait la sinistre réputation de forger des lames redoutables qui poussaient leurs propriétaires à de sanglants combats ou qui, parfois, blessaient son porteur. Ces armes eurent très vite la réputation d'être assoiffées de sang et furent tenues pour maléfiques. Par contre Masamune était un forgeron d'une très grande sérénité qui se livrait à un rituel de purification systématiquement pour forger ses lames. Elles sont considérées comme les meilleures du pays. Un homme, qui voulait tester la différence de qualité entre les modes de fabrication des deux armuriers, plaça un sabre de Murasama dans un cours d'eau. Chaque feuille dérivant à la surface, qui touchait la lame, fut coupée en deux. Ensuite, un sabre fabriqué par Masamune fut placé dans le cours d'eau. Les feuilles semblaient éviter la lame. Aucune d'elles ne fut coupé, elles glissaient toutes intactes, le long du tranchant comme si celui-ci voulait les épargner. L'homme rendit son verdict : " La Murasama est terrible, la Masamune est humaine!". C'est cette même lame qui accompagnait dorénavant l'afro Samouraï, sur les routes du reste du monde.

Samouraï, c’est le mot qui intervint immédiatement lorsque le moine vit cet homme. Une coupe de cheveux des plus étranges, pour une épée des plus imposantes. Elle n’était pas banale, elle dégageait quelque-chose. Mais qu’est-ce qui pouvait laisser croire que ce n’était pas une épée à pouvoir ? A vrai dire, pas grand-chose, hormis peut-être que l’homme en question ne portait pas de bandeau ou le moindre signe distinctif de shinobi. Pas un ancien Kirijin…

Pendant un instant, Ukyô tenta de s’imaginer ce que ça avait du être pour ces ninjas. Il n’avait rien contre eux, personnellement, il n’aimait simplement pas ce qu’ils représentaient. La sorte de fausse justice qui régissait le monde par la simple justification qu’ils étaient plus forts que les simples Hommes. Le pouvoir implique la hiérarchie. Un principe qui faisait du tort à l’idéologie des moines. Un principe encore présent chez le Yashi, malgré le fait qu’il se soit retiré de l’ordre des Kiezan.

Les Samouraïs possédaient un code d’honneur, et si l’homme en était un, alors il ne fallait pas le brusquer. Mais la curiosité était quelque-chose que le Yashi ressentait parfois. Et il aurait aimé savoir ce qu’un probable Samouraï faisait ici, dans un pays auquel Ukyô était resté profondément attaché.

C’est une belle épée que vous avez là.

Avait-il dit en s’arrêtant à quelques mètres à peine de l’intéressé. Il semblait avoir un âge proche du moine, qui se rendit d’ailleurs compte qu’il aurait sans doute pu tourner sa phrase dans un sens plus… plaisant. Mais après tout, l’ancien Kiezan n’en était plus à devoir réfléchir au sens de chacun de ses mots. Cela lui faisait d’ailleurs du bien de ne plus avoir à parler la plupart du temps avec des métaphores sur la nature et la paix. A cette pensée de liberté, il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire, et tourna les yeux vers l’horizon. Traverser ce pays qu’il connaissait tant était un véritable plaisir, mais avant de continuer, il allait devoir terminer sa discussion avec le probable Samouraï. Une discussion qui d’ailleurs pouvait se finir aussitôt vite qu’elle avait débuté. Ce qui serait sans doute la faute du choix des mots d’Ukyô, qui arrêta de sourire avec légèreté.

— " Je suis complètement perdu... Hm."

Le soleil sombra derrière un banc de nuages empourprés, il se faisait tard. L'air était agréablement frais et, pour la première fois depuis son arrivée dans les terres de Ta, Malaw avait un bon moral. Le moment parfait pour s'allumer une cigarette et se laisser aller.
Perdu dans ses pensées, il n'avait pas vue la silhouette qui s'était déjà dessiné au loin. Vêtu d'un habit rouge sang orné de plusieurs dorures, l'inconnu c'était rapproché le visage caché par une capuche, visiblement non armé. La main sur le fourreau en signe de méfiance, Afro -de son surnom- s'arrêta pour l'observer. En effet, un homme non armé ne signifie en aucun cas une victoire certaine.
Une légende raconte que le célèbre maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa à Tetsu sur un radeau avec d'autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un Samouraï extrêmement prétentieux qui n'arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maîtrise au sabre. A l'écouter, il était le champion toutes catégories du pays, ce que les voyageurs semblaient croire au vu de leurs regards goguenards où se mêlaient admiration et crainte. Le maître ne s'en préoccupa donc pas, ce qui finit par vexé le Samouraï qui voyait bien l'attention de Bokuden se concentrer ailleurs. Il lui dit :


***

— " Toi, aussi tu portes une paire de sabre. Si tu es Samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot ?"

