C’était il y a quatre ans auparavant. A cet âge là, mon frère et moi étions déjà deux orphelins habitant la contrée de la cascade : Taki no Kuni. Le temps s’écoulait lentement, ce qui n’était pas pour me déplaire. A cette époque, mes douze ans me convenaient parfaitement, je ne me sentais pas spécialement impliqué dans ce qui m’entourait, et je m’occupais principalement de mon frère. Lui aussi était bien plus jeune -logique me diriez-vous-, il n’avait que six ans. Ce qui me facilitait la tâche, c’est qu’il savait déjà se gérer tout seul, me permettant de le laisser seul de temps en temps. Même si je l’adorais, il était difficile de toujours l’avoir entre ses pattes. Tous les prétextes étaient bons pour s’éclipser l’espace de quelques heures. De toute manière, le coin ne craignait pas, et puis Kazu savait très bien ce qu’il devait faire en cas de danger. Se cacher. Le connaissant, je ne pense pas avoir besoin de lui répéter en plus.

Ce jour-là, je comptais partir une nouvelle fois. On n’habitait une petite maison près de deux cascades et de quelques grottes, le lieu était charmant. Mais il ne pleuvait malheureusement pas encore de la nourriture. Et puis pas question que j’aille chasser des animaux, ce serait contre mes principes. La vie est précieuse, aussi bien pour un humain que pour un animal, quelconque qu’il soit. De ce fait, je devais régulièrement parcourir une longue distance pour atteindre un village civil à plusieurs kilomètres de là. Avant, j’étais bien obligé d’emmener mon frère, mais maintenant je préférais éviter. C’était déjà assez fatiguant comme ça pour y rajouter de la difficulté. Heureusement, j’étais habitué à ce trajet. J’avais même déniché un coin sympa pour me ressourcer, et me reposer. C’était dans un bois qui se situait entre le village et notre maison.

La spécificité de ce bois était qu’un cours d’eau le scindait en deux. Et au milieu de celui-ci, on y trouvait un petit lac, très agréable. L’harmonie du lieu était telle, qu’elle parvenait à dissiper toutes mes préoccupations en écoutant seulement les chants de la nature. C’était une des rares fois où mon casque n’émettait absolument aucune musique. C’était un lieu sacré pour moi, et j’étais même sûr qu’il décelait un secret. Peut-être un trésor, ou une grotte mystère qui sait. Un jour, je m’y pencherai plus sur son cas, un jour où j’aurais un peu plus de temps à ma disposition. A force d’y penser, je remarquais que je n’avançais pas vraiment. Ma progression était assez lente. Rêveur, oui je l’étais, et je le suis toujours.

Accélérant le pas, j’étais très pressé de retourner à ce lac. Plus je m’y prenais vite en chemin, et plus je pourrais en profiter. J’avais pour rituel de m’y arrêter qu’à l’allée, et me dépêcher pour le retour. Mais aujourd’hui, je voulais y rester un maximum, et je ne pris donc pas mon temps pour faire le chemin. Inutile de traîner.

Le lac était tout proche. On pouvait déjà ressentir l’atmosphère apaisante de celui-ci, de par le chant des oiseaux qui s’y mettaient tous en cœur, le vent qui soufflait sur le dense feuillage des arbres environnants, ainsi que l’eau du lac qui émettait sa propre mélodie avec son mouvement. L’harmonie dont je parlais, c’était principalement ça. La vision de ce lieu était elle aussi paradisiaque. Etrangement, je n’ai jamais vu personne en ces lieux. N’était-il connu que par moi ? Il faut dire aussi que peu de personnes ne s’aventurent par ici, c’est presque désert. Il faut avouer que l’idée d’être seul, entièrement coupé du monde extérieur me plaisait. M’asseyant sur une pierre au bord du lac, je regardais en face, le regard vide. Puis je fermais les yeux et me laissait envahir par cette étonnante tranquillité. Et puis, j’entendis quelque chose… Comme si quelqu’un se déplaçait dans la végétation. Il y avait quelqu’un, ici ? Ne bougeant pas d’un pouce, je restais concentré, attendant de voir.

