Sur les têtes des Hokages. [Suguato]

Perché sur la roche d'une mèche de cheveux de la tête géante du sandaime Hokage, On' comprenait davantage pourquoi Konoha valait la peine d'être défendue. Du haut de cette falaise sculptée, il pouvait voir à quel point le village s'était agrandi depuis son arrivée, bientôt trois saisons plus tôt. Des bâtisses de toutes sortes, principalement dans les quartiers résidentiels, ce qui témoignait de l'expansion de la volonté du feu dans les cœurs des gens du pays. La volonté du feu... l'avait-il vraiment lui aussi?

Suffisamment de jours s'étaient écoulés depuis qu'il était revenu du pays des rivières pour lui permettre de passer à autre chose. Il n'aurait pas été tout à fait exagéré de dire que cette expérience l'avait profondément traumatisé, mais ce n'était pas la manière dont il présentait les choses. En réalité, il ne présentait pas les choses, car il n'osait en parler à personne. Cela ne voulait pas pour autant dire qu'il essayait d'oublier, au contraire: les enseignements retirés de cette expédition porteraient leurs fruits, mais il leur faudrait encore quelques saisons, le temps qu'ils fassent leur chemin. Et pour cela, le chûnin n'avait pas trouvé de meilleure idée que de méditer dans un endroit qui offrait un panorama agréable et reposant. Songeur, il se posait les questions existentielles propres à tout garçon dont l'adolescence touchait à sa fin. La confiance en soi n'était déjà pas son point fort, mais le genjutsu de haut rang dont il avait été victime pendant la dernière mission avait littéralement démoli ce qui lui restait d'assurance. Pour trouver réconfort, il cherchait des réponses dans les visages de pierre des anciens protecteurs.

Il regarda d'abord celui de Hayashi Miyu, fière utilisatrice du mokuton et fondatrice de la communauté konohajin. Sa tête était par endroit recouverte de fissures, d'aucuns prétendaient qu'elles étaient apparues alors que le village se faisait incendier par Makka. Le visage de Nami était plus hautain et presque plus souriant. La fierté et la confiance que ses yeux inspiraient n'allait pas du tout de paire avec la façon dont elle avait disparu du paysage politique de Konoha.
Il n'en manquait qu'un. Onpu connaissait bien son visage, même s'il ne l'avait vu de près qu'une seule fois, à l'occasion d'un refus de permis de séjour à Kumo. Trop dangereux, qu'il disait. Ce n'était pas quelqu'un de mauvais, il s'était montré compatissant. Cela dit, comme il était sur ses cheveux à ce moment-là, il était dans l'impossibilité de contempler son visage... pourtant, une troisième tête de présenta à lui. Elle n'était pas en pierre, mais portait elle aussi des fissures sur le visage.

En rentrant de Kawa, Suguato avait indiqué à Onpu qu'il faisait officiellement parti de son équipe, qu'il prenait la place d'Iji, trop mature désormais. La nouvelle ne lui avait pas fait un choc, mais il se demandait ce que ce joûnin de haut niveau pouvait bien lui trouver... c'était peut être pour effacer sa fragilité qu'il l'avait prit sous son aile. Et voilà qu'en bon professeur il venait à lui... il s'assit à côté de lui, sur un autre épi de Nikkou. C'était une belle occasion de penser tout fort.

"Ça me ferait froid dans le dos d'avoir ma tête gravée ici, pas toi? Ça doit être horrible de ne pas pouvoir se balader où que ce soit dans la rue sans être épié par le visage de ses propres responsabilités, comme pour te rappeler en permanence que ta vie et celle du village ne font qu'un... Que si tu chutes, il chute avec toi, et vice-versa. Que tu ne seras peut être pas capable de tenir la route. Que toutes ces successions de promotions qui se sont offertes à toi ne sont peut-être en fait qu'une série de mauvaises blagues, et que si tu n'es pas foutu de prouver le contraire on ira jusqu'à te maudire et cracher sur ta tombe...
Mais pourquoi je dis ça, je ne serai jamais Hokage de toute manière. Ça n'a jamais fait partie de mes plans.
Quels sont tes plans, Suguato?"

Hors de question de l'appeler "sensei". Ce suffixe était bon pour les mégalo comme Eiko. Cet individu ne jouait pas dans la même cour que son professeur précédent, en terme de mentalité.

