Errance musicale [PV On']

(#) Sujet: Errance musicale [PV On'] Jeu 31 Jan 2013 - 23:18

Cinq heures écoulées déjà, il était peut-être temps de rentrer non ? Dieu qu'il n'avait pas envie d'y aller. Rejoindre ses parents, c'était lever le camp dans l'instant et partir une nouvelle fois. A peine deux semaines et il n'en pouvait déjà plus. Idakushin était incapable de deviner combien de temps cette fuite durerait, mais à en croire ses parents, un pays entier ne suffirait pas à être à bonne distance de leurs poursuivants. Il ne savait pas vraiment qui leur en voulait autant et il s'en moquait : ils avaient tort, sa famille et lui n'avaient rien fait pour mériter la haine, et ce n'est certainement pas en déclenchant un conflit que le cycle sans fin d'abhoration s'achèverait.

La guerre n'avait pas suffi, il fallait maintenant se venger de ceux qui en étaient les acteurs. Une guerre pour punir les guerriers, était-ce ce qu'ils avaient trouvé de mieux ? Le garçon et sa famille avaient vécu près de trois ans après la fin de la guerre sans que personne ne vienne chercher querelle, et voilà maintenant qu'il était chassé. Chassé par qui, chassé pour quoi, et chassé d'où ? Il avait suivi de très loin le jeu politique des villages et s'il avait une vue d'ensemble de la situation, il n'avait aucun détail utile en tête. Apparemment, ses parents et lui se dirigeaient vers Kiri en traversant le pays du Feu d'occident en orient. Bien sûr, la géographie du jeune homme était approximative, et il n'aurait su dire avec précision où il était.

Qu'allaient-ils gagner à se rendre dans ce village ? Pourraient-ils y trouver la paix ou seraient-ils encore jugés pour des actions passés auxquelles aucun d'eux n'avait pris part ? Si seulement il avait été possible de rester dans cette auberge encore un peu : les lits y étaient confortables et la compagnie agréable. Redevenir de simples civils et échapper à leurs poursuivants par la ruse, cela ne paraissait pas si difficile...

Abandonné à ses rêveries, Idakushin perçut pour la première fois un son divin. Etait-il porté par le vent ou simplement issu de son imagination et de sa musicalité poussives ? Quoi qu'il en soit, une telle mélancolie ne pouvait signifier qu'un présage, et son orientation ne serait hélas révélée que tardivement. S'il était rentré à cet instant, aurait-il alors sauvé son père de la fin pitoyable qui l'attendait ?

Etrange chose que le destin, elle annonce un présage mais elle entraîne des actions qui permettent à celui-là de s'accomplir. Une mélodie, voilà comment Idakushin se représenterait le destin jusqu'à la fin de ses jours. Une portée sur une partition existait-elle parce que son auteur l'avait pensée ou parce que la partition était là ? La décision anodine que prit le garçon scella d'une certaine manière son destin.

Le vent avait porté un haïku dans l'esprit du musicien, et les oreilles du flutiste transcrirent celui-ci. La mélopée gémissante qui s'ensuivit n'avait qu'un seul nom : musique.

Brume dans les cieux,
Réfléchira dans les yeux,
Jamais plus heureux.

L'essence de son morceau reposait dans la régularité du voyage qui s'annonçait, dans les tourbillons de son avenir qui s'élevaient tels des arbustes tournoyants et implorant le sol de les laisser se raccrocher. Plus rien n'occupait l'esprit du garçon que ces sons et cette intention qui maculait le sol d'une étrange lueur terne comme l'émanation morbide d'une volonté terrestre. Ne comptait que le temps autour de lui. Ne comptait que la somme des sentiments dans le vide. Entre envolées lyriques, il se comprenait, il s'entendait lui comme note et comme ensemble, comme artiste et spectateur, comme acteur et cadavre impotent. Il évacuait ce qu'il ne dirait jamais, ce qu'il ne pourrait jamais dire et qu'il n'aurait d'ailleurs jamais plus l'occasion de dire. Il brisait le moment, lui imposait une saveur qu'il connaissait et pourtant s'en imprégnait pour mieux le dominer. La flûte n'était pas un instrument, pas plus qu'il n'en serait jamais un.

Bruissements feuillus, hululements glaçants et vent froid n'effrayaient pas le garçon. C'était maintenant son monde, son univers. Sa maison.