L’harmonie de la nature était présente, je me sentais apaisé après quelques instants installé là, à contempler ce lac dans toute sa splendeur. Mais il y avait quelqu’un. Derrière moi, un peu plus loin. Je feignais de ne rien avoir entendu, ni ressenti. A l’époque, je n’étais pas un brin social, n’ayant jamais eu un réel contact avec une tierce personne autre que mon frère. Cependant, cela n’allait pas tarder à changer. L’inconnu dont je n’avais pas encore discerné les traits m’attrapa par la main, et m’emmena un peu plus loin, derrière un arbre. Hein… ? Mais il se passait quoi ? Avec tout ça, j’eus l’occasion de voir qui était cette personne : c’était une fille de mon âge à peu près, quoique peut-être un peu plus âgée que moi. Nous étions cachés derrière un arbre, et elle était légèrement collée à moi. J’étais habitué à rester un peu en retrait du reste de la société, et là la situation était un peu gênante… Mais je ne dis rien, toujours pour attendre de voir ce qui se passait exactement. Et aussi, d’un sourire, elle m’avait fait signe de ne rien dire.

Après avoir observé les alentours, elle me prit une nouvelle fois la main pour retourner à l’endroit où j’étais, près de ce rocher qui faisait face à la beauté irréelle du lac. Etrange fille, je n’avais pas bien compris ce qui lui était passé par la tête, tout s’était passé si vite, sans un bruit, sans personne pour m’expliquer la situation. Alors qu’elle était souriante, ma timidité d’antan faisait surface, et devait se ressentir. Non, je n’étais vraiment pas habitué à échanger avec une personne, surtout si je ne la connaissais pas. Elle n’avait pas l’air méchante pourtant, non loin de là. La belle inconnue s’excusa alors. Une partie de cache-cache avec son frère, voila pourquoi elle avait agi comme ça. En tout cas, elle était plus directe, plus sociale que moi. C’était une certitude. Puis elle se présenta sous le nom de Yuka. Son regard me fixait, accentuant mon malaise, mais je devais y faire face. Timidement, je la regardais dans les yeux, chose que je détestais pourtant, lorsqu’elle me demanda mon nom.

- Ryû… Ryûji… Je m’appelle Ryûji… !

En plus je bafouillais, ce n’est pas beau ça. J’vais me jeter dans le lac et me laisser couler, ça vaut mieux pour moi. Je me savais timide, et je savais aussi qu’il faudrait que ça change un jour ou l’autre. Peut-être pourrais-je la prendre comme exemple ? Même si elle était un peu bizarre, mais elle s’était justifiée. Son frère devait la chercher, et maintenant qu’il était passé par là, elle devrait être tranquille pour un petit moment. Ainsi, il y avait des personnes qui étaient dans le coin ? Habituellement, je ne vois jamais personne dans ce bois, et encore moins ici, dans ce lac.

- Ce n’est pas grave… Non vraiment pas. Le tout c’est qu’il ne t’ait pas trouvé…

Non, ce n’est pas encore au point. Même si je l’étais, je n’aimais pas faire preuve de timidité en présence d’autres personnes, je n’aimais pas le montrer. Une nouvelle fois, je regardais en sa direction. Elle était débordante d’énergie sous ces airs de petite fille, même si elle devait avoir mon âge, ou un peu plus. Pourquoi ne pas l’aider à gagner sa partie ? Ici, elle n’était pas vraiment cachée. Il suffisait que son frère approche discrètement, et elle se faisait avoir. Ma timidité s’estompait progressivement, l’envie de jouer était là. Non loin d’ici, je connaissais un lieu où elle serait plus à l’abri. Il fallait un peu marcher certes, mais ça en valait le coup. C’était le sommet d’une grande colline, qui surplombait le lac. De là haut, on aurait une vue à couper le souffle du paysage, mais elle pourrait peut-être même apercevoir ce frère pour ne pas se faire avoir. Les chances qu’il réussisse à la trouver étaient minces, car l’accès n’était pas simple. Mais connaissant les lieux, je savais exactement par où passer pour monter sans encombre. C’est que c’était assez raide, mais un peu plus plat à certains endroits. Bref, je me comprends c’est le principal. Je lui souriais timidement, même si j’essayais de ne pas vraiment montrer cet aspect-là.

