Les temps sont sombres pour toute personne ne prenant pas conscience de l’importance du Temps. Car au-delà d’une unité de mesure, il est l’objet qui régie toute vie, la Chose impalpable et pourtant immuable qui s’impose à toute logique et à tout désir. Le Temps regroupe dans un même baiser la vie et la mort, et enveloppe dans ses draps les espoirs et l’âge. Le Temps est tout. Un ennemi pour celui qui s’y laisse prendre ; un allié, pour celui qui sait l’exploiter.

Dans la Salle Impériale, l’home qui a vaincu le Temps sur ses soixante-deux années de vie, de bataille et d’expérience, restait silencieux et songeur. Cette dernière année, entamée par un assaut menée par un ennemi inconnu mais déterminé, avait plongé le Shukaï dans la torpeur de l’insécurité. Pour détruire ce Mal, le Ninja avait pris des mesures drastiques, changé le paysage de son Empire. Il avait renforcé militairement ses bases, lancé de nombreuses missions pour que ce genre d’évènements n’arrive plus ; il avait opéré un rapprochement avec son allié du Vent, et décidait maintenant d’opérer dans le Nord du Yuukan, où un adversaire vieux de mille ans avait également montré les crocs.

Depuis bien avant la fondation des premiers villages Ninjas, les guerriers de l’Ombre de la Foudre et de l’Eau se livraient bataille pour des questions aussi bien territoriales qu’idéologiques. A la suite de cela, ils avaient reportés leur conflit ancestral sur des questions de villages opposés, trouvant le prétexte de la moindre mission pour se détruire. On eut pu croire que la destruction de Kiri la Sanglante par les Furyous et le délitement progressif de Kumo mettait fin à ce conflit éternel.
Mais sans raison aucune, les intérêts de la Foudre se mettaient cette fois-ci en travers d’un idéal bien plus grand : la Paix elle-même. En intervenant – de façon précipitée et aléatoire – contre le Shukaï sur le Pays de l’Eau, puis par un immonde attentat touchant avant tout les populations plutôt que les Combattants de l’Ombre, Kumo ravivait les flammes de la haine et de la brutalité. S’il fallait ainsi se livrer la guerre, l’Empire des Nations Neutres déterminé à se dévouer à la Paix ne se laisserait pas écraser par les ambitions malsaines d’autrui. Si la Guerre n’était pas encore déclarée, elle le serait très prochainement … .

Avachi dans ses pensées et dans son siège, l’Empereur sur son piédestal attendait la venue de l’Unité qu’il avait convoquée. Ses membres ayant doublés récemment suite à une campagne de recrutement bien menée, ils avaient tous hérités du fameux Sceau du Silence Mortuaire, propre aux membres de cette section spéciale qui devait garder le secret de ses découvertes en tout circonstance. L’Uesugi, masqué, avait fait son office, et les avait envoyés à leur supérieur qui les attendait pour une mission de la plus haute importance.
Des pas se firent entendre dans la Salle ; le Kamui détacha son attention de ce message qu’il lisait, et reporta ses pupilles d’un bleu glacial vers les trois individus qui venaient de se présenter à lui. Le premier, portant un masque d’Aigle, se plaça devant ses acolytes.

~ Tokugawa … . Tu as de nouveaux acolytes. Présente les moi, et – si vous en êtes dignes, je vous attribuerais votre première mission d’importance … .

A ces mots, le regard de Kakeshuou Samui se durçit, et l’aura que dégagea le vieux guerrier vint s’amuser avec les cœurs sensibles des deux nouvelles recrues². L’atmosphère se refroidit immédiatement, alors qu’un poids lourd tombait sur les épaules de l’assemblée. Les confrontant à son aura, l’Empereur tenait à savoir si ces jeunes gens avaient de la poigne, de la force et de la détermination.
Car lorsqu’on porte sur ses frêles épaules le Destin des Peuples, il est nécessaire de savoir rester droit … .

