Parfois, les pensées s’enchainent comme ça, toutes seules. Il suffit de laisser son esprit vagabonder. Ce n’est pas que je laisse mon esprit aller là où il veut mais je reste quand même relativement ouvert à tous les vagabondages. Aujourd’hui, j’ai étrangement besoin de liberté, de donner un sens à ma journée. Je regarde l’horloge de ma chambre et y lit l’heure. Il est une heure du matin. Je n’arrive pas à dormir apparemment. Je dois trouver quelque chose à faire car il est certain que je ne trouverai pas le sommeil aujourd’hui. Je suis pourtant bien placé pour savoir qu’une journée qui commence bien est une journée qui se commence tard. Et pourtant mes pensées se choquent et s’entrechoquent. Je chantonne un air dans ma chambre, qui me rappelle une vieille mélodie que j’ai entendu il y a maintenant bien longtemps. Je ne sais pas où j’ai bien pu l’entendre mais en tout cas, elle ne semble pas vouloir quitter mon esprit. Elle y a élu domicile et ce n’est pas près de changer. Je me sens quand même un peu mal à l’aise lorsque je joue cet air du bout de mes lèvres. Il réveille en moi une tristesse enfouie dont je ne parviens pas à déterminer la cause. Cela est particulièrement dérangeant.

Je me lève de mon lit et me dirige vers la porte. J’ouvre celle-ci et me rend dans la cuisine. Là, à mon grand étonnement, je retrouve mon père, assis sur une chaise, une petite bougie à côté de lui, il lit un livre. Je n’ose pas le déranger bien qu’il ait remarqué ma présence. Je connais bien l’homme et je sais qu’il est assez spécial. Lui adresser la parole, comme ça, sans raison, pourrait provoquer une réaction disproportionnée. Alors, je me contente de siffloter dans mon coin tout en cherchant le lait et le cacao. Alors, tandis que je me saisis d’une cuillère en faisant dos à mon géniteur, je sens un regard monter vers moi. Je me retourne un peu et m’arrête de siffloter lorsque je remarque le regard ébahi que me lance mon cet homme assis sur sa chaise. Je le regarde à mon tour, les yeux plein de question. Je n’avais encore jamais eu l’occasion de le voir si ébahi, si confus. On aurait dis qu’il venait de voir un fantôme. «Cet air que tu chantes…» me dit-il en laissant s’éteindre sa voix dans le néant. Je ne comprends d’abord pas de quoi il parle. Puis, me rendant compte qu’il fixait ma bouche comme si des diamants pouvaient en sortir, je lui réponds «Cette chanson. Je ne sais pas d’où elle vient, la mélodie m’est revenue en tête c’est tout.» Je ponctue ma phrase par un «Pourquoi ?» Je ne comprends pas vraiment cette fascination pour un simple air de musique qui me revient un peu en tête. Je ne suis peut-être pas mélomane mais je crois que ne sifflote pas si faux. En tout cas pas assez pour causer des regards de ce genre.
Mon père se lève, et saisit la bougie qui se trouvait sur la table d’une main, se brûlant la main avec la cire. Je me rapproche et tente de lui faire retirer sa main mais il persiste à la laisser là. Je ne comprends vraiment pas ce qui se passe. «Mais pourquoi tu fais ça ?» Il retire alors sa main et la regarde, il s’est brûlé au premier degré, rien de trop grave. «La  douleur est réelle alors ce n’est pas un rêve.» «Non ce n’est pas un rêve. Et maintenant, si tu m’expliquait pourquoi tu agis comme ça ?» Mon père plonge son regard dans le mien et cela me trouble un instant. Je ne sais quoi dire, j’attends de savoir ce dont il veut bien parler. Le doute me met dans une position inconfortable car j’ai le sentiment étrange que quelque part, ce qu’il va me révéler ne va pas me faire du bien. «Cet air que tu sifflote… c’était l’air préféré de ta mère. Elle le chantait sans cesse. Tant que tu étais dans ses bras, elle ne s’arrêtait pas. » «Maman chantait ça ? » Là, je suis plus que troublé. Je n’ai jamais connu ma mère et je ne garde d’elle presqu’aucun souvenir si ce n’est une silhouette floue. Je me rappelle seulement de son odeur, que je retrouve le matin, à la boulangerie. Elle sentait toujours les croissants. C’est la seule chose que j’ai gardé d’elle. Alors comment se fait-il que puisse me rappeler de cet air. S’est-il imprimer lui aussi dans mon esprit, dans mon subconscient ? Je ne parviens plus à me contrôler, je suis vraiment trop perdu…

Je me dirige vers la sortie et sors. Je ne suis pas en pyjamas mais je ne suis pas non plus en tenue. Je ne porte qu’un kimono bleu à bande noir. Je ne sais pas très bien où je vais, mais j’y vais.  Je marche quelques heures. Oui… les heures me paraissent être des minutes. Je marche, marche et marche encore. J’en arrive à me retrouver aux portes du village. Ce n’est pas tant le fait d’avoir siffloté sans le vouloir cet air qui me met dans cet état. C’est plutôt d’avoir retrouver un vestige de ma mère. Papa n’en parle jamais et dès que j’aborde le sujet, il s’énerve. Je ne comprends pas trop mais je fais avec. À l’heure qu’il est, il n’y a qu’un endroit où j’ai envie d’être. Et je m’y rends de ce pas.

