Il n’avait même pas eu le temps de soigner ses propres blessures, mais il était loin d’être le Kumojin le plus blessé de tous ceux qu’il avait pu voir rentrer à Kumo. Pourtant, il n’avait strictement rien à faire de sa situation personnelle. Que ce soit parce qu’il se sentait responsable des siens ou parce qu’il était surnommé le Colosse et que ce n’était pas dû à rien, Aomine était plus que jamais soucieux de l’avenir de chaque Kumojin. S’il avait pensé aimer Kumo comme jamais avec l’avènement d’Hôritsu en tant que Rokudaime, il venait de se rendre compte qu’il s’était totalement trompé. Dommage que c’eut été dans de telles circonstances…

On l’avait reconnu à l’entrée du palais. Quoi de plus normal : il était le Bras droit et également une figure importante du clan Bakushô – encore plus depuis la défection de l’ancien chef Yoh – et surtout, on l’avait convoqué. Le Colosse avait songé à refuser l’entretien ou plutôt à le repousser, mais pourquoi faire ? Se plonger dans une indécision telle sur la direction du village et tenter d’apporter des solutions sans être persuadé qu’il en aurait les moyens ? Non, il voulait se débarrasser de ça. Quelles que soient les choses que le Daimyô ou son conseiller aurait à lui dire, plus vite cela aurait été fait, plus vite il pourrait travailler librement.

Il ne marqua aucune pause entre son entrée dans le palais et son arrivée dans l’immense pièce que l’on pouvait considérer comme le « bureau » du Daimyô. Les deux gardes lui avaient ouvert le passage dès qu’il s’était fait apercevoir. Quant au reste, la grandeur du palais et la qualité de ses matériaux contrastait forcément avec l’horreur de ce qui s’était passé à Suna.

Lorsqu’il entra, le regard vif du ninja s’intéressa aux deux côtés de l’assemblée. Divers conseillers étaient là, dont Monjara Otenba – qui sortait forcément du lot suite à son titre momentané de Régente – et c’était tout. Finalement, il put rapidement reporter son regard sur la seule personne dont la présence ne le surprenait guère.

« M'ssieurs, m'dames et… »

Le Daimyô lui-même.

« Seigneur Yoshihiro. »

Il avait mis un genou au sol pour se montrer en respect. Il n’était pas un adorateur de ce genre de procédures mais les côtés négatifs de l’Ordre et de la Nation avaient semé dans son esprit un doute aussi réel que fatiguant. Et même Aomine, mentalement épuisé, ne pouvait trouver la force de créer des problèmes. Pas pour une simple salutation.

Mais il se releva vite. Et sa fatigue ne lui empêcha pas de se demander la raison de sa présence ici. S’il ne put apporter une réelle réponse à cette question, il se doute que l’intitulé était incorrect : il ne pouvait y avoir qu’une raison. Quant à trouver laquelle était la plus importante : le Colosse était prêt à parier qu’ils attendaient un rapport de ce qui s’était passé à Suna…

« Avant toute chose, j’aimerais vous faire savoir que je suis directement venu ici une fois que l’on m’a informé de votre convocation. Je ne peux donc vous rendre compte que de ce qu’il s’est passé à Suna, pour l’instant. »

Aomine soupira d’ailleurs en pensant qu’il venait peut-être de signer pour un deuxième entretien avec la seigneurie. Sa fatigue venait encore de s’alourdir.

