Une journée comme toutes les autres. Depuis son retour de la guerre le garçon n’avait pas tant que ça eu le temps de s’’entraîner. Il fallait dire que se placer non loin du Palais du Conseil Souverain avait été l’une des décisions les plus intelligentes de son oncle, car depuis quelques temps l’endroit était souvent bondé, et bien sûr c’était lui, Ishikawa Taku qui devait courir entre tout ces gens et lutter contre sa timidité maladive pour demander les plats des uns et des autres. Oh bien sûr il n’était pas toujours tout seul, ses parents n’étaient pas stupides au point de le laisser seul aller à la rencontre de leurs clients sinon ils y auraient perdu beaucoup … Beaucoup de ninjas ou même des civils s’exaspéraient de sa lenteur à prononcer une phrase complète. Bon c’était logique qu’ils n’aient pas de considération pour lui, après tout on lui répétait à longueur de temps que le client était roi, mais tout de même ce n’était pas très gentil… Il avait des ‘‘problèmes’’ comme disaient son oncle et sa tante certes et il essayait au mieux de les résoudre avec l’aide forcée des deux adultes qui le lançaient comme ça au beau milieu d’une flopée de gens. Armé de son tablier noir, de son stylo et de son petit bloc note, le rouquin se précipita tout préoccupé vers le nouvel arrivant alors que depuis le bar, sa tante s’était penchée dans l’arrière salle pour crier un bon coup son prénom pour qu’il s’en occupe.

«B-…»

Croisant le regard de celui à qui il parlait, le gamin s’arrêta derechef … Ah … Figé, en plein débat intérieur entre l’ancien Taku et le nouveau Taku qui avait participé à la guerre et gagné un poil en maturité et en assurance, le gamin se mordilla la lèvre toujours figé. Autour on devait le regarder également, non pas pour lui mais pour le nouveau client du petit restaurant. Le nouveau Kazekage se tenait là, à triturer entre ses doigts la carte du restaurant. Ce restaurant. Le restaurant de son oncle.

«B-Bonjour bienvenue au Délice du Palais, p-puis-je prendre votre … euh commande ?»

Il devait avoir l’air stupide… Vraiment… Pourquoi son oncle avait donné un nom aussi ridicule à son restaurant ? Le Palais, le Kazekage y vivait même s’il y était depuis pas longtemps. Il ne mangeait pas là-bas ? Si oui, il allait être émerveillé par les plats de son oncle ça c’était sûr ! Même ceux qui habitaient le plus gros bâtiment du village ne devaient pas aussi bien manger qu’ici ça c’était sûr ! En attendant, s’il voulait manger il allait devoir passer commande, et plus important encore, il allait devoir la prendre, pas se tromper, ramener les plats sans tomber ou autre comme ça lui était déjà arrivé. On aurait pu croire que son entraînement de ninja l’aidait, que les missions amélioraient ses capacités… Malheureusement c’était totalement faux au grand désespoir de ses parents adoptifs… La seule amélioration qu’il avait constaté avait été quand il avait réussi à sauver in extremis une bouteille de sauce soja … Qui malheureusement était accompagnée sur le plateau d’une ribambelle d’autres plats. Visiblement mal à l’aise, le gamin regarda le bonhomme en croyant que celui-ci ne le voyait pas une nouvelle fois. Il devait être fort !

Tout le monde le regardait. Ohlalala ça n’augurait rien de bon, non décidemment beaucoup trop de regards, directs ou à la dérobée. Pourquoi fallait-il que ce soit lui qui serve le Kazekage. Se tournant à moitié, il s’aperçut que sa tante à la réception le regardait également. Elle ne paraissait pas pressante mais son air qui voulait d’encouragement le stressait d’avantage. Lorsqu’enfin le grand homme parla, le petit Sunajin se fit tout petit, mal à l’aise dans ses chaussures, l’écoutant à moitié malgré toute sa concentration à son encontre. Par deux fois il l’avait vouvoyé. Le plat de boulettes de riz oui d’accord. Monsieur… Monsieur… Comment ça monsieur ? C’était à lui qu’il s’adressait ? Redressant le regard, il s’aperçut en effet que le bonhomme le regardait en lui tendant la carte l’air décidé à lui passer commande. Vous, monsieur. Pourquoi ne le tutoyait-il pas ? La tête lourde de pleins de questions, de plein de gênes, le gamin commença à trouver que l’ambiance de la salle était de plus en plus lourde.

