Un nouvel éclair pourfend les cieux sombres, aussitôt suivi d'un grondement sourd qui se perd dans la nuit. Le vent s'est levé depuis quelques heures déjà et la pluie fouette le paysage ravagé de Hi no Kuni. Tout le monde a entendu parler du séisme qui a profondément marqué la région il y a quelques mois de cela. Mais j'imagine que seuls ceux qui ont pu poser les yeux sur les profondes cicatrices qui défigurent cette nation peuvent mesurer la puissance de cette manifestation naturelle. Ma monture s'agite et piétine le sol de ses sabots en signe de nervosité. Une caresse le long de son encolure et quelques mots doux plus tard, elle semble se rappeler qu'elle n'a rien à craindre. La mort vous préserve de beaucoup de choses...

Des bruits de course mêlés à des ricanements mauvais se rapprochent et je tourne le regard pour accueillir mes serviteurs. Le trio de petites créatures se met alors à s'exprimer en une langue aux consonances agressives. Je dois reconnaître que je ne saisis pas toutes les explications dont les démons me gratifient. Mais j'en ai compris l'essentiel. La personne que je dois rencontrer n'est plus très loin. Et une discussion des plus intéressantes se profile après un voyage aussi long que fatiguant.

Je me retourne et toise le territoire impériale de mes pupilles incandescentes. Pas la moindre trace de forces impériales. C'était prévisible mais ça reste tout de même rassurant. Je n'ai pas choisi ce lieu par hasard. Situé à la frontière entre le Shûkai et la nation du bois, il garantira à mon futur interlocuteur une panoplie d'options de repli en cas de soucis. Je crois savoir qu'il n'est pas très apprécié des autorités impériales. C'est leur problème. De mon côté j'attends de voir à qui j'ai affaire avant de me faire ma propre opinion. Ce n'est pas le risque que cet homme représente pour l'Empire qui m'intéresse mais bien les perspectives qu'il pourrait offrir au Mamoru. Est-il digne de valeur? Ou ne mérite-t'il même pas le temps que j'ai sacrifié pour venir à sa rencontre? Les réponses ne tarderont sûrement pas à affluer...

"N'avancez pas plus loin!" je lève une main gantée pour appuyer ma requête. "Sans quoi vous seriez alors en territoire impérial. Un risque qu'il vaut mieux éviter de prendre malgré les précautions que nous avons déployées..."

Cette ligne invisible qui sépare le Bois du Shûkai se doit de rester entre nous. Je doute que quelqu'un puisse nous observer d'autant plus que je puise dans mes talents en sensorialité pour m'en assurer avec le plus grand sérieux. Mais la prudence l'emportera toujours sur la complaisance. Et je suppose que mon interlocuteur le comprend aussi bien que moi. Je mets alors pieds à terre et ma monture fantomatique disparaît en une fumée sombre bien vite emportée par le vent. Je n'ai plus besoin d'elle pour l'instant.

"Notre amie commune m'a appris que vous vous trouviez à Kaze ces derniers jours? J'imagine qu'un peu de pluie doit vous faire le plus grand bien après un voyage dans le désert..." je m'autorise un sourire fugace. "Rassurez-vous, je n'ai pas organisé cette rencontre pour parler de la pluie et du beau temps."

Les politesses d'usage sonnent bien creux mais restent utiles. Il vaut mieux se montrer avenant que méprisant. Les lois qui régissent la communication entre deux inconnus existent pour une bonne raison. Toutefois je doute que mon interlocuteur se préoccupe de la forme. C'est bien le fond qui nous a menés tout deux dans cette région reculée. Le Reidan nous a permis d'entrer en contact. Nous avons des intérêts communs. Mais reste à savoir si nos intérêts personnels peuvent se rejoindre.

"Le Reidan nous apporte de merveilleuses opportunités, vous en conviendrez. Mais malgré tous les avantages que cette organisation pourrait offrir, à mes yeux elle reste un moyen et non une fin. Je suppose que votre ou vos objectifs, quels qu'ils soient, ne se rapportent pas tous à Kyoshi Rei?" je marque une pause. "Je me plais à croire que notre collaboration pourrait s'élargir bien au-delà du cadre du Reidan. Mais nous savons tout deux que pour qu'il y ait une entente - et pourquoi pas une alliance - il faut que les deux partis y trouvent un intérêt. J'ai une idée très précise de ce que vous pourriez m'apporter. Reste à savoir si la réciproque est vraie..."