Je marche encore longtemps avant d’arriver là où je le désire. Je me retrouve sous une fenêtre, les lumières à l’intérieur sont éteintes. Je prends un caillou et le lance sur la fenêtre. Celle-ci se met à trembler sous la force du coup. J’en lance un autre puis un autre. Soudain quelque chose bouge derrière les rideaux. Je me mets à chuchoter fortement. «Yuki ! Yuki c’est moi. J’ai besoin de te parler »

C’est impressionnant de voir à quel point cette fille peut se montrer amicale envers moi. Je me suis dirigé vers chez elle car je ne savais pas quoi faire. J’étais perdu. Oui voilà, c’est le mot : perdu. Je ne savais que penser ni que dire. J’avais besoin de parler, de me confier. De discuter avec quelqu’un, n’importe qui tant que ce n’était pas mon père. J’ai besoin de quelqu’un de neutre. Quelqu’un capable d’écouter et non d’intervenir. Quelqu’un comme Yuki en quelques sortes. Quand je repense à comment on s’et rencontré, j’en ai des frissons. Par hasard, devant une boulangerie. Je n’en reviens pas. On dit que les plus grandes amitiés sont les plus improbables, c’est peut-être vrai… Mais moi et Yuki, nous n’en sommes pas encore là. Certes nous sommes amis mais notre relation este encore à définir et je n’ai pas encore eu le temps pour ça.

Je suis donc en bas de chez elle à lancer des cailloux quand elle ouvre soudain la fenêtre. Elle est surprise, je le lis sur son visage. Je peux voir la surprise, un peu de bonheur aussi curieusement. Peut-être qu’elle vient d’avoir une bonne nouvelle. Rien qu’en voyant son visage, je reprends un peu des couleurs mais je reste toujours pâle comme un cadavre. Je lui fais un signe de main et elle me montre un arbre sur lequel je peux monter pour la rejoindre. En temps normales, je n’en aurai pas besoin mais là, je suis trop déconcerté pour malaxer du chakra et tenir sur les murs. Je me dépêche donc de grimper à l’arbre et je me retrouve bien vite dans sa chambre. La pauvre Yuki est en chemise de nuit, assez transparente. Je suis trop perdu pour faire y faire attention mais il est évident que je l’ai réveillé alors qu’elle était en train de dormir. Je devrais avoir honte de déranger une pauvre amie comme ça, en pleine nuit, mais je n’y fais pas non plus attention.

Elle m’amène vers son lit et nous nous asseyions. Elle me regarde de ses grandes pupilles grises et je peux y voir de l’intérêt, un réel intérêt. Ça ne m’arrive que rarement que quelqu’un ai vraiment à  cœur de m’écouter. Je suis alors sûr que Yuki est la personne qu’il me faut pour l’instant. Elle me caresse délicatement la joue de sa douce main laiteuse et me demande ce qui ne va pas d’une voix sucrée. Je passe encore quelques secondes à contempler ses belles billes bleues avant de me lancer dans mes explications.

-Yuki… c’est difficile à expliquer… Je perds tout le temps tous mes repères. Je n’arrive plus à tenir. Ma mère est morte pendant la guerre et je ne sais absolument rien d’elle. Mon père ne veut rien me dire, il est plus fermé qu’un coffre fort. Je n’en peux plus de rester dans le brouillard.

Soudain je me mets à rire. Mais pas un rire de joie, plutôt un rire de tristesse. Une tristesse sourde et douloureuse, bien présente au fond de mon cœur.

-Dans le brouillard, à croire que ce pays est vraiment destiné aux gens comme moi… Je n’en peux plus tu comprends ? Il faut que j’en apprenne plus au sujet de ma mère. Personne ne devrait être obligé de ne rien savoir sur la femme qui l’a mis au monde. Je veux savoir !

Je ne l’ai pas réalisé mais sur cette dernière phrase, je me suis levé et j’ai haussé la voix fortement. Ce n’est qu’une fois que j’entends des pas dans le couloir que je comprends que j’ai parlé trop fort. Alors mes pensées fusent et je dois agir vite. Le désarroi fait place à la réflexion  et je me mets donc à penser très vite. Les pas se rapprochent et quant à moi, je regarde Yuki qui semble ne pas les avoir remarqués. C’est sans doute le père de Yuki ou une autre personne qui vient vérifier si sa fille va bien. Il ne faut pas qu’il me voit. Ah ça non ! Je dois trouver un moyen de me cacher. Mais le seul endroit pour se faire dans cette chambre est le lit. Je dois donc me résoudre à faire le bon vieux coup des draps. Je saisis Yuki par les épaules et l’allonge sur le lit. Je saisis ensuite les draps et je me recouvre avec, moi et Yuki, seule sa tête dépasse. Elle doit être en mesure de répondre à son paternel si ce dernier entre. Quant à moi, je suis sous les draps, à moitié couché sur le corps de Yuki, j’attends patiemment que tout ça se termine. Cette position est relativement inconfortable mais je ressens toute la chaleur du corps de Yuki. J’ai ma tête sur son ventre et je peux presque entendre son cœur battre. Quelle situation singulière…