Ils étaient quatre. Quatre à discuter depuis un peu plus d’une heure sur le choix à effectuer. La vie a cela d’intéressant que chacun de nos choix nous mène vers la plus grande des inconnues : l’avenir. Un avenir aux contours incertains presque autant que le choix que chaque participant, membre de ce petit comité s’apprêtait à réaliser. Mais cette absence de visibilité sur ce que serait demain ne devait nullement être un facteur bloquant par rapport au choix qui devait être fait. Le moteur de la vie est l’amour et avec lui, la foi. Malgré que beaucoup vivaient dans le passé, la crainte, la stagnation, lui, en tant que Daimyo se devait de croire encore une fois. Il se devait de croire en l'homme ne serait-ce que pour ceux qui jusqu'ici gardaient la foi; la ferme croyance que Kumo et Kaminari se développeraient et qu'ils offriraient de perspectives de paix, de bonheur et de réalisation pour tout un chacun. Voilà pourquoi, lui, ne devait nullement douter qu'il s'apprêtait à faire un bon choix. Ce serait peut-être la huitième fois qu'il devrait se plier à cet exercice. La huitième fois en si peu de temps.

L’homme se remémora cette première fois. Ce moment où il eut en face de lui, l’homme qui avait contribué fortement à apporter la paix sur les terres de la Foudre. Il était accompagné des Chefs militaires qui avaient cru en lui, et tous étaient venus le voir, lui, le Chef des deux branches. Car si la force seule peut venir à bout de bien des choses, il lui faut nécessairement être accompagnée, guidée par d’autres considérations, d’autres ordres, d’autres pouvoirs différents et à bien des égards complémentaires. Et ce fut à deux, essentiellement, que ce soir-là, les deux hommes scellèrent la destinée de la Foudre en liant le nouveau pouvoir militaire à celui économique, social et religieux. Cela remonte déjà à plus de 14 ans maintenant…

Yoshihiro Tetsugaku ferma le document qu’il tenait devant lui. Un homme s’approcha. Il le lui remit ; ce document ainsi que les deux autres qui étaient posés à côté. L’homme prit le tout et se retira après une inclinaison respectueuse envers le Daimyo. Celui-ci jeta un œil vers la seule femme membre de ce comité restreint. Celle-ci semblait prête. Très bien. Alors que le Daimyo allait demander que l'on fasse entrer celui qui était attendu, la salle s’ouvrit et le cinquième élément, devant participer à ce comité, fit son entrée. Quoique n’ayant pas observé l’habituelle temps d’attente avant de se voir proposer d’entrer en ce lieu, le nouvel arrivé prit le soin de s’incliner en guise de salutations. Le Yoshihiro le salua à son tour d’une inclinaison de la tête, sans un mot, leurs deux regards se croisèrent. Bras posés sur la table, les mains cachées dans son large habit, le Daimyo pu se faire une idée plus précise du personnage qu’il avait en face de lui. L’un des documents portait son nom et comprenait bon nombre d’informations sur sa personne. Une compilation des rapports du Satoru et d’un des Conseillers du Daimyo chargé de mener les enquêtes de moralité. Les défauts du nouveau venu étaient visibles et gros comme le poing. Il venait à nouveau d’en faire étalage en entrant dans cette pièce sans avoir été formellement invité et en rechignant d’entrée de jeu à livrer une information orale qui au fond ne lui coûtait rien. Le Daimyo eut un éphémère sourire, si bref qu’il parut inexistant. Les hommes pouvaient avoir le style qu’ils voulaient, le caractère qu’ils voulaient, l’important n’était pas là de toutes façons. L’important est dans les actes posés et les fruits qui en germent.

Le Daimyo proposa au Bakusho de prendre place d’un signe de la main droite. Celle-ci laissa découvrir une bague ornée d’une pierre précieuse de petite taille. Puis la main vint se loger dans la manche dans laquelle elle était cachée à l’arrivée du Bakusho. D’un signe de tête envers la Régente, Monjara Otenba, la réunion pouvait commencer.

« C’est une plaisanterie ? »

A peine s’était-il assis qu’il avait déjà songé à se relever avec violence, sans néanmoins le faire au final. Il parvenait à se contenir, mais il était déjà dans un sentiment de regret de s’être rendu ici. Monjara Otenba – ancienne Régente ou non – avait posé des questions qui fâchaient. S’en était-elle seulement rendue compte ? Que c’eut été le cas ou pas, il ne pouvait se taire. Non, pas lui.

