- Pourquoi on y va cette fois-ci ? Cela fait un moment en plus, il se passe quelque chose d’important ?

Il était parfait normal pour Karyuudo de se poser la question. Intrigué par la requête de Yasahiro, je n’avais pas eu plus d’information et je me demandais exactement la même chose.

- Il m’a dit que cela concernait Raito, mais il est resté trop vague.

- C’est toujours la même chose avec eux, tout est toujours secret et au final, on ne comprend jamais quel est l’objectif.

- Tu sais bien ce que j’en pense. Je fais confiance en Raito et en Yasahiro, ils savent ce qu’ils font. Ce n’était pas forcément en accord avec les lois de Kumo, mais je ne peux pas le leur reprocher et ils ont toujours agi pour le bien du village.

Karyuudo soupira longuement.

- Au final, tu peux leur trouver les excuses que tu veux, tu les suis dans un objectif personnel. J’ai juste encore du mal à savoir si c’est par amusement ou par curiosité.

En l’entendant, je me mis alors à rire sans gêne. L’entendre dire cela était surprenant, surtout qu’il me comprenait mieux que quiconque.

- Par amusement ou par curiosité ? Parce qu’il faut choisir entre les deux ?! Non, mais sérieusement, tu as raison, mais ce n’est pas parce que je n’ai pas de raisons chevaleresque de suivre leurs projets que je ne devrais pas le faire pour autant. Tu peux faire de bonnes choses pour de mauvaises raisons, à la fin de la journée, tu auras quand même fais de bonnes choses. Et puis, entre nous, on sait bien que tout ceci est bien trop futile pour agir sérieusement. La politique, Kumo, la guerre, les nations, tout ça c’est superficiel. Personne ne s’en rend compte et il vaut généralement mieux garder cet avis pour soi, mais ça n’y change rien.

- Et toi, parmi tout ça, tu es l’illuminé passif ? Celui qui détient la vérité, mais qui continue de s’amuser avec les autres et de feindre la loyauté ?

- Une fois que tu te rends compte que la vie n’a aucun sens, il n’y a que dans le divertissement qu’on éprouve du bonheur. Alors, oui, on peut dire que ma recherche personnelle de ce bonheur est égoïste, mais me le reprocherais-tu ?

- Non, mais c’est bon, je plaisantais, j’ai juste faim et ça m’énerve de devoir te servir de chauffeur au lieu d’aller chasser.

Éclatant de rire à nouveau, je donnai un petit coup sur la tête de Karyuudo. On savait l’un l’autre que nous partagions la même philosophie à ce sujet, il avait beau me faire la morale à ce sujet, il n’était intéressé que par la chasse. Il était habitué depuis le temps à ce que mes activités de shinobi prennent le pas sur nos entraînements et nos parties de chasse, mais cela ne l’empêchait de continuer à critiquer cette situation en permanence. Ce n’était pas forcément évident pour moi d’être en conflit permanent à ce sujet avec lui, mais étant donné que cela faisait des années que je le lui imposais, je ne pouvais pas lui en vouloir non plus. Il faisait preuve de beaucoup plus de compréhension et de patience que je n’en avais jamais eu.

Une fois arrivés à l’entrée dans la montagne de la nouvelle base d’opération de l’Institut, je descendis du dos de Karyuudo qui partit immédiatement combler son appétit avec l’être vivant le plus proche. Pendant ce temps, j’allumais la torche que j’avais apporté et m’enfonçai dans les tunnels qui parcouraient la montagne jusqu’à arriver à destination. Ce lieu qui m’avait semblé si basique la première fois que je l’avais vu possédait désormais nombre d’équipement utile.

Si j’étais celui qui avait redécouvert ce lieu et l’avait proposé à Raito, ce qu’il avait fait de l’endroit dépassé de loin tout ce que j’aurais pu entreprendre personnellement. S’il était toujours difficile d’y accéder et qu’il allait falloir trouver un moyen de pouvoir entrer et sortir rapidement sans trahir la localisation du lieu, le travail qu’avait Kisen associé aux ressources de l’organisation avait fait de l’endroit une véritable base. Ce qui me marqua le plus cependant était qu’il y avait très peu de personne présente. Tout le monde n’était pas là, mais c’était surtout dû au fait que les rangs avaient été réduit petit à petit. Le changement de direction et la scission provoquée par celui-ci avaient eu un impact très important sur les membres. Certains furent tués, d’autres prirent la fuite, d’autres coupèrent tout contact; mais au final, ceux étant restés étaient très peu nombreux.

Selon Raito, ce n’était pas réellement un soucis, les objectifs de l’organisation ayant toujours été la récolte d’information et la surveillance du village et du pays. Les captures et adoptions ayant été arrêtées et les recrutements devenant beaucoup plus rares, les méthodes avaient changées également. Notre marge de manoeuvre n’était plus ce qu’elle fut, mais avec un peu d’adaptation, l’Institut allait toujours pouvoir agir et subsister.