- Suis-moi… Je connais la zone comme ma poche, je sais où tu peux te cacher !

Si elle acceptait, on aurait du chemin à faire, mais comme je disais ça valait le coup. Lui tendant la main, j’attendis une réponse de sa part.

Même si je ne connaissais pas cette fille, elle ne m’évoquait rien de bien méchant. Au contraire, je ne ressentais qu’une certaine innocence et pureté. On pouvait très bien cacher ses véritables aspects, mais je ne m’inquiétais pas trop à son sujet. Ma timidité était telle, que je ne pus m’empêcher de rougir et être une fois de plus gêné lorsqu’elle déclara que j’étais mignon. Mais je m’étais repris bien assez vite. J’allais l’aider à échapper à son frère, et donc à ce qu’elle se cache. Il ne fallait pas que je sois timide, ce trait de caractère n’engendrerait rien de bon, il fallait que je passe outre. Ainsi, ma main était tendue en sa direction. Elle la saisit, et on partit donc pour trouver une bonne cachette.

À son image, j’avais laissé mon esprit enfantin prendre le dessus. Ce n’est pas tous les jours que je voyais des enfants de mon âge. M’amuser ne me fera pas de mal, non loin de là. Surtout ici, ce lac à la fois merveilleux et paisible, où rien ne peut arriver. C’était un paradis, mon paradis. Nous nous tenions par la main, et nous laissèrent emporter par nos pas cadencés. J’étais de plus en plus à mon aise, il n’y avait vraiment aucune raison de ne pas l’être. J’étais bien, comme épanoui. On avait fait un bon bout de chemin déjà, légèrement en altitude par rapport à notre position initiale. Moi qui me vantait de connaître parfaitement la zone, je commençais à prendre conscience que ce n’était pas vraiment le cas. L’endroit où l’on était ne me disait rien. Comme si c’était apparu comme par magie la nuit dernière. Mais je savais très bien que ce n’était pas le cas, c’était impossible. Puis mes yeux s’émerveillèrent, à la vue d’un lieu encore plus magnifique.

Plusieurs cascades nous entouraient. Le son de l’écoulement de l’eau était d’autant plus relaxant que près du lac. On n’en était pas très loin. De ce que j’ai retenu, l’eau de ces cascades se ruisselait jusqu’à une nouvelle qui tombait après dans le lac. En tout cas, notre trouvaille valait vraiment le détour. De plus, ça m’étonnerait que son frère ait des facilités pour parvenir jusqu’ici. Il faut dire que la zone était vraiment grande ! Yuka qui me tenait la main, ne semblait pas partager le même enthousiasme que moi. Elle tremblait. Elle ne semblait plus très bien. Elle avait peur. Mais, de quoi ? Qu’est-ce qui pouvait lui faire peur, au point de la voir trembler comme une feuille ? Elle voulait ensuite partir.

- Mais po…

Je m’arrêtai net, entendant un grognement à glacer le sang. Immédiatement après, mes membres se mirent à trembler à mon tour, et l’emprise de nos mains se resserra une fois de plus. La jeune fille semblait avoir remarqué quelque chose dans l’eau. Une ombre, qui s’agitait. Tournant avec prudence la tête, vers ma gauche, je le vis. Ce fameux monstre. Un animal était perché sur une solide branche d’arbre. Ce n’était rien d’autre qu’un tigre. Et bien gros. Il nous avait repérés, et je craignais bien qu’il nous ait choisis comme repas. Je faisais quelques pas en arrière, prudemment, toujours en maintenant fermement la main de Yuka. Le félin descendit alors de son perchoir. La peur était à son maximum, elle ne pouvait excéder ce seuil. Il était grand temps de partir et de faire en sorte de survivre.

- On court !

Faisant des grandes et rapides foulées, je partis à toute vitesse, entraînant la fille qui m’accompagnait avec moi. Il n’était pas question de se faire attraper. On suivait le cours d’eau, le longeant d’assez prêt. J’espérais bien que la bête fasse un faux pas, et tombe dedans. Mais c’était trop demander… Elle nous suivait, et était plus rapide que nous deux. Et pour couronner le tout… On se fit bloquer. Face à nous, rien. Mis à part le lac de toute à l’heure quelques mètres plus bas. Derrière nous, le tigre. Qu’avait-on fait pour en arriver là… Jetant rapidement un œil en bas, je commençais à me dire que c’était notre seule issue. Hmm…

- On a pas vraiment le choix… Prête pour faire le grand saut ?

