Seito posa le premier pied à terre. Il huma avec un plaisir non dissimulé, malgré le blizzard qui lui fouettait le visage, cet air glacial. Il y avait longtemps qu'il n'était pas revenu à Yuki no Kuni. S'il n'avait rien vu du pays lors de son premier voyage, il avait regretté de ne pas s'être enfoncé plus profondément dans les terres gelées du Pays de la Neige. Aujourd'hui, il espérait que sa mission ne l'empêcherait pas de satisfaire ce désir, et même qu'elle y aiderait, peut être. Il resserra un peu plus l'écharpe qui lui enserrait le cou, et enfonça encore son capuchon. Les souvenirs qu'il avait de son premier voyage étaient restés bien imprimés dans cette mémoire de vieil homme. Le vent mordant en faisait partie.

Après cet instant de délectation, Seito se retourna et tendit la main pour aider son assistante, Ukita Ineko, à descendre à son tour sur le quai. La jeune fille était enveloppée chaudement, elle aussi, dans des étoffes et des fourrures prêtées par Seito. C'était la première fois qu'elle s'aventurait hors de Taki no Kuni. Pour un baptême de la mer, elle était allée bien loin. Mais elle n'avait pas refusé la mission, bien au contraire. Elle s'en acquittait avec joie, et s'enthousiasmait plus que jamais de sa fonction. Si Seito l'avait aujourd'hui tirée du service militaire auquel elle devait normalement s'adonner quelques mois encore, c'était bel et bien pour s'acquitter d'une mission de sécurité nationale. Celle-ci émanait des plus hautes instances.

"Bienvenue à Yuki no Kuni."

Seito n'était même pas sûr que ses paroles étaient arrivées jusqu'aux oreilles de son assistante. Le vent était tellement fort que ses mots avaient du se disperser au grès de la bise, comme des flocons. Ineko dut cependant entendre un son, car elle se tourna vers son maître, intriguée. D'un geste de la main, Seito lui indiqua alors une silhouette qui s'approchait dans le blizzard. Il ne s'attendait pas à un comité de réception. Mais, vu la météo, son hôte avait dû prendre les précautions qui s'imposaient.

Cette théorie du Shuhan se confirma quand, sortant du voile de neige, un soldat s'adressa aux deux Takijins en criant:

"Bienvenue à Dhartsedo ! Suivez-moi, je vais vous guider ! Mais ne traînez pas le pas ! Le vent pardonne pas, aujourd'hui !"

Seito et Ineko n'eurent pas à se le faire dire deux fois. Ils entamèrent leur pénible marche, courbés sous la force des bourrasques, se réchauffant de leur seul souffle. Tâches grises sur un tapis immaculé, ils progressèrent ainsi à travers le dédale enseveli sous la neige des rues de Dhartsedo.

Profitons de leur lente marche pour se remémorer les raisons de leur arrivée dans un pays à première vue si inhospitalier de par son climat. Quelques jours auparavant seulement, Seito avait reçu une missive émanant de ces hautes instances, dont nous avons déjà parlé plus tôt, l'enjoignant à se rendre à Yuki no Kuni pour s'y acquitter de son devoir de soldat de l'Empire. Il s'agissait de renforcer les défenses du pays qui, on se le rappelle, avait souffert à certains points stratégiques, comme nombre de lieux du continent, l'attaque d'un groupe de criminels mystérieux. Des mesures avaient déjà été prises pour réparer les dégâts, il s'agissait maintenant de consolider les défenses. Pour cela, Seito prêterait main forte à un habitué des lieux, qu'il avait déjà eu le privilège de rencontrer alors qu'il faisait ses débuts dans le monde des Shinobis, Samui Ketsuen. N'oubliant pas sa nouvelle assistante, Seito lui avait proposé de l'emmener avec lui dans ce périple de l'autre bout du monde, et, comme nous l'avons déjà vu, elle s'était empressée d'accepter.

Ainsi, de fil en aiguille, les deux Takijins prirent le bateau à Marutagoya pour finalement arriver à bon port, à savoir Dhartsedo, quelques jours plus tard, ballottés mais sains et saufs. Ils ne furent donc pas mécontents de se réfugier dans cette caserne, établie comme base des autorités de la ville. Dès que la porte fut refermée derrière eux, Seito et Ineko se sentirent instantanément mieux. La chaleur des murs faisait déjà effet, et ils ne tardèrent pas à ôter leurs épais manteaux de fourrures, leurs bonnets et leur écharpes. Dès lors, ils se retrouvèrent en tenue de tous les jours. Ineko portait le costume des jeunes en service militaire à Itabei, à savoir un pantalon ample blanc, ainsi qu'une tunique de la même teinte. Ses cheveux flamboyants de rousseur flottaient librement dans son dos. Seito, lui, portait le traditionnel manteau couleur d'émeraude des Shuhan d'Itabei, non sans une certaine fierté dans un pays où ce symbole devait être étranger à la plupart des habitants. Dès lors, on était en droit de se demander quel était le prestige de ce jeune homme affublé d'un si luxueux habit. Ce mystère planant autour de sa personne ne manquait pas de flatter l'orgueil de Seito.

Suivant toujours leur guide, les deux Takijins montèrent dans les étages de la caserne jusqu'à arriver aux dernières marches. Cette pièce dans laquelle ils débouchèrent, après avoir arpenté un corridor, était un bureau, selon toute apparence. Assis dans un fauteuil, leur faisant face, se tenait Samui Ketsuen. Seito sourit à cette vieille connaissance, cet ami qu'il n'avait pas revu depuis longtemps.

"Ravi de te revoir, Ketsuen. Rien n'a changé ici, même pas le vent. Avant toute chose, laisse-moi te présenter mon assistante depuis peu, et encore élève, brillante, du service militaire d'Itabei: Ukita Ineko."