« Le Rokudaime est mort, et vous en êtes déjà à me poser la question de savoir si ses choix étaient corrects ? »

S’il n’avait tout d’abord pas pu empêcher ses poings de se serrer, il ravisa ce fait ensuite petit à petit. Il avait conscience qu’aussi bien la jeune femme que les conseillers et le Daimyô ne faisaient que leur devoir. Mais il y avait la forme et le fond. Et surtout, son maître venait de mourir, et il se refusait à penser qu’on puisse remettre en doute ce qu’il avait fait. Que ce soit sur Hôritsu ou sur ses prédécesseurs, Aomine n’avait pas le moindre courage de critiquer quelque-chose auprès des Raïkages.

Il soupira. Sa main gauche vient caresser l’arrière de son crane tandis qu’accoudé sur la grande table, il reprenait le fil de sa pensée. Ils voulaient savoir comment se portait Kumo, il allait leur répondre. Et surtout, il allait leur apprendre.

« C’est moi qui ai découvert son corps, et ce sont des Konohajins et des Sunajins qui l’ont tué. Je ne peux rien affirmer ni infirmer tant que je ne serai pas retourné à Kumo, et vous aurez votre rapport dans trois jours… Mais à la lumière de tout ce que l’on sait déjà, vous avez déjà la réponse à votre question sur la situation du village. »

Le Bakushô avait arrêté de se gratter la tête. Il réajusta sa place sur son siège, et s’y adossa de sorte à être dans une position confortable. De ses deux mètres debout, il restait imposant même assis. Et si son temps était brusque, il tâcha de ne pas trop manquer de respect à ses prochains. Mais il restait quelqu’un de sanguin et de direct.

« Est-ce que le Rokudaime a eu raison de faire profil bas par rapport aux autres puissances ? Vu que les shinobis qui l’ont assassiné en font partie, oui. Et j’irai même plus loin, Kumo ne peut plus être lié ni à Konoha, ni à Suna ni au Shozaichi. »

Il repensa au Satoru. Forcément, il s’agissait de l’unité d’élite du village dans laquelle il avait fait partie à plusieurs reprises. Et là encore, la justification était toute trouvée.

« Est-ce que le Satoru devait être vidé ? En voyant le mouvement contestataire de la Nation et surtout en voyant que nous ne pouvons définitivement plus compter sur nos anciens alliés ou homologues, oui. Le Satoru est un poison si les membres qui en font partie n’ont pas une confiance mutuelle avec celui qui dirige le village. »

Ses genoux jouaient à l’ascenseur alors qu’il continuait de parler. Mais difficile de dire qu’il s’était calmé. Non au contraire, sa fatigue et son agacement étaient clairement perceptibles. Mais il tentait de se contenir, sans forcément y parvenir.

« C’est votre rôle de trouver son successeur, mais comptez pas sur moi pour vous conseiller ou cracher sur quiconque. Kumo n’a souffert que lorsqu’il aidait ou se mêlait des affaires d’autrui. Et si le mouvement de la Nation a commis un attentat, l’Ordre shinobi auquel nous appartenons encore ne fait pas mieux. Sérieusement, j’en ai marre de voir les miens se faire marcher dessus – que dis-je – se faire tuer parce qu’on se mêlait aux autres villages et grands pays. Si chacun pouvait rester à sa place… »

Rester à sa place, oui. Bizarrement, il se demanda s’il l’était à sa place. Car pour Aomine, il n’avait toujours pas pensé un seul instant qu’il pouvait être un candidat potentiel ou plutôt sérieux. Mais peut-être en avait-il trop dit. Peut-être que lui aussi devait rester à sa place. Mais quelle serait-elle, maintenant ?

