- Es-tu prête Tsukiko ? lança son père du rez-de-chaussée.

Pour sa part, la jeune fille avait envie de pleurer de rage. Elle ne voulait pas assister à ces réunions annuelles du clan et surtout pas à l’intégration des nouveaux membres ayant reçu leur bandeau de ninjas. A ses yeux, ils n’allaient être qu’une nouvelle tripotée de gamins qui allaient la regarder de haut ou la mettre mal à l’aise avec des regards peu amènes, comme leurs prédécesseurs. Après les genins, ce sont les chunins ou jonins ayant montés d’un niveau qui se présentera humblement.

En soit, c’était seulement une fête où on félicitait ces « talentueuses » personnes.

« Mais je resterai loin, comme à mon habitude » se promit-elle. La seule fois où elle avait été le centre des attentions, c’était quand elle-même faisait partie de cette tripotée de jeunes s’étant engagé parmi les rangs ninjas il y a trois ans. Ajoutons à cela qu’elle s’était prise un tantinet tardivement, alors autant dire qu’elle avait bien dénoté.

Boudeuse, elle rejoignit son père et sa belle famille et les suivit à une distance respectable. Le pater ne pouvait rien remarquer, bien trop excité de voir les nouvelles têtes ou recrus, et avoir droit à leur récit ou avis. Enfin, il voulait à tout prix échanger quelques anecdotes avec quelques connaissances. De même pour son demi-frère ainsi que pour sa belle-mère. Pour sa part, elle ne fera que se taire et se tenir à l’écart.

Et la Cérémonie débuta.

Malheureusement, son demi-frère avait été « prévoyant » et avait trainé de force la jeune Tsukiko parmi les premiers rangs et, inconsciemment, aux côtés de ceux qui la détestaient le plus. Evidemment, le pauvre frère ne le savait : il savait que sa sœurette attirait certaines animosités, mais il n’imaginait pas l’ampleur de ce sentiment.

- T’as vu le borgne là ? Hideux, susurrait et murmurait quelques voix derrière elle.

Tsukiko releva les yeux et chercha « le borgne » en question. Comme toujours il n’était pas dur à trouver, et comme toujours, il était intimidant. Elle baissa immédiatement la tête, se concentrant davantage sur le petit discours introductif du chef de clan. Sauf qu’on ne voulait pas la laisser écouter tranquillement ce discours ennuyeux prononcé à une vitesse extraordinairement lent, et on la poussa discrètement. Cependant, elle fut si surprise par ce contact, qu’elle réagit au quart du tour, sortit de ces rangs et se retourna vers le fautif pour demander la raison d’un tel acte. Mais le silence soudain tout autour lui rappela le lieu et le moment.

A nouveau elle se retourna vers le patriarche de la famille. Ce dernier l’observait de ses yeux demi-clos.

- As-tu quelque chose à dire ?
- Non.
- Alors ne m’interromps plus.

Elle acquiesça, confuse, et se remit dans les rangs. La suite fut longue et atroce pour elle. Dès que toute cette cérémonie fut terminée et que les réjouissances et discussions pouvaient débuter, la jeune fille aux cheveux rosés en profita pour s’éloigner discrètement, et rejoindre le centre-ville même de Suna.

Elle releva son beau kimono, s’attacha grossièrement les cheveux, et se prépara à fuir de la demeure en passant par le mur. Toute la famille risquait de s’attarder jusqu’à tard la nuit et donc elle avait toute une après-midi à tuer.

« Je n’ai pas mes lunettes et ma cape par contre. ET il y a pas mal de vent » avait-elle constaté en quittant la demeure de sable. Elle devra donc tuer son temps dans un petit établissement.

Personne ne risquait remarquer l’absence de la jeune fille pour plusieurs raisons. D’une, son père et son demi-frère étaient occupés à discuter avec d’autres ninjas, sa belle-mère se fichait complètement de sa belle-fille et au sein du clan, elle avait peu d’amis – ou plutôt elle n’en avait aucun. De deux, elle avait très bien rodé son système. Elle savait exactement quand partir et quand revenir sans que les seuls hommes de sa vie qui se préoccupaient de sa personne ne remarquent rien. S’il y avait bien une chose que sa défunte mère lui avait bien apprise, c’était de fuir, de se faufiler ou de se cacher. Aux yeux de beaucoup de personne, c'était des techniques de lâche pour beaucoup de personnes mais pour Tsukiko c’était des techniques de survie. Et aujourd’hui, elle allait fuir pour la survie de sa petite journée. Elle ne souhaitait pas s’éterniser auprès de personnes qui ne l’acceptaient pas encore en l’occurrence. Peut-être restera-t-elle jusqu’au bout le jour où elle sera considérée comme une Kawaguchi à part entière et non une étrangère bâtarde ?