Que pourrait-il bien attendre de moi? Les Mamoru ont des capacités qui dépassent largement le cadre de la simple utilité. Mais il existe évidemment des gens qui n'ont aucun intérêt à nous côtoyer. Kamejirô est-il de ceux-là? Je ne peux pas prétendre deviner ce que pense une personne sur qui j'ai posé les yeux pour la première fois il y a à peine quelques secondes. Mais quelque chose me dit que s'il a accepté de me rencontrer en ces lieux c'est qu'il y voyait un quelconque intérêt. Reste à savoir lequel...

Lorsqu’un tome se termine, une nouvelle histoire commence. J’avais écrit de nombreux chapitre pour retrouver l’Homme Masqué, que je m’étais juré de tuer de mes propres mains. Mais lors de mon arrivée à Suna, et de la rencontre avec cette fillette, j’appris que celui en qui j’avais logé toute ma haine n’était plus. Néanmoins… Je ne perdais pas espoir. En effet, j’avais désormais un nouvel objectif. J’allais désormais mettre toute mon âme dans la recherche de celui qui a tué cet homme. Et je le tuerais de mes propres mains.

Je quittais donc le village du sable, marchant aléatoirement. Je ne savais pas encore par où commencer, mais je préférais prendre du temps pour souffler un peu et recentrer mes desseins. J’arrivais donc dans un petit village, poussant la porte grinçante d’une auberge miteuse. Une vieille dame m’observa avec insistance. Je me jetai sur une chaise en bois, tout en posant mon avant-bras sur la table. Elle ne m’approchait pas. L’atmosphère était très étrange… Un bruit sourd m’obligea à me retourner pour voir ce qu’il se passait. Mais rien… Mon regard vint alors se poser sur la vieille dame aux longs cheveux blancs. Elle n’était plus là. Je me relevai brusquement, la chaise chuta en arrière. Etais-je victime d’une attaque ?

Un rire. Non… Deux rires… Je fronçais les sourcils tandis que je saisis la chaise au sol pour l’envoyer dans la direction où j’entendais ces bruits. Le meuble explosa contre le mur mais j’entendais toujours ces ricanements. Je décidai de quitter les lieux. Je poussais la porte, et je n’étais plus dans ce village dans lequel j’avais décidé de m’arrêter… J’étais désormais à la limite d’une forêt. Un homme devant moi. Je regardais derrière cet homme, il s’agissait de… Mes yeux s’écarquillaient… Le Shûkai…

Puis je me sentis comme tomber du ciel. Je me relevai brusquement. La vieille dame était à mes côtés, je venais de sombrer dans une profonde inconscience… C’est en tout cas ce que je pensais jusqu’à ce que j’entende une voix dans ma tête m’informant de le rejoindre à cet endroit… Mais merde ! Je repoussai cette vieille dame laissant son corps cogner une des parois de l’auberge tandis que je défonçai la porte avec mon pied pour courir en direction de cet homme…



De nombreuses heures s’écoulèrent. Mais j’arrivais enfin là où on me demandait. Essoufflé et en sueur, un ordre fut donné pour que je m’arrête. Un pas de plus, et je me retrouvais sur le territoire du Shûkai… En territoire ennemi… Je fronçais les sourcils, j’étais curieux de savoir de qui il s’agissait… Des précautions avaient été prises donc… Effectivement, je me retournais, observais les environs… Si je devais fuir, beaucoup de possibilités s’offraient à moi. Qui était cet homme ? Comment pouvait-il en savoir autant sur moi ? Mon passé et ma réputation me précédait donc encore de nos jours ? Beaucoup de belles paroles, de questions, de politesse. Ma réaction fut brève et radicale. Je râclais ma gorge avec insistance avant de cracher ce qui en sortait sur le sol juste à mes côtés. Mon regard ne quittait pas mon interlocuteur qui arrivait désormais dans le vif du sujet.

