Je suis dans mon bureau. Comme toujours, c'est de la paperasse qui m'attend. Mon écriture, malgré l’enchaînement consécutif des documents, reste appliquée. Je tiens à faire mon travail au mieux, comme toujours, bien que ça ne soit pas ma tasse de thé de faire ce que d'autres municipaux seraient capables de faire, quand moi je pourrais aller dépecer le traître, et trépaner l'ennemi. Pas le temps de jeter un oeil dehors; le store semble vouloir me priver d'une quelconque liberté visuelle. Tant pis. Plus vite je travaillerai, et plus vite je retrouverai ma tranquillité.
Et puis non en fait.

Une massive explosion retentit à proximité. Non pas en dehors du village, mais bien en son sein. Je me lève immédiatement, et constate les faits: la base du Misuto a été lourdement touchée. Un panache de fumée noire s'élève haut dans les cieux, tandis que les remparts proches de l'îlot accueillant le quartier général se fendent en deux, me laissant une vision plus large du carnage. Bref, les prisonniers s'évadent, quelqu'un a infiltré le village, aidé ou non, et a fait explosé une infrastructure-clé de Kiri. Super.

Yoru se leva de son bureau. Son regard était imprégné d'une expression inédite en cette journée initialement morose. Le tsar de la vapeur serra alors la mâchoire, puis ses deux poings. L'énervement était au goût du jour. Lui qui s'était appliqué à faire régner d'une main de fer la sécurité la plus impartiale sur sa cité assistait à un échec supplémentaire. Tant d’évènements néfastes avaient précédé ce chaos qui corrompait les ruelles de la ville. Ce fut alors dans une énorme colère contenue intérieurement que le Régent quitta son bureau. Il lui paraissait inutile de contempler bêtement le spectacle de désolation qui se déroulait dans son ancien lieu de travail, lorsqu'autrefois il exécutait des cibles sous les directives du Misuto. A présent, en tant que suzerain de Kiri, il devait faire vite, et appliquer avec sang-froid des attributions à autant de personnes que possible. Il dévala alors les étages, vint à l'encontre d'un maximum de personnels, et demanda à organiser l'évacuation de la population en lieu sûr, du soin des blessés, de la capture et de la chasse des détenus en évasion. On lui expliqua alors brièvement l'état des lieux: un incendie s'était propagé, et le plan préparé dans ce genre de situations était en cours d'application. Pour finir en beauté, et sublimer le désordre, le Régent de Kiri fit appel à ses dons de télépathie pour organiser un véritable dialogue à distance, afin de gagner de temps. Usant de sa langue psychique, le Fou Andrinople avait plus d'un tour dans son sac pour réprimer le tumulte. Le tout avec une incroyable concentration, mettant provisoirement de côté sa colère ainsi que sa folie qui ne faisait qu'un tour dans son sang.

Tout allait pour le mieux dans le pire des mondes.

Cependant, dans le doute, le Ryûzoji redoubla de prudence. Certes, la situation semblait être maîtrisée, et comme lui, de nombreux Kirijins désiraient exprimer leur colère contre les responsables de cette anarchie. Cette excitation de berserks communes ne feraient qu'amplifier la détermination de chacun dans l'accomplissement de la tâche qui leur serait incombé. Toutefois, Yoru ne sentait pas rassuré. Une telle explosion, aussi imprévue, cachait quelque chose; un nouveau traître, peut-être ? Qui sait, le lâche se fondrait dans la masse, et passerait pour un innocent, une victime, un conformé de la société. Yoru ne tolérerait pas un tel affront. Katana dans son fourreau, bien en évidence contre sa hanche, le baroudeur explore son palais, en quête de justice. Il désire des explications, et il désire la vengeance. Qu'importe si des innocents doivent y passer, car désormais sa folie prend possession de lui, sous une autre apparence. Elle connait le personnage, et tel un caméléon, se fond dans le tissu de ses pensées. Elle se glisse dans chaque injure, alourdit le battement du coeur, le difforme, le monte dans les graves.