La jeune fille s'avança, intimidée sans doute par cette personne dont elle ne savait rien sinon ce que Seito lui avait raconté -c'est à dire très peu- sur elle. Respectueusement, elle s'inclina.

"Bon. Quelles sont les nouvelles ? Ou plutôt, quel est le plan d'attaque ?"

Seito et Ineko s'installèrent, sur invitation de Ketsuen, dans ce petit coin du bureau, visiblement aménagé spécialement pour la réception de visiteurs. Seito considéra un instant l'arme accrochée au mur. C'était certainement une épée de très bonne facture, mais ce n'était pas l'objet en lui-même qu'il considérait. Derrière le sabre marin, il voyait la résolution de Ketsuen de fortifier par les armes la ville de Dhartsedo, qu'il semblait avoir pris sous son aile, si ce n'est sous son commandement. Ce seul objet, accroché au mur, au-dessus des visiteurs, sembla en dire à Seito plus long que ce que son camarade du Pays des Neiges n'aurait jamais pu lui dire sur ses résolutions. Après tout, pourquoi avoir affiché là cette arme précisément, utilisée particulièrement par les marins, à la maigre connaissance de Seito, si ce n'est pour démontrer une farouche volonté d'armer son pays ? En outre, c'était une intention honorable, d'autant plus que le Shûkai était en guerre.

Une fois cette muette réflexion faite, Seito s'assit à son tour. Il répondit au regard intrigué d'Ineko par un sourire discret qui signifiait "je vous expliquerai plus tard". Alors, il porta son attention sur les cartes, schémas et plans étalés sur la table. Tout en les observant avec attention, il écouta les commentaires de Ketsuen, ses premières idées de dispositifs pour la protection du pays.

S'ils semblaient tous d'une efficacité redoutable à Seito, il se posait des questions sur la légitimité de certains. D'un, en fait. Ces parchemins explosifs disposés sur les montagnes et prêts à exploser à tout instant, répandant sur Gyamda, ou du moins jusqu'à ses murailles, un torrent de neige. L'idée, en soi, d'ensevelir les assaillants sous une épaisse couche de neige était bonne, voire même très bonne. Elle utilisait l'environnement rude et hostile de Yuki no Kuni à l'avantage des habitants. Juste retour des choses, sans doute, compte tenu des revers terribles que le climat ne manquait pas de faire subir aux riverains. Cependant, n'y avait-il pas un problème dans cette méthode ?

Seito but une gorgée de thé, qu'il laissa réchauffer sa bouche pendant quelques instants. Puis, quand ses idées furent claires dans son esprit, il posa le gobelet et se saisit d'un crayon.

"Toutes ces idées sont très bonnes. Renforcer le contrôle maritime est une première étape très intéressante pour empêcher l'infiltration d'ennemis, mais aussi pour lutter contre la contrebande. Cependant, je pense qu'elle peut être améliorée, ou en tout cas qu'elle mérite d'être étendue. Je m'explique: Dhartsedo est bien la seule ville portuaire du pays. Cependant, si jamais Yuki est attaqué, je doute que nos ennemis se bornent au confort d'une ville pour débarquer leurs effectifs. Aussi, je pense qu'il faudrait faire construire une plateforme de ce genre au moins au large de chaque ville proche de la mer. Donc, Lhoka, Dechen, Nyingtri et Tsethang en bénéficieraient aussi.

"En ce qui concerne Gyamda, il y a une faille dans ce que tu prévois. Et, malheureusement, c'est plus un problème pour la population que pour les envahisseurs. Le principe est, je dois dire, remarquable. Il est certain que tous les ennemis en-dehors de la muraille, ou la grande majorité, en tout cas, seraient vaporisés par une attaque de cette ampleur. Cependant, que se passera-t-il après ? Une fois le siège terminé, comment rouvrir les portes ? Si l'avalanche n'a pas fait le tour de la ville, ce n'est pas un problème. Mais si jamais les éléments en font à leur tête ..."

Seito s'interrompit. Il faillit ajouter "Comme c'est souvent le cas ici" mais il se ravisa à temps. Il eut peur d'offenser son hôte en se montrant aussi virulent contre le climat d'un pays qui l'accueillait à bras ouvert.

"Il faudrait donc relier la ville à l'extérieur, pour permettre à des équipes de déblaiement de dégager les portes. Ca peut se faire par un tunnel, qui serait suffisamment long pour que sa sortie ne débouche pas sur une zone enneigée par l'avalanche. Tout ceci reste du domaine de l'hypothèse. Si l'avalanche ne bloque pas toutes les portes, alors ce système n'a pas lieu d'être. Mais, d'un autre côté, si elle ne bloque pas toutes les portes, elle ne prévient pas non plus complètement une invasion, puisque des accès resteraient libres.

"Pour l'instant, c'est tout ce que j'ai à redire. Tes idées sont très bonnes, mais aussi très ambitieuses. Il ne faut pas tarder à les mettre en place. Mais je ne suis peut être pas le seul à avoir réfléchi pendant que tu parlais."

Seito se tourna vers son assistante. Celle-ci, en effet, regardait avec attention les cartes. Quand elle comprit que c'était à elle qu'on se référait, elle sortit de sa profonde réflexion et se saisit du crayon que tenait Seito.

"Oui ! J'ai moi aussi réfléchi, un peu. Et j'ai eu une idée qui pourrait compléter celles de notre cher hôte. Celles que vous avez proposées jusque là ne servent qu'à se défendre et à prévenir une attaque. Voyons comment se passerait une invasion dans la situation du pays bénéficiant de vos infrastructures: les ennemis arrivent, une partie sont interceptés par les plateformes, mais une partie réussit tant bien que mal à débarquer, en détruisant, disons, une plateforme. Une escouade est envoyée à l'assaut de la capitale, mais elle est réduite à néant par l'avalanche. Mais qu'en est-il des autres ? Elles peuvent continuer d'agir et de prendre par surprise les villes, qui ne s'attendaient pas à leur arrivée.