Aptitude (²):

Participants:

Dire que Kaya fut réfractaire à l'idée d'être marquée d'un sceau est un euphémisme. Si elle était du genre à agir impulsivement elle ne serait plus ici à l'heure actuelle. Mais les avantages d'une place au Sasayaki compensent peut-être ce désavantage. D'autant plus que la noiraude a pour Senseï un expert reconnu en fuinjutsu. Avec son aide il sera peut-être possible de se débarrasser de cette épée de Damoclès. Car son cervelet, la Mamoru y tient! Beaucoup! Et quitte à le sacrifier ce ne sera certainement pas pour un homme dévoré par l'ambition.

Mais elle obtempère et tend la langue comme on le lui demande. La sensation n'est pas désagréable. Mais ça ne la rend pas sympathique pour autant. La voilà marquée comme du bétail. Comme le pion sacrifiable que le Shûkai et le Sasayaki imaginent qu'elle est. Peut-être n'ont-ils pas tort finalement. Car tant qu'elle sera sous le menace de ce sceau elle n'est plus vraiment maîtresse de sa destinée. Ce dernier point l'irrite davantage encore que la perspective de se balader avec une bombe placée sur la langue...

Après cette dernière étape c'est dans la salle du trône que les deux nouveaux membres de l'unité d'espionnage - et de contre-espionnage - sont amenés. L'homme au masque d'aigle ne tarde pas à réapparaître tandis que le Kamui entre en scène. La coutume étant ce qu'elle est, Kaya s'incline donc profondément pour saluer l'arrivée de l'homme fort du Shûkai. Non par respect. Ce serait plutôt de l'instinct de survie. Ou du bon sens. Toujours est-il qu'elle se redresse ensuite et reste silencieuse tandis que les huiles s'expriment. Elle est finalement présentée au Samui comme étant la nouvelle Oda du Sasayki.

*Ho mais nous nous connaissons déjà!* s'amuse-t'elle. *Reste à savoir si le Kamui s'en souvient, lui...*

Comment aurait-il pu oublier? Elle, en tout cas, n'a pas effacé de ses souvenirs l'écrasante aura de l'homme. Du genre de celle qui vous force à vous agenouiller sans qu'on vous l'ait demandé. Combien de victoires le Samui a-t'il remportées par sa simple présence? Le fait est qu'elle n'arrive pas à lever le regard pour croiser celui de l'homme. Elle se contente donc de regarder le sol devant ses pieds, mains croisées sur son ventre. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer...

Reste qu'elle est curieuse de savoir quelle mission d'importance le Kamui peut bien leur réserver. Et elle se rend compte qu'elle a franchi une marche qui la rapproche beaucoup plus des intrigues du pouvoir en intégrant le Sasayaki. L'unité lui ouvre de nouvelles possibilités et il lui faudra un certain temps pour en mesurer tous les bénéfices. Mais il convient encore de se montrer digne de... l'honneur qui est fait aujourd'hui. Ce monde n'offre jamais d'opportunités sans exiger en retour une contrepartie. Le sang? La douleur? La mort? Quel sera le prix à payer pour cette décision?

Linéairement et sans pas de travers, l'amnésique avançait jusqu'au lieu de la convocation en compagnie de l'Oda, aux seuls sons de leurs pas et de l'écho que le couloir des mystères leur renvoyait. Pourtant et malgré le flegme se voulant maître de la situation, les recoins de sa cavité buccale s'énervaient doucement ; ses lèvres s'entrouvrant et se refermant par intermittence sous l'effet des va-et-vient d'une langue qui se collait et se détachait de son palais, comme cherchant à dégager l'immonde sensation d'avoir la bouche sèche et l'organe trop pâteux. Nul besoin de revenir sur la menace que le sceau qui venait d'y être apposé revêtait pour la prolongation de sa vie et de sa liberté, mon prédécesseur ayant déjà été assez clair et concis sur le sujet.

Cependant la réflexion fut longue, tant quant à ce sacrifice que par rapport à l'opportunité qui s'offrait à lui. Avaient-ils réellement une porte de sortie ? Ce ne serait pas à l'homme au masque d'aigle ou encore à l'empereur qu'il faudrait poser la question. Il faudrait qu'il se débrouille pour trouver la solution correspondant au problème, qu'il évolue pour surmonter cet obstacle faisant de l'ombre à tous ceux qui avaient déjà été franchis. Finalement il avait accepté, agissant une nouvelle fois comme une tête brûlée et ce, parce que quelques années plus en amont son esprit avait d'ores et déjà disjoncté. N'anmoins peut-être serait-ce un tort de croire que ses irrationalités étaient dépourvues de raison...