Quand l'Alérion véhément coule ses lourdes foulées dans la salle principale, à présent désertée, c'est une personnalité toute guerrière qui anime ses mouvements. Le doute est écrasé, la compassion est calciné. C'est un feu sanguinolent qui gouverne les pulsions du Régent, une Colère démentielle plus redoutable encore que le brasier qui sied à l'extérieur.

Vous êtes aptères. Notre feu sacré ne peut être éteint par cette flammèche amère. Ils frappent. Bleu, cyan, poumon, le fer de la larme aigue. Les Envahisseurs sont de retours. Je dois purger notre Brume corrompue. Je dois corrompre mes frères traitres, les étriper. Ils ne doivent pas mourir, mais souffrir. Tu affûtes ta lame épicée. Laisse la suave Démence nettoyer, laisse la paléophrénie les inonder, les détruire. Nous désirons… une Répression Sauvage à cette mutinerie de l'ombre. Ils brûlent. Que la Nuit pleuve, et que les faibles pleurent. La Folie inondera le coeur des misérables, la mort des pourceaux. Comme un nuage, hurlant dans la paix de la caverne. Tu souris, d'un ris carnassier. Le requin cyclope nage dans les eaux des ténèbres. Vous, les squales, guettez la proie, le sang. Pas de bruit. La paix véhémente brille dehors, d'un lustre sucré. Qui osera ? Nous marchons, cois, dans le cortège du silence guerrier.

Et c'est ainsi que dans une crise de rage et de folie, le reître satanique guette la moindre trace d'un signe avant-coureur. Les derniers étages ont été fouillés, et c'est maintenant dans les sous-sols que s'aventure l'aliéné. Aucune pitié pour celui qu'il croisera sur sa route, allié comme hostile… car le Fou Pourpre de Kiri est enragé.

Le djinn avait fini de parcourir les étages inférieurs de son établissement. Tout semblait être correct. De toute manière, si jamais le danger désirait se frottait au Régent, il devait s'y prendre avec discrétion, et attendre le moment opportun pour frapper. En effet, avec ses sens distordus dans le prisme psychédélique de la folie, Yoru n'avait aucun réel jugement. Aucune pitié, aucun moyen de négociation pour l'étranger qui oserait s'en prendre au kobold paraphrénique. Une crise inattendue, et parfaite; Yoru s'était laissé prendre au jeu, et pour cause: sa colère avait dominé son esprit. Voyant cette opportunité, sa démence avait exploité cette rage naissante pour ne faire qu'un, et retrouver sa véritable nature une fois que sa colère explosa extérieurement. Etant donné qu'il n'y avait nulle présence suspecte, si ce n'était que le silence sifflant dans les tympans du gazier, ce dernier fit volteface, et se dirigea vers la lumière. Regagnant le rez-de-chaussée, l'oblat belliqueux fut vite alarmé par l'appel hurlant d'un de ses frères d'armes. Ni une ni deux, le tyran réagit, et se hâte vers la sortie.

L'aliéné put alors assisté aux premiers sévices du chaos. Face à lui, une situation pour le moins assez troublante: à environ une dizaine de mètres de lui se tenait un Kirijin. Il semblait perdu. Au-dessus, un prisonnier, sabre en main, tentait de se faire justice en bondissant sur le désorienté dans le but de le trancher. Si Yoru n'intervenait pas au plus vite, il risquait de voir le geôlier fuir, ou bien de voir un des siens mourir. Fuite ou mort, capture ou vie sauve, il fallait choisir. Le choix était difficile, et c'était dans la capacité à faire bon usage de son libre-arbitre que l'on reconnait un grand homme. Mais dans le cas de l'empereur de la vapeur, le choix était plus réduit. Sa Folie brisait ses caprices, ses volontés, ses envies. Il ne restait au final qu'un agglomérat d'instincts primaires et grégaires, qui s'ameutaient autour de la conscience du guerrier, comme une camisole psychique qui ne laissait percevoir que l’ébullition du maître du Futton.