Bokuden répondit :

— " Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu."

Le samouraï se gratta le crâne de perplexité et demanda :

— " Mais alors quelle est ton école ?"
— " C'est l'école du combat sans arme, l'art de Maskine."
— " Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des armes ?"
— " Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C'est un sacré défi !"

Exaspéré, le Samouraï demanda :

— " Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi, sans sabre ?"
— " Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne !"

Hors de lui, le Samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bokuden suggéra qu'il serait préférable d'aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d'attroupement et être plus tranquille. Le Samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée au nord de Tetsu, le samouraï, impatient d'en découdre, sauta à terre, il dégainait déjà son sabre, prêt au combat. Bokuden enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s'élança pour sauter à terre, quand soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau de la berge pour le pousser dans le courant. Bokuden se retourna alors vers le Samouraï qui gesticulait sur une île déserte et il lui cria :

— " Tu vois, c'est cela, vaincre sans arme !"


***

Un sourire en coin se dessina sur le visage de Malaw qui c'était remémoré ce vieille adage. L'inconnu ne semblait pas hostile a première vue, mais au lieu de passer son chemin, il lui dit :

— " C'est une belle épée que vous avez là."

Après quelques secondes, ne flairant aucun danger, l'afro Samouraï relâcha sa main du fourreau pour tirer une taf -sans succès- et lui dit d'un air relax :

— " Merci l'ami, mais elle n'est pas à vendre, si tu vois ce que je veux dire."
— " Tu n'as pas du feu pour moi l'ami ? Non c'est bon ne te fait pas de bille j'ai ce qu'il faut en faite." dit-il en rallumant sa clope.
— " Dit-moi. Je marche depuis plusieurs jours et pour être franc je me suis perdu. Tu sais où on est ?"

Calme, Afro s'offrait quelques bouffés de tabac.

C’était assurément sur un drôle de spécimen que le moine était tombé. Un probable Samouraï qui avait tout de l’homme amical, qui ne se ferait pas de frayeur même si on lui fonçait dessus. Il y avait de l’exagération bien sûr, mais Ukyô avait décelé chez l’inconnu une certaine aisance pour garder son calme. Il n’était pas inquiet, apeuré, fermé au dialogue… Mais il n’avait pas non plus de raison de l’être.

Il fumait, chose que le Yashi avait toujours détestée. Remarque, c’était plutôt logique. Ancien Kiezan, il avait toujours porté un intérêt plus que pointu sur sa santé, sa forme. Le tabac, comme d’autres choses, n’allaient donc pas dans ce sens. Quant au stress ou autre difficulté que certains arrivaient apparemment à évacuer en fumant, le jeune homme arrivait à faire de même plus rapidement et sans le moindre artifice. Il avait un don pour rester calme, fruit de ses nombreuses prières au temple.

Nous sommes à Ta no Kuni, Pays des Rizières. Quant au lieu exact, c’est difficile à dire. Le village le plus proche est à encore deux ou trois kilomètres.

Dit-il en prolongeant la direction de la ville citée avec son bras. Deux ou trois kilomètres, voilà une mesure assez juste, pensa l’ancien moine, qui regardait le sentier creusé entre plusieurs champs. Du riz, des épices : comme d’habitude.

Aurait-il du s’inquiéter de l’homme qu’il venait de rencontrer ? Aucunement. Même si la plupart des Kiezan du pays recherchaient le Yashi, il était difficile pour lui d’imaginer qu’ils auraient rusé de la sorte. Un homme placé là, en plein milieu d’un chemin. Quelle aurait été la suite de ce pseudo plan, un verre, une discussion plus poussée ? Puis après, un piège ? Ukyô se devait de réfléchir, et il avait appris à le faire de manière automatique et rapide. Mais pour le coup, il avait même du mal à croire à l’hypothèse d’un quelconque danger.

Non, le probable Samouraï n’était pas une menace. Et quand bien même il l’aurait été : Ukyô savait se défendre. Et c’était aussi une chose qu’il avait appris avec de longues années d’entraînement avec les moines. Ses anciens « siens », à présent étrangers à son objectif. A présent étrangers à lui-même. C’était mieux ainsi, oui…