Même si un shinobi mettant un point d'honneur sur sa liberté n'est pas censé avoir sa place dans une cité shinobi, ni dans un empire, et encore moins dans son unité la plus contrôlée. Là où l'identité s'efface derrière un masque et la parole sous la menace, où la conscience de sa tâche et le choix de sa finalité tendent à sortir de l'ordre des possibles. Somme toute il n'était question que de frontière entre volonté et soumission. Si le caractère de sa coéquipière était encore une énigme pour le Yorurai, il est pour nous évident que la logique imposée par leur examinateur et son supérieur ne présente non pas ses failles, mais ne sera jamais assez puissante pour annihiler l'être humain. Il suffit simplement de jeter un bref coup d'œil aux intentions du trio soumis au sceau du silence mortuaire.

Un jour ils s'émanciperaient, provoquant peut-être autant de désarroi chez le Kamui que ce dernier n'en avait causé au trop plein de seigneurs féodaux. Et ce panel ne ferait exception, constituerait quelques grains de poussières parmi les cendres sur lesquelles pousserait un monde nouveau après que ces systèmes ne se soient mutuellement auto-détruits. Le sabreur s'assurait ici de voir venir la chute de plus haut, d'ici à ce qu'il ne tranche l'obstacle lui écrasant la voix afin de répandre ces gouttes d'informations aux jeunes pousses qui ne mériteraient de brûler dans l'erreur. Une responsabilité supplémentaire dont il se serait bien passé de la nécessité...

Il fit définitivement abstention de l'amertume remontant jusqu'aux narines, souffla une dernière fois par le nez, avant que les portes de l'empereur ne s'ouvrent pour littéralement déverser un air glacial sur les deux shinobis. Un frisson parcourut son échine, lui rappelant la première fois qu'il mit le pied sur les terres glacées de Yuki. Puis il s'avança, mains derrière le dos, regard rivé sur l'imposante personne qui l'accueillait. Sans le détourner, peut-être par respect ou affront, il se contenta de demeurer dans la même impassibilité. Kakeshuou était un ninja exceptionnel, c'est vrai. Un guerrier ayant résisté aux époques, aux champs de bataille et aux nombreuses pertes humaines, c'est vrai. Un cas rare, et tout autant exceptionnel ?

La différence de niveau se faisait clairement ressentir, et ce n'était pas nouveau pour le jeune shinobi. Jouait-il les fortes têtes ? Peut-être devait-il aussi se montrer prêt à faire face à des forces qui le dépassaient. Encore un chérubin, de nombreuses fois son crâne avait été écrasé au sol par une force des centaines de fois supérieure à la sienne. La connaissance de ce sentiment éculé et l'ayant usé depuis longtemps est certainement capable de transcender maintes formes d'amnésie. Et puis, une grande puissance s'abattant sur de petites entités restait encore un spectacle des plus communs... et ce ne serait sûrement pas en ce jour d'instauration que celle de l'empereur tomberait sur lui.

S'efforçant de rester lucide face aux inconnus qui s'offraient dorénavant à lui, Mikami attendait droit comme un I, silencieux, observant le flux du temps s'écouler et savoir ce que celui-ci leur réserverait pour seul intérêt.

Le Tokugawa présentait ses nouveaux éléments, et ces derniers s’habituaient avec difficulté à la pression dégagée par leur supérieur. Ce dernier, silencieux, écoutait les propos de son Chef du Renseignement, et portait son regard inquisiteur sur ceux qui devraient désormais assumer l’une des fonctions les plus difficiles au sein de l’Empire. Ces deux gaillards seraient-ils prêts à endosser de telles responsabilités ? Et le feraient-ils pour de bonnes raisons ? Sairyo Hiko, dont l’identité depeurait secrète pour eux, avait été choisi pour ses qualités en tant qu’infiltrateur et Ninja accompli. Son attachement à l’Empire semblait à conditions ; mais le Kamui préférait garder son opinion pour lui … . En revanche, ces deux-là … .

