Recherches et Confections ~

Quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, il n'était pas toujours aisé pour une âme solitaire, par définition vouée à elle-même et ce malgré son attachement profond et viscéral à sa religion, de garder un moral d'acier. Dans ce monde, il n'existait en effet aucun matériau, aucune substance aussi dure à façonner et à maintenir en bonne condition que l'esprit, cette entité immatérielle que Yanosa avait déjà tenté de toucher et de contrôler par le passé. Son épée, il lui suffisait de la nettoyer après usage, polissant son tranchant et lui redonnant toute sa splendeur en moins d'une heure de travail. Ses armes secondaires l'occupaient déjà un peu plus, chaque projectile devant être préparé avec soin et leur petitesse ne simplifiant parfois pas la tâche au Nukenin lorsqu'il devait placer un sceau complexe sur un bout d'acier aussi petit qu'un shuriken. Le jeu en valait la chandelle, toutefois, puisque chaque arme ainsi préparée, enduite de substances concoctée à l'avance et dont le dosage était désormais millimétré, devenait d'une rare létalité. Autant de temps consacré à la préparation d'outils qui trouveraient leur usage au cœur d'une escarmouche d'à peine une minute... Quelle ironie, quand on y pensait.

Mais tout ce travail en amont achevé, ses équipement affûtés et rangés avec soin pour être accessibles le plus rapidement possible en toute circonstance, le Nukenin n'avait guère plus que des questions. Des interrogations qui balayaient son esprit comme une marée montante et descendante, soumise au clair de lune et aux astres divins, et qui ne le qui ne le quittaient jamais vraiment. Car toutes les certitudes du monde, aussi injuste que cela puisse être, ne pouvaient effacer l'ombre d'un seul et unique doute, d'une hésitation galopante et solitaire, qui n'avait besoin de rien d'autre que d'une âme où vagabonder pour subsister et grandir dans les ténèbres. Oui, même les grands guerriers, dévots et imprégnés de leur divine mission, pouvaient douter et se questionner. Consciemment ou non, c'était ce questionnement permanent qui poussait Yanosa à développer ses recherches dès que l'opportunité se présentait, toujours aussi désireux qu'il était de percer le secret de la vie humaine, au sens large du terme, et de pouvoir en saisir les rennes pour guider ce monde tout entier vers la fin qui lui était réservée.

Assis sur un rocher taillé dans le seul but d'accueillir le bas de son dos, observant d'un air pensif le fond de la grotte qu'il s'était confectionné lui-même il y avait des années de cela, le Nukenin ressassait ses dernières expériences, tournant et retournant chaque fait établi dans tous les sens possibles pour tenter d'en extraire une information utile, un brin d'indice qui lui permettrait d'avancer. Mais, hélas, rien dans la confection des sceaux Suzurane ne semblait avoir de lien, quel qu'il soit, avec ses recherches à lui. Les créations de ce clan marginal et redouté était d'une rare beauté, quand on savait apprécier l'art du fûin et ses secrets : Yanosa avait donc pu élargir sa vaste connaissance du monde en analysant la matrone qu'il avait capturé et traîné jusqu'à Gyamada quelques jours auparavant, mais rien dans le répertoire de la douleur et des souffrances infligées à autrui ne lui permettrait de... Si ! Il y avait un lien... Un lien évident qui avait grossièrement échappé à Yanosa pendant ses heures de réflexion, mais qui était sujet à interprétation : le transfert d'énergie.

Car, si un sceau ou une série de sceaux étaient capables de faire transiter une forme d'énergie aussi impalpable que la douleur d'une source jusqu'à un réceptacle, transformant même cette douleur en puissance brute, pourquoi l'âme ne pouvait-elle pas subir le même traitement... ?

Il avait passé un accord. Une « sorte » d'accord. Ce dernier lui interdisait formellement de maltraiter, d'une façon ou d'une autre, la population du pays de la neige, entre autres choses. Mais, au fond, que vous soyez un dangereux criminel ou un saint en quête de la paix universelle, que valait un accord quand sa violation vous permettait d'avancer sur la voie de la recherche et du progrès ? D'aucun dirait que c'est alors notre sens moral qui doit entrer en scène et jouer son rôle, mais... La morale était un concept possédant tellement de facettes et d'interprétations divergentes qu'il était souvent bien vain d'y faire appel, à plus forte raison quand la personne concernée était un farouche guerrier aux penchants scientifiques qui aurait tout sacrifié pour amener ses desseins à leur terme.