"Ce qu'il vous manquerait, c'est un système d'alarme national. Un dispositif qui permettrait d'alarmer une ville depuis une autre. Alors, voilà ce que je propose: servons-nous encore une fois de l'environnement. Vous avez des montagnes à disposition, utilisons-les donc encore une fois ! Sur les Monts Lhotse et Kangchenjunga, il suffirait de placer des énormes braseros. Une chaîne de brasiers couronnerait la chaîne de montagnes et serait maintenue allumée en permanence. En cas d'attaque, il suffirait d'en changer la couleur, par exemple, ou de les éteindre tout simplement. Un tel système peut être reproduit dans d'autre villes. Il y a le Mont Manaslu à côté de Dechen et le Mont Minya Konka pourrait également servir de balise. Dhartsedo pourra utiliser le Mont Kailash, malgré la distance. Qu'en pensez-vous ?"

Seito regarda sa jeune assistante d'un air étonné. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle se débarrasse aussi rapidement de ses appréhensions et de sa timidité pour passer à l'action. Il ignorait que la jeune fille avait pris très vite conscience du danger qui guettait le pays. Devant une telle menace, elle ne pouvait tout simplement pas se permettre de cacher les bonnes idées qu'elle pouvait avoir derrière un voile d'appréhensions.

Seito n'eut pas besoin d'exprimer son enthousiasme vis-à-vis de cette idée, qui lui plaisait beaucoup. Son sourire malicieux à l'encontre d'Ineko en disait suffisamment long. Il se tourna vers Ketsuen, l'interrogeant du regard.

Les plans et cartes marqués des symboles que Ketsuen y apposa donnèrent une vue d'ensemble des différents travaux qu'allaient mener les Shinobis. C'était une entreprise d'envergure, c'était certain. Il s'agissait d'agir à l'échelle d'un pays tout entier, et non plus à celle d'une ville, comme Seito avait l'habitude d'opérer. Un certain nombre de facteurs supplémentaires était à prendre en compte, mais au fond le principe restait sensiblement le même. Il s'agissait "simplement" d'administrer un territoire, rien de plus, rien de moins. La tâche devait être effectuée dans la conscience de son ampleur. Il aurait été grave de sous-estimer ou de surestimer les différents projets qui venaient de se mettre en place. Chacun était efficace, mais aurait un coût. Or, Seito doutait que les caisses de l'Empire soient illimitées dans leur générosité, même s'il s'agissait de protéger les populations contre une menace certaine. Il faudrait être concis, efficace, et méticuleux.

"Tu seras le bienvenu à Taki et à Itabei. Je rapporterai de mon voyage le souvenir de nos différentes expériences, et je ne manquerai pas d'en faire bénéficier ma ville également. Mais ton aide sera précieuse, j'en suis certain."

Sur ce, Seito et Ineko ne s'attardèrent pas plus longtemps. Ils saluèrent respectueusement leur hôte, le remerciant par la même occasion de son accueil chaleureux, et se retirèrent dans les appartements qui leur étaient dévolues.

Seito resta un long moment devant la fenêtre de sa propre chambre, à observer le blizzard impitoyable qui continuait de balayer les plaines de la banquise. Cet océan de neige était propice à la réflexion. L'état méditatoire s'installait de lui-même dans l'esprit de Seito. Il pensa à Itabei, qu'il avait laissée loin, par-delà les mers. Il avait donné ses instructions avant de prendre le large, mais il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Après tout, il avait quelques projets de grande envergure sur le feu, notamment la construction de sa grande bibliothèque. Il se raisonna cependant en se rappelant le talent de l'Ingénieure en chef d'Itabei, Suishô Yanyan, et avec quel brio elle avait mis au point des plans titanesques. Et puis, ses deux fidèles conseillers, Gen et Itaku Michibiku, veillaient à sa place sur la cité. Il n'y avait, à fortiori, pas à s'inquiéter outre mesure. La seule chose qui pouvait arriver à Itabei, c'était un accident soudain.

Le cours des pensées du jeune Shuhan fut interrompu par une violente quinte de toux qui le prit subitement. Pendant quelques minutes, il s'époumona, malgré ses vains efforts pour se calmer. Appuyé au mur de la chambre, sa main crispé grattait la pierre alors que ses tempes battaient violemment. Une douleur aiguë le prit à la gorge quelques instants avant que la crise ne se calme. Finalement, il retomba sur le sol de la chambre, à demi inconscient et épuisé. Il se traîna plus qu'il ne marcha jusqu'à un pichet d'eau laissé à sa disposition, et but à longs traits un verre de ce liquide salvateur. Ce n'est qu'en reposant le gobelet qu'il aperçu la tâche rouge sur le meuble de bois. Intrigué, il s'en approcha et la toucha du bout des doigts. C'était encore liquide. Précautionneusement, il porta son doigt à sa bouche. Le goût ferreux de la substance lui indiqua qu'il s'agissait de sang encore frais. Seito réalisa, en voyant une autre goûte tomber sous son nez, que ce sang était bien le sien. Il sortit un mouchoir de sa poche et s'épongea les narines.

Il avait d'abord craint que sa crise de toux ne soit due qu'à un mauvais rhume ou à une quelconque maladie qu'il aurait attrapée pendant le trajet en bateau. Cependant, ce saignement de nez changeait du tout au tout ses hypothèses. Maintenant, il était convaincu qu'il était à nouveau la proie de cette si étrange maladie qui l'avait déjà affecté par le passé, et qui continuait encore aujourd'hui de le harceler. Il n'avait pas eu de crise depuis longtemps, il pensait donc tout naturellement que le mal s'était estompé jusqu'à disparaître. Il venait d'avoir la preuve que son relâchement d'attention n'était pas fondé. Faiblement, il se blottit sous ses couettes et plongea instantanément dans un sommeil salvateur.