Son foyer, il l'avait perdu quand il avait commencé le morceau, son père il l'avait assassiné en cédant à l'appel du vent, mais était-il mort lui ? Non, il avait survécu comme cette émotion fumante au sein de son coeur, cet instinct musical, cette folie lucidement belle. Personne ne perçerait jamais les secrets du garçon car ils lui étaient inaccessibles. Seule le son savait, seul le son vivait éternellement.

Tandis qu'Idakushin laissait craqueler les carcans de sa passion, ses parents s'inquiétaient. Sa mère partit retrouver son fils tandis que le père restait à l'auberge préparer le départ. A peine une heure plus tard, le destin de ces trois personnages jouerait sa partition sadique avec un sustain à faire palir d'envie.

On' deux ans auparavant:

-"Voyageur, partage donc cet instant avec moi, et donne-moi le la."

Ce n'est pas le vent mais la Musique elle-même qui avait porté Idakushin en ce lieu où semblait régner la nature et où sa seule intrusion n'était légitimée que par le mouvement de ses doigts sur la flûte.

Au centre d'un lieu qu'un Dieu malade avait dû abandonner en plein processus de création, la Musique était là : jeune, échappant à son regard, déstructurée et communicative. Seule déception : la Musique était un homme... Tous les efforts que le garçon avait consentis pour se représenter la Musique avaient abouti au même résultat : une femme, jeune, aguicheuse et distante, aux formes changeantes. Là, ce n'était pas exactement ce que le voyageur avait sous les yeux.

La Musique devait être jeune, sinon il était impossible d'expliquer l'attraît qu'elle représentait pour les générations actuelles et celui qu'elle avait pu représenter pour les générations passées. Elle devait paraître banale et d'approche aisée, pour ne pas décourager le praticien. Le garçon qui se tenait sur le rocher avait une majesté irréelle pour son âge, et cela semblait confirmer la thèse d'une hallucination musicale.

Si la Musique était jeune, elle était également attirante et souhaitait plaire. Attrapant nonchalamment le diapason, Idakushin se conforma aux ordres de la créature étrange à la basse et le fit tinter de sa flûte.

Ses pensées reprirent leur cours tandis qu'il préparait déjà ses lèvres et ses doigts à suivre le rythme que l'incarnation lui dicterait. Il avait entendu la chose jouer, et le moins qu'il était possible de dire, c'est que c'était au-delà de sa propre compréhension du son. Celui-là se fondait au vent et n'était pas une superposition mais bien une assimilation à l'environnement. C'était un tout autre niveau, et la richesse des accords prouvait un goût pour l'expérimentation musicale et la nouveauté. L'avenir de la musique se trouvait donc dans la Musique ?

"- Je m'appelle Idakushin, et tout voyageur que je suis, je tâcherais de t'être d'une écoute agréable."

L'homme ne s'était retourné à aucun moment, et étrangement le jeune homme y vit l'image d'une musique puissante et vivace, insaisissable mais dont la poursuite permettait l'introspection. Evidemment, il s'agissait d'une véritable personne qu'il serait peut-être amené à revoir plus tard, et cette sorte de fascination mystique rendait la relation et la rencontre d'autant plus amusantes. C'est cette présomption d'hallucination qui fit qu'Idakushin reprit la parole à peine quelques secondes après s'être interrompu :

"- Musique, je veux connaître l'étendue de ta grandeur, laisse-moi jouer avec toi selon tes règles mais permets-moi ensuite de t'imposer la base de notre échange, cela te convient-il ?"

Attendant le signal du bassiste, les mains d'Idakushin étaient déjà moites, pas tant du fait d'une quelconque appréhension mais en raison de l'excitation qu'il ressentait à l'idée de partager son art avec une créature, quelle qu'elle soit. A la première note, il jouerait comme il l'avait toujours fait, en ressentant ce qu'il jouait et en jouant, paradoxalement, ce qu'il ressentirait. Il mettrait tout son coeur à la partition et écrirait sans doute l'une des plus belles pages de musique de sa propre existence.

Maintenant Musique, montre-lui ce que tu sais faire ! Quand tu auras terminé, ce sera au tour du garçon de conduire la valse sur le thème le plus improbable qui soit.

Des fleurs vénéneuses, Edredon est la pire.
Vivez-vous cet instant, écopez-vous l'ire
D'un tas de plumes aux épines diffusant je le crains
Un poison violent qui de nuit à aube nous contraint
A rester au lit, hallucinante loque humaine
A visage découvert, songes éphémères et haine
Au petit matin quand se découvrent les drogues
Suturent nos instants féconds un silence psychologue.
Connerie d'Edredon et putain de Morphée, étouffez vous, souffrez.