Je n’ai pas vraiment de choses à craindre. Je suis sous ses draps, collé à elle tendit qu’elle essaye de faire partir son père qui vient d’entrer. Inutile de dire que je suis dans une situation des plus singulière et cela ne me plaît pas plus que cela doit lui plaire. Aussitôt que j’entends le son de la porte se refermer, je ressors de ma cachette et regarde Yuki. Elle émet tout d’abord un soupir de  soulagement et ensuite, ses yeux se font plus durs, plus oppressant, je ne l’avais jamais vu comme ça. Elle me met en garde et me menace si je réitère ce genre d’intervention sans son accord. Je dois avouer que ce regard me glace le sang tant je ne m’y attendais pas. Certes, je n’avais nullement le droit de me cacher sous ses draps mais en quoi cela représentait-il une mauvaise chose. Ou peut-être… peut-être l’ais-je troublé en me retrouvant collé à elle. Je prends soudain conscience de ce qui se passe entre Yuki et moi depuis le début de notre relation. Je croyais m’en être fait une amie et c’est surement le cas. Cependant, quelque chose d’autre semble s’être installée entre nous. Une complicité nouvelle, entraînant des caresses et de l’inquiétude. Vous comme moi savons de quoi il s’agit, cette maladie qui consume les hommes depuis des millénaires et dont je semble être infecté. J’ai du mal à me rendre compte que je ne l’ai pas réalisé auparavant. Néanmoins, ce n’est pas le genre de liens que je veux entretenir avec Yuki, du moins pour l’instant. Je dois donc nous soigner le plus rapidement possible, cassant immédiatement la magie qui s’installe. Cela à beau être triste, ce n’est pas moins nécessaire et utile. On ne peut vivre une vie de sang et de carnage lorsque l’esprit est accaparé par de plus futile préoccupations. Il est des choses inutiles dans la vie. L’amour en fait peut-être parti, peut-être pas. Mais il est certain que je n’ai pas envie de le découvrir pour l’instant. Alors, à sa mise en garde, je réponds comme tout bon gentil homme et ami doit le faire lorsqu’il dépasse par inadvertance les limites de ce qu’une amitié quasi fraternelle permet.

«Je te demande de m’excuser. Je ne savais pas vraiment ce que je faisais et cela m’a semblé être la meilleure solution. »

Elle n’attend même pas la fin de ma réponse qu’elle se lève et sort de la chambre. Elle connaît sans doute les excuses que l’homme peut formuler par cœur et n’a aucune envie de se les entendre réciter. Elle revient quelques secondes plus tard avec un ver à la main. Elle me le tend et m’ordonne, plus que me demande, de boire le liquide à l’intérieur. Dans le noir, je ne le reconnais pas mais à son goût prononcé, je sais de quoi il s’agit. Je finis le ver et le pose par terre. Alors Yuki vient s’assoir à mes côtés et me prend les mains. Elle me parle alors de ma mère. Je prends alors conscience que j’avais complètement oublié ma mère et que toute ses claques m’avaient remis les idées en place. Je n’étais plus perdu, je n’étais plus en détresse, je n’avais, en outre, plus besoin que l’on me sauve. Pendant un instant, je me maudis d’avoir pu montrer tant de faiblesse. Je me suis montré sans le vouloir bien trop vulnérable et cela n’est jamais bon, même en face d’un ami.

Je ne réponds rien à sa question et lorsqu’elle m’annonce qu’elle a décidé de m’aider, qu’elle est décidée à me soutenir, je ne peux qu’agir suivant le chemin que j’ai toujours emprunté : celui de la prudence. Je saisis alors ses mains et les repose sur ses propres cuisses. Je lui adresse un regard profond, plonge mon regard dans ses petites étoiles grisonnantes et prononce les mots que j’aurai aimé ne jamais prononcer car ils signaient la fin de quelque chose de spécial.

«En fait, ça va mieux. Je te remercie mais je vais continuer tout seul sur ce coup là. Mais je tiens à ce que tu sache que grâce à toi, j’y vois plus claire. Pas sur ma mère, mais sur autre chose… »

Je laisse ma voix s’éteindre dans le néant et je me lève du lit. Je me dirige vers la fenêtre et fait un saut de l’ange pour me réceptionner parfaitement au sol. Tous les mouvements semblent alors plus faciles à exécuter. Je cours à travers la nuit, cherchant la fraicheur du soir. Je cherche une clé, enfouie au plus profond de moi. Une clé qui me permettra enfin de comprendre ces choses que je ne comprends que rarement et qu’au cours de prises de conscience éreintantes.  
Je me demande ce que fait Yuki… elle doit sans doute s’être rendormie.

HRP: ton post cloturera cette seconde rencontre. Comme qui dirais, Yusuke ne fait que fuir pour mieux revenir. Mais je me suis dit que donner ce genre de suite à notre récit serait plus... originale.