Plusieurs assiettes empilées tout le long de son bras, plus quelques unes calées dans son autre main, l'une des serveuses slalomait telle une artiste équilibriste entre les tables de son secteur afin de débarrasser les couverts des clients ayant terminé leur repas et qui attendaient leur café/dessert. Le plus gros du service était passé, mais personne ne pouvait encore diminuer la cadence, et le responsable de salle – Reiji – veillait au grain.

Et alors qu'elle portait la carte des desserts pour accompagner le digestif, elle fut questionnée par son client le plus âgé de la table.

« Hum... Je ne saurai pas vous dire. » avoua-t-elle en déposant les deux cartes. « Si vous avez quelques instants, je vais allez m'enquérir auprès du responsable. »

Et le responsable en question, Reiji, s'occupait de la caisse au niveau du comptoir afin d'avoir un œil sur toute la salle.

« Qui le demande ? » interrogea-t-il de son habituel ton froid.

Il demandait, mais il connaissait déjà la réponse, puisque grâce à la coopération de Natsuki, il était au courant de toutes les personnalités importantes qui séjournaient à Konoha, et qui potentiellement pouvait donc venir manger ici. Ce n'était rien de plus qu'un test pour s'assurer que son service faisait preuve d'autant de rigueur que lui.

« Il s'agit de l'un des invités de marque du Hokage, Kibõ Matsuno. » répondit-elle avec assurance.

Reiji hocha la tête. Le meilleur moyen de se souvenir de quelque chose avec lui, c'était de l'oublier une seule fois. Il n'était pas méchant ou cruel, seulement très strict – et la qualité irréprochable de son travail lui permettait de l'être.

Il confia la caisse à la serveuse un instant, puis se dirigea vers les cuisines où travaillait Sakurako ce jour, la cheffe cuisinière.

« Sakurako, veux-tu bien venir un instant ? Quelqu'un demande Natsuki. »
« Tout de suite. Tatsuki, prenez le relais sur la commande de la table douze je vous prie. »

D'un pas léger malgré ses courbes très prononcées sur l'ensemble de son corps, elle s'avança vers Reiji qu'elle accompagna jusqu'à son bureau. Reiji tapa un code sur un coffre-fort, et en sortit la seule chose qu'il contenait, à savoir une boite en acajou muni de deux serrures. La cuisinière en chef enfila sa clef à l'intérieur de celle de droite, et le responsable de salle dans celle située à gauche. Ouvert avec précaution, le coffret révéla le visage de Natsuki qui en émergea jusqu'au menton.

« Un problème ? » demanda-t-il en voyant les deux seuls personnages importants recensés dans la partie restaurant.
« Kibõ Matsuno souhaiterait savoir si vous êtes disposé à le rencontrer, pour la fin de son repas. Ce qui correspond à maintenant. » répondit Reiji en anticipant la question qui allait suivre.

Natsuki regarda d'un air pensif quelque chose que lui seul voyait à l'intérieur de la boite, puis releva la tête.

« Très bien. Tournez-vous s'il vous plait. »

Ce faisant, lorsqu'il leur annonça que c'était bon, les deux employés se retrouvèrent avec Natsuki présent dans la salle avec eux. S'en suivit une procédure sécurisée pour refermer la boite, la ranger dans le coffre, et verrouiller l'ensemble. Pendant ce temps-là, Natsuki gagna la table où Kibõ siégeait avec son fils.

« Bonjour à vous, Kibõ, Satomou. Je suis content de voir que vous avez enfin pu sortir de l'hôpital. »

Il offrit une main à serrer à chacun des deux, même si cela n'avait peut-être pas encore beaucoup de sens pour un enfant de cet âge – âge indéterminé vu qu'il n'était recensé ni sur la fiche des PNJ de Kibõ ni dans son feuillet de personnage. Mais il était très jeune, cela c'était sûr.

« Mon responsable de service m'a fait savoir que vous vouliez me voir. Il y a un soucis ? »

Il supposa que non, essentiellement parce qu'il savait son personnel irréprochable, et que les personnes qui demandaient à se plaindre à la direction en cas de problème n'existaient que dans les films.

« C'est un plaisir de vous recevoir dans la partie restaurant du Septième Ciel en tout cas. Voilà enfin pour moi l'occasion de rendre honneur à l'hospitalité dont vous avez fait preuve envers moi lors de ma dernière visite à Suna. Cela fait deux ans déjà, que le temps passe vite. Considérez votre note comme réglée. »

C'était un minimum.

« Alors, dites-moi tout, nous qui n'avons pas eu le temps de nous croiser lors de votre... dernière visite à Konoha. Que puis-je pour vous ? »

« Ce que je peux comprendre. » répondit Natsuki. « Suna n'a pas connu de période vraiment stable depuis un moment, aussi il doit y avoir pas mal de choses à revoir là-bas pour repartir sur de bonnes bases. A Konoha, la stabilité permet même à des gradés comme moi de rénover des bâtiments par loisir. Je partage votre avis en tout cas : le plaisir ne doit venir qu'une fois un travail satisfaisant accomplit. »

Même s'il restait important de savoir séparer les deux, et de ne pas que vivre pour l'un ou l'autre. Pire encore, de prendre l'un pour l'autre.

Prenant place à la table avec Kibõ et son fils, il se laissa offrir un verre de thé au lait pour égayer cette triste journée pluvieuse tout en écoutant ce qu'il avait à lui dire. Et cela commençait par mentionner Ichibi. Après un bref silence, la réaction de Natsuki se limita à une expression neutre et un '' oh '' témoignant d'un sujet qui ne lui plaisait guère.

« Bien que je n'ai pas grand chose à cacher sur le sujet compte tenu de la politique de mon Hokage quant aux Démons à Queues et l'alliance que les Villages shinobi devraient consolider contre eux, Ichibi n'est pas vraiment le sujet sur lequel j'aime le plus m'étaler. Surtout quand d'après nos informations, votre Village a été en mesure de l'emprisonner de lui-même par la suite. Car pour ma part, je m'étais contenté d'une étude environnementale de votre Pays, à l'époque. Et c'était parce qu'il n'était pas connu pour ses tremblements de sables que j'avais décidé d'enquêter sur l'épicentre du phénomène. C'est le pas de chance du mauvais endroit au mauvais moment qui m'a fait me retrouver face à Ichibi. Malheureusement, si vous voulez entendre une belle histoire, je ne vais pas être en mesure de vous la narrer : il n'y a pas eu d'affrontement. Ichibi m'a vu, et m'a soufflé dessus. Outre six de mes côtes et mon bras droit qui se sont brisés lorsque j'ai atterri trois kilomètres en arrière deux instants plus tard, il ne s'est rien passé. »

Parce qu'après s'être fait étaler en beauté et avoir perdu connaissance pendant suffisamment de temps pour permettre à un tanuki de cette taille de disparaître de son champs de vision, il n'avait pas spécialement envie de se lancer à sa poursuite dans son état.

« Ah si, une chose peut-être : votre hôpital a été aussi efficace avec moi qu'il y a sept ans, lorsque j'étais moi-même un participant à l'examen Chûnin et laissé pour mort dans l'arène. Je déplore seulement les qualités relationnelles de vos médecins.»

Il les comprenait aussi, mais c'était deux choses complètement différentes.

« C'est impressionnant tout de même le nombre de personnes qui m'interrogent sur cette vieille histoire alors qu'elle n'intéressaient pas le moindre quidam trois ans plus tôt. Enfin, vu que l'on me paye un verre à chaque fois pour l'entendre, je ne vais pas me plaindre. »

Surtout quand la perte était pour l'auditoire, et non l'orateur.

« Puis-je savoir qui entendez-vous par '' nous '', dans cette union des forces ? Suna et Konoha uniquement, ou avez-vous dans l'idée que l'on peut convaincre cette bande de joyeux lurons que sont les Kumojin et les rescapés du Shukai, lesquels préfèrent se taper mutuellement dans les genoux plutôt que de s'intéresser à l'avenir de leur continent ? L'un dans l'autre, êtes-vous certain que les Démons à Queues sont le plus grand danger que ce monde ai connu ? Je veux dire, ils sont là depuis bien longtemps avant nous, et jusqu'à présent, nous n'avons jamais entendu parlé d'eux autrement que dans des légendes. Ne concevez-vous pas que d'une part, ils ne sont que des victimes transformées en outils entre les mains de Jiseyama, et que de l'autre, c'est peut-être nous, à force de nous étaler au fil des siècles, qui les avons poussé à être violents après que nous nous soyons étendu sur leur territoire et les avons acculé alors qu'ils n'aspiraient pas à grand chose de plus que de la quiétude ? »

Natsuki lui laissa le temps de la réflexion.

