Le pas lent et le souffle ample, Jin-Tao empruntait les sentiers escarpés et oubliés qui menaient au coeur des montagnes Kumojin, au coeur de ses terres natales. Il n'avait aucun but précis, hormis peut être d'établir en ce monde le règne de la Liberté, du moins il ferait tout pour cela. Mais ne parlons pas de cela pour moment, notre moine était avant tout en quête de sérénité et de réflexion. Les montagnes lui semblaient être l'endroit le plus adéquate pour s’adonner à ces pratiques, les vibrations qui en émanaient portaient une énergie étrange pour le moine, une énergie dont l'essence était semblable à de l'air pur, une énergie intense qui invitait l'esprit à méditer. Mais avant de se retrouver en haut des monts, il fallait passer par une forêt tout aussi étrange, une forêt où la brume faisait peser sur vos épaules le poids de ses épaisses mains. Rien de bien intimidant pour l'aveugle, car finalement, seule la brume effrayait les voyageurs, mais un aveugle, vous pensez bien que rien qui lui boucherait la vue ne l'effraie...

Le poids de son paquetage reflétait son esprit, léger. Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas demandé de nourriture dans un village, et la dernière portion de viande qui lui restait ne lui remplirait surement pas le ventre jusqu'au prochain village. Un sourire se dessina alors sur les lèvres du moine, il se rappelait les périodes difficiles qu'avaient traversés les cinq moines-guerriers de la Mission. En ces temps là, Shaksan faisait preuve d'humour redonnant ainsi le sourire au groupe; un geste qui paraissait simple mais qui faisait oublier la faim le temps de quelques secondes, enseignant ainsi la chose suivante au disciples du Temple de Kyûbi:"Il faut savoir rire du malheur."

La forêt s'étirait à présent autour du moine munis d'un simple chapeau dit "chinois" (c'est le seul mot je crois) et d'une cape recouvrant son corps et le sac presque vide qu'il transportait. Plus il s'enfonçait, plus ses sens étaient sollicités, son odorat ne passait pas l'épaisse cape de la brumes, sa peau était humide, ses oreilles écoutaient un vent trop irrégulier, et le bruit des feuilles le dérangeait. Peu à peu, les signaux du vents se concentrèrent vers un endroit de la forêt, des signaux bien spécifiques. Tous convergeaient vers ce qui semblait être un homme. Jin-Tao s'avança à la rencontre dudit homme.

-L'arbre a besoin de temps pour pousser, cela lui demande beaucoup d'efforts. Lui as-tu demandé son accord ? Remercieras-le tu une fois que tu seras entrain de partager mon repas ?

Sur ces mots, l'aveugle défit sa cape et son paquetage, laissant apparaître la très marquée musculature dont il bénéficiait. Il installa de quoi faire cuire la viande et alluma une pipe, comme de tradition chez les maîtres du Temple. Il tira sur sa pipe et ajouta tout en s'asseyant sur sa cape.

-Sais-tu cuisiner ?

Le moine prêta oreille attentive aux dires de l'homme visiblement jeune. Ses propos et sa voix ne trompaient pas, il faisait preuve d'un manque de sagesse flagrant pour l'aveugle. Il tira de nouveau sur sa pipe attendant que son jeune interlocuteur se rapproche. Des paroles aussi violentes révoltaient Jin-Tao, il ne pouvait se résoudre à comprendre les difficultés que certains éprouvaient à comprendre la nature. Il démarra un feu sans piper mot, il laissait le silence s'installer afin de laisser une chance au jeunot de se rendre compte d non-sens de ses paroles. Les flammes commencèrent à lécher le dessous de la pseudo marmite, il coupa la viande bien grasse en morceaux et les jeta dans le récipient. Après coup, il y ajouta de l'eau et des herbes. Mais il manquait quelque chose, oui... la viande n'était pas accompagnée, seules les herbes donneraient un goût assez relevé...

-Il ne faut pas voir la mort comme quelque chose de terrible, mais comme une libération. Cet arbre souffrait si la maladie l'a emporté, aurais-tu souhaité qu'il souffre d'avantage en restant à tes côtés ?

Jin-Tao referma le couvercle de sa petite marmite. Il se doutait que l'arbre en question était un être humain, et que cet être possédait une place importante dans la vie de l'adolescent.

-Tu dis vouloir malmener les arbres, c'est dommage, leur chant est si beau. Haïr la nature c'est se haïr soi-même car nous sommes nature. Écoute plutôt...

