« Tu ne manges pas avec nous ma chérie ? » L’intrusion de sa mère dans la cuisine provoqua un léger sursaut chez Moira. Il était encore tôt et elle ne pensait l’y voir à une telle heure. Elle était en train de se préparer un pique-nique tellement fourni qu’il aurait pu remplir les besoins nutritionnels d’une famille au complet. Elle répondit en hochant la tête négativement et sourit à sa mère comme pour lui dire qu’elle n’avait pas à s’inquiéter. « Tu es sûre que tu auras besoin de tout ça… Je sais que tu as un bon appétit mais là c’est gargantuesque… » Moira sourit à nouveau, finit son emballage et embrassa la joue de sa mère en commençant à partir. « Je vais beaucoup m’entraîner et je ne veux pas manquer de vitamines ou trop souvent m’arrêter pour manger. J’ai pris beaucoup d’eau surtout, tu n’as pas à t’inquiéter. » Sa mère la retint en posant sa main sur son épaule, on pouvait toujours lire l’inquiétude dans son regard. « Ma chérie tu sais bien que je n’aime pas quand tu pars seule sans que personne ne sache où tu es. En mission c’est différent tu es surveillé et le kage sait où tu te trouves… » Moira fronça les sourcils quelque peu énervée par le peu de confiance que lui accordait sa mère, elle prit son matériel sur son dos et s’en alla.

Elle avait choisi de se rendre au terrain d’entraînement parce que généralement à l’heure du repas c’était complètement vide et même dans les quelques heures qui suivent. En mangeant sur place elle gagnait du temps et pouvait se restaurer pendant l’entraînement sans avoir à aller acheter des ramens ou autre. Sur le trajet, elle nettoyait son bandeau qui avait été particulièrement endommagé par toutes les missions qu’elle avait faites dernièrement. Depuis qu’elle avait rejoint une équipe, ils les enchainaient et les missions n’avaient rien à voir avec les petites missions de rang D qu’elle avait pour habitude de faire en solo. En regardant dans la petite plaque métallique sur son bandeau où se trouvait le symbole du village de la feuille, elle aperçut quelque chose derrière elle. « Goro… Je n’arrive pas à croire que ma mère t’ait envoyé malgré tout. » La vieille taupe sortit son gros nez de la terre et se mit à marcher aux côtés de la jeune fille. « Oh ça va… tu dis ça comme si je te posais des problèmes. Je suis simplement là pour savoir où tu te trouves. Erm erm… et dis-moi… erm… par hasard… t’irais pas voir des copines à toi… par hasard hein, non pas que ça m’arrange mais… » D’un air condescendant la jeune fille regarda la créature. « Comment peut-il y avoir autant de perversité dans un si petit personnage. J’imagine que je vais devoir te nourrir aussi… » La taupe se lécha les babines en signe d’approbation. Rapidement ils arrivèrent au terrain pour voir que celui qu’elle espérait avoir été déjà pris. Elle choisissait celui-là pour la plus grande quantité de verdure, c’était plus pratique, notamment pour les pique-niques.

C’était un jeune homme qui saignait de partout tellement il s’adonnait à son entraînement. C’en était presque gore à vrai dire. Ce que la taupe n’eut pas la décence de garder pour elle. Elle lâcha un grand « Erk » qui déstabilisa le jeune homme à tel point qu’il s’écroula sur le sol. Moira ne savait pas vraiment si elle devait rire ou pleurer. Au lieu de ça, elle décida de se décharger de cette responsabilité en agissant comme si elle n’était pas la cause de l’échec du jeune homme. « Si tu concentrais plus de chakras au lieu de simplement faire affluer ton sang tu y arriverais sûrement. » Elle avait tout de suite décelé la maîtrise du sang, la même qu’Hikari donc forcément maintenant elle était calée sur le sujet. Elle s’installa à quelques mètres de lui, sortit son pique-nique et fit en sorte que l’odeur des bons produits lui arrive jusqu’aux narines. Oui car si ça pouvait lui donner faim il partirait sûrement et elle pourrait profiter du terrain seule.