Spoiler:

Le garçon l'avait appelé "Musique". Étrange surnom, plutôt flatteur en l'occurrence. Mais lui alors, qui pouvait-il être? L'ouïe? Sans doute. Mais Onpu se considérait moins musicien qu'auditeur, et cet inconnu semblait manier son instrument à vent avec une dextérité intrigante, il était donc "Musique" lui aussi. Chacun était musique, chacun était oreille... Alors, en vertu de ce pacte implicite, et toujours sans se retourner pour garder intact le mystère de son apparence et laisser son imagination en ébullition construire une silhouette autour de sa voix et ses notes de flûtes, il lui répondit en acquiesçant silencieusement avec le sourire au coin des lèvres et en faisant tinter la corde la plus aigüe de son instrument, glissant son index le long du manche.

Une nouvelle ligne se dessina sous ses doigts, bâtie essentiellement à base de quarte et de quintes pour lui préparer un socle simple, instinctif, abordable, et surtout sujet à n'importe quelle modulation. Le voyageur voulait fixer la base de l'échange, il le pourrait aussitôt qu'il commencerait...

Et il ne se fit pas prier. Son discours mélodique, à l'inverse de celui du luthier, ne pouvait être composé de plus d'une note à la fois, mais il s'était greffé de manière tout à fait originale à la ligne de basse qui avait précédé, créant des couleurs assez osées. Rythmiquement le flûtiste ne prenait guère plus de risque que de raison, ses phrases auraient pu se caler sur celles que son camarade avait déclamées; mais sur le plan des tonalités, le caractère qui se dégageait de son monologue était bien loin de tous ces chants traditionnels et prévisibles dans lesquels Onpu avait macéré bien trop longtemps avant de quitter sa famille. Il y avait de la fraîcheur, une sorte de provocation maîtrisée dans la manière de construire les arpèges.
La dernière phrase musicale fut la plus percutante, la cassure rythmique provoquée par deux soupirs bien placés contrastait à merveille avec les sauvages dissonances qu'il avait choisies pour illustrer le fond de sa pensée. Difficile de savoir d'où sortaient ces idées, elles n'étaient probablement pas issues du même délire que celui du luthier, mais au fond seul le minerai qui en résultait témoignait vraiment de la qualité de l'échange.

Bonne pioche. Hors de question de s'arrêter en si bon chemin. Tout de suite, reprendre.
La symétrie; reproduire les soupirs de la fin, à l'envers. Puis les triturer, les reboucler sur eux-même. Mais surtout... Goutte.

Goutte
Coule, dévale, succombe à l'inévitable
Chute et serpente, ton sommet glacial est loin derrière
Goutte
Coule, glisse, laisse-toi porter par tes semblables
Et si là-haut tu veux revenir, retourne à la mère

Le timbre, la tessiture, et même le rôle de son instrument ne lui permettaient pas autant d'élégance et de libertés que son compagnon musicien dans ses mélodies, c'est pourquoi il avait tenu à ajouter sa touche personnelle. "Goutte", ce n'était pas de la basse, mais de l'onkyôton. L'héritage du clan Myakudou, la synthèse additive. En exiprant son chakra des narines, il domptait l'air et lui offrait la forme d'onde qu'il désirait: un son pincé, fort en harmoniques impaires, quelque chose de bien moins naturel qu'une corde vibrante. Une synthèse... pour donner plus de rythme et de consistance à cette strophe, qu'il jouait et soufflait en boucle depuis bientôt plus de trente secondes.

La lueur des premières étoiles perçait le ciel, mais au loin le vent amenait la pluie. Si le voyageur était aussi ouvert d'esprit qu'il le laissait entendre, il comprendrait que cette boucle était un appel, et que la dualité entre "Musique" et "Ouïe" avait assez duré. Il était temps de combiner les deux, d'abandonner le dialogue pour laisser place à la symbiose.

Spoiler:

Goutte.

Musique terrible aux racines profondes, la basse devenait ligne comme elle aurait dû toujours l'être, tirant avec elle des profondeurs obscures de la musique archaïque des poissons lumineux aux écailles rutilantes.

Goutte.