Prenant son temps, l’Empereur se redressa lentement et descendit les premières marches qui le séparaient de l’assistance. Il ne quittait toujours pas le trio de ses prunelles. Il avait conscience que cette Unité aurait un rôle bien plus important et particulier, surtout avec le début de la guerre contre le Village Caché des Nuages. Devait-elle trahir ou tomber entre des mains ennemies, l’Empire et ses populations seraient alors livrés à l’Ennemi, entrainant certainement l’un des massacres les plus importants de l’Histoire. Rappeler leur responsabilité à ces hommes semblait nécessaire.

~ Savez-vous pourquoi l’Empire a été créé ?

La voix était ténébreuse, et la question étrange. La propagande impériale avait bien assez fait son travail pour souligner les fautes commises par les Daimyos, davantage intéressés par leurs ambitions et projets personnels que par le réel désir d’un espace international évitant tout conflit avec les Grandes Nations. Tous avaient été informés, et poser cette question aux deux prétendants et au Chef de l’Unité sentait le piège à plein nez.

~ La responsabilité des Daimyo fut une évidence. En envoyant nos forces s’affronter les unes les autres, nous nous sommes affaiblis, étant alors incapables de lutter contre les véritables ennemis de l’ancienne Alliance … . Mais si ces actes égoïstes n’ont été qu’un point parmi d’autres, la plus grande trahison qu’ait connu le Shukaï fut celle du Jôhô : l’ancienne Unité d’Espionnage et de Contre-espionnage … .

Information méconnue du public, il était interdit d’en parler parmi ceux au courant de ce fait. La trahison menée par l’ancien Chef de l’Unité avait causé de lourds dommages à l’ensemble de cette super-structure, permettant à des ennemis d’infiltrer les rangs Ninjas et de faire subir de gros dégâts. Or, révéler cette faute aurait détruit la confiance que les populations accordaient aux Ninjas. Démontrer l’existence de traîtres dans le rang des protecteurs ne pourrait que créer une panique qui déstabiliserait définitivement cette harmonie de peuples et détruisait ce projet unique porté par le Shukaï.

~ Ceux qui sont envoyés derrière les lignes ennemies ont un Devoir surpassant de loin la mission du Ninja et du Protecteur. Contrairement à ceux qui se battent en première ligne, vous aurez la mission d’aller dans le dos de l’ennemi, afin de contrer ses plans, de débusquer ses points faibles, et de le prendre à revers au moment où il ne s’y attend pas. Vous faire prendre signifie la mort. Trahir signifie la mort. Mais pas seulement ; car elle entrainera automatiquement des morts parmi les civils qui comptent sur vous, et parmi vos proches. Si vous ne vous sentez pas capables d’honorer votre serment, il est encore temps d’y renoncer … .

La phrase était lourde de sens. Tout comme les explications. Par le passé, le Shukaï avait déjà subi une trahison ultime. Si celle-ci retrouvait son ancienne forme, ce ne serait pas une question d’Alliance ou d’Empire ; mais la condamnation pure et simple de plusieurs peuples qui seraient durement réprimés pour avoir osé se dresser contre les Grandes Puissances.
L’homme avait marqué un temps de pause, et était remonté sur son piédestal.

~ La première mission que je confie à cette Unité « Sasayaki » est à la fois simple et complexe. Nous avons reçu une lettre du Daimyo de Yu no Kuni. Il y dit être intrigué par nos promesses de paix et de fraternité, et souhaite nous mettre à l'épreuve. Cet homme disposait d'une garde Ninja particulière ; mais ses membres ont tous été éliminés sans qu'aucun mal ne lui soit fait. Il veut connaître le responsable. Rendez-vous sur place, identifiez l'assassin, trouvez des éléments sur ses capacités et ses intentions ... . Vous ferez tout cela sans vous faire intercepter, et reviendrez ici pour votre rapport.