Sans plus attendre, l'esprit hagard fait son choix. Il agite son chakra, l'effrite en ses limites, et compose mentalement son envie belliqueuse. Soudain, c'est un plastron entier qui recouvre son enveloppe charnelle. Une vapeur sombre, dangereuse, caustique, l'enveloppe. On dirait un monstre, un ogre de feu, qui attend sa proie pour l'écraser sous sa force ardente. Baignant ainsi dans un cocon aussi protecteur que dévastateur de chakra Futton, l'alérion se lance. Ses capacités physiques sont améliorés par cette gangue d'énergie gazeuse. Libéré de quelque contrainte, il se sert de sa nouvelle force pour prendre un puissant appui. Il courre alors, et chaque foulée qu'il franchit marque la manifestation plus vive encore d'un objectif. La distance entre assaillant et assailli s'amenuise à mesure qu'il se rapproche d'eux. On a le sentiment que son Jutsu ne lui est d'aucune utilité. Et pourtant…

Il quarte du pied, escarmouche.
Il coupe, il feinte… A la fin de l'envoi, il touche.

Interposé entre le sabre et le confusé, Yoru est là. Il est la nouvelle cible. Et en tant que nouvelle cible, il s'impatiente, et sourit, avec la même soif de sang qu'un squale. Sa dextre, sans tremblements, se place sur la lame de l'arme, et l'arrête nette. La chaleur de son poing est telle, du fait de la vapeur, que la lame semble rougir. Est-ce la honte de ne point parvenir à son but qui la teinte érubescente ? Nul ne le sait, toujours est-il qu'à présent le Ryûzoji est là, et de son autre main valide, tend un coup véhément à son adversaire, afin de lui briser quelques côtes dans le coeur du ventre. Le désarmé pourra remercier plus tard son sauveur, qui est convié mentalement par son Régent à rester à ses côtés, le temps qu'il s'interpose, et pour éviter que le taulard prenne les voiles de l'autre côté. Yoru n'attendait désormais qu'une chose: que ce prisonnier face office de sacrifice, de déversoir à sa haine irascible qui baignait dans ses méandres. Si c'était là la seule solution pour que cette Folie s'évapore comme cette vapeur gangrenant l'environnement de son corps, alors il fallait frapper, briser, purger la vermine.

Les Envahisseurs doivent mourir, ils doivent mourir… cet incessant syntagme ne cessait de faire écho dans les ardentes pensées du Borgne. Celui-ci, confronté à une situation d'anarchie provisoire au sein même de la cité à laquelle il avait prêté allégeance, se retrouvait dans une étrange situation. Lui, en tant que commandant des forcées armées de sa patrie, se retrouvait seul, et incapable de rassembler ses hommes. Au contraire, il devait les répartir, les laisser se disperser, afin qu'ils couvrent plus d'espaces, et diversifient leurs actions dans la zone touchée. Dorénavant, le Ryûzoji était à l'extérieur de son sérail morne, accompagné d'un piètre bretteur. Tenant à peine sur ses deux jambes, le grêle bipède avait réussi à se faire désarmer par un taulard qui dans son évasion, tentait stupidement de commettre un homicide sur un des pairs de Yoru. Cette atteinte directe à la Brume Sanglante ne pouvait se solder que par un violent châtiment, à la hauteur de l'absurdité que tentait de commettre l'évadé. Ainsi allait la justice à Chigiri: les lois s'appliquaient aux civils, et la souffrance aux guerriers. Les ninjas, instruments de guerre de la nation, appliquaient cette loi du talion chaque fois que l'occasion se présentait. Chaque zone d'action où leurs compétences étaient exigés devenait un champ de bataille; et dans ces espaces dédiés la guerre, c'était la loi du plus fort qui primait sur le droit positif.