Ainsi donc, sans l'once d'un remord -quoi que l'entreprise qu'il allait mener cette fois-ci serait sans doute moins meurtrière que les précédentes, relativement parlant-, Yanosa avait pris la liberté de capturer deux individus dans la bourgade la plus proche des côtes qui bordait les montagnes en haut desquelles il siégeait, deux hommes sans nom qu'il avait immédiatement aperçu en train de mendier dans les rues presque désertes de cette zone portuaire mineure. Après tout, pourquoi se priver de cette manne, se dit-il alors... Personne ne viendrait réclamer les deux larrons, tout au plus s'interrogera-t-on sur la raison de leur départ soudain de la ville au sein de laquelle ils avaient mendié des mois durant, et l'affaire ne parviendrait jamais aux oreilles du Gouverneur, qui aurait de toute façon bien de la peine lui-même à rompre son arrangement avec le Nukenin pour un banal « empreint » de personnel dont il n'avait clairement pas besoin. Excité par la perspective de son expérience à venir, Yanosa ne s'en laissa pas pou autant emporté lors de son ascension des montagnes, se réservant et prenant le temps de la réflexion pour mûrir les termes de son expérimentation pour qu'elle puisse porter le plus de fruits possible. Une demie-journée de marche éreintante plus tard, il était de retour au bercail chargé comme une mule, un homme saucissonné et assommé sur chaque épaule. Oui, cela avait décidément bien des avantages de posséder une musculature et une endurance aussi développées que les siennes...

S'aidant des aspérités naturelles sur les parois de son antre, le guerrier rouge attacha alors les deux individus l'un en face de l'autre, chacun sur un versant de la grotte, et mit en place ses préparatif en attendant leur réveil. Il ne savait pas si il serait capable de reproduire la fonction primaire des sceaux qu'il avait pu étudié sur le corps de la Suzurane, et encore moins si les encryptions qu'il allait remplacé ça et là allaient remplir correctement leur office, mais, malgré toute l'anticipation dont il pourrait faire preuve, le meilleur moyen de s'assurer des résultats obtenus était encore... de générer ces résultats. Fin prêt, Yanosa réveilla alors de force ses deux invités à grand renfort de neige fraîchement fondue, qui trempa des pieds à la tête les deux larrons en leur arrachant l'un après l'autre un cri de surprise mêlée à une évidente terreur. Sans un mot, ignorant complètement les complaintes et autres suppliques des deux hommes, Yanosa se mit au travail avec une rare application, déchirant les vêtements sales et souillés de ses sujets pour pouvoir inscrire avec soin les sceaux dont il aurait besoin sur leur torse. Le jashiniste apporta un soin particulier à ces sceaux, ne s'autorisant aucune marge de manœuvre et instaurant quelques gardes-fou pour augmenter ses chances de réussites. Puis, le temps de l'expérience proprement dite vint enfin.

Armé d'un Kunai, le Nukenin se positionna alors entre les deux hommes, faisant aller son regard de l'un vers l'autre, puis il prit la parole, rompant le silence angoissant qu'il avait adopté depuis.

« Bon. Lequel d'entre vous tient le plus à la vie, dites moi ?

- Je veux vivre !! Pitiéé ! »

Premier à répondre, premier servi, comme qui disait. L'autre individu avait hésité une seconde de trop, laissant à son partenaire de malheur la seule chance de réchapper vivant de tout ceci. Yanosa trancha donc promptement la gorge à celui dont la langue avait flanché, attendit une petite minute que le sang ait fini de coulé, puis se dirigea vers l'autre homme, plus concentré que jamais. C'était maintenant que tout allait se jouer. Armant son bras pour égorger le second larron, le guerrier rouge lut l'incompréhension la plus totale dans les yeux du mendiant, tandis que son sang se mettait lui aussi à couler. Lâchant aussitôt son kunai, Yanosa se plaça alors entre les deux hommes, tendant ses bras de chaque côté comme pour les attraper l'un et l'autre à distance. L'activation des sceaux se fit sans heurt, et alors que la vie quittait le corps du deuxième homme, son âme transita... Mais pas dans la direction qu'elle était supposée prendre. Aspirée, étranglée dans un siphon de chakra et de maléfices, l'âme du malheureux intégra le corps sans vie du premier égorgé, insufflant pendant de courtes secondes un souffle de vie dans ce corps que tout avait quitté. Ses yeux s'écarquillèrent, incapable de comprendre ce qui lui arrivait, et pour cause... Son âme était la balle d'un tout nouveau sport, que le Nukenin venait d'inventer. Mais, la dépouille sans vie ne pouvant supporter plus longtemps d'être habitée par un esprit, ce dernier périclita presque aussitôt, réintégrant le flux naturel des choses et replongeant la grotte dans un silence profond, après avoir gigoté comme un pantin démantibulé.