─ Tiens, tu es pas avec les autres membres du clan ?

Tsukiko fit volteface immédiatement et se figea quand elle reconnut la personne qui l’avait interrompu. Enfin, reconnaître était un bien grand mot : elle ne l’avait vu que de loin à chaque fois, et comme toutes ces fois, il la déstabilisait et il l’intimidait à la fois avec cet unique œil.

L’œil la déstabilisait. Le regard l’intimidait. Voilà deux notions complètement distinctes. La première pouvait être qualifiée de matériel ou de physique, visible et touchable. Le fait d’être regardé avec un seul et unique œil était assez gênant et des plus inattendus. Quant à la seconde, l’air du ninja, sa posture, ses gestes, sa seule pupille, sa voix … tout indiquait clairement que cet homme n’était pas un Kawaguchi lambda comique. A la manière qu'avait les gens de le saluer, ou de le regarder avec crainte, elle avait compris qu'il devait faire partie de l'élite du clan.

Malheureusement, s'il attendait autant de respect et de déférence de la part de la jeune femme, c'était peine perdue : elle ne savait pas comment le faire ou alors réussissait de temps à autre par le plus pure des hasards. Certaines pratiques restaient universelles certes mais d’autres avaient été complètement remanié à l’image du clan. Malgré toute sa bonne volonté pour assimiler beaucoup de choses, peu de gens lui montrait l'exemple, et seule, elle était légèrement perdue. Mine de rien, les conventions, les traditions, les entraînements, les exigences, les niveaux ... tant de règles à apprendre, tant de "trophées" à obtenir, tant de mal de crânes pour la petite ex-blonde.

- Non … Je voulais juste me promener !

Tsukiko se mordit la langue, la maudissant en bonne et due forme en se promettant au passage de tourner sept fois sa langue avant de parler ou de réfléchir avant d’émettre le moindre mensonge. Tout d’abord, elle n’avait pas vraiment répondu à la question. Disons même qu’elle venait de répondre complètement à côté. Ensuite, qui croirait à un tel mensonge ? En effet, qui voudrait sortir se promener sous le vent et le sable avec un simple kimono de cérémonie ?

« Peut-être que c’est normal pour les Kawaguchi ce genre de balade, le sable et tout » pensa-t-elle, se donnant un petit courage. « Ou alors, il s’en fiche royalement et s’en ira ».

- Enfin, oui... je ne suis pas avec les autres. Ces cérémonies ne m'attirent pas toujours, avoua-t-elle. Je veux dire, le début est bien avec toutes ces promotions et ces talents mais la suite, quand il n'y a plus rien à faire. .. il n'y a plus rien à faire ? dit-elle, se tapant mentalement le front devant cette logique "implacable".

A nouveau elle se maudit. Elle clamait haut et fort qu'elle voulait être une Kawaguchi et là, elle disait ne pas être intéressée par les cérémonies. N'était-ce pas un tantinet paradoxal ? Cependant, comment expliquer à cet homme qu'actuellement c'était ennuyant à mourir mais que plus tard, cela pouvait être plus intéressant ? Comment lui dire que chacune de ses paroles étaient un semi-mensonge, destinées à cacher à quel point elle était seule et exilée? A moins qu'il ne le sache.

«Ah nan ! Je ne suis pas si célèbre. Seul le cercle familial ... quoique, elle est large ce cercle et les rumeurs sont une vraie plaie !»

Elle attendit qu’il parte mais il restait et continuait à la fixer de cet œil unique.

- Vous … cherchez quelque chose ? Ou alors, vous souhaitez rester seul ?

« Ne dis pas que tu veux rester seul et que cette place t’es dédiée ! Pitié ! Je ne veux pas retourner là-bas ! » Supplia-t-elle mentalement, espérant envoyer les bonnes ondes à cette personne. Dans les faits, croyait-elle en ce genre de chose ? A moitié ! Au final, d’une manière ou d’une autre, la personne ne sentait-elle pas le malaise ou la volonté de son interlocuteur si cette dernière était forte ?

Elle espérait donc que cette même histoire de magnétisme marchera. Elle était loin de se douter que cet homme allait soulever de futures interrogations pour la jeune Tsukiko, qu’il allait être une source de curiosité. Et qui sait, peut-être même une source d’inspiration pour sa manipulation du sable.

- Vraiment … ?