La flûte du garçon semblait mue d'une irrésistible envie de musique, que le garçon ne pouvait plus réfréner. Si cette goutte ponctuelle était un produit, c'était un musicosiaque : un aphrodisiaque qui, perdu en chemin, aurait changé ses propriétés, ranimant potentiellement la libido musicale de n'importe quel conservatisme, faisant éclater toute frontière et toute idée d'un retour en arrière.

Goutte.

Perles de pluie, bruine et sanglots sur les joues du garçon et probablement de son double retourné. Il n'y avait pas de tristesse en musique, seulement des élans primaires, et celui-là était lacrymal. Quelle était cette technique ? Comment un individu pouvait-il produire des sons si vibrants à partir de son seul corps ? Comment pouvait-il imaginer une si mélodieuse assonance ?

Goutte.

Idakushin n'avait jamais été aussi acteur de sa propre musique. Il le devait à l'homme, mais il le devait surtout au vent, aux arbres et à l'ambiance de ce lieu. Stupides étaient ceux qui voulaient domestiquer la musique. Stupides étaient ceux qui prétendaient régir par leur esprit la mélodie. Stupides étaient ces rédacteurs de partition, ces aliénateurs lubriques, ces raclures sonosensibles.

Goutte.

Cela faisait probablement cinq minutes que les deux jeunes gens jouaient de toute leur âme, mobilisant chaque coin de leur inconscience et repoussant avec virulence leurs limites techniques. Idakushin savait maintenant que l'individu assis n'était pas évanescent. Il était dans la même réalité que lui, il partageait tant et n'en partagerait jamais plus. Sans qu'il sache précisément dire à quel moment, le fugitif se mit à chanter. Ou plus exactement il pensa, et cette pensée vint se fixer au creux de l'oreille de son compagnon de fortune. Enfin, il avait maîtrisé cette technique. C'était ça la solution, la musique ?

Goutte.

Si la technique était sans doute moins sophistiquée que celle du bassiste, la télépathie avait cela de magique qu'elle permettait à Idakushin de chanter, et c'est un véritable artiste-chanteur qui prit corps dans l'esprit d'Onpu, donnant voix à ses pensées musicales.

Goutte
Coule, dévale, succombe à l'inévitable
Chute et serpente, ton sommet glacial est loin derrière
Goutte
Coule, glisse, laisse-toi porter par tes semblables

L'harmonie était atteinte. Oreille et musique valsaient en rythme, prenant plaisir à se redécouvrir. Les pensées des deux hommes étaient connectées et le furent encore des minutes entières.

Goutte
Bise, vent fou et bourrasques,
Tournant dans les cieux en attendant la pluie
Goutte
Tombe, cède et laisse céder.

Goutte
Ton sommet glacial a disparu
Réchauffe les corps de ta voix magnifique
Goutte
Fais, refais vie et disparaît.

Le morceau était fini. Plus aucun bruit n'illuminait ces lieux, redevenus ternes. Un seul éclat suffit à les briser :

"- Quel est ton nom ? Je veux connaître l'identité du seul musicien ayant foulé ces terres."

L'extinction progressive de la virtuosité spontanée des deux jeunes gens laissait à nouveau s'installer le paysage visuel. Onpu ouvrit très lentement les yeux. La pluie, fort heureusement, n'avait été que le fruit de leur inspiration commune, et n'avait rien de réel en cet instant: la nuit était belle et sèche.

Le luthier avait l'impression de décuver. Cette intrusion dans sa propre tête l'avait perturbé au début, mais n'avait fait que l'encourager dans le processus créatif, menant celui-ci jusqu'aux sommets. Ni des mots, ni vraiment des notes n'avaient raisonnés dans sa tête. Avait-ce seulement un nom? Était-ce seulement scientifiquement descriptible? Là n'était pas la question, après tout. Seule l'esthétique du résultat importait.

Alors, comme l'air était revenu le support du dialogue et de nul autre chose, On' pivota sur son menhir pour enfin découvrir le visage de son collègue. A la vue de son costume, il manqua de dégringoler du rocher, et dû rattraper sa basse au dernier moment pour la sauver d'une chute fatale... comprenant qu'il s'agissait d'une position désormais inconfortable et inadaptée, il en descendit d'un petit bond.