Il se réveilla un peu avant le soleil. Il se sentait mieux. Il se leva, et se mit aussitôt en position de méditation. Cependant, alors qu'il allait plonger dans les méandres de sa conscience à la recherche d'explications sur sa crise de la veille, trois coups successifs retentirent à la porte de la chambrette. Il fronça les sourcils, mais se leva néanmoins pour aller ouvrir.

C'était Ineko qui le dérangeait dans ses exercices matinaux. Elle semblait préoccupée. Seito l'invita à entrer, inquiété lui-même par l'angoisse contagieuse de la jeune fille.

"Je vous ai entendu tousser la nuit dernière, je me suis inquiétée.

-Ne vous en faites pas, c'était une crise passagère, voilà tout ... Je vais beaucoup mieux aujourd'hui."

Une idée qui lui sembla lumineuse éclaira l'esprit de Seito.

"Voudriez-vous vous joindre à moi dans ma méditation du matin ?

-Oh ! Avec joie, mais ... Je n'ai jamais pratiqué ce genre d'exercice, moi.

-Vous allez voir, c'est très simple. Faites comme moi ..."

Et il s'assit à nouveau, en tailleur, sur le sol de la chambre. Il avait déjà les paupières fermées, aussi n'entendit-il que le frémissement des étoffes de sa voisine qui s'installait dans la même position que lui.

"Concentrez-vous sur votre respiration, sur vos inspirations et vos expirations. Ne parlez pas, laissez simplement votre pensée dériver, calmement, à son grès ..."

Et lui-même se laissa absorber par le fil de ses pensées, à la recherche d'une origine à cette maladie si étrange. A chaque fois, il en revenait au même endroit: le laboratoire enfoui dans les montagnes, à proximité d'Itabei, qu'il avait détruit de sa main sur ordre de son maître. Cette pensée ne pouvait que l'inquiéter. Au vu des créatures monstrueuses et impossibles qu'il avait rencontrées dans la caverne, il ne craignait que plus les effets de la mystérieuse maladie qui l'affectait. A quel état serait-il réduit dans quelques mois, dans quelques années ?

Il sortit, sur ces songes, de son état méditatoire. Ineko l'observait attentivement.

"Vous n'avez pas réussi, hein ?

-Euh ... Non, pas vraiment ..."

Seito lui adressa un de ces sourires fraternelles dont il avait le secret.

"C'est bien normal. Personne ne réussit du premier coup. Vous auriez été un génie ou une menteuse si vous y étiez parvenue. Et croyez-moi, mieux vaut n'être ni l'un ni l'autre."

Après ce moment de quiétude intense, les deux Takijins se préparèrent pour le voyage qui les attendait encore. Lorsqu'ils furent enfin prêts, ils rejoignirent Ketsuen dans son bureau. Sans plus tarder, le trio sortit de la caserne, puis de la ville portuaire. Ils étaient chargés des plans et de leurs espoirs pour protéger au mieux le pays. Aussi, c'est avec des ailes, presque, qu'ils traversèrent la banquise, puis le col montagneux qui séparait les Monts Lhotse et Kangchenjunga. Finalement, la capitale du Pays des Neiges se présenta à eux, aussi majestueuse que dans les souvenirs de Seito. Il ne lui manquait que la présence de sa souveraine trépassée pour retrouver toute sa splendeur.

Pour le reste, Seito et Ineko se contentèrent de suivre Ketsuen. C'était lui qui avait contacté les personnes à qui ils auraient affaire pour la mise en place de leurs divers dispositifs, et il connaissait sans doute mieux les lieux que deux Takijins en perdition.

Seito et Ineko suivirent Ketsuen dans cette vaste salle oblongue, et prirent place à sa droite. Toute l'assemblée était déjà réunie. Ils étaient les derniers arrivés, et ce malgré les efforts acharnés qui leur avaient été nécessaires pour avancer dans la neige. Seito jeta un coup d'oeil à sa jeune assistante, plongée assez soudainement, il est vrai, dans le bain de la vie de Shinobi. Elle semblait éprouvée par le trajet, mais toujours aussi déterminée à en découdre avec les problèmes qui se présenteraient à elle. En l'occurrence, il s'agissait de faire face à un comité d'étrangers attendant qu'elle surmonte sa timidité instinctive. Elle en était capable, au même titre qu'elle avait été capable de se montrer maligne la veille. Seito lui adressa un sourire discret pour la mettre en confiance.

A vrai dire, il n'était lui-même pas nécessairement à l'aise au milieu de ces inconnus, tous l'air plus excentriques les uns que les autres. La seule figure qui lui attirait de la sympathie était celle du vieil homme qui les avait accueillis. Sans doute le calme de cet homme apparemment vénérable jouait-il beaucoup sur le regard que lui portait le jeune Shuhan. Ou alors était-ce son affinité particulière avec les personnes âgées ? Toujours est-il que Seito resta de marbre autant que possible devant les paroles qui fusèrent dès les premiers instants. Cependant, alors que la discussion évoluait, le laissant, lui et Ineko, fort heureusement à l'écart d'un groupe si propice à l'effusion, ses sourcils se froncèrent instinctivement. Lui, très droit sur sa chaise et muet, et Ineko, s'efforçant d'adopter une attitude dégagée malgré son appréhension grandissant, sans doute ; tous les deux se détachaient du groupe par leur silence.

Finalement, Ketsuen déroula les plans garnis la veille de symboles représentant les différents dispositifs à mettre en place, et un calme relatif s'installa. L'ampleur de la tâche semblait effrayer les travailleurs. Seito se doutait bien qu'il ne serait pas facile de mettre à exécution des projets comme ceux-là. Les travaux étaient colossaux, surtout ceux des plateformes marines. Nul doute qu'il faudrait des semaines, des mois peut être, pour venir à bout d'une entreprise aussi titanesque.

Seito sentit qu'il devait intervenir. Un blanc s'était installé suite à la dernière remarque du spécialiste en Fuinjutsu. Or, ce silence, au lieu d'être agréable et reposant comme l'aurait souhaité le Shuhan, était plutôt gênant.