Tsukiko était étonnée. Ainsi, elle n’était pas la seule à s’ennuyer de ces cérémonies. Elle n’était donc pas la seule à chercher à les fuir ! Même cet homme si craint et si respecté par le clan aimait quitter ce cercle privilégié pour se réfugier ailleurs ! Cette révélation fit plaisir à Tsukiko. Elle lui donnait la sensation de ne pas être si Etrangère que cela au clan, et qu’elle était comme lui, comme ce fameux être respecté !

Un sourire vint éclairer son petit visage et elle se permit de mieux respirer, de se sentir bien plus à l’aise aux côtés du borgne. Devrait-elle le fuir à tout prix et en être dégouté ? Certes, les premières minutes pouvaient être gênantes mais on s’y habituait bien vite. Elle avait tout de même dix-huit ans et avait connu des dizaines de confrontations, et vu des centaines de blessures de tout type. Celle-ci n’était qu’une parmi une longue liste. On s’habituait à la voir et à la supporter avec le temps.

- Non non ! Vous pouvez rester ! Ce n’est pas à moi de vous dire de partir. Je veux dire … enfin, vous voyez, vous semblez plus fort. Et vous êtes mon ainé dans le clan. Donc c’est à moi de partir si vous souhaitez … et je m’embrouille. Désolé !

Elle était maladroite dans ses relations avec autrui et savait rarement où se mettre lors d’une première rencontre avec un inconnu. Cette nervosité disparaissait heureusement au fil des rencontres, lorsqu’elle commençait à connaître l’autre et à prendre ses repères.

- Mais … vous me laisseriez vraiment partir, si je veux ? et ne rien dire à personne ? demanda-t-elle, pour s’assurer d’avoir bien compris et d’être sur la même longueur d’onde que monsieur.

Cette attitude étonnait beaucoup Tsukiko. Sa Belle-mère s’empresserait de rapporter « l’effronterie » de sa belle-fille à son précieux époux. Son demi-frère serait bien plus protecteur et refuserait qu’elle traîne ailleurs seule. Son père était une autre paire de manche, ne « copiant » que le fiston et écoutant les « sages » paroles de la belle-mère, il étouffait littéralement la jeune fille sous les obligations, les devoirs et les rares droits. Quant aux inconnus du clan, ils ne l’aimaient guère et passaient leur temps à la critiquer dès qu’ils la voyaient.

Autant dire que ce détachement dans le caractère et cette liberté accordée étaient un brin trop étranger à la petite dame. Elle se mit à rêver d’un père un peu équivalent. Voilà un beau rêve enivrant mais qui restera à tout jamais un beau rêve. Elle avait « détruit » un beau foyer, alors autant ne pas rêver à voir s’améliorer.

- En fait, je veux bien rester avec vous. Je n’avais rien d’autre de plus intéressant dehors. Je comptais juste m’asseoir dans un petit restaurant que j’aime bien, et faire passer le temps. Ou alors aller m’entraîner un peu. Dites, ça fait combien de temps que vous maîtrisez le sunaton ?

Tsukiko était toujours curieuse de connaître le nombre d’années de maîtrise de son interlocuteur Kawaguchi. Très souvent, elle était béate d’administration ! Enfin, ce n’était guère compliqué car elle était une de ces rares enfants Kawaguchi à ne maîtriser cet art propre au clan à seulement une quinzaine d’années de son existence. On peut dire qu’elle était très en retard, et galérait royalement pour les bases. Par contre, elle excellait pour utiliser ce talent pour sculpter de merveilleuses sculptures de sables.

- Je ne maîtrise que depuis deux ans ou trois ans je crois. C’est un peu compliqué mais c’est tellement intéressant ! Par contre je préfère utiliser pour faire quelques sculptures. Au départ, elles étaient très petites et ne ressemblaient à rien mais avec le temps, l’entraînement, j’ai réu… Ah désolé ! Je dois vous embêter !

Mais que pouvait-elle dire d’autre ? Il l’intimidait mais attisait tout autant sa curiosité. Elle voulait savoir pourquoi on le craignait tant. Elle voulait savoir comment il était devenu borgne. Elle voulait savoir à quel point il était doué dans l’art d’utiliser le sunaton.

- Bref … c’est compliqué. Surtout de se dire qu’il faut utiliser ce bel art pour tuer … si nécessaire. Enfin , je veux dire, c’est ce que doit faire un ninja si besoin pour protéger les siens. Et … Donc voilà. Donc … donc.

Donc, donc, quoi ?

- Donc … Ah j’ai oublié de me présenter ! Enfin … je crois. Kawaguchi Tsukiko. Enfin … Tsukiko. Tout court. Genin actuellement.

Elle se donna une autre tape mentale. A quoi cela lui servait de dire « Kawaguchi ». Ils appartenaient tous deux au même clan.