Fiou qu’il faisait chaud. C’était ça le désert pourtant… Voulant nier qu’il devait être rouge comme une tomate d’où l’échauffement soudain, le gamin essaya de paraître un peu sûr de lui face aux rires qui commençaient à persiffler autour de lui. Ils se moquaient de lui sûrement. Tout comme le chef Sunajin. Enfin non lui si ça se trouvait il ne faisait qu’être poli. Alors pourquoi ne répondait-il pas ? Pourquoi laissait-il les gens autour de lui continuer à se payer sa tête ? Des boulettes de riz. Des boulettes de riz. Ça et seulement ça…

«D’accord pas de problème, j’vous apporte ça tout d’suite monsieur, laissez-moi faire. Au fait ! Moi c’est Taku, Taku Ishikawa, futur grand ninja de Suna !»

Ah… Sortant de sa rêverie où il s’était vu dire cette phrase avec tant d’assurance, le rouquin babilla rapidement une suite de sons sans signification aucune avant de se sauver presque en courant en laissant son éminent client sur place, la carte entre les mains. Des boulettes de riz, il voulait des boulettes de riz. Finissant sa course en courant, le gamin arrivé dans l’arrière de la boutique, heurta son oncle aux cuisines alors qu’il commençait à avoir les yeux embués de larmes. Son oncle le regarde irrité pendant un court instant avant de s’apercevoir que quelque chose n’allait pas. Taku s’échappant de sa poigne enleva son tablier à la va vite, le jeta par terre et repris sa course de plus belle. Rhaaaa qu’il était bête !

* * *

Séchant ses larmes dans un recoin d’une passerelle quasi inutilisée à l’ombre d’un des grands bâtiments qui s’élevaient un peu partout dans le village, le gamin se maudissait lui-même. Les bras entourant ses genoux, le gamin entreprit à nouveau d’essuyer ses yeux. Pourquoi est-ce qu’il fallait le faire encore et encore ? Tout ça pour quoi ? Parce que tout le monde au restaurant s’était moqué de lui, lui avait rit au nez, parce qu’on l’avait vouvoyé, parce qu’on l’avait appelé monsieur. Monsieur Ishikawa… Ishikawa. Ses parents aussi s’appelaient comme ça. Ils auraient honte de lui à coup sûr. Lui qui pensait avoir gagné en maturité, en confiance pendant la guerre. Tout ça venait de s’effondrer comme un château de cartes. Il était nul. Nul. Nul. Nulnulnulnul. Quel crétin, quel idiot, quel crétin d’avoir cru qu’il pouvait changer si facilement. Il voulait changer quand même, mais tous ces rires, toutes ces personnes qui riaient de lui … Et l’embarras dans lequel il était l’embarrassait d’avantage. Il ne savait pas pourquoi il se mettait dans ces états-là. Et ça, ça le frustrait encore que plus que son incapacité à répondre correctement, sans bégayer, hésiter ou autre. Il était un incapable. Est-ce qu’il devait y retourner ? Les remords commençant à le prendre, le gamin se rappela qu’il n’avait même pas dit à son oncle quand il l’avait bousculé que le Kazekage voulait des boulettes de riz. Non. Il allait rester là encore un moment, là où personne ne passait, là où il aimait être invisible. Car pire que tout, après sa fuite, ce n’était pas des remontrances qu’il aurait de la part des autres, mais de la pitié.

Spoiler: