Je pianotais sur le rapport. La chemise grise avait été mince au début. J’avais pris soin de la remplir précautionneusement au fil des recherches et des comparaisons, j’avais ajouté des notes à la main sur des feuilles de papiers, plus ou moins propre, griffonné des idées, notez les détails manquant. J’avais refait des croquis et encerclés des détails. Des listes de noms étaient apparues, beaucoup sans confirmation, pour la plupart, ce n’était que des hypothèses. J’étais confortablement assis, un peu avachi sur ma chaise, fixant la porte. Le brûleur était éteint, aucune analyse n’était en cours. Le bureau semblait anormalement rangé. Pourquoi ? Je me préparais à remettre un bordel monstre au fil de mes travaux pour bien me retrouver. Dès qu’on cogna, je me mis à parler fortement. Un ANBU ouvrit la porte pour faire entrer Krystal. Je lui fis signe de s’assoir, sans vraiment changer de position, d’un geste vague et ironiquement poli.

- « Je vais y aller très directement. Ça m’a pris du temps parce qu’il n’y avait rien. Konoha était encore à ses débuts, alors les archives ne sont pas parfaites. Il a fallu retrouver les rapports d’autopsies. Tu te doutes bien qu’avant ces évènements, les Solari étaient presque invisibles. »

J’ouvris le dossier. Il y avait une pile, presque une vingtaine de pages, plus 4 fois plus de ma propre main, souvent des copies avec des ajouts de mon propre goût. Plusieurs traits de crayons avec des phrases en rouge. Je commençais à les étendre, autant que possible, sur le bureau, en examinant l’expression de la jeune fille.

- « Je passe par-dessus les 4 morts dans leur sommeil, presque sans aucun signe de lutte, la plupart égorgé. Marques d’hésitation sur la dernière victime, méthodiques sur celles du centre et blessures beaucoup plus profonde que nécessaire sur la première, si on parle du tableau chronologique. J’ai dû le revoir, il avait été fait avec estimation trop large. Mes hypothèses, le meurtrier d’une partie des Solari était en colère, puis déterminé, avant d’avoir des doutes. Pas assez pour vraiment s’arrêter cependant, mais ce ne sont que des hypothèses, rien de concret. »

Je relevais le nez de sur les croquis, avec un sourire en coin. Je la fixais un instant, avant de hocher silencieusement la tête pour moi-même et ranger ces dessins sans importance. Je les tassais un peu sur la gauche du bureau avant d’avancer un dessin. L’humain était plus petit. Le dessin représentant la chaire était presque vide si ce n’est quelques cercles, mais le dessin du squelette était en multiples fois, pas toujours identiques, avec des notes pour un nombre de blessures impressionnants. Chacun de ces dessin avait des cheveux dessinés en rouge, vaguement, comme des rayons de soleil enfantins.

- « L’enfant… Le rapport a été très mal fait. Les traces de brûlures récentes étaient bien indiquées. Le médecin s’est surtout préoccupé de ça. C’est dans la dissection, vu les bleus et les signes de mauvaise alimentation sur une longue période, qui a été intéressante. Il a noté des anomalies sur les os, mais en les attribuant aux blessures récentes. D’ailleurs, à ce propos, tu savais que quand l’Hôpital a ouvert, un des premiers médecins civils, très doué, s’appelait Solari et qu’il est parti en même temps que les autres ? »

Je la regardais une nouvelle fois. Je pinçais les lèvres fortement. Voyant qu’elle ne comprenait pas trop où je voulais en venir, je me contentais de sourire en coin en me penchant sur la feuille. Elle l’ignorait, mais ces blessures avaient quelque chose de commun, mais aussi de terrible. J’avais fait des choses, passant par la torture parfois. Les blessures que cet enfant portait n’avaient rien à y voir, c’était les marques d’un homme, ou une femme, minable, hypocrite, refoulé.

- « Ce que je te dis, je le suspecte, seulement des dégâts sur les os et de certaines formes non noté sur les images de l’autopsie. Il y a des traces de remodelage sur les os, datant de très jeune pendant l’enfance. Des blessures qui demandaient des soins professionnels. Si ça avait été une blessure accidentelle, je te dirais que ce n’est pas significatif, mais connaissant le résultat final, l’absence de visites à l’hôpital et la présence d’un médecin dans la famille, je te dirais qu’il a été battu. Vers douze ans, vu les brûlures cicatrisées et le remodelage, je dirais que les coups violents ont diminué, mais les brûlures ont été plus méthodique. Ça tombe avec le début de la structure militaire de Konoha, de manière plus ordonné. »

Je pris une inspiration. Je quittais les feuilles, arrêtant de lui désigner plusieurs des points du dessin entouré. Je m’adossais sur ma chaise et la fixa un instant de plus, le temps de la laisser tirer ses conclusions et poser ses questions avant de continuer. J’imagine que c’était un gros morceaux et j’étais curieux de voir sur ses traits quelques émotions.

En la voyant plisser le nez, je continuais ma lente énumération, avec un ton presque professoral. C’était des faits, c’était un bout de chaire morte, peu importe tout ce que je dirais, rien ne changerait pour lui. En la voyant faire, je ne pus m’empêcher de me demander à quel point la jeune fille était émotive. Je n’aime pas trop les émotifs, mais, il s’avère que je suis un détraqué selon mon entourage, alors, je me trompais peut-être. Quand elle posa sa question, je me contentais de sourire en coin. Elle ne voyait pas où je voulais en venir… C’était normal. Si elle l’avait pu, elle n’aurait pas eu besoin de moi. Peut-être pour sortir le dossier, mais il n’y avait rien de bien surprenant dans ce dernier. Je restais silencieux, en la fixant. Je fermais mon poing et le frottais contre mon front dans ce silence. Je me contentais de me pencher un peu de côté, de tirer sur un tiroir. Je fouillais un peu dedans et en sorti un bout de tissu. Une guenille, propre, certes, mais que je gardais toujours pour nettoyer les traces de mes expériences, après, on les jetait. Je la levais, comme un trophée, du bout des doigts, avant de le déposer devant moi. Je la fis glisser du bout de la main vers elle.

- « C’est une histoire commune. Un type a ça en lui, il pense que c’est comme ça qu’on indique, il a la rage ou est traumatisé, je ne sais pas trop, alors il bat la proie la plus facile. C’est mal organisé, chaotique, injustifié parfois, mais c’est le propre des vivants. Il le cache un peu et, un jour, on trouve qu’il a raison, alors on ritualise le tout. Ça soulage le batteur qui a toujours de la colère et, aux yeux des gens qui lui donnent raison sans aimer ça, le rend plus acceptable. J’ai vu ça chez des papa soldats. »

Je penche la tête de côté, souriant en coin. Ce qu’elle a vécu est certainement atroce, mais un enfant battu ce n’est pas une rareté dans ce monde. Des militaires qui étaient violents ou, pas du tout, reviennent chez eux. Avec toute leur nouvelle discipline. Ils sont soumis aux mêmes envies, sauf qu’ils sont habitués à une forme d’ordre. J’avais déjà autopsié, pour un haut gradé, un enfant d’une famille amie et aussi militaire. L’enfant avait eu des brisures aux côtés et des marques de coups violents au visage. Au retour du service militaire de son père, c’était les bras et les doigts, des torsions et des coups plus précis. Une partie des techniques militaires lui avait servi dans sa vie de famille. Je m’étais toujours demandé si la femme de l’homme appréciait la domination plus naturelle ou plus précise. Morbide. Ma propre stupidité me fit sourire avant que je ne regarde Krystal et ne prenne parole à nouveau.