Il avait réussi... Son expérience, tout du moins, avait réussi... Et tout cela, grâce aux précieux enseignements qu'il avait pu retiré de sa prisonnière précédente. Merci les Suzurane...

Débordant d'allégresse suite à son succès de la veille, Yanosa ne s'en laissa pas pour autant galvaniser comme une pucelle à qui l'on avait promis monts et merveilles. Avec le temps, comme tous les chercheurs quels qu'ils soient, le jashiniste avait en effet appris à replacer ses découvertes et ses expériences dans leur contexte, leur attribuant le juste mérite qu'elles pouvaient recevoir , ni plus ni moins. Oui, les encryptions propres au sceaux Suzurane l'avaient aidé à approfondir son savoir et sa compréhension des transfert énergétiques, allant jusqu'à faire véhiculer une âme d'un corps à un autre, et en soit, cela été bien évidemment un grand pas en avant. Un pas, certes... Mais qu'était un pas lorsque vous aviez le monde à traverser ? Face à la démesure de l'objectif qu'il s'était fixé, Yanosa ne pouvait en effet que relativiser chaque succès, en dépit de leur caractère déjà surnaturel, et le jeune guerrier se retrouva, une fois de plus, au milieu d'une attente brumeuse et interminable. Cette attente qui, immanquablement, venait ponctuer chaque victoire sur la matière et le faisait patienter, jusqu'à ce que Jashin daigne placer sur sa route un nouveau morceau du puzzle cosmique qu'il essayait de reconstituer.

Pour gérer ces temps d'attente, ces sas de décompression, Yanosa avait appris à recentrer son attention sur des sujets bien plus terre à terre, agrémentant l'armure qu'il s'était confectionné d'une nuance ou deux, mettant au point de nouveaux tours à jouer à ses ennemis et qui ne manqueraient pas de les précipiter dans la tombe,... Les occupations, en vérité, ne manquaient pas pour le Nukenin, malgré son isolement complet du monde extérieur. Parfois, le hasard venait même lui souffler une idée ou deux, exactement comme ce jour là...

Le surlendemain de sa dernière expérimentation, Yanosa fut en effet la victime de ce qui se faisait communément appeler une « gamelle », et ce bien malgré lui. Les sols gelés, verglacés et boueux, tout cela le connaissait bien, et pourtant.... Tandis qu'il descendait quelques centaines de mètres de dénivelé pour aller se ravitailler en bois frais, le grand guerrier qu'il était s'étala de tout son long sur le sol après qu'une plaque de verglas qui avait cru bon de se dissimuler sous une mince couche de neige fraîche avait fait ripé son pied gauche. Et bien que cet incident fort désagréable ne lui attenté aucune blessure ni ne fut capté par un quelconque observateur, Yanosa se jura intérieurement de ne plus jamais se rabaisser à un tel spectacle, prenant même Jashin à témoin que la honte d'un tel spectacle ne lui serait plus imposée jusqu'à ce que sa mort survienne. C'est donc avec autant de détermination que lorsqu'il mettait en place une expérience scientifique complexe que, sitôt rentré dans son antre avec le bois dont il avait besoin, le Nukenin s'attela à la confection d'un accessoire tout à fait singulier.

A dire vrai, alors qu'il commençait à échafauder les grandes lignes de son petit projet, Yanosa se demanda pourquoi cette idée ne lui était pas venue avant et comment il avait pu faire toutes ces années pour se priver d'un tel équipement, surtout étant donnée l'état des routes sur lesquelles il avait pour habitude de voyager. Prenant sa paire de botte en main, il en étudia l'état pour se faire idée de la faisabilité de son projet, prit quelques mesures de tête et agrippa une poignée de shurikens dans sa sacoche, brisant les quatre lames qui les composaient et les affûtant chacune individuellement. Huit, cela devrait amplement suffire, se dit-il. Quelques heures de travail plus tard, avec un peu d'huile de coude, de savoir faire et de connaissances en signaux de chakra, une nouvelle arme avait pris place dans la semelle de ses bottes : les huit lames que renfermait chaque botte pouvaient répondre à sa volonté lorsqu'il envoyait le signal adéquat et sortaient alors vivement de sa chausse, lui permettant de prendre prise dans n'importe quel matériau qui ne soit pas de l'orichalque et lui assurant ainsi une stabilité optimale en tout circonstance. Et, finit-il par se dire, il n'existait pas de lame qui ne réclame pas de chair... Un double emploi fort bienvenu. Ainsi Yanosa passait-il ses journées. Ainsi se préparait-il au grand raz-de-marée à venir...

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