"Je vais me permettre de répondre à vos deux questions. A la première, d'abord: non, nous n'avons pas lésiné. La défense d'un pays est une affaire à prendre au sérieux, et à ne surtout pas sous-estimer. A la lumière des dernières attaques contre l'Empire, dont Yuki no Kuni a eu à subir les frais, nous ne pouvons plus laisser nos populations sans protection adéquates.

"A la deuxième, maintenant. Oui, Kumo est une menace grandissante. Yuki no Kuni est une cible privilégiée, au même titre que Taki no Kuni, d'où mon assistante et moi-même venons, de par sa proximité avec le Pays du Fer. Je gouverne une ville qui tente de se développer dans l'ombre d'une attaque imminente. Je vois, tous les jours, les effets d'une telle présence, de l'autre côté de nos frontières, sur les gens. La peur s'installe. Nous sommes à l'aube d'une guerre, ça ne fait aucun doute. Si nous ne voulons pas être ceux qui la déclencherons, nous serons au moins ceux qui en protégeront les populations. Moi comme vous souhaitons ça, j'en suis certain.

"Et il serait imprudent de sous-estimer notre adversaire dans ce conflit à venir. Très imprudent. Le Shûkai est une grande nation, Kumo en est une autre. Leurs soldats pourront rivaliser sans mal avec les nôtres. C'est une théorie qu'il faut privilégier à son inverse car, en surestimant notre ennemi plutôt qu'en le sous-estimant, nous nous préparons à des dangers bien supérieurs à la réalité. Qui peut le plus peut le moins, dit l'adage. Alors, si nous pouvons contrer l'assaut d'un empire ligué contre nous, nous pouvons repousser les forces kumojins qui menacent nos frontières."

Il s'arrêta là. Il craignait déjà d'être paru trop cinglant, et revenir sur ses paroles aurait semblé un signe de faiblesse, ou un manque d'assurance. Ineko frissonna. De toute évidence, elle n'était pas tranquille de savoir le conflit proche. Après tout, elle deviendrait bientôt soldate du Shûkai, officiellement. Elle devrait alors mettre sa vie en jeu pour protéger les siens. En un mot, accomplir le noble devoir du guerrier.

Seito éclaira son visage d'un sourire serein, et reporta l'attention générale sur les plans.

"Ceci étant dit, nous ne terminerons pas notre tâche, aussi grande soit-elle, en théorisant sur notre sort. Il y a du travail à accomplir, accomplissons-le dans les plus brefs délais. Si tout ne peut pas être fait en même temps, qu'à cela ne tienne: déléguons, divisons, organisons. Souvenez-vous messieurs, mademoiselle: il n'y a pas de problèmes, seulement des solutions.

"Aussi, je propose celle-ci: privilégions la construction des plateformes marines. Elle seront le premier moyen de prévenir une attaque et un soutien indéniable en cas d'invasion. En somme, ce seront les premiers remparts de Yuki no Kuni. Celles de Dhartsedo doivent être finies en premier: la ville repose sur la mer, elle doit donc faire l'objet de toute notre attention sur le front océanique. Pour le reste, je pense que vous pouvez vous charger de poser les sceaux sur les montagnes seul ?"

Cette question était adressée à celui qui s'était présenté sous le nom de Kenji Hakimi. Cependant, Seito n'attendit pas même une réponse de sa part et poursuivit dans son idée:

"En ce qui concerne les brasiers servant à donner l'alerte, ils ne représentent pas une priorité majeure. Aussi, je pense que l'on peut confier leur mise en place non pas à des équipes d'ouvriers mais à des groupes de civils. C'est une main d'oeuvre efficace quand elle est bien motivée. Or, la sauvegarde de leur pays me semble être un bon motif de motivation. J'ai, personnellement, toute confiance en eux pour cette oeuvre.

"Il faut en tout cas garder en mémoire que notre coopération à tous assurera la qualité de notre travail. Mon assistante et moi ne pourrons certainement pas rester jusqu'à la fin des travaux. D'ici quelques jours, une semaine tout au plus, nous serons repartis pour le Pays des Cascades. Nous ne sommes, disons, qu'un soutien pour démarrer. Le gros du travail, c'est vous qui l'accomplirez."

Cette dernière parole fut suivie d'un silence retentissant de tout ce qu'impliquaient les mots du Shuhan.

"Des questions ?"

Seito et Ineko regardèrent les différents membres de l'assemblée s'en aller, les uns après les autres. Le discours du Shuhan avait certainement fait naître chez eux la crainte d'une attaque imminente. Non pas que Seito ait cherché à leur faire peur, mais il se réjouissait assez d'avoir réussi à créer cette émotion si propice à l'action qu'est la peur. C'était désormais pour se protéger eux-mêmes que les différents acteurs de cette entrevue allaient agir. La qualité de leur travail et leur engagement dans leur tâche n'en seraient que meilleurs. Aussi bon et enclin à l'abnégation soit-il, un être humain privilégiait toujours sa propre survie à celle du groupe. Pour le reste, il fallait réussir à stimuler cet égoïsme latent, et l'utiliser à bon escient. Là, Seito pouvait être content de lui. Il estimait avoir accompli son devoir au mieux. Maintenant, tout reposait entre les mains de ces hommes et femmes qui se démèneraient pour sauvegarder les leurs, mais surtout eux-mêmes.

L'heure n'était cependant pas au repos pour les deux Takijins, ni pour Ketsuen, d'ailleurs. Une tâche qui nécessiterait la protection de trois Shinobis attendait le poseur de sceaux, seul invité restant dans la salle. Le quatuor ferma la marche des départs. Seito et Ineko enfilèrent à nouveau leurs bottes fourrées, leurs épais manteaux et leurs bonnets, non sans une légère appréhension. Ils s'attendaient à retrouver, à l'extérieur, le même froid qu'ils avaient traversé pour venir jusqu'à la capitale. Et, à vrai dire, leurs inquiétudes étaient fondées. La journée suivant son fil, le soit était venu. Les rayons du soleil disparaissant derrière les sommets montagneux, la température extérieur était descendue plus encore, si bien que les rues étaient maintenant désertes, ou presque. Il ne neigeait plus, c'était déjà ça de pris.