- « Ça veut dire que le médecin en question, il était assez proche de ta famille pour couvrir les blessures. Donc, il était au courant. Bien avant que les brûlures commencent. Hypothèse un : il savait et jugeait devoir couvrir le père. Hypothèse deux : il trouvait justifiable de le faire et, dans ce cas, il y a de bonnes chances qu’il est montré comment le brûler pour que ça reste acceptable et discret. Du moins, jusqu’aux évènements, soit il a fui par peur d’être impliqué, soit par remords. Je ne sais pas ce que tu veux découvrir, mais il va falloir me le dire… »

En disant cela, je tapotais un peu sur le bureau avec mon index, m’adossant confortablement. Une expression légèrement hilare parcourait mon visage, mais elle était involontaire. J’avais des informations supplémentaires, elle devait certainement s’en douter, se douter que je ne m’étais pas concentré uniquement sur le rapport d’autopsie, mais ce serait une échange cette fois.

Je l’écoutais parler, sans grand intérêt, je devais l’avouer. Pas que les mots de Krystal n’avait aucun intérêt, mais élever des enfants dans le dévouement d’un but, dans l’oubli de l’individu, c’est une politique répandue. C’était même le nerf de l’éducation des Villages. Honte à moi, peut-être celui de Konoha aussi. Je me rassurais en me disant que comparer aux autres, nous nous en sortions bien. Je tentais de faire comprendre aux Konohajins que ce ne devait pas être le cas, ce devait être par choix, par un calcul d’intérêts. Pourtant, cet enseignement, en la forçant, n’avait rien de différente. J’avais accepté de fonctionner dans cette optique, on ne peut échapper complètement à ce jeu. Néanmoins, la manière dont l’éducation des Solaris se faisait, l’espèce d’objectif, avait beaucoup d’intérêt. Un intérêt propre à ce Clan, les Solaris, mais certainement pas transcendant. Je me contentais de sourire en coin.

- « Si c’est par soif de pouvoir ou mégalomanie, je ne peux que t’y encourager. Au final, la plupart des motivations sont petites et je ne fais pas exception. Tu as même ma bénédiction, pour ce que ça importe, mais tu dois être capable d’accepter cette réalité, la réalité. »

Je souris largement en la regardant, de longues secondes. Je me contentais de me pencher vers l’avant et de mettre les paumes sur le bureau, avant de m’appuyer dessus pour reculer sur ma chaise. Je fis quelques pas en direction des fioles trop bien rangées pour avoir servies dernièrement. Je tapotais dessus, du bout de l’index, quelques fois. Je pris finalement l’objet, un erlenmeyer, que je renversais à l’envers pour montrer le vide qu’il contenait. En fait, qu’il ne contenait pas, parce qu’il est difficile de contenir du vide. Je fis un geste, pour lui signaler d’attraper, avant de recommencer la même manœuvre en le lançant cette fois, dans une trajectoire lente et en parabole pour faciliter la capture par Krystal.

- « Quand tu vas rencontrer ce médecin, il va se justifier avec sa peine ou sa logique. Dans ce qui a été fait, il y a une logique qui va t’empêcher de leur en vouloir, de les juger comme mauvais, si tu acceptes les prémisses de leur raisonnement. Tu garderas tes propres prémisses, Krystal, mais sache que tu devras être aveugle ou te rendre compte que tes prémisses à toi ne sont pas différentes des leurs. Tu le fait par superstition, émotion ou tradition. Soit prête à l’accepter. »

Je m’approchais du bureau et ouvrit le tiroir sans m’assoir. Je fis sortir une feuille et la déposa sur le bureau avant de prendre un crayon et écrire quelques mots, jetant des regards vers elle, comme un enfant timide. Je retournais le mot et le fis glisser dans sa direction. Je le tapotais une ou deux fois de l’index, laissant appuyer dessus pour l’empêcher de le prendre.

- « J’ai quelques amis à Kawa no Kuni, ils ont pu l’identifier, mais il a probablement changé d’endroit depuis longtemps. Elle commence là ta piste. Soit certaine d’être prête. »

Je retirais mon doigt et m’adossa à ma chaise, croisant mes bras, dans l’attente de sa réponse finale. Tout ce qu’elle voulait savoir lui avait été dit, il ne lui restait qu’à tendre la main et accepter la réalité.