Le Reidan donc… Il faisait aussi parti de cette organisation… Je comprenais un peu mieux. Mais pourquoi faire cela à l’abri des regards indiscrets ? Pourquoi ne pas attendre que l’on se réunisse tous ? Tout était si bizarre ! Quoi qu’il en soit, il voulait une entente mutuelle. Il avait des exigences, mais pour qu’il puisse arriver à ses fins, il avait de toute évidence besoin de moi… Et il savait que pour que j’accepte ses exigences, il devait accepter mes conditions… A l’entendre, j’étais en position de force… Toutefois, après l’avoir écouté, je décidai de prendre la parole…

« Ce que chacun pense du Reidan ne m’intéresse pas. Je pense que nous sommes tous dans cette organisation pour nos propres intérêts. Et si nos intérêts peuvent servir l’organisation, alors nous ne pouvions pas trouver mieux. »

Je marquais une courte pause. Serait-ce donc lui, Mamoru Kaya ? Un nom que j’avais pu entendre lors d’une précédente conversation… Ses pouvoirs ne me plaisent pas… Manipuler l’âme des morts… Hmm… Tiens donc…

« De toute évidence, et pour je ne sais quelles raisons… Tu as besoin de moi. Et tu dois certainement mieux me connaître que ce que tu laisses croire. Tu sais pertinemment que je n’accepterais rien sans contrepartie. Et tu sais aussi que je suis prêt à me salir les mains s’il le faut… » Un sourire arborait désormais mon visage. « Tu as toqué à la bonne porte. »

L’envie de faire un pas pour me rapprocher de lui était forte. Je voulais briser la glace en pénétrant son espace vital et imposer encore plus ma présence. Mais j’étais coincé… Je pouvais que reculer… Un petit rayon de soleil vint frapper mon bras métallique laissant une petite aura lumineuse sur un habit de ce Mamoru.

« Je te fais un petit topo rapidement. Mon objectif n’est plus Kyoshi Rei. Je cherche désormais celui qui l’a tué. C’est son assassin que je recherche, et il subira ce que je réservais à Rei ! J’en fais le serment… » Je m’arrêtai tout en fixant à nouveau le regard de mon interlocuteur. « A moins que tu ais la possibilité de faire revenir de l’au-delà celui que je compte tuer de mes propres mains ? »

Il semblerait que ces deux personnes soient faites pour se rencontrer. Kaya écoute attentivement les propos de son interlocuteur en observant un silence des plus religieux. Seul le bruit des éclairs pourfendant le ciel et de la pluie frappant avec fureur le sol viennent le ponctuer. Kamejirô va droit au but. Et la noiraude apprécie ce trait de caractère. Il permet bien souvent un gain de temps appréciable, les vaines paroles et les faux-semblants étant mis de côté. Les choses semblent plutôt bien engagées. Et si les révélations de l'homme sont de nature à surprendre la noiraude, elles annoncent néanmoins une possible entente. Que demander de mieux?

"Je vois..."

Oui, elle comprend. Elle comprend que ce sont les intérêts personnels qui animent cet homme et qu'il a rejoint le Reidan pour son bénéfice personnel. Kaya est loin d'être rebutée par cette précision. Au contraire, elles font tout l'intérêt de Kamejirô. Tout comme le fait qu'il désire - ou désirait - s'en prendre à Kyoshi Rei en personne. Il ne manque pas d'ambitions. Ce qui leur fait à nouveau un point commun. C'est sans doute pour cette raison qu'un mince sourire énigmatique se dessine sur le visage délicat de la jeune femme.

"Si je pouvais faire revenir Kyoshi Rei en ce monde je l'aurais déjà fait, sois-en assuré." précise-t-elle finalement. "En théorie n'importe quel esprit peut être asservi par les Mamoru. Mais en pratique... Disons que les esprits gardent une part de la puissance qu'ils possédaient lorsqu'ils foulaient encore ce monde avec leurs enveloppes charnelles. Autrement dit l'invocateur doit être plus puissant que l'esprit invoqué. Autrement dit, même si je le souhaitais, je ne pourrais pas faire revenir Rei. Du moins pas en l'état actuel des choses..."

Ce qui explique entre autre pourquoi elle n'est rien de plus qu'un rouage - certes essentiel - du Reidan. Sans l'Akuzu et les autres, elle ne pourra pas mener à bien ce projet. C'est une évidence qu'elle a accepté dès son entrée au sein de l'organisation. Ses membres ont besoin les uns des autres. Il faut composer avec cette réalité. Cet aveux pourrait très bien être interpréter comme un signe de faiblesse voir d'inutilité par Kamejirô. Mais le fait qu'elle soit bloquée dans ce domaine ne signifie pas pour autant qu'elle n'est pas en mesure d'apporter son aide à cet homme...