« En ce qui me concerne, qu'importe les raisons, je ne laisse personne atteindre impunément à la sécurité de ma Nation. De là à dire qu'une alliance contribuera à la paix continentale... j'avoue que j'y croyais. Jusqu'à apprendre que Suna disposait des connaissances nécessaire pour enfermer un Démon à Queues dans un hôte. Ou plus exactement, jusqu'à découvrir qu'il était possible de sceller un Démon à Queues dans le corps d'un hôte. »

Il dévisagea Kibõ pour voir si ce dernier comprenait où il voulait en venir.

« Prenons un exemple tout simple : la bataille contre Rokubi. Une alliance entre Konoha et Suna ayant permit de triompher de la bête. Cela a bien fonctionné, mais pourquoi ? J'avancerai deux raisons à cela. La première était l'absence de personnalité directrice forte dans le second camp. Mizuki s'est illustrée au nom de tous alors que Suna n'avait aucun leader pour revendiquer officiellement sa part d'éloges méritées. En second, il y a eu le fait que Rokubi s'est désintégré sous l'assaut massif des nombreux ninja lui étant tombés dessus. Parce que à votre avis, que ce serait-il passé si le Démon-Limace avait survécu, agonisant ? »

Sans doute la même chose que lorsque plusieurs groupes s'allient pour vaincre un dragon, et que le moment vient de partager le trésor de la bête.

« J'ai personnellement dans l'idée que la cupidité de notre espèce, couplé à la méfiance naturelle que nous inspire autrui quand il chercher à avoir plus de pouvoir que nous, nous aurait poussé à nous disputer Rokubi pour savoir qui pourra en faire son animal de compagnie. Car entre nous, vous laisseriez à votre voisin au passé houleux une telle source de puissance en sachant qu'il sait déjà comment s'en servir ? »

Natsuki haussa un sourcil pour signifier que la réponse lui semblait évidente.

« Maintenant, imaginez cela à plus grande échelle, avec quatre super-puissance militaires en rang d'oignons à attendre à la frontière du Pays du Soleil que Kyubi quitte sa prison. Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai comme l'impression que dans ce cas de figure, dans un an, la véritable bataille ne commencera que lorsque le Démon-Renard sera vaincu... »

Le Créateur savait combien Natsuki n'avait pas envie d'avoir raison sur ce sujet...

Comme sur beaucoup de thèmes, dès que l'on touchait à l'éthique, il n'y avait pas vraiment de bonnes ou de mauvaises réponses, tant tout ce que l'on pouvait proposer apportait autant de positif que de négatif. Toutefois, même dans ces cas là, l'on avait tendance à avoir un avis penchant vers un côté ou l'autre. Kibõ, en restant muet, avouait n'avoir pas vraiment réfléchit encore à la question. Les pistes lancées par Natsuki l'aidèrent cependant à aiguiller sa réflexion, ce dont il fit part du fruit à son interlocuteur.

« Injuste ? » répéta Natsuki en haussant un sourcil. « J'aurai tendance à dire que le fonctionnement de notre monde ne l'a jamais été. Bien que nous sachions faire mille autres choses que la guerre, les conquêtes et les conflits se sont souvent réglés dans le sang, entre des hommes et des femmes qui vivaient en paix sans connaître ceux d'en face. Y'a-t-il une forme de justice là-dedans, dans le fait de s'en prendre à des gens pour qui nos soldats ne nourrissaient aucune d'animosité particulière jusqu'à ce que nous les désignons comme des ennemis ? »

Exemple dans lequel un Kibõ sous hypnose s'était parfaitement illustré moins d'une paire d'années plus tôt.

« Bien que j'approuve et appuie certains de vos propos, je suis d'avis que nous avons largement passé le point de nous demander ce que nous avons fait aux Démons à Queues. Nous sommes arrivés à une situation où peu importe qui est à l'origine du conflit, la cohabitation n'est plus possible. Et vous vous doutez bien que même si nous étions coupables de tous les maux du monde, volontairement ou par ignorance, je ne me laisserai pas marcher dessus par ces monstres : je refuse qu'un drame comme Rokubi se reproduise. »

Et pourtant, Rokubi n'était pas le premier à plonger le monde dans la terreur, ni à faire des quantités de morts au point que l'on puisse parler de génocide. Il ne sera pas le dernier non plus.

« Et comme si cela ne suffisait pas, maintenant que nous autres savons qu'il est possible d'en faire des armes, ils vont devenir une nouvelle source de conflit entre les Hommes, qui vont chercher à s'approprier leur puissance. Deux cas de figure donc : soit une lutte éternelle pour voler les Démons à Queues capturés par ses voisins, soit une course à l'armement pour voir qui en réunira le plus afin de conforter sa puissance. Et dans les deux situations, la terre se nourrira de beaucoup de sang encore... »

Parce que si la puissance rendait fort, elle rendait aussi ivre, autant le plus fort des alcools.