J’avais fait suivre On’. Pas de manière agressive, je me tenais simplement informé de comment il allait. Il avait eu une tâche plus choquante que n’importe quel membre de mon équipe. J’avais volontairement choqué le jeune homme. Il ne fallait pas laisser l’innocence passer, jamais. Aujourd’hui, plus que jamais, j’en étais persuadé. Il n’y a pas de place pour faire l’aveugle, détourner le regard. Un homme qui préfère nier la réalité, les faits, est un homme qui n’en est pas un. Il se détourne de la nature humaine. Parfois, je demandais au client si la boutique de On’ était ouverte, si les restaurants et marchés autour de chez lui l’avait vu. Rien de sérieux, mais de quoi resté à l’affût des signes. Souvent il partait, sans raison, sans que les gens sachent pourquoi. Une journée, je m’étais attelé à la tâche de le suivre. C’est ainsi que je me retrouvais sur les têtes de pierre. En m’assoyant à côté de lui, je fouillais dans mes poches à la recherche de ma pipe et du tabac, la bourrant ensuite en lui parlant, avec la même amour et tendresse qu’on aurait pu accorder à un enfant.

- « C’est beaucoup trop orgueilleux de ta part. Tu sais pourquoi les Hokage de ce Village ont toujours été des Shinobis ? »

Je laissais ma question en suspens. Je portais le bec de ma pipe à mes lèvres, machouillant l’objet quelques secondes. Je dépliais lentement le carton de l’allumette. Je l’ouvris et arrêta mon geste en contemplant un instant le village. Il y avait des gens dans les rues, de jeunes en plein entraînement, l’Hôpital qui s’affairait au loin, les fonctionnaires du Palais qui sortaient manger et les marchands accompagnés de leur cortège de clients. J’eus un geste de recule, avant de faire craquer sèchement l’allumette dans le silence et allumer ma pipe. Comme si ce n’était pas suffisant pour briser le calme, je répétais le « blasphème » une deuxième fois, pour terminer l’allumage, avant de souffler dans les airs la fumer épaisse.

- « L’abnégation. Il faut de la névrose, une passion pour emprunter un mot d’optimiste, mais la névrose ne doit pas former un voile. Cependant, même la névrose doit être mit au service. Elle doit devenir un outil. C’est ça un bon soldat, un bon Shinobi, mais aussi un bon chef. »

Je fouillais dans ma veste. Je sortis une petite fiole métallique. Devant le regard intrigué de On’, je me contentais de rire avant de la déboucher. Je la reniflais avec une grimace avant d’en prendre une gorgée. Le goût piquant et toxique de l’alcool m’échauffa la poitrine, même les membres. Ça n’avait rien de ces liqueur sucré, c’était claquant et chimique, rien à voir avec le saké, la bière ou ces forts à saveur de canne dans les Pays du Désert. Je la tendis à On’.

- « Je l’es distillé moi-même. Un pur produit de laboratoire. Sers-toi autant que tu veux, j’en ai deux autres flasques au cas où on en manquerait. Tant que tu ne tombes pas en te relevant de leur crâne… »

En parlant, je cognais un peu le fond de la flasque contre la pierre, avant de la tendre de nouveau. J’avais évité quelques questions, je me demandais si On’ pousserait un peu plus. Pour le moment, il voulait réfléchir, mais manquait surtout d’entrer en collision avec les faits. Voyant une brève hésitation, je me décidais à faire acte de paix, sans toutefois répondre à toutes ses interrogations tout de suite.

- « Les chefs peuvent être ce qu’ils veulent, mais je connais Nikkou. C’est un soldat, au service du peuple. C’est un idéaliste bourré de bons sentiments. Pas moi, tu l’as vu. Mais la première fois que j’ai torturée… Je pensais un peu comme Nikkou. »

Nous savions tous les deux de quoi nous parlions. Chacun des sujets, je les avais survolé, c’était à lui de tirer ses conclusions ou de demander, je ne lui offrirais pas tout sur un plateau d’argent. Néanmoins, j’allais directement sur les faits, empruntant des mots un peu trop vrais peut-être, mais c’était ce dont il avait besoin. Pas de faux semblant, pas de honte. La fumée s’écoula de ma bouche alors que je soufflais, se dissipant dans l’air en même temps que les secondes de silence. Dans ce silence, le temps qu’On’ dissipe mes pensées, j’eus un attardement, presque amusé, pour Nikkou.

