¤ Un pas en arrière ~

Le guerrier rouge réapparut à bord de l'un des navires d'assaut dans un éclatement soudain de l'air autours de lui. Son corps était fatigué et demandait grâce, après des heures et des heures à se dépenser sans manger, pour finalement devoir une fois de plus supporter les contraintes tiraillantes de l'Hiraishin. Reprenant son souffle en observant autours de lui Yanosa ne perçut qu'un calme plat. Pas âme qui vive dans la cale : quoi de plus logique, lorsque toutes les troupes ou presque étaient chargées d'occuper la grande ville de Senun en veillant à contrôler débordements et incidents isolés en tout genre. Haletant, l'ancien Seigneur prit la direction des escaliers pour remonter sur le pont en faisant à nouveau le vide dans son esprit. Il commença à ressentir partout autours de lui, à dix, cinquante, cent mètres, puis encore au delà, toutes les énergies en tension des soldats, des civils parqués chez eux ou encore des prisonniers retenus dans de grandes cages en fer, privés de leur chakra. Regagnant l'air libre, Yanosa humecta l'air marin en laissant un instant son regard se perdre dans le lointain océan. Rien ne bougeait. Tout était calme. Il n'était pas en retard.

Cette dernière pensée le ramena tout à fait à la réalité. En passant toutes ces heures à vadrouiller, à expérimenter toutes ces émotions enfouies qui lui avaient fait perdre la notion du temps, il en avait oublié la progression de la guerre elle-même. A en juger par l'immobilisme qui s'était abattu sur la ville et les troupes impériales, il n'était pas difficile d'en déduire qu'aucune nouvelle en provenance des Plaines du Fer n'étaient encore parvenues jusqu'à eux. Et ce, pour une bonne raison, puisque c'était Yanosa lui-même qui était normalement chargé de faire le lien entre le front de Senun et les autres. Un frisson monta alors rapidement le long de sa colonne vertébrale, tandis qu'une partie de lui, quelque part, venait de s'évaporer. Une concentration importante de son propre chakra, diluée puis totalement dissipée. Une sombre intuition le prit alors aux tripes. Il déambula un instant sur le pont du navire, se tenant le menton comme pour essayer de réfléchir, de se rappeler ce à quoi ce chakra qui avait fait écho avant de disparaître était lié. Et quelques instants plus tard, il comprit.

A son ceinturon, la vibration d'énergie sonna l'arrivée d'un message dans le parchemin de communication, celui-là même qui avait été attribué au front des Plaines de Fer. Sans attendre une seule seconde, avec des gestes précis et impatients, le guerrier rouge déplia le petit parchemin pour en lire le contenu, tout en descendant la passerelle en direction des quais. A mi-chemin, son corps recommençant à trembler comme la nuit passée, il stoppa net. Ses mains se crispèrent, d'abord. Puis, tout son corps sembla se tendre comme si un spasme géant venait de s'emparer de lui. Ses yeux s'écarquillèrent, injectés de sang, et sans même qu'il ne parvienne à l'empêcher, du feu entouré d'arcs électriques commença à jaillir de ses bras, de son dos, de ses mains. Le parchemin fut déchiqueté entres ses doigts, alors que son corps se cantonnait encore à l'immobilité. Ses dents se serrèrent à l'en faire saigner.

« Kkkh..... KKKKhhh... !!! »

Sa rage était entière. Sans réfléchir, il finit rapidement de descendre sur le quai et marcha à grandes enjambées vers le camp de prisonniers le plus proche. Sa fatigue, ses blessures encore latentes, plus aucune sensation ne parvenait jusqu'à son cerveau à cet instant précis. Son esprit était telle la lave en fusion, indomptable. Arrivant rapidement auprès de la grande cage d'acier où des dizaines de combattants adverses étaient parqués, il empoigna la porte en faisant sauter ses gonds par sa seule force brute, puis attrapa avec violence le premier homme à passer sous sa main. L'expédiant à l'extérieur, il lui attrapa la nuque, sa main chargée de chakra, brûlant sur le coup le sceau d'entrave qui avait été apposé là. Le soldat poussa un léger cri de douleur, tandis que tout autours de la cage désormais ouverte, l'armée impériale resserrait les rangs pour retenir toute tentative un peu trop téméraire de la part des prisonniers à l'intérieur.

« ALLEZ !! » hurla l'ancien Seigneur, fou de rage.

Encore crispé par la brûlure sur sa nuque, mais à nouveau en pleine possession de ses moyens, le soldat fit rapidement apparaître une lame entre ses mains, un air à la fois terrorisé et décidé sur le visage. Il tarda néanmoins à attaquer, poussant le guerrier rouge à faire le premier pas pour créer la menace le premier. Le réflexe du soldat fut immédiat, et ce dernier fit darder sa lame vers le cou de Yanosa. Pivotant à peine, il accueillit la lame sur son épaule, contractée et gorgée d'énergie, et continua à avancer vers sa victime, son défouloir. Un crochet du droit envoya le soldat au tapis, de même que plusieurs de ses dents, ne laissant qu'un trait rouge s'ouvrir sur l'épaule à peine touchée.

« Mais pourquoi TOIIIII ??!! »

Le soldat se releva non sans peine, sous le regard effaré de ses camarades comme de l'armée impériale. Pas le temps pour lui de tenter quoi que ce soit : son arme lui fut promptement arrachée par le guerrier rouge, et un coup de coude lui brisa le nez. Au sol, il fut alors le réceptacle de toute la colère et la haine de l'Oterashi.

« POUR-QUOI, BOR-DEL, MEEEERDE !! »

Chaque syllabe était ponctuée par un coup d'une violence inouïe, sur un homme déjà vaincu et dont bientôt le crâne fut défoncé sur le pavé de la petite place. Un silence de cathédrale se fit tout autours de la scène, quelques mouettes le rompant en volant aux alentours. S'essuyant le menton sans vraiment se rendre compte qu'il venait de se le peindre avec le sang de sa victime, Yanosa expirait lourdement, sa rage toujours lisible sur son visage déformé. Ce qu'il venait de faire était d'une inutilité affligeante, même pour lui. Prendre cette vie n'allait pas lui retourner la promesse d'un combat enivrant contre le Kamui. Plus maintenant. S'agenouillant lentement au côté du corps inerte et dénué de toute vie, l'ancien Seigneur apposa sa main ensanglantée sur les reste de la tête du soldat.

« Désolé, petit. »

Tout aussi lentement, il se releva, l'air presque calme en comparaison de son état précédent, et d'une voix rauque et chargée de colère, s'adressa aux troupes impériales.

« Le Kamui est mort. La campagne sur les Plaines de Fer est un échec. Organisez le repli. Selon les termes prévus, et pas autrement », précisa-t-il en se tournant spécifiquement vers le plus gradé des impériaux présents.

Qu'un seul puisse s'aviser de prendre des libertés avec le protocole qui avait été convenu à l'avance, et Yanosa se ferait un plaisir de le ou la broyer lui-même entre ses mains. Nul besoin de mettre l'accent sur cet état de fait, vue la scène qui venait de se dérouler devant plusieurs dizaines de soldats impériaux. Sans un mot de plus, le guerrier rouge partit vers l'hôtel où se trouvait le gros des « généraux », ou ce qui se faisait appeler comme tel du moins, afin de passer le message. Il n'y avait plus rien à faire ni à prendre ici. Kaminari, un berceau de colère.