Ce n’était pas vraiment rassurant, mais je préférais sauter que de me faire manger par une bête affamée. Et puis, ce n’était pas si haut que ça… Le tigre était tout proche. Serrant la main et sans attendre la réponse de Yuka, je sautais, l’entraînant ainsi avec moi dans ma chute.

Boum. Son cœur battait la chamade. Elle pouvait le sentir heurter sa poitrine avec violence, à une vitesse folle et incontrôlable. Tout lui paraissait tellement horrible, dans cette situation. Son esprit enfantin était en proie à une peur des plus marquées, tandis que ses mains serraient celles de Ryûji avec puissance. Un tigre. Un prédateur félin, extrêmement rapide et bien trop puissant pour eux deux. Ce qu’il faisait là ? Nul ne le savait, mais l’endroit avait l’air propice à sa présence. Peut-être chassait-il ? Peut-être que les deux enfants le dérangeaient ? Elle resta tétanisée un instant, jusqu’à être tirée sur le côté par Ryûji, qui se mit à courir aussi vite que possible pour les emporter loin de lui. L’information grimpa très lentement jusqu’à son cerveau et, le temps qu’elle se rendît compte de ce qui se déroulait, les deux enfants se trouvaient déjà loin du précédent lac. Leurs pas foulaient le sol avec rapidité et maladresse. Ils pouvaient tomber. Se rater. Et devenir la proie de cette adorable bestiole. Mourir dévorés par un animal. Quelle tristesse, tout de même. La brune se concentra davantage et fit au mieux pour ne pas chuter. Cependant, elle ne voyait pas la fin de cette course folle. Aucune lumière ne scintillait au bout du tunnel. Il n’y avait que cette odeur ignoble de mort qui les poursuivait. Le relent âpre de la fin. Cela retournait ses tripes, mais elle ne faiblit pas.

Lorsque la lumière se mit à briller, Yuka crut que le calvaire s’était terminé. Qu’il leur suffisait de s’enfoncer davantage dans les bois pour que le tigre ne les retrouvât pas. Mais l’animal les flairait et continuait sa poursuite. L’absence de bruit lui frappa l’esprit et elle regarda en bas. Le lac. Une chute imminente. Le vertige la prit et elle s’immobilisa, tétanisée. Être dévorée ou faire une crise cardiaque ? Il fallait faire un choix. Se débattre pour survivre. Réflexion poussée au maximum et …

— Aaaaaaaaaaaah !

Coupée en plein élan.
La demoiselle fut traînée vers le bas, tirée par Ryûji. La pression de sa main sur la sienne devint plus forte, comme si elle cherchait désespérément à trouver un point stable pour s’accrocher. Son cœur s’accéléra encore, tambourinant plus fort que jamais.
Puis la chute s’arrêta.
Ce fut le contact de l’eau contre ses vêtements, contre sa peau. Le besoin de remonter le plus vite possible. La peur d’y laisser la vie. Alors Yuka remua les pattes, nageant jusqu’à la surface. Elle prit une grande inspiration, balayant ses cheveux d’un geste de la main. Vivante. Capable de respirer, de bouger. De voir. D’entendre. Rien ne lui était arrivé. Plus de tigre, plus rien. Juste son corps trempé. Elle se tourna vers Ryûji, remarquant que lui aussi s’en tirait bien. La brunette poussa un long soupir et se dirigea vers le bord du lac, pour retourner sur la terre ferme, n’aimant pas véritablement l’eau.

Le froid glaça sa peau, montant doucement par ses vêtements. De longs frissons l’assaillirent et ses dents claquèrent. La situation se dégradait de plus en plus, après la terreur, la température. Tout semblait se rejeter contre eux deux. Yuka lança un regard presque triste à Ryûji. Pourtant, parmi les étoiles ternies scintillait une petite lueur.

— Mmh … Mes parents ne sont pas trop loin, ce serait pas mal pour éviter de tomber malade, non ?

Autant en profiter, non ?