"-Tu n'as qu'à continuer à m'appeler "Musique", c'était là un nom plutôt agréable à porter, fit-il en ricanant.
Non, voici mon identité, et navré de ne pas l'avoir déclinée plus tôt: Onpu, du clan Myakudou de Ta no kuni. J'ai quitté mon foyer il y a bientôt deux saisons, et depuis je vagabonde de village en village, avec pour tout gagne-pin mon matériel de lutherie et mes compétences de troubadour.
Tu es également le premier véritable musicien que je croise, Idakushin."

Il avait prononcé le mot "musicien" lentement. Car par ce terme, il n'entendait pas simplement "homme pinçant des cordes" ou "brandissant un pipeau", et son homologue devait l'avoir bien compris. Sans doute partageaient-ils la même définition. Le luthier était désormais certain d'avoir bien fait d'être parti de chez lui.
Il s'approcha pour lui serrer la main.

"-J'ai beau être installé dans un hameau non loin d'ici, je n'en reste pas moins un voyageur. Je cherche juste un endroit où m'installer et vivre décemment, au moins pour quelques années. Mais le monde de la guerre n'a pas besoin de nous, les musiciens... je serai très certainement amené à me tourner vers une activité plus rentable, reste à choisir la bonne. Alors en attendant, je joue, et je construis de quoi jouer.
Et toi, Idakushin? D'où viens-tu? Erres-tu seul?"

La nuit bien installée, il lui faudrait bientôt se mettre en route pour regagner son village. Il ne pouvait malheureusement pas proposer au flûtiste un toit pour la nuit, le sien était à peine convenable pour une seule personne.

(#) Sujet: Re: Errance musicale [PV On'] Mar 12 Mar 2013 - 0:22

Saisissant la main du jeune homme qui lui faisait face, cet Onpu dont il ne connaissait finalement rien, Idakushin crut voir un reflet de lui-même. Même regard de vagabond, même sourire de musicien. Il y avait là un motif de fraternité éphémère qui cesserait sitôt qu’ils repartiraient tous deux vers leurs destinations respectives. Quelle était-elle ? Il doutait de la sienne, et il soupçonnait son frère d’exil d’être aussi perdu que lui, mais était-ce si important au final. Ce qu’ils venaient de partager n’avait pas de prix, pas de mot suffisamment puissant pour le décrire, et puisque le moment était venu d’en apprendre plus sur lui à l’étranger, Idakushin jugea que se détendre et oublier un peu toutes ces vaines interrogations l’aiderait à surmonter les épreuves du lendemain.

« - Onpu… C’est un nom intéressant, surtout pour un musicien. Je t’appelais Musique, je n’avais pas si tort. »

Le sourire du jeune homme éclaira son visage quelques instants puis il reprit.

« - Je crois malheureusement que ta vision de la guerre est la bonne, mais je crois pourtant que les guerriers auraient beaucoup à apprendre de nous, qui déchainont nos sens pour créer quand eux les déchainent pour détruire. Je suis ravi de rencontrer un luthier… J’avoue que la seule personne que je connais qui ait déjà fabriqué était un instrument se tient devant toi, et je ne parvins à cet exploit qu’une unique fois… C’est dire si cet instrument m’est précieux ! Je suppose que cela doit être agréable de pouvoir modeler son instrument, le rebâtir à loisir, le réparer et lui épargner les souffrances du temps… Enfin quoi qu’il en soit, je n’erre pas seul, et « errance » n’est pas vraiment le mot. Je crois déceler de la sincérité en toi, aussi ne le tairais-je pas : je fuis. Qui ou quoi, je ne t’en dirais pas plus, d’abord par sécurité et ensuite, honnêtement, par méconnaissance du sujet. Cela dit, je crains qu’il n’y ait là une différence de taille entre nous : tu vagabondes parce que tu y crois, je vagabonde parce que je le dois. »

Cela faisait beaucoup de révélations dangereuses, mais la musique avait ouvert le cœur d’Idakushin qui, dans une sorte de transe mystique, avait pu juger des intentions de son compagnon d’infortune. Celles-ci n’étaient pas mauvaises, assurément, aussi Idakushin consentait-il à partager un peu de son poids avec son interlocuteur. Plus sincèrement, le musicien tenait enfin une personne avec qui partager ses doutes, et il se sentait à peine coupable de l’inclure ainsi dans sa situation.

« - Dis-moi, puisque tu es luthier, et même si ce n’est pas nécessairement ton terrain de prédilection, pourrais-tu jeter un œil à l’instrument dont je joue ? Ce serait un grand honneur que de jouer une note de musique d’un instrument consolidé par une note de musique. »

Idakushin avait toujours ce sourire amusé qui ne l’avait quasiment plus quitté depuis que le jam s’était terminé et avait laissé le silence recouvrir la forêt.