D'un pas rendu pénible par l'épaisse couche de neige qui tapissait les pavés de Gyamda, les quatre missionnés quittèrent la cité perdu dans les montagnes. A l'horizon se découpaient les silhouettes, seulement, des pics jumeaux. Même la neige quasi-éternelle qui les enveloppait apparaissait sombre, privée de la lumière essentielle à son éclat. Devant les marcheurs se profilait une petite forêt, un bois, plutôt, dans lequel Seito avait déjà eu l'occasion de se perdre. Il ne retournait dans ces lieux qu'avec l'assurance de deux guides locaux. Derrière lui, suivant ses pas dans la neige, il sentait la présence de sa jeune assistante. De temps à autre il se retournait vers Ineko. Bien qu'elle semblât fatiguée, elle faisait de son mieux pour n'en rien laisser paraître. La vaillance guidait sa conduite. Seito ne pouvait que se réjouir d'avoir déniché parmi les rangs des jeunes dévoués au service militaire une pépite comme celle-ci. Pour sa seule clarté d'esprit et attitude ces derniers jours passés à Yuki no Kuni, il lui aurait confié ses trésors les plus précieux. Une confiance promise à résister à l'épreuve du temps commençait à s'instaurer entre les deux Takijins.

Bientôt, les montagnes disparurent derrière les cimes à mesure que le groupe s'enfonçait dans les bois. La lumière, elle aussi, se raréfiait, si bien que les lieux étaient maintenant empreints d'une atmosphère presque mystique. A part le bruit étouffé des pas dans la neige, les seuls bruits que pouvaient entendre les Shinobis étaient ceux de la nature qui n'étaient, à ces heures tardives où le soleil cède à la lune, que le juste témoignage de l'avènement des bêtes, des insectes, et des oiseaux. Quand la lumière s'effaçait, toutes ces créatures de l'ombre sortaient de leurs terriers et reprenaient possession de leur royaume endormi. Hululements, grognements, bruissements, aboiements lointains ... Autant de sons qui ne manquaient pas d'effrayer le voyageur imprudent. Cependant, ce n'était pas la légèreté mais bien la hardiesse qui guidait les pas de nos protagonistes. Aussi arrivèrent-ils, alors que les derniers rais de lumières disparaissaient complètement, à bon port.

Seito reconnut d'un coup d'oeil la maisonnette. Il s'en souvenait très bien pour l’avoir considérée pendant un temps comme le lieu de son miraculeux retour à la vie. C'était là que, alors qu'il s'était perdu dans le petit bois, on l'avait recueilli et soigné. Ce soir-là, il y revenait en homme changé. Et si la maison avait d'abord été pour lui un refuge, elle serait cette fois un foyer.

Après un repas somme toute assez simple, mais reconstituant, les quatre Shinobis ne tardèrent pas à s'endormir. Seito resta un moment les yeux fermés, à écouter les bruits de la nature redevenue sauvage. Cette agitation nocturne lui rappelait celle qu'il avait coutume de percevoir depuis le sanctuaire des Yôgan, dans le lointain Pays du Bois. Qu'en était-il aujourd'hui de son clan ? Il craignait de ne jamais revoir les siens, ceux qu'il avait aimés dès sa plus tendre enfance. Son vieux maître, surtout, lui manquait. Ses conseils sages et avisés étaient souvent une lumière dans la nuit de l'incertitude pour le jeune Shuhan. Face à une guerre menaçante, il aurait bien eu besoin de ces enseignements, à nouveau.

Peu avant le matin, Seito se réveilla, et sans jeter un regard à ses compères, dont il pensait qu'ils dormaient tous encore à poings fermés, il entama sa méditation matinale. Cependant, alors que ses pensées, encore engourdies par le sommeil, commençaient à se mettre en ordre, il entendit à côté de lui le bruissement d'une étoffe. Il ouvrit un oeil, et découvrit Ineko, assise en tailleur, yeux fermés. Il sourit. Décidément, cette attitude volontaire lui plaisait de plus en plus.

Ce n'est qu'une fois que tout le monde fut bien éveillé et se soit rempli l'estomac que le groupe se mit en marche, cette fois vers les montagnes. Devant l'impressionnant flanc rocheux qui se dressait devant eux, Seito se demanda quel chemin ils pourraient bien prendre pour arriver au sommet de la montagne. Il eut bien vite sa réponse. Les pas du groupe se dirigèrent vers un sentier étroit, et qu'on devinait serpentant le long de la muraille naturelle. C'était au Mont Lhotse qu'ils s'attaquaient. L'ascension promettait d'être rude.

Au moins, il ne neigeait pas ...

Seito et Ineko se penchèrent sur le poseur de sceaux alors qu'il s'affairait sur la roche. Tous deux examinaient attentivement la façon dont les mains, marqués par le travail acharné et évidemment passionné, du jeune homme s'activaient, entaillant profondément et précisément la pierre, traçant des symboles à la signification mystérieuse, si ce n'est mystique, pour ceux qui n'étaient pas initiés à l'art du Fuinjutsu. Etant donné qu'il s'agissait d'une discipline complètement inconnue à Seito, il découvrait et appréciait la seule forme des sceaux. Les motifs que composait le jeune tailleur étaient en effet d'une ligne générale admirable, tant par sa simplicité que par le pouvoir qu'il en émanait. Ineko, elle, était plus instruite que son maître sur le Fuinjutsu. Elle avait dû recevoir des leçons à ce propos, avoir, ne serait-ce que lu quelques ouvrages en abordant la surface. Elle semblait plus intriguée encore que Seito, et plusieurs fois elle questionna Kenji Hakimi sur sa technique.