"Néanmoins je crois pouvoir t'être utile. Je peux communiquer avec les esprits et obtenir des informations qui pourraient t'aider à retrouver cet assassin. Pour peu que tu me donnes le nom de personnes ayant été en contact avec lui et n'étant plus de ce monde, je pourrai leur faire cracher le morceau. Je ne te garantis pas que ça suffira à mettre la main sur ta cible. Mais ça te fera progresser, c'est évident!"

Autant être honnête et ne pas lui faire miroiter quelque chose qu'elle n'est pas en mesure de lui donner. Si collaboration il doit y avoir, autant qu'elle soit basée sur la confiance. Même si la confiance, évidemment, reste un luxe qui ne s'accorde pas à la légère. Il y aura toujours de la méfiance entre des partenaires qui flirtsent dangereusement avec les facettes les plus sombres de l'humanité. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il ne peut pas y avoir de respect. Tant que ce dernier est présent, envisager un avenir commun ne relève pas de l'utopie...

"Je suis également prête à t'accorder toute autre aide dont tu pourrais avoir besoin pour tes objectifs personnels. Je t'en donne ma parole! Néanmoins - et tu l'as souligné - il s'agit d'offrir une contrepartie. Et j'aimerais en retour t'exposer mes attentes." dit-elle en remettant une glissant une mèche rebelle derrière son oreille. "Le Reidan est un moyen et non une fin à mes yeux. Un moyen qui me permettra à terme de prendre la tête de mon clan. Seulement il y a un obstacle de taille sur mon chemin: le Conseil qui dirige actuellement les Mamoru..."

La noiraude marque une pause et sonde à nouveau les environs pour s'assurer que personne n'écoute la teneur de leur conversation. Elle ne perçoit rien de plus que le hurlement de vent et les démons qu'elle a disséminés aux alentours semblent calmes. Il semblerait qu'il n'y ait pas à s'inquiéter de ce côté-là. Kaya reporte donc son attention sur son interlocuteur, désireuse de lui exposer clairement ses attentes.

"Cet obstacle ne pourra pas être contourné. Il convient donc de le détruire. Seulement je suis bien consciente que je n'ai pas les moyens de mes ambitions si je dois me dresser seule face à eux. Dès lors j'aurai besoin d'alliés pour y parvenir. À ce stade tu as saisi où je veux en venir n'est-ce pas?" glisse-t-elle avec un léger sourire. "Oui, j'aimerais que tu m'appuies lorsque je massacrerai la bande de vieillards à la tête de mon clan. Et que tu m'aides à asseoir mon autorité sur ce derniers. Il y aura des réfractaires, c'est évident. Des réfractaires qui représenteront une menace et dont il faudra se débarrasser..."

L'avenir des Mamoru passe par un renouveau. Il y a trop longtemps que les anciens conservateurs du clan bloquent ce dernier dans l'immobilisme. Il convient de faire ce qui est nécessaire pour le bien du plus grand nombre. Et en l'occurrence le seul moyen d'y parvenir est d'atteindre les plus hautes fonctions du clan. Il n'y aura plus de Conseil. Seulement une dirigeante incontestée et possédant un pouvoir absolu sur le clan. Et, évidemment, Kaya se voit naturellement endosser ce rôle...

"Je t'apporterai mon aide jusqu'à ce que le temps soit venu de passer à l'action contre le Conseil. Une fois que je serai à sa tête, tu pourras alors compter sur le soutien du clan Mamoru. De tout le clan Mamoru..." conclue-t-elle d'une voix douce. "Est-ce que ces termes te conviendraient?"

Reste à voir ce qu'il en pense...

Cette conversation menait à quelque chose de fort intéressant… Si j’acceptais d’amener Kaya au sommet de son clan, celui-ci serait aussi à mon service si j’en avais le besoin. Pour ce faire, il suffisait simplement de détruire l’obstacle qui la bloquait dans son élan – à savoir, un Conseil qui dirige l’ensemble de la fratrie. En plus de pouvoir me servir du clan, elle pouvait aussi m’aider à retrouver l’assassin de Rei. Mais je manquais encore cruellement d’information pour pouvoir lui donner les informations dont elle avait besoin pour parvenir à cette fin.