« C'est pourquoi je suis contre le scellement des Démons à Queues dans un hôte. Personne n'est assez digne de confiance aux yeux d'un continent entier, de toute façon, à quand bien même l'on arriverai tous à se mettre d'accord sur le fait de devoir les sceller. »

Et en parlant de personne de confiance, Natsuki eu un rire lorsque Kibõ lui confia que le Nara tatoué serait un hôte parfait.

« Grands Dieux non, je ne veux pas l'une de ces choses en moi, surtout en sachant quel avenir je réserverai aux hôtes, et dans lequel je m’inclurai c'était le cas. A savoir passer le restant de ses jours dans une cage dorée sous haute sécurité, avec autant de techniques et de sceaux de neutralisation que le corps aurait de place pour en porter. »

Natsuki aurait même tendance à choisir l’obésité comme critère de sélection, simplement pour avoir plus de surface où apposer les fuinjutsu.

« Et puis même, le scellement n'est pas une solution durable. Il viendra toujours un moment où l'hôte mourra – dans le meilleur des cas, de vieillesse - , ou que quelqu'un s'aventura pour délivrer le Démon à Queues enfermé, où qu'Il soit. »

Et bien que les solutions temporaires pouvaient être intéressantes, ce n'était pas celles qu'il fallait retenir en se disant qu'il suffira de les répéter sur le long terme. Et ce fut sur cette réflexion que le petit garçon jusqu'alors laissé hors de la conversation tenta une percée.

« Il est vrai qu'il est souvent plus simple de faire de son ennemi son ami, plutôt que de le vaincre La relation par alternance entre Konoha et Suna illustre bien ce fait. Malheureusement, nous avons ouvert la possibilité de faire de ces amis potentiels des armes, et donc, des amis que l'on se disputera tôt ou tard. Le plus '' équitable '' serait donc de tous les éliminer. Mais cela soulève une autre question éthique. Car après tout, nous sommes nous aussi des armes, avec un potentiel destructeur plutôt impressionnant. En quoi sommes-nous moins dangereux que les Démons à Queues ? Sans me faire l'avocat du diable, Jiseyama voit peut-être en nous la même menace que nous dans celle des Démons à Queues. Vous voyez où je veux en venir ? »

C'est toujours facile de voir en l'autre l'ennemi, et comprendre cet adversaire ne sert pas toujours à régler un conflit. Parfois, cela ne fait que renforcer sa propre conviction. Car au final, l'Homme pense rarement sur du long terme en incluant le passé. Le plus souvent, cela se résume simplement à la situation actuelle à un instant T, et quelle solution lui apporter.

« L'année de délais avant la libération de Kyubi ne m'inquiète pas en outre mesure : je sais que nous avons la possibilité de le vaincre, surtout si les Villages s'unissent. Ce qui me préoccupe davantage, ce sont les moyens que nous arriverons à mettre en œuvre pour y parvenir : c'est ce qui déterminera combien de parents verront leurs enfants mourir au combat ce jour là. Enfin, pas uniquement. Car comme je vous l'ai dit tout à l'heure, ma plus grande crainte est que ce soit pas Kyubi qui fera le plus de morts... »

Il était dit que '' ce que les petites oreilles n'ont pas à entendre n'avait pas à être prononcé par les grandes bouches ''. Mais bien que Satomou soit présent, Natsuki n'éducolorait pas spécialement son discours. Kibõ l'avait amené sur cette voie-là, et si ce que son fils entendait ne lui plaisait pas, il arrêtera déjà le Nara tatoué. Là revenait d'ailleurs un discussion qu'avait eut Natsuki avec le Directeur de l'Académie : jusqu'où préserver l’innocence des enfants ? Cela dépendait de l'avenir que l'on leur réservait.

« Dites-moi Kibõ. Quel avenir envisagez-vous pour Satomou ? De rester un civil vivant loin du danger, mais incapable de se défendre lorsque la mort viendra frapper à la porte, ou un soldat voué à défendre bien plus que sa propre vie en s'exposant chaque jour à des risques pour lui ? »

L'on avait souvent tendance à oublier que parfois, le principal intéressé avait aussi voix au chapitre. Natsuki posa donc ses yeux sur le jeune garçon.

« Sais-tu déjà ce que tu veux faire quand tu seras grand, Satomou ? »

S'il avait la chance d'arriver jusque là, tout du moins.