En parlant avec Suguato sans voir Kaya dans les environs, On' retrouvait l'homme qu'il avait rencontré au discours de Nikkou: posé, un peu moralisateur, mais surtout scandaleusement énigmatique. C'en était presque insupportable: après tout ce qu'il avait enduré, On' espérait quand même obtenir quelques réponses claires et précises, sans mimiques du visage ni message caché. Il faillit lui cracher toute sa frustration à la figure, mais se reteint pour deux raisons: d'abord, ses propres questions étaient nébuleuses, s'il avait voulut des réponses précises, il n'avait qu'à poser des questions précises, même s'il ne les aurait jamais obtenues de toute manière. Et puis, en tant qu'artiste, il pouvait percevoir une certaine esthétique dans les propos de son professeur, qu'il s'agisse de la forme et l'agencement des mots, ou du fond qui dénotait une approche de la vie très personnelle. Le terme "névrose" était toujours au rendez-vous.

Loin d'être un débauché, il savait s'adonner aux petits plaisirs: le tabac, maintenant l'alcool... voilà qu'il lui en proposait. Onpu venait d'un pays où le riz était roi, le sake était donc monnaie courante: il était à peu près familier avec l'éthanol et connaissait ses limites. Pourtant, quand il saisit la fiole et huma son contenu, sa tête eut un mouvement de recul. Le breuvage dégageait des vapeurs peu engageantes. Un regard vers Suguato qui finissait une phrase.

"Tu pensais comme Nikkou... ça ne t'a pas empêché de le faire efficacement, pas vrai?
Mon précédent sensei se nommait Hayashi Eiko, je n'ai rien appris avec lui. On n'a fait qu'une mission ensemble, une rang B. Il fallait éliminer des mercenaires. J'ai pas été foutu d'en buter un seul, c'est lui qui a tout fait.
Je n'ai pas à te blâmer pour m'avoir fait vivre ce que tu m'as fait vivre à Kawa. J'ignore encore si je peux vraiment te faire confiance, mais d'aucuns disent que "ce qui ne tue pas rend plus fort". Par conséquent, je prendrai tout ce que tu as à me donner."

Deux grosses gorgées. Un arrière-goût de menthe. Un flux de chaleur dans l’œsophage.

"Tu parles sans cesse de névrose. Névrose par ci, névrose par là... je ne sais pas comment la tienne t'a aidé à t'en sortir, mais je vois mal comment la musique aurait pu s'avérer devenir un outil dans une situation comme celle qu'on a vécu là-bas. Quand on m'a donné mon bandeau de genin en me disant que la route serait semée d'embûches, je me suis dit que de toute manière mes instruments et mes mélodies m'aideraient à tenir le coup. J'avais tout faux, pas vrai? C'est un point de vue diamétralement opposé à l'abnégation dont tu parles...
Pour autant, on n'apprend pas le Koto en un claquement de doigt, on en bave. Simplement, petit à petit les ampoules sur les doigts se muent en corne, et à la fin les cordes de l'instrument te caressent le bout des doigts alors qu'elles les charcutaient le premier jour.
Voilà pourquoi je m'obstine à vous suivre Kaya et toi, j'espère juste que les ampoules ne tarderont pas à laisser place à la corne. Je fais partie des gens qui ont appris le Koto en une semaine, mais apprendre à regarder le monde en face tel qu'il est, c'est une autre paire de manche."

Une nouvelle gorgée. Il ne s'arrêtait plus... enfin de parler, pas de boire.

"Mais voilà, quoi. Ça s'arrête là. Tout ce que la musique a pu m'apporter, c'est un peu de philosophie, et une petite passion pour l'acoustique, d'où quelques techniques. C'est tout. Maintenant j'atteins mes limites en terme d'inventivité, j'ai l'impression d'être dans une impasse, et que le seul moyen de progresser davantage serait d'évoluer dans ce milieu sordide et guerrier, fait de torture, de sueurs froides, de délires insupportables et d'ongles qui volent... ça va à l'encontre même de ma personnalité.
Peut-on être un bon soldat en restant rêveur? Je crois que c'est l'unique question qui m'empêche d'avancer en ce moment...
Oh pardon, tu en re-veux?" dit-il confus à Suguato en lui rendant sa fiole métallique.