Dans une famille bourgeoise comme celle des Shinsaine étaient enseignées les bonnes manières. Savoir comment se comporter en présence de telle ou telle personne, comment se tenir, comment parler, ce que l’on peut ou ne peut pas faire en toutes circonstances. Généralement dans une bourgeoisie « nouvelle » comme celle des Shinsaine, qui ne doivent pas leur argent à des antécédents familiaux nobles mais plutôt à une réussite commerciale, toutes ces politesses étaient bien apprises pour que lorsqu’ils décidaient de ne plus en respecter une cela soit bien remarqué, et c’est par cette liberté qu’ils se différencient. Les remarques acerbes ou l’oubli d’une priorité établie lors d’un service, tout pour faire comprendre à la personne concernée que s’il le fallait, les Shinsaine savaient se défendre et montrer leurs arguments. Par contre, les ninjas eux répondaient à un code bien plus spécifique. Comme ils étaient considérés comme indispensables au village et méritant des plus grandes marques de respect du fait que leur vie soit toujours mise en jeu, il fallait toujours bien les considérer. Même si bien sûr en retour, les ninjas se pliaient rarement à ces règles. Bien qu’elle ait rejoint leur rang, la jeune Mogura faisait quand même attention à ses manières surtout lorsque le rang du ninja en question lui était inconnu, malgré tout cela ne lui avait pas empêché de lâcher une remarque quelque peu désobligeante mais aussi d’apprécier la frustration dans le regard du jeune homme après son échec. Oui, elle pouvait se montrer sadique. Mais de son point de vue, c’était d’autant plus mérité lorsqu’il insulta Goro, un kuchyiose ancestral de n’être qu’un vulgaire rat. Bien qu’il tenta de se justifier face à son échec, Moira l’ignora complètement et espérait que le désintérêt qu’elle montrait à l’égard de ses arguments prouve bien qu’elle le pensait incapable de réussir l’exercice en question.

Une fois bien installée sur l’herbe, prête à pique-niquer, elle réalisa que sa technique avait porté ses fruits, mais pas comme elle l’espérait. Effectivement elle avait réussi à réveiller la faim du jeune homme mais pas vraiment à lui faire quitter le terrain bien au contraire. Elle ne pensait pas qu’en s’installant pour pique-niquer ici il y verrait une sorte d’invitation à la rejoindre alors qu’au contraire c’était une invitation à partir. Dubitative, elle écouta quand même ce qu’il avait à dire dans le doute qu’il lui fasse au moins une proposition intéressante du style ; j’ai justement ramené un excellent vin, ou bien j’ai de quoi vous payer pour le repas, quoique l’argent ne l’intéressait pas vraiment. Dès sa première phrase il la tutoya et ignora complètement Goro qui se mit à marmonner dans son coin non content de se faire insulter mais en plus de n’avoir trouvé aucune demoiselle sur le terrain d’entraînement. Pour le coup, aux yeux de Moïra, il ne marquait aucun point, elle se contenta pour l’instant de le regarder de haut en bas avec indignation. Oui, elle avait l’air d’une vraie conne coincée. Ensuite vint la flatterie… ou quelque chose qui voulait sûrement en être. Supposer qu’elle mangeait beaucoup trop sous-entendait quand même qu’elle n’était peut-être pas bien classe et ça elle ne l’appréciait pas vraiment. Mais soudainement il l’avait vouvoyée et lui avait complimenté sa taille tout de même, elle le regardait ce coup-ci avec beaucoup d’incompréhension et un peu de pitié parce qu’il avait vraiment l’air de se donner du mal.

C’est ensuite qu’il dépassa complètement les bornes, jetant d’un vulgaire coup de pied Goro et se montrant très insultant à son égard. Choquée, elle ne l’entendit même pas se présenter, à vrai dire, elle n’en avait plus rien à faire. « Pour me servir ? Mais pour qui te prends-tu sale petit péteux ! » Tiens ça c’est pas un truc facile à dire… Petit péteux, petit péteux, petit péteux, petét peuteuh, ah merde ! Bon reprends toi Moira ! « Tu viens de bousculer une entité vieille de plus d’un siècle et tu n’en éprouves aucun remord ! » « Je croyais qu’on avait déjà parlé de ça Moira, je n’aime pas trop que l’on parle de mon âge… » « Oh ça va Goro ! Je sais que t’as perdu ta fougue mais quand même ! Te laisser piétiner par un moins que rien dans son genre, tout de même ! » Sachant qu’elle ne connaissait toujours pas son rang, elle espérait quand même qu’il ne s’agisse pas d’un supérieur qui pourrait lui faire regretter ses paroles. Elle s’approcha quand même de lui, l’attrapa violemment par le col et le regarda de la manière la plus haineuse qui soit. « Et qui t’as laissé penser que tu aurais droit ne serait-ce qu’à une seule bouchée de ma nourriture ? Si j’en ai pris beaucoup c’est pour ne pas me retrouver comme toi en plein milieu de mon entraînement ! Epuisé et obligé d’aller faire la quête à la première personne qui passe ! Et le pire dans tout ça c’est que tu penses m’avoir flatté ? Mais tu n’as donc aucune notion de politesse !!! » Tiens en parlant de politesse, ça lui rappelait justement qu’une personne digne devait toujours offrir le couvert à un ninja dans le besoin… Mais pour le coup, il ne le méritait certainement pas… Enfin tout ce qu’elle avait pour le juger c’était sa légère erreur de conduite. Mais voyant Goro se frottait machinalement le dos à cause du coup qu’il venait de recevoir, aussi léger qu’il fut, la rage la gagna à nouveau. « Parle pour te défendre imbécile ! » Voilà sa manière de lui offrir une seconde chance.