On n’avait malheureusement pas le choix, il nous fallait sauter, pour espérer échapper à ce fauve. Moi qui passais beaucoup de temps ici, c’était bien la première fois qu’il m’arrivait quelque chose de ce genre… Pauvre Yuka, et dire que je voulais lui montrer ce lieu magnifique dans son intégralité, voilà que je l’ai mise en danger. C’est de ma faute. Et maintenant, nous tombons. Durant notre chute, je sentis qu’elle serrait encore plus fort ma main. Je fis de même, et je fermai les yeux pour ne pas voir la fin de cette chute. Elle était sans fin, éternelle. Comme si le temps s’était arrêté, pour nous torturer alors que l’on se morfondait. Plouf. C’était fini. Etions-nous morts ? Avions-nous survécu ? Je n’en savais rien. À cet instant bien précis, tout était devenu flou pour moi, alors que mon corps était maintenant en dessous de la surface du lac. Le choc m’avait sonné.

L’eau était glacée à mon goût. Si je n’en sortais pas au plus vite, j’allais finir en hypothermie avant même de me noyer. Mais c’était une chance, car ce froid glacial m’avait permis de reprendre mes esprits. Remontant à la surface, je me dépêchai d’en sortir. Lorsque mes mains touchèrent la terre, et que mon corps suivit, je fus soulagé. On s’en était sorti tous les deux. Mais à quel prix… ? Tous les deux avions froid, tremblant de tous nos membres. Cette petite balade avait malheureusement mal tournée, et je savais pertinemment que c’était à cause de moi. Pour nous protéger, je n’ai rien pu faire, mis à part nous mettre une nouvelle fois en danger. Voilà dans l’état que nous étions maintenant… Je craignais qu’elle m’en veuille, vraiment. Mais je pouvais la comprendre…

À ma plus grande surprise, cela n’avait pas l’air d’être le cas. De mon visage naquit un mince sourire, lorsque j’entendis sa proposition. D’après elle, ses parents étaient dans le coin, en les retrouvant, on pourrait se réchauffer pour éviter de tomber malade. Je ne pouvais qu’accepter sa proposition, bien qu’intimidé par la situation. De toute façon, il valait mieux pour nous qu’on y aille, sinon on allait mal finir. C’est ça d’être jeune, on n’est pas encore mesure d’agir avec une autonomie complète.

Bien qu’essoufflé et fatigué, je me relevais, tremblant. Je regardais Yuka de mes yeux bleus.

- Je te suis. Et… Désolé Yuka…

Je ne pouvais m’empêcher de m’excuser auprès d’elle. Dans le fond, je savais bien que sans moi elle n’en serait pas là, et qu’elle serait encore en train de s’amuser et tout… Pendant qu’on se déplaçait, mes frissons commencèrent à se dissiper. Le froid commençait à ne plus vraiment affecté mon organisme, je m’y étais un peu habitué, bien que ce n’était pas encore ça. Cependant, mon casque n’avait vraiment pas apprécié l’eau et était mort… Super. Plus de musiques pour un moment. En tout cas, ma partenaire semblait toujours avoir froid. Mes habits étaient aussi trempés que les siens, à l’exception de ma veste qui avait séchée. Elle n’était pas en tissu ou autres, et n’avait donc pas absorbé l’eau du lac. De ce fait, elle avait plus vite séché que le reste. Mes tremblements s’étaient un peu dissipés. Je levai donc ma veste, quelqu’un en avait bien plus besoin que moi…

- Tiens. Enfile-la, elle te tiendra déjà plus chaud…

Je culpabilisais encore, et je ne pus m’empêcher de lui passer ma veste, comme pour me racheter. Mais même si ce sentiment de culpabilité ne m’avait pas envahi, je l’aurais sûrement fait aussi. C’était tout ce que je pouvais faire pour elle, pour m’excuser et la remercier… Non, y a encore quelque chose que je pouvais faire. Je voulais revoir cette Yuka enfantine que j’ai vu tout à l’heure, j’y tenais, vraiment.

- On fait la course ? Le dernier arrivé a un gage !

Courir un peu peut aussi nous réchauffer avant d’arriver chez ses parents, ce n’est pas plus mal.