Le Gouverneur de Kiri se préoccupa au prime temps de son allié. L'accidenté ne serait que d'une mineure assistance pour son supérieur hiérarchique, aussi le remplaçant de l'Ombre de l'Onde ne tarda pas à lui communiquer mentalement ses nouvelles directives. Maintenant qu'il était à ses côtés, et que le prisonnier pouvait adopter un comportement instable à son égard, il se devait de couvrir les arrières du Régulus. Comme une seconde vision, ce quidam fébrile lui serait sans doute d'une aide précieuse si jamais le bagnard tentait d'attaquer en traître: le lien télépathique installé entre les deux Kirijins serait là pour briser cette vile machination. Et soudain, alors qu'il s'orienta vers sa cible, le lâche prisonnier, ce dernier commença à faire apparaître autour de lui un manteau ambré. Son chakra, coulant de nouveaux dans ses tenketsus depuis son évasion, se mit à lui tisser un plastron, un heaume, et de fait toute une aura électrique. Il fallait réagir vite. Un tel jutsu ne pouvait signifier que deux possibilités, immédiatement envisagées par le Tsar de la Vapeur: se défendre d'une quelconque riposte suite à une vive escarmouche, ou amplifier considérablement sa célérité, et ainsi amorcer une tentative de fuite. Considérant la première option comme négligeable, étant donné que lui-même revêtait une chlamyde de fumerolle, Yoru se tourna par précaution vers la seconde. Tant pis s'il prenait des dégâts à cause de son amure Raiton; en revanche, s'il s'en servait pour fuir, c'était cuit.

Tant pis, Yoru allait devoir sortir l'une de ses arcanes. Une arcane bien discrète d'ailleurs. Le prisonnier aura de la chance; il serait l'un des rares adversaires du Ryûzoji à subir l'un de ses plus puissants jutsus.

Nous affutons. Il est temps de laisser vivre notre Colère. Tu dois libérer la Rage, la faire vivre. Laisse les cieux kaolins devenir amers. Brise la conscience ocre et anamorphe. Je dois le buter, le réduire en poussière. Labyrinthe de razzias, andrinople de cristal, rails de sucre, arc-en-ciel de chaos, déicide de fer. Ô, Irascible Démence, danse autour du moribond, de ce mort qui l'est bientôt. Tu trembles, tu grésille, ils attendent, vous vous impatientez. Pestilence chthonienne, nous vous psalmodions !

A son tour, Yoru déploya son chakra. L'atmosphère devint nettement plus pesante. Tout à coup, les prémices de son jutsu se firent sentirent ça et là autour du terrain. Une vague circulaire de vapeur fit alors son apparition. Si habituellement, elle se teintait de pourpre, cette fois-ci, la brume ardente prenait des teintes obscures, sombres, comme surgissant des profondeurs de l'Enfer. C'était le Souffle d'Enma-Ô, la technique de zone du Régent. Une technique méconnue du répertoire paraphrénique du kobold psychasthénique, et qui aujourd'hui prenait forme dans l'anarchie des ruelles de Kiri. A présent, un dôme entier de vapeur retenait soudés le Kirijin, le prisonnier, ainsi que le Lutin Fou. Pris dans la gueule du loup, le taulard n'avait plus d'issues pour fuir, désormais. Le Régent était fier de son coup: certes couteux en énergie, mais le jeu en valait la chandelle, car cette technique avait de quoi donner de grandes chances de réussite à son possesseur. Mieux encore, des courants de vapeur caustiques émergeaient des parois du dôme, venant à l'encontre du prisonnier pour s'occuper de son cas, et lui faire subir d'atroces souffrances…

❖ Bah alors ? Tu comptais faire quoi ? Tu pensais pas que tu allais t'en tirer aussi facilement, non ? On est bien entre nous, ce serait dommage de partir si vite… maintenant la fête peut vraiment commencer, haha ! Hurle autant que tu le désires, il n'y a que nous qui pouvons t'entendre, car tu es condamné dans ce dôme !

Le sadisme de Yoru commençait là où l'espoir de ses adversaires prenait fin.