Une légère crispation du visage. C’est tout ce que provoquèrent mes paroles sur le visage de l’utilisateur du son. Maintenant, le jeune parlait, il ne semblait pas en voix de s’arrêter. J’avais l’étrange impressionnant de voir s’écouler un fleuve après que les écluses se soient ouvertes. Il buvait à ma flasque, manquant de la terminer à lui tout seul. Quand il me la tendit, je soulevais et la secouais un peu. Un son étrangement vide accompagnait le bruit du liquide qui se cassait contre les parois. Il fallait bien dire que ce n’était pas très gros, mais quand même. Je la repris avec une mine boudeuse avant de prendre une gorgée à mon tour.

- « Effectivement, ça ne m’a pas empêché de le faire. Nikkou aurait certainement trouvé de bonnes raisons, moi aussi j’ai déjà trouvé de bonnes raisons dans le passé. La vérité c’est qu’à essayer de justifier le bien, on peut dire n’importe quoi. Il n’y a pas de bien ou mal, le monde ne fonctionne pas comme ça… Il fonctionne, voilà tout, il se fout du reste. Le monde ne se préoccupe que de ce qui est réel, pas des chimères humaines. »

Je terminais avec une série de profondes gorgées le liquide brûlant. Le goût amena un picotement qui aurait fait larmoyer beaucoup de gens. Mes nerfs engourdis par les poisons et les médicaments réagirent juste assez pour me faire prendre conscience que c’était puisse. Je déposais la flasque vide sur le rebord de la tête, la laissant en équilibre debout, poussé par le vent de ses hauteurs. Une bouffée de ma pipe me força à souffler. La fumée resta quelques secondes devant mes lèvres avant d’être chassé par le vent. Je mis mes mains derrière mon dos et me pencha vers l’arrière, mon poids posé sur elles.

- « Un jour, les soldats se rendent compte que ce qu’ils n’ont fait n’a rien de bon, ni de glorieux, ni de juste et bla bla bla. La vérité, c’est que ce qui nous intéresse sûrement, c’est la méthode. Le but est sans importance. Ce qu’on aime n’est qu’un mélange de souvenirs et d’associations, ça n’a rien d’absolu. Se convaincre que oui, c’est être un sacré névrosé. Mais utiliser la passion, la névrose, c’est ce qui permettra à chaque acte, aussi terrible qu’elle soit, d’avoir un intérêt, de nourrir notre corps, de chasser l’ennui, de motiver notre existence, comme le plaisir. »

Je m’étais littéralement emporté dans l’élan philosophique. Je poussais du bout du doigt la flasque vide qui tomba dans le vide en se cognant contre le visage de Nikkou avant de prendre de la distance et de s’écraser sans bruit, sauf celui du feuillage de l’arbre dans la cour de la demeure au contrebas. Je restais silencieux avant de me retourner vivement et de lui saisir la main sans douceur et, profitant de sa surprise, la lever entre nous à hauteur des yeux. Je la serrais fermement, peut-être trop, mais sans volonté de l’écraser. J’allais parler, quand un rire court m’interrompit. L’image me sembla si cocasse et absurde, que je ne résistais pas à y passer un coup de langue à la manière d’un chien. Je me contentais de rire devant son expression avant de poursuivre.

- « Tu as de la corne pour jouer un instrument. Le but c’est la musique, ça te semble justifiable. Parce que c’est ta névrose. À la guerre, les buts sont autres. Ne t’use surtout pas pour un but, use toi pour la méthode. La plupart de mes sens sont engourdis, je sais qu’on me touche, quelle saveur à une pomme, je pourrais le décrire, mais c’est un ressenti de cendre. Oublie un peu le but des guerres, contente-toi d’être un musicien. Tu seras bien plus satisfait au lieu de chercher un sens de bien ou de mal qui n’existe pas. »

Je lui relâchais la main. Conscient que cet épisode étrange venait de briser la cours sérieux des choses. Je me contentais de me retourner et de frapper un peu la pipe contre le sol pour la vider des dernières braises. Je me relevais en la tenant toujours dans ma main, attendant qu’elle refroidisse. J’allais lui présenter quelqu’un, un autre membre de Konoha. Ce qui pouvait s’apparenter le plus à une épouse, une famille, une amie. Je lui fis signe de me suivre alors que je redescendais vers le quartier habitable de Konoha. Nous allions chez moi, dans une jolie demeure, gracieusement fournie par l’Hokage lui-même. Un caprice de ma part, un simple désire de voir ce que je pouvais obtenir de lui. Il ne restait à espérer que Nyuuwa fut présente.

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