Ce fut Yasahiro qui m’accueillit en premier, le Monjara revenait de son passage à la capitale et il n’avait pas l’air d’avoir des bonnes nouvelles.

- Salut Otoke, cela me fait plaisir de te revoir. Tu réussis bien à le garder sous contrôle ?

- Bonjour Yasahiro, merci de t’inquiéter pour moi, je vais bien. J’ai dû y avoir recours quelques fois récemment, mais il n’y a eu aucun incident à cause de cela.

- C’est déjà ça… Bon, je ne vais pas tourner autour du pot, on a un problème. Comme tu le sais, Raito est partit en mission avec Hak à Shimo no Kuni. Il était censé capturer une cible et revenir. Cependant, il n’est jamais revenu. Nos informations nous font croire qu’il est détenu prisonnier sur place depuis quelques jours.

Je n’en revenais pas, Raito c’était donc fait prendre en pleine mission. J’étais vraiment étonné, à un point où je me demandai même s’il ne l’avait pas fait volontairement. S’il était parfaitement capable de se faire capturer par l’ennemi si cela lui permettait d’atteindre un objectif, je savais aussi qu’il n’était pas du genre à le faire sans nous prévenir. Ou alors, ne pas nous prévenir faisait également partie de son plan, mais c’était assez peu probable.

- Même si ça me démange d’y aller sur le champ, je suppose que vous avez l’intention de suivre la procédure dont il m’a parlé pour ce genre d’incident.

- Exactement, si nous agissons maintenant, nous allons mettre l’avenir de l’Institut en péril et ce n’est pas souhaitable. Comme prévu par Raito lui-même, nous allons attendre les résultats de la mission envoyée par Kumo pour les libérer. En cas d’échec, nous n’aurons d’autre choix que d’intervenir.

- Ok je comprends, tu m’avais convoqué uniquement pour me dire de ne rien faire ou t’as autre chose ?

- Viens avec moi, y’a autre chose.

Yasahiro se mit alors à me conduire à travers les installations jusque dans l’infirmerie. Si on l’appelait comme cela parce qu’on y envoyait les blessés, cela ne ressemblait pas vraiment à une infirmerie, c’était surtout le lieu de travail et d’expérimentation du Monjara.

J’étais bien curieux de savoir ce que le Monjara pouvait bien avoir à me dire. À ma connaissance, l’Institut n’avait pas été actif depuis quelques semaines et je n’étais généralement pas impliqué dans les affaires internes depuis l’incident. Il se mit alors à chercher dans le tiroir de son bureau avant d’y sortir une petite boîte.

- Ce n’est pas non plus la raison de ta venue, mais puisque tu es là, autant en profiter. C’est un petit cadeau de ma part qui devrait t’être pratique en cas de besoin.

Je la saisis alors avant de l’ouvrir pour en découvrir le contenu. J’étais très intrigué, je n’avais pas vraiment l’habitude de recevoir des cadeaux, surtout que je n’étais pas capable de me souvenir de la date précise de mon anniversaire.

- Il s’agit de lentilles de couleur, elles pourront te servir si ton hôte se réveille et que tu préfères le cacher aux autres. Il n’y en a pas beaucoup, mais je pourrais t’en refaire si tu le souhaites.

- Merci, je sens que ça va m’être bien utile à l’avenir.

Sans prendre plus de temps, Yasahiro sortit un dossier de son tiroir et me le tendit. Son air sympathique venait de disparaitre pour afficher un regard froid et sérieux. Je compris aussitôt que ceci avait de l’importance et je m’empressai de l’ouvrir.

- J’aurais préféré attendre Raito pour cela, mais la situation devient urgente et sa présence n’est pas nécessaire. Dans ce dossier, tu trouveras les fiches d’une dizaine d’anciens membres de l’Institut. Tous étaient proches de l’ancien dirigeant, ont échappé à la prise de commandement et font actuellement des vagues en cherchant à nous nuire. Comme convenu, tu es libre de refuser si tu le souhaites.

Page après page, j’inspectais ces individus, essayant d’analyser la difficulté pour les retrouver. Il s’agissait d’un travail considérable, même avec l’aide de l’Institut.

- Et tu voudrais que je les élimine, c’est bien cela ?

- Peu importe s’ils doivent mourir ou pas, tout ce qu’on souhaite c’est qu’ils arrêtent d’agir contre nous.

- Si vous faites appel à moi, c’est forcément que vous n’aviez pas l’intention de régler diplomatiquement. Personnellement, ça ne me dérange pas et je suis plutôt disponible ces prochains jours. Mais même si j’ai foi en nos capacités, vous ne craignez pas que ça fasse beaucoup pour Karyuudo et moi ?