Lorsqu’elle sentit son avant-bras attrapé de la sorte, elle laissa échapper une petite exclamation, un « eh ! » à peine distinct, elle tenta de tirer son bras sans trop forcer non plus, plus par réflexe et elle réalisa qu’il avait une sacré poigne le bougre, pas vraiment surprenant venant de quelqu’un qui pouvait contrôler l’afflux de son sang. Elle lui envoya son regard le plus noir, elle était vraiment en colère pour le coup mais c’était encore avant qu’il ne se mette à parler. Elle regardait ses yeux bruns, ses traits fins, toute cette colère qu’elle avait provoqué en lui. Et dire qu’au lieu de s’excuser de l’affront qu’il avait eu il se mettait en colère, mais pour qui se prenait-il ?

« Garce », « Bouillir », « Etouffer », « Dernier souffle » à chacun de ces mots elle lâchait des petits « Oh » crispés pour signifier à quel point elle était choquée par son comportement. Elle le sentait trop près de lui, elle détournait son visage et fermait les yeux comme pour ne pas entendre ses calomnies et ignorer sa présence quelques secondes. Plutôt que son air flatteur précédent, sa voix s’est mise à changer, elle était plus grave, plus violente, comme s’il était brusquement devenu une personne différente. Elle sentait la peur montée en elle et elle ne voulait pas que ça se passe comme ça. Alors plutôt que de détourner le regard elle l’affronta directement en plongeant un regard qu’elle voulait encore plus sombre que le sien dans ses yeux.

Elle sentit soudainement la prise du jeune homme se relâcher. Elle ne put s’empêcher de soupirer de soulagement, l’emprise avait été plus douloureuse qu’elle ne le pensait. Elle s’empressa d’imiter le jeune homme qui reculait d’un pas et attrapa son propre avant-bras comme pour le soulager. Il s’excusait comme si dans ses mots il regrettait d’avoir été quelqu’un d’autre, comme s’il ne reconnaissait pas la personne qu’il venait d’être. C’était si étrange que quelqu’un puisse être aussi impulsif, surtout elle qui était si calme et impassible… … passons. Elle se réinstalla devant son pique-nique comme une dame, comme si rien ne s’était passé, elle épousseta ses vêtements et commença à manger.

Son regard était maintenant dirigé vers Goro qu’elle invitait à manger avec elle. Elle entendit que le jeune homme s’excusait à nouveau et surtout face à Goro qui ne put s’empêcher de sourire bêtement face à telle reconnaissance, même si évidemment il aurait préféré que cela vienne d’une jolie jeune femme. Elle se retourna vers le jeune homme et réalisa qu’il souriait de manière assez innocente et bizarre, enfin c’est ainsi qu’elle le perçut. « Contrairement à toi je ne suis pas épuisée par l’entraînement. N’importe quel ninja avec du bon sens saurait que si jamais tu te comportes mal avec moi je saurai te mettre hors d’état de nuire. Passons, bien que je n’ai rien contre les ramens en boite, je pense qu’il serait préférable que tu restes avec moi pour pique-niquer, c’est la moindre charité que je peux offrir à un type qui exprime des problèmes… aussi évident que les tiens. Et c’est un peu le rôle des belles familles de prendre soin des gens comme toi. Aussi si tu le veux bien, j’aurai ensuite besoin d’une cible mouvante pour mon entraînement et le pauvre Goro aurait bien du mal à supporter mes coups. Si tu acceptes je t’offrirai aussi la collation. Qu’en penses-tu ? Elle ne lui avait même pas jeté un regard en disant tout ça… elle continuait simplement de manger. Quant à Goro, il ne laissait pas une miette lui échapper.