Vint finalement le moment de reprendre la route. A la seule vue de la distance qui les séparait de l'autre pic, le Mont Kangchenjunga, Seito et Ineko sentirent peser sur leurs épaules le poids de la fatigue, et une soudaine morsure de froideur. Cependant, ils n'en laissèrent rien paraître, ou le moins possible, en tout cas, et reprirent leur marche infatigable, suivant de près les deux natifs du pays qui semblaient beaucoup plus à l'aise à patauger dans la neige que les deux Takijins, habitués, il est vrai, à des températures plus clémentes.

L'ascension de la seconde montagne fut plus dure encore que celle de la première. Le plateau dont Ketsuen désigna l'emplacement pour y poser les sceaux semblait s'éloigner au fur et à mesure de l'escalade de la paroi rocheuse, si bien que le découragement commençait à poindre dans le groupe. Quelques signes d'agacement transparaissaient. Seito, lui, s'efforça de rester aussi calme que possible. Dans un endroit aussi enclin au danger qu'une montagne, mieux valait ne pas céder à une émotion trop forte. C'était la clef pour s'attirer des ennuis.

Alors que le groupe arrivait à une plateforme plus large que les précédentes, Seito jeta un coup d'oeil à Ineko. Celle-ci paraissait vraiment épuisée. Le jeune Shuhan jugea qu'il ne pouvait pas laisser son assistante se tuer à la tâche sans avoir quelque scrupule. Il lui fit signe de s'arrêter, s'arrêta lui-même mais enjoignit les deux autres à continuer leur chemin.

"On vous rejoindra, donnez-nous quelques instants, seulement. C'est un peu rude comme escalade."

Il fut seul avec Ineko, perchés à quelques centaines de mètres du sol, avec l'horizon le plus grandiose comme panorama. Derrière les bois, on voyait très distinctement Gyamda, barricadée derrière ses protections. De cette distance, la cité ressemblait à une forteresse. La vue était véritablement imprenable, et les deux Takijins en auraient volontiers profité pleinement si un vent glacé ne s'était pas soudainement mis à souffler, emportant avec lui tout l'enthousiasme dont ils auraient pu faire preuve. Même s'il essayait de se contenir, Seito claquait légèrement des dents. Ineko était dans la même situation.

Vint alors une brillante idée à l'esprit de Seito, si brillante et si simple qu'il se demanda bien pourquoi il n'y avait pas pensé avant. Il concentra dans ses mains et dans son visage son chakra, et l'imprégna de cette chaleur si propre au magma qu'il lui était donné de manipuler. Presque instantanément, il se sentit mieux. Le claquement de ses dents s'interrompit. Ce soudain silence attira le regard curieux de son assistante. Seito lui sourit, maintenant parfaitement serein. Il venait de trouver une arme efficace contre le seul danger qui le menaçait. Il ouvrit ses mains en direction de la jeune fille. Celle-ci, d'abord intriguée, tendit finalement les siennes propres à son maître. Seito referma ses doigts sur ceux de son assistante. Elle aussi put bénéficier de la chaleur du chakra Yôton qui se déversait dans le corps tout entier du Yôgan.

"C'est mon chakra qui me permets de réguler ma température interne. Tout le monde ne le peut pas, mais j'ai hérité des pouvoirs de mon clan. Je peux manipuler le magma, vous le savez. Ainsi, mon chakra est très naturellement chaud, brûlant, même, s'il est poussé à l'extrême. C'est bien utile, dans certaines situations. J'avoue que jusque-là, je ne lui avais trouvé que des applications martiales."

Seito était soudainement rassuré quant aux capacités de son pouvoir. Des utilisations du Yôton autres que létales apparaissaient. Pour un homme ayant le meurtre en horreur, c'était un véritable soulagement.

Maître et assistante restèrent un moment à se réchauffer, quand un bruit, ou plutôt un bruissement, se produisit pas loin d'eux. Seito se retourna aussitôt. Dès qu'il avait été réchauffé, ses sens avaient retrouvé toute leur vigueur. Il était maintenant autant aux alertes qu'un chien à l'ouïe fine. Il n'était cependant pas question de chien ici, puisque le spécimen qu'il avait face à lui était plus proche de la panthère. Une panthère au pelage pâle, et aux yeux de glace, rivés sur le duo.

Seito examina la situation calmement. Il n'attaquerait que pour se défendre, inutile d'affoler la bête. D'instinct, il se plaça devant Ineko en bouclier humain. Un face à face bestial avait lieu entre l'homme et la bête véritable. Ce fut la panthère qui sauta la première. Seito était prêt, cependant, et aussi vif soit le bond de la créature, il parvint à la frapper à la gorge. Un glapissement fut tout le bruit que produit l'animal, qui tomba dans la neige, glissa un moment contre la roche gelée, pour finalement tomber dans le vide et s'écraser, sans doute, des centaines de mètres plus bas.

Seito eut un frisson que ne put contenir tout le chakra chaleureux de son corps. S'il répugnait au meurtre d'un humain, il en était de même pour celui d'un animal. Il aurait été bien d'esprit s'il s'était consolé en se disant qu'il s'était simplement défendu. Au lieu de ça, il pensa aux animistes, qui représentaient la moitié de la population d'Itabei, et qui n'auraient pas manqué de le condamner s'ils avaient eu vent d'un tel acte.

Ineko paraissait désolée, elle aussi, mais sans doute plus pour son maître que pour la bête.

"J'aurais pu le sentir arriver ... C'est le froid, j'étais complètement engourdie ... Pardon, pardon !

-Ne vous en faites pas, ce n'est rien. L'important est qu'on soit sain et sauf."

Seito avait dit cela d'une voix assez peu naturelle. Les deux compagnons, après cet incident, résolurent de rejoindre leurs camarades et de continuer l'ascension du mont. La chaleur du chakra de Seito ajoutée à l'adrénaline les avaient bien motivés.