Yasahiro se mit alors à sourire avant de me pointer le dossier du doigt.

- Regarde les dernières pages, vous ne serez pas tout seul, on a encore des agents disséminés dans le pays, tu as une petite liste de ceux qui pourront aider une fois sur place. De plus, je viendrais également, mais pas tout de suite, je dois passer à la capitale d’abord. Tu m’y rejoindras quand tu auras terminé ton premier objectif.

Si j’avais toujours préféré agir par instinct qu’avec organisation, il me fallait bien admettre que l’organisation précise de l’Institut me facilitait grandement la vie. Même en me disant que cette organisation avait provoqué le plus gros problème que j’avais pu avoir dans ma vie, Raito et Yasahiro étaient devenu de précieux alliés dans un monde qui me semblait chaque jour un peu plus complexe.

- Dans ce cas, je m’y rends immédiatement. Et encore merci pour le cadeau.

- C’est le moins que je puisse faire vu la situation. Et n’oublie pas, évite d’attirer l’attention.

- C’est pourtant devenu ma spécialité…

Je partis sur ces mots en riant légèrement. Si la mission qu’il m’avait donnée n’allait pas être de tout repos, j’étais plutôt content qu’elle m’ait été assignée, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu l’occasion de chasser de proie à la hauteur.

Rejoignant Karyuudo à la sortie, je sautai sur son dos tandis qu’il prenait son envol. Durant le peu de temps passé à l’intérieur, le ciel s’était rempli de nuage tandis que de la neige commençait à tomber. L’hiver à Kaminari n’était pas à prendre à la légère, il suffisait d’une nuit passée à l’extérieur pour perdre une bonne partie de ses capacités physiques. Ce n’était pas les conditions idéales pour partir ainsi en expédition à travers le pays. Cela ne dérangeait habituellement pas Karyuudo qui avait l’habitude d’affrontement le froid et le vent. J’étais moi-même habitué, mais cela ne m’empêchait pas d’être particulièrement gêné par le vent violent et glaciale qui me fouettait lorsque je volais sur son dos.

- Alors, le petit garçon se porte bien ? Il a encore besoin de toi pour résoudre ses problèmes ?

- Raito est en prison à Shimo et on part en mission.

Karyuudo lâcha alors un petit glapissement qui en disait long sur son opinion. Il se moquait bien volontiers des autres.

- Tu vois, j’ai toujours raison ! On va devoir aller le sauver alors, vol pour Shimo.

- Non, on ne va pas y aller, Yasahiro nous a confié une autre mission. Tu peux te diriger vers Senun. On part à la chasse, mais ne t’emballe pas tout de suite, on va faire équipe avec d’autres personnes pour cette mission.

- Peu importe, m’enlève pas mon plaisir tout de suite, ça faisait longtemps que j’attendais une mission sans les contraintes de celles provenant du village. Je suppose que cette fois encore, le travail ne respecte pas les règles imposées par tes "supérieurs".

Je tapotai gentiment sa tête, il avait raison et cela l’amusait beaucoup plus que moi. Je n’avais aucun problème moral à agir à l’encontre des lois qu’on essayait de m’imposer, mais j’avais déjà fait l’expérience des conséquences que cela pouvait avoir. Depuis mon séjour en prison, l’option d’accuser mon hôte pour éviter la moindre accusation était devenu inenvisageable, j’avais déjà causé trop de dégâts.

- Pour te résumer la mission, on a une dizaine de cibles disséminées un peu partout dans le pays et aux alentours, on va devoir les trouver et les éliminer. La première sur la liste se trouverait à Senun.

- Et à propos des humains qui sont censé nous aider ?

- A chaque endroit, il y aura quelqu’un qui sera en mesure de nous donner des informations, ils devraient nous faciliter la tâche.

En relisant la fiche de la première personne à rencontrer, je remarquai avec amusement qu’il s’agissait de Yuuto. Si ce nom ne me disait rien au premier abord, je finis par me rappeler d’une ancienne visite de la ville que j’avais faite avec Raito lorsque nous étions encore chuunin et que je venais tout juste de le rencontrer. Cela faisait plus de deux ans et je n’avais aucune idée que l’ancien partenaire du Dentô avait reprit du service dans l’Institut. Je ne me souvenais de lui que comme d’un alcoolique handicapé, mais c’était tout à fait du genre de Raito de l’avoir recruté après sa prise de pouvoir. Mais même si cela lui arrivait de faire des sacrifices pour ses alliés, je le voyais mal recruter quelqu’un qui n’était pas en état de le servir. J’imaginais donc qu’il avait bien changé en deux ans. Si je n’avais pas passé quelques minutes en sa compagnie, j’avais pu remarquer qu’il avait un lien émotionnel avec le jeune Dentô et c’était un fait suffisament rare pour être remarqué. Cela risquait d’être intéressant.