L'aveugle dégotta un épais bol de bronze dans son sac accompagné d'un morceau de bois travaillé. Il fit sonner le bol avec un petit coup et commença à tourner de manière régulière le bout de bois sur les contours du bol. Les vibrations qui s'en échappaient résonnaient dans toute la forêt, ce son entraîna le moine. Il fit alors sonné sa voix tentant de rentrer en harmonie avec le son de son bol; le jeune homme ne comprendrait surement pas, mais Jin-Tao devait lui faire connaître les chants de la nature. Son chant dura une bonne minute. Il était maintenant temps d'écouter la réponse de la forêt. Jin-Tao perçut alors les ondes des gardiens de l'endroit, et c'est un sourire aux lèvres qu'il déclara.

-L'un d'eux me dit qu'il aidait quelqu'un à surmonter le chagrin, une âme triste. L'attachement est un sentiment redoutable, qui mène ensuite à la folie... et la folie nous pousse à l'autodestruction. Les arbres pleurent quand les hommes sont tristes, ils pleurent car ils partagent notre peine, l'allégeant ainsi. Tu tournerais le dos à des amis ? Peut-être n'es-tu pas si triste ou alors trop fier... ?

Ce que j'ai dit je le pensais. Je le pensais un peu differement certes, mais le résultat était le même. Les "arbres" m'avaient deçu, car après m'être ancré dans leur racines, ils furent déracines, me laissant sans défense, sans rien. Mais il se trouve que je n'allais pas couper mon attachement aux personnes, malgrès que je l'eusse dit au fumeur de pipe aveugle. Quelques part, ça me soulageait d'être tombé sur cet individu, malgrès le fait que je me soit contenté de n'importe qui… De cet homme émanait une aura bienveillante, protectrice et chaleureuse. Cet homme était bon. Cet homme avait installé un barbecue de fortune, cet homme avait allumé un feu je ne sais comment. Cet homme avait sorti la viande. Cet homme mit la viande sur le feu. Cet homme aséssonna la viande… 

Moi, je venais l'aider. Je me positionnais devant lui et son matos, ne sachant trop que faire, attendant qu'il m'assigne une tache ou un truc du genre. Il me répondit… Il avait frappé juste le bougre. Tout juste ou il fallait. La mort l'a libéré… L'a libéré de sa maladie... Cette nuit ou j'avais compris qu'il était malade… Cette nuit ou je l'avais vu vomir du sang accoudé sur le lavabo, et ou il s'effondrait, vidé. Ou il ne regagnait son lit que deux heures plus tard, sans que personne n'en sache rien. Personne sauf moi. Quand j'y pense, c'est mieux ainsi pour lui. Mais moi ? Moi j'étais de nouveau dans une impasse, un choix déterminant. Soufrir et avancer, ou se lamenter et stagner. Le choix facile en apparence était bien plus complexe a concrétiser. Je restais muet, sans un mot… Une seule de ses phrases avait réussi a me soulager grandement, elle m'avait libéré d'un gros poids. Mais il en persistait deux, voir trois poids, quatre ou cinq, vingt-six, peu importe… Allait il parvenir a me les enlever et a éveiller définitivement le nouveau moi ? Le moi après sa métamorphose compléte… Une deuxième phrase survint après qu'il eut refermé le couvercle de la casserole, cette fois il me parlait des vrais arbres, les arbres faisant partie intégrante de la nature, et il parla de chant. Mon cerveau avait tilté, j'avais fais un raprochement, trouvé une idée qui me permette d'avancer… Chaque personne dans la vie a une passion pour telle ou telle chose qui lui permet d'avancer… Le chant, la musique. Voilà, j'avais trouvé mon carburant, l'homme m'avait allégé d'un deuxième poids. Des poids ? Il en restait… Mais plus pour longtemps a mon avis...

Un bruit harmonieux se fit entendre près de moi. Par le plus pur des hasards, cet homme avait il la faculté de lire dans le cerveau ? Voilà qu'il avait commencé a excecuter des percutions… Il enchaina en me dissant que l'attachement menait a la folie qui de même menait a l'auto-destruction, et me demanda derrière si j'étais a ce point si triste ou étais-ce car j'étais trop fier… Je pris le bol, m'asseyant par terre avec un sourire qu'il ne pouvait surement pas voir… Néanmoins mon ton était bien plus chaleureux que précedement…

- Je vais vous montrer que je ne suis aucun des deux !

La musique, ça me connaissait, et moi de même. Je maitrisait moultes instruments et savais mettre de bonnes paroles… Un son bien plus rapide et gai que celui qu'avait produit l'aveugle s'éleva. Mes mains s'abbataient l'une après l'autre dans un rythme éffrainé. J'écoutais la nature…