Cette proposition était forte alléchante… Néanmoins, en quoi pouvais-je m’assurer que le clan serait effectivement disposé à m’aider dans une quelconque quête ? Cet échange de bon procédé était-il qu’une vaine tentative pour me poignarder dans le dos ? J’avais appris à faire confiance, mais cette leçon s’était souvent mal passée… Toutefois, je pensais désormais à Hayashi Daiki. Un ancien partenaire avec lequel je m’étais battu durant une attaque surprise… Notre chemin s’était malheureusement séparé et les nouvelles le concernant m’avaient tout de même touché… Serait-elle le légitime successeur de celui qui m’avait tant apprit ?

« Tu comprendras qu’il est difficile de faire confiance par les temps qui courent… » Dis-je afin de préciser qu’il était difficile d’accepter sa proposition sans une réflexion. « Tu ne peux pas me prouver qu’une fois sur le trône, je ne sois plus qu’un lointain souvenir… Une relique du passé qui t’aura simplement aidé à aller là où tu ne pouvais aller seule… » Je me devais de rappeler que seule, elle ne pouvait y parvenir… « Cela dit, j’ai forcément besoin d’aide – moi aussi – pour retrouver celui qui a tué Rei. » Un soupire avant de reprendre. « J’accepte ta proposition. » Finis-je par accepter lorsqu’un éclair vint nous sortir de l’ombre l’espace d’un instant.

Dès cet instant, je me retrouvais lancé dans une seconde quête. Je devais aider Kaya à détruire le Conseil qui dirige son clan, tandis qu’elle m’aidera à retrouver l’assassin de l’Homme Masqué. Et – certainement par la suite – je servirais volontairement sa cause tandis que le clan sera aussi à mon service si j’en ai le besoin… Un pari risqué, mais je me devais de prendre ce risque pour le bien de mon objectif. Ce n’est jamais amusant de s’amuser avec ce genre de détail, mais parfois, nous n’avions pas le choix.

« Par contre, Kaya… Je suis obligé de te prévenir… » Mon regard vint fixer les pupilles de mon interlocutrice. « Je suis pas le genre de personne à tourner le dos. Inutile de tenter de me trahir d’une quelconque manière… » L’atmosphère devint légèrement plus sombre. « Je n’hésiterais pas à te tuer si tu tentes quoi que ce soit… A partir de maintenant, nous agirons dans un but commun. Alors autant que cela soit basé sur la confiance pour éviter qu’il y ait un mort de plus sur cette maudite planète ! »

Le sang coulait déjà à flot un peu partout dans ce monde. Il serait malheureux que l’un de nos sangs aussi précieux salisse le sol. Dès lors, je pense que nous n’avions que peu de chose à nous dire. Chacun avait accepté la contrepartie de l’autre, et notre alliance était maintenant scellée. Elle m’aidera dans mon objectif, je l’aiderais dans le sien. Et une fois que nos desseins respectifs ont été réalisés, nous continuerons d’agir ensemble. Nous continuerons de nous entraider.

« Vois-tu Kaya… Durant mon voyage à la quête de Rei, j’ai fait beaucoup de connaissance… Lorsque tu seras sur le trône, je ferais en sorte que chacune d’elle puisse te prêter main forte en cas de besoin… » Dis-je sans rentrer dans les détails… « Mais nous verrons cela plus tard. Nous avons encore beaucoup à faire avant que cela n’arrive… Mais je te garantis une chose, Kaya… » Un léger suspens flottait dans les airs avant qu’il ne soit rompu par la nouvelle. « Quoi qu’il arrive, je t’aiderais à grimper au sommet de la hiérarchie ! »

Quelque part… L’aider à devenir la cheffe de clan… Pourrait m’aider à devenir plus fort et retrouver ma force d’antan… Saleté de bras…

Le soucis principal lorsque deux inconnus se rencontrent, c'est la confiance. Elle doit être gagnée, tout comme le respect. Avec le temps ou par des actes. Croire en quelqu'un c'est prendre le risque qu'il vous trahisse. Kamejirô semble parfaitement conscient de cet état de fait. Tout comme l'est Kaya. Il n'est pas encore question de confiance entre les deux interlocuteurs. Uniquement d'intérêts. Et d'ambition. Et il n'en faut guère plus pour donner vie à ce partenariat...