L’ambiance revenait petit à petit à son beau fixe. Durant l’espace de quelques minutes, je l’avais légèrement plombé avec des remords infondés, et des excuses inutiles. Yuka avait raison, je n’étais pas coupable dans cette histoire. Et puis, un peu de sensations fortes ne faisait pas de mal. Non, vraiment pas. Même si on n’était pas sous notre meilleur jour, on s’en était bien sorti. Il fallait vraiment que j’arrête de me prendre la tête pour des bêtises pareilles, laissons notre esprit enfantin et innocent nous envahir, pour profiter pleinement de cette rencontre. On pouvait faire beaucoup de choses après tout. Je lui avais proposé une course, jeu qu’elle accepta avec entrain. On allait profiter de cette journée maintenant, en évitant si possible de nouveaux dangers. Elle m’attrapa la main, et partit comme une flèche.

La course était lancée. Mais notre but n’était pas vraiment de gagner. On se défoulait plus qu’autre chose. Bien qu’il y ait une récompense à la fin. Enfin… Si on peut dire que donner un gage au perdant est une récompense. J’aurais peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de proposer cela. Généralement, les gages c’est toujours pour moi, je perds toujours quand c’est en jeu. Une vraie malédiction. Et il faut dire que mon frère ne fait pas dans le détail pour trouver des gages… J’ai déjà dû sauter dans la neige en sous-vêtements. Résultat : 39.7 de fièvre. Mais bon, ce n’était plus qu’un lointain souvenir, j’imagine bien que, si je perds, Yuka ne me donnera pas un gage aussi débile… Enfin j’espère bien, sinon je peux commencer à m’inquiéter. En tout cas, elle était pour l’instant légèrement en tête. De pas grand-chose, mais cela faisait la différence.

Seulement, on ne s’attendait pas à ce qu’une troisième personne nous rejoigne… Un autre enfant sortit des buissons, s’exclamant qu’il l’avait trouvée. Hein ? Ah, c’était donc lui son frère ? C’est vrai qu’il était censé la chercher, cela m’avait complètement échappé… Elle fit quelques pas en arrière avec l’effet de surprise, limite jusqu’à me tomber dessus. Son frère me regarda froidement. Un peu, j’eus un sourire. Puis il partit.

— Eum … Pardon … Il est un peu jaloux. Viens, ne nous soucions pas de lui. Il arrivera avant nous, et puis, voilà, ce sera tout. Peut-être qu’il m’embêtera ce soir, à ton propos, avec des questions idiotes, mais cela n’ira pas plus loin. Mmmh … Après, peut-être préfères-tu que nos routes ne se séparent ?

Ma présence risquait peut-être d’un peu gêner finalement… Sauf que d’après ses paroles, ça n’avait pas l’air de grandement la déranger. Oui, je vais arrêter de me lamenter ou autre, il faut que l’on profite de cette journée.

- Non non ! On peut continuer à jouer ensemble, il n’y a pas de souci pour ça.

Je lui adressai un sourire sincère. Voilà maintenant que je devenais un peu sociable, une première pour moi. En temps normal, j’aurais déjà trouvé une excuse pour partir, ou j’aurais profité de cette occasion pour retourner à mes occupations. Seulement là, ce ne fut pas le cas. Je m’amusais bien, et m’entendais bien avec cette jeune fille. Si je partais, je le regretterai. Assurément. Reprenons le jeu là où il s’était arrêté.

- Je prends l’avantage !

Je repartis au pas de course immédiatement après, tout en faisant signe à Yuka de me suivre. Dans un jeu, tout est permis. Notre course a été interrompue de manière imprévue, le nouveau départ pouvait l’être tout autant. De toute façon, je réalisai petit à petit que je n’avais pratiquement aucune chance de gagner, ne sachant pas exactement l’endroit où se trouvaient ses parents. Ahhh la galère, je vais me taper le gage à coup sûr. Aucun doute là-dessus. Ma seule chance, c’est qu’il n’y ait qu’un seul chemin, et qu’il fallait bien suivre le chemin. Malheureusement pour moi, arrivé à un moment, deux chemins se présentaient à moi. Et voilà. Je m’arrêtai, légèrement essoufflé, puis je regardais Yuka qui était légèrement derrière moi.