En chemin, il fut convenu d'un commun accord qu'ils ne toucheraient pas un mot de ce dernier accident ni à Ketsuen ni au poseur de sceaux. Aussi, lorsqu'ils rejoignirent les deux natifs des Neiges, ils apparurent parfaitement revigorés, et nullement troublés par quoique ce soit d'autre que le bon déroulement de leur mission.

Alors qu'ils se tenaient devant la faille, Seito sentit un frisson, qui n'était en rien dû au froid, parcourir son échine. Les trois petits êtres de fourrure qui geignaient et appelaient désespérément ne pouvaient être que les petits de la panthère qui avait précédemment fait les frais de l'alarmisme de Seito. Ineko était arrivée à la même conclusion, et elle jeta un regard anxieux à son maître. Celui-ci, dans son soucis d'être le plus impénétrable possible, s'était simplement contenté de froncer légèrement les sourcils, attitude qui pouvait paraître tout à fait normale étant donné la situation périlleuse dans laquelle se trouvait présentement le groupe. Bien sûr, il restait une probabilité que ces trois bestioles ne soient pas de la descendance de la malencontreuse victime de Seito. Cependant, dans le coeur du Shuhan comme dans la réalité, sans doute, elle n'était que très faible.

Aussi, ne souhaitant pas passer son chemin sans un geste pour ces créatures qu'il prenait en pitié, Seito resta en arrière du groupe, alors qu'ils reprenaient leur marche. Il sortit de son sac les quelques lanières de viande qui lui restaient, et les déposa à l'entrée de la caverne. Il ne pensait pas véritablement sauver les orphelins avec cette maigre provision, mais au moins sa conscience. S'il ne pouvait pas les ramener avec lui à Itabei pour les élever, il pouvait au moins leur céder sa nourriture du jour.

D'un pas redevenu leste et léger, il rejoint le groupe en un rien de temps. La pose des sceaux fut effectuée, encore une fois, avec brio. Le résultat promettait d'être étonnant, en plus d'être détonnant. Il n'y avait maintenant plus qu'à espérer que les habitants de Yuki no Kuni n'auraient jamais à s'en servir. Cette arme devenait le dernier recours pour un peuple sous la menace d'une armée. La montagne serait seule garante de ce secret, en plus des quatre Shinobis. Et Seito autant que n'importe lequel de ses camarades espérait que cet écrin de roche resterait muet le plus longtemps possible ...

Une fois les mudras composés et le chakra infusé dans les gravures, le quatuor ne s'attarda pas. Il fallait être rentré, si ce n'est à Gyamda au moins dans la maison du père de Ketsuen avant la nuit. S'ils ne parvenaient pas à l'un de ces deux objectifs, ils s'exposaient au péril du froid extrême. Seito avait déjà compris qu'il ne faisait pas très bon se promener de jour loin des villes à Yuki no Kuni, il ne souhaitait pas particulièrement réitérer l'expérience de nuit. Ils marchèrent donc d'un bon pas, et parvinrent jusqu'aux portes de la capitale avant le crépuscule. Ils trouvèrent là où se loger, et c'est sur le seuil d'une auberge qui accepta de les accueillir pour la nuit qu'ils se séparèrent de Kenji Hakimi.

"Merci pour votre coopération. Faites bien attention à ces sceaux, hum ? Ils sont le garant de la sécurité de votre peuple. Et, par précaution, parlez-en à une personne de confiance qui serait capable de les activer au même titre que vous. On ne sait jamais ..."

C'est sur ces mots funestes malgré lui que Seito fit ses adieux au jeune poseur de sceaux. Quelques instants plus tard, il dormait d'un sommeil profond et sans relief, bercé par le silence d'or de la nuit.

Il se réveilla comme à son habitude avant le lever du soleil, et médita, Ineko à ses côtés. Il avait résolu de ne pas interroger son assistante sur ses progrès en méditation. Il estimait que c'était un domaine trop intime, trop personnel pour qu'on puisse s'y infiltrer impunément. Bien au contraire, il jugeait que suivre de près la progression de la jeune fille la rebuterait plus à se consacrer à l'exercice qu'autre chose. Aussi, il resta muet après la séance, même s'il était certain qu'elle parvenait à des résultats plus convaincants qu'il y a deux jours.

Une fois qu'ils eurent rejoint Ketsuen, ils reprirent la route de Dhartsedo. La traversée de la banquise se fit, comme à l'aller, sans encombre. Cette fois, seulement, ils ne furent pas gratifiés du passage de caribous, voilà tout. Ils arrivèrent à Dhartsedo un peu avant la nuit, aussi décidèrent-ils de ne pas embarquer tout de suite. Le départ était pour le lendemain matin, à la première heure. Seito et Ineko retrouvèrent leur chambres respectives dans la caserne. Seito ne fut cependant pas pris de toux, cette nuit-là. L'espacement de ses crises, loin de le rassurer, l'inquiétait assez. Il se demandait quelle ampleur aurait la suivante, et il s'imaginait ses poumons se remplir comme une baudruche pour finalement éclater au moment opportun, c'est à dire avec le plus de violence possible.

Le lever fut ponctué de méditation, comme toujours. Puis, les trois acolytes se retrouvèrent au port. Leur embarcation les attendait déjà. Ils y montèrent, d'un pas soulagé pour Ineko et Seito. Celui-ci jeta cependant un regard affectueux sur la ville, alors qu'on larguait les amarres. Qui sait, c'était peut être la dernière fois qu'il voyait Yuki no Kuni ? Il avait conscience d'être en danger quasi-permanent de par sa position de soldat, aussi n'éludait-il jamais la possibilité de sa mort prochaine.

A Taki, il y aurait autant à faire qu'à Yuki. Seito serait cependant cette fois en terrain connu, et personne n'aurait à souffrir de la météo.