Toutefois les interrogations de l'homme sont pertinentes. Elle ne peut en effet pas lui prouver qu'elle lui tournera le dos lorsqu'elle n'aura plus besoin de lui. Ou qu'elle ne cherchera pas à faire disparaître les preuves de son accession au trône Mamoru. C'est bien le hic. Kaya est confinées aux promesses mais n'a rien à offrir dans l'immédiat. Si les rôles étaient inversés la noiraude hésiterait longuement avant d'accorder son aide à une personne qu'elle vient de rencontrer. Pourtant il est semble-t'il décidé à prendre le risque. Ce qui arrache un sourire de satisfaction à la jeune ambitieuse.

"J'en suis ravie!" glisse-t'elle avec sincérité. "Sois assuré que tu ne regretteras pas ta décision. Et que je saurai te prouver ma gratitude lorsque le moment sera venu...

La Mamoru n'a pas pour habitude d'aider ceux qui l'ont aidée. Pour peu que Kamejirô tienne ses engagements, elle fera de même. Cet accord tacite lui semblait aller de soi. Mais la méfiance reste présente et son interlocuteur juge bon de mettre les choses au clair. Kaya ne s'en offusque pas, au contraire. Elle aime lorsque les choses sont claires. Et force est de constater que l'homme et elle ont un avis semblable sur la trahison et la manière la plus indiquée pour y répondre.

"C'est précisément parce que tu n'es pas le genre de personne à qui l'on tourne le dos que je t'ai proposé cet accord. C'est un guerrier que je suis venu chercher. Pas un homme guidé par la morale ou soumis au conformisme..." répond-t'elle avec le plus grand sérieux. "Mais j'ai entendu ton avertissement."

Inutile de lui préciser que la réciproque est vrai. Il semble évident qu'une personne confiant son désir de trahir les dirigeants de son clan à une autre personne est prête à tout. Y compris à s'assurer que le secret reste bien gardé. C'est une nécessité absolue. Si Kamejirô lui donne ne serait-ce qu'une raison de douter de lui, elle réglera le problème définitivement. Un risque calculé est acceptable. Voir nécessaire. Mais son projet est trop important pour qu'elle fasse preuve de laxisme ou de complaisance.

Kamejirô, quant à lui, apporte un petit bonus à leur accord: le soutien de ses autres alliés. Un cadeau... empoisonné? Kaya apprécie son enthousiasme mais l'idée d'intégrer de parfaits inconnus à leur partenariat ne la ravit pas particulièrement. Plus il y aura de variables inconnues et plus son plan est susceptible d'échouer. Mais il se pourrait qu'elle ait tout de même besoin des contacts de son interlocuteur. Elle ne peut décemment pas cracher sur un peu d'aide supplémentaire alors que la situation est si critique. Même si la Mamoru fait de son mieux pour réunir des partisans, la victoire est loin d'être acquise. Elle finit donc par approuver. Non sans une certaine retenue.

"J'imaginais bien que tu étais un homme de ressource. Mais j'ignorais à quel point..." concède-t'elle, conciliante. "Mais avant d'accepter l'aide de tes contacts j'aimerais les rencontrer si tu n'y vois pas d'inconvénients. Les amis de mes amis ne sont pas forcément mes... amis. Tu sais ce que c'est: on est jamais trop prudent!"

Ou trop méfiant... Pourtant Kamejirô semble sincère lorsqu'il dit qu'il l'aider à atteindre les sommets. Est-il de ceux qui donnent leurs paroles définitivement et qui ne renient aucune promesse? Kaya n'a pas la prétention de pouvoir deviner ce que pensent les gens. L'observation est un outil précieux mais pas tout puissant. Mais son instinct s'est souvent révélé fiable jusque-là. Et d'une certaine manière elle a envie de croire que cette rencontre n'est que les prémices d'une collaboration qui durera dans le temps. Et qui apportera son lot d'avantages à l'un comme à l'autre.

"Je te ferai savoir lorsque le moment sera venu!" conclut-elle en s'inclinant légèrement. "Maintenant parles-moi un peu de l'assassin de Kyoshi Rei si tu le veux bien. J'ai besoin d'en apprendre plus à son sujet pour mettre mes talents en oeuvre. Même le plus discret des tueurs ne peut échapper à la vigilance des esprits des défunts. S'il est en vie, nous le trouverons!

Ce n'est pas une question de si mais bien de quand. Les morts sont une source pratiquement inépuisable d'informations. Les âmes de toutes les générations passées sont confinées dans l'Autre Monde et attendent le bon vouloir des Mamoru...