« - Ah, et j’allais omettre de te répondre : je viens du pays du Feu, d’un village proche de Konoha. »

(#) Sujet: Re: Errance musicale [PV On'] Sam 30 Mar 2013 - 19:02

La fameuse Konoha. Carrefour de toutes les cultures et de tous les commerces. Onpu n'avait pas encore envisager d'y finir, pourtant il lui était difficilement compréhensible qu'on puisse avoir besoin de s'en éloigner. La capitale n'était-elle pas l'endroit le plus sûr du pays? N'était-elle pas bordée de hauts remparts de bois, et gorgée de guerriers veillant au grain? Idakushin s'était déjà suffisamment livré, il aurait été à la fois indiscret et inutile de lui demander davantage de détails sur les motivations de sa "fuite".

Le luthier s'approcha, prit la flûte et l'examina rapidement sous plusieurs angles, moins poussé par son professionnalisme que par quelque curiosité. Il releva ensuite les yeux vers son compagnon du soir et sourit sobrement.

"Ce n'est effectivement pas mon rayon, les vents c'est une toute autre paire de manche. Cela dit, j'ai grandi avec des musiciens, et je peux t'assurer que ton instrument n'a rien à envier à ceux dans lequel soufflent, soufflaient et soufflent encore mes parents, cousins et ancêtres. Ça manque peut-être de travail esthétique, diraient certains; pour moi, tant que ça sonne...
Garde-la précieusement, c'est mon seul conseil."

Il lui rendit son œuvre. C'était plutôt drôle de parler avec lui, il y avait de la délicatesse dans sa façon de s'exprimer ainsi qu'une pointe d'humour. Et bien qu'un peu sur la défensive concernant sa propre histoire, il avait fait preuve d'un certain recul. Les voyageurs étaient les humains les plus philosophes, les plus ouverts à la méditation. Cette rencontre ne donnait pas spécialement envie à Onpu de se sédentariser, mais comme le flûtiste lui avait fait remarquer il n'avait aucune raison profonde de vagabonder. Il le faisait par choix, presque "pour le délire". C'était une crise d'adolescence tardive qui l'avait poussé à quitter son foyer, et c'était sans doute encore elle qui le maintenait incapable de tenir en place, désireux de tenter différentes combines pour se frayer une place dans ce drôle de monde. Mais aucunes d'elles n'avaient vraiment marché jusqu'à présent.

"Tu as raison. Sans se considérer comme des espèces de sauveur ou je ne sais quoi, il est vrai que nous avons sans doute des choses à apprendre aux guerriers. Mais la réciproque est vraie également. La solution est peut-être là: s'engager dans les rangs d'un village caché... c'est assez à la mode ces dernières années, donc spontanément j'essaie d'éviter. Les sentiers battus manquent d'esthétique et d'intérêt à mon sens.
Mais si c'est la seule solution, il faudra bien s'y résoudre. J'espère quand même être assez débrouillard pour ne pas être obligé de dépendre d'une communauté de shionibi. Ça serait mieux, quand même..." fit-il un peu songeur.

A ce moment-là, il repensa à ce Rikku qu'il avait croisé un peu plus tôt sur son chemin vers le pays du feu. Idakushin allait recevoir le même cadeau que lui.

"Idakushin, au lieu de fuir, je pense que tu devrais songer à te trouver une destination. Je suis mal placé pour te donner le conseil, et il va bien falloir que je le suive également. Les villages cachés ne sont pas les seules solutions, il y a des alternatives, mais fuir pour fuir n'est probablement pas la solution.
Le diapason que je t'ai envoyé tout à l'heure, garde-le. Un jour tu auras peut-être l'occasion de me le rendre, nous pourrons alors voir ce que nous sommes devenus, et nous donnerons le "la" pour une nouvelle impro. En espérant que nous aurons tous les deux encore progressé d'ici là."

Avec un clin d’œil, la "note" accrocha sa basse en bandoulière autour de son épaule, et s'éloigna lentement dans la nuit, omniprésente désormais.

"Au plaisir, ami musicien. Entretiens tes dons."

Il y avait de nombreux sens possibles pour cette dernière phrase.
Peu à peu l'ombre du costume atypique de l'étrange Idakushin se fondait dans le noir. Un dernier signe de la main, un demi-tour.

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