- T’as de la chance, mais je n’ai pas encore perdu !

Non, je suis juste perdu. Il allait falloir que je la suive sur ce coup-là, et que j’arrive à la rattraper ensuite… Ce n’est pas gagné, puisqu’on courait à une vitesse quasiment similaire. À ces quelques mots, j’y ajoutai un rire enfantin. Oui, la bonne humeur était bel et bien de retour.

Tss… Elle était avantagée n’empêche. M’enfin, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. La prochaine fois j’y réfléchirais à deux fois avant de proposer un jeu et des règles comme ça. Tout ça, c’est de ma faute ! Maintenant, je vais perdre, et je vais avoir un gage. Sauf si j’arrivais à la rattraper après cette intersection… Oui, rien n’était encore perdu. Je pourrais reprendre l’avantage par la suite. Yuka arriva alors, et prit l’un des deux chemins. C’est parti, j’avais encore toute mes chances de l’emporter. C’en était certain. Si je me donnais à fond, je pourrais la rattraper sans aucun souci. Il le fallait.

Cependant, il y eut un imprévu. Non, pas de tigre ou autre, ce n’était que la jeune fille, qui s’arrêta à son tour, se retournant en ma direction. Qu’est-ce qu’elle avait derrière la tête ? J’étais curieux de savoir. La voyant arrêtée, je stoppai également ma course, simple principe. Oui, puisqu’elle semblait vouloir dire quelque chose, je n’allais quand même pas continuer ma course comme si ne rien n’était. Ce ne serait pas fair-play de ma part… Non, vraiment pas.

— C’est pas du jeu. Je connais le chemin, moi, alors que toi non. C’est perdu d’avance dans ton cas. Alors il faut que tu me dises quel est le gage !

J’étais surpris d’entendre ça. Mais je ne pouvais pas accepter, ce n’était pas juste envers elle. Mais son sourire laissait entendre que la situation l’amusait. Elle voulait donc un gage, vraiment. Pour une fois, la victoire était mienne… Même si ce n’était pas vraiment une victoire. Non, loin de là même. J’ai perdu le jeu, mais évité le gage. Oui, on va dire ça comme ça. Mais il faut dire que… Je n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais lui donner comme gage. L’habitude de perdre, vous voyez ? Du coup, je n’y avais pas spécialement réfléchi. Hmm… En tout cas, durant ma réflexion, elle reprit une nouvelle fois la parole. Elle proposa de continuer notre route en marchant, n’ayant plus froid. Mais la réalité la rattrapa ensuite, et je n’y pensais même plus de mon côté… La nuit commençait à tomber et il fallait que je rentre, malheureusement. Comme elle le disait, il y avait bel et bien quelqu’un qui m’attendait… Kazuki, mon petit frère. J’affichai une mine attristée, tout en y songeant. Je ne sais même pas si nous aurions l’occasion de nous revoir. C’est triste… Ah ! Bah la voilà l’idée ! J’ai trouvé le gage que j’allais lui donner… Mes yeux bleus la regardèrent, et un sourire amusé s’afficha sur mon visage.

- Oui, tu as raison, il va falloir que j’y aille… En tout cas, j’ai trouvé ton gage. Tu vas devoir penser tous les jours à moi, et ne jamais m’oublier, jusqu’à que nos routes se recroisent. D’accord ?

Par principe, je n’appréciai pas de devoir faire des adieux. C’était… Très désagréable. Alors je préférai me dire que l’on se reverra un jour. Peut-être demain, comme peut-être dans plusieurs années. La séparation est toujours douloureuse, mais il y a toujours un espoir de se retrouver. Mais si on s’oubliait… Ce ne sera plus pareil. M'approchant d'elle, je lui fis un bisou sur l'une de ses joues, aussi bien pour la remercier que pour lui dire au revoir. Puis, me retournant dans la direction opposé, je lançais un regard amusé à ma nouvelle camarade de jeu. Je me sentais plus ouvert envers les autres après cette journée, et c’est à elle que je le devais.

- À un de ces jours !

Puis je m’éloignai, avec une pointe de tristesse. Il allait falloir que je retourne chez moi, et la vie allait reprendre son cours normal. Ahh la jeunesse.

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