Une bonne cigarette, voilà ce dont il aurait eu envie il y a quelques années s’il avait été à cette même tablée. Mais aujourd’hui, il ne pouvait pas. Il avait appris de nouvelles formes de respect et forcément l’apprentissage qu’il avait reçu de certains moines de Maskine avaient réduit son tabagisme à néant. Dommage d’ailleurs, parce qu’il considérait toujours le tabac comme un bon moyen de laisser échapper ses humeurs.

Il se contenta donc simplement de gratter un peu son genou tandis qu’il reprenait la parole sans trop de zèle. Mais il était toujours loin de paraître un interlocuteur calme et totalement discipliné. C’était son personnage, après tout.

« C’était une belle époque ouais, sauf qu’après Konoha a donné naissance à une organisation criminelle qui nous a frappé. Sauf que le Rokudaime a été tué par deux d’entre eux… Si vous voulez vous entendre avec des pays qui abritent ce genre de shinobis, à vous de voir, ça sera jamais mon cas ! Quitte à s’ouvrir à nouveau à l’international comme vous dites, autant nous occuper de nos actuels alliés comme Tetsu no Kuni ou chercher à mettre un terme au conflit qu’il y a à Shimo no Kuni ! »

Sérieusement, Aomine ne pouvait être dans un autre état que celui de dégoût total envers Konoha et y compris les autres villages cachés. Etre alliés avec eux ? Hors de question, encore plus à l’heure actuelle. Les alliances amenaient les trahisons lorsqu’elles étaient faites chez les plus puissants. Quitte à agir en dehors des terres, le Bakushô préférait largement poursuivre la volonté d’Hôritsu, à savoir s’occuper des alliés comme les Samouraïs, et éventuellement chercher à apaiser les conflits chez les pays limitrophes. Et dans le cas de Kaminari no Kuni, il n’y avait pas trop de difficulté à trouver de quelle nation frontalière s’occuper.

Mais même pour ça, se dire qu’on allait s’occuper de Shimo no Kuni par exemple ne semblait pas devoir être à l’ordre du jour. Le monde était en deuil, encore plus Kumo. Une transition allait devoir être faite avec un nouveau Raïkage et le village allait soigner ses blessés et se restructurer un minimum autour de ce septième dirigeant. L’international, comme les conseillers l’appelaient, devait attendre.

« Des menaces qui proviennent de l’extérieur comme de l’intérieur hein ? Avec ce putain de… veuillez m’excuser. Avec ce satané conflit entre l’Ordre et la Nation, c’est surtout de l’intérieur que le village aura à s’inquiéter. Mais il me semble qu’il sera simple d’éviter la moindre rébellion au sein du village. Je conseillera mon idée à votre nouveau dirigeant quand vous l’aurez choisi. »

La question de Yoh était restée en suspens. Aomine rattrapa rapidement les choses. Ses doigts épais tapotaient sur la table.

« Quant à mon clan, le fait que Yoh ait participé à l’attaque de Suna devrait encore plus le discréditer. Mais là encore, je pense pouvoir m’occuper d’apaiser toutes les tensions avant même qu’elles ne s’expriment… »

Accomplir son devoir quoiqu’il arrive, donner son maximum même dans un état de fatigue, apporter d’ores et déjà son soutien au prochain Raïkage et lui souffler ses idées… Aomine ne se considérait toujours pas comme un candidat potentiel.

Le Daimyô remarqua que la Régente allait poursuivre lorsqu’il l’arrêta d’un mouvement de la main. Elle avait bien parlé jusque-là. Fidèle à son style elle avait eu à exprimer les craintes et orientations qu'un dirigeant du village militaire de Kumo se devait de garder en repérage. Sa présence et son intervention avaient permis de servir de paravent entre le Bakushô et le Seigneur de Kaminari. Il aurait été fort regrettable qu’Aomine, pour une raison ou pour une autre, s’emporte ou hausse le ton contre le Yoshihiro. Voilà les raisons pour lesquelles Monjara Otenba menait les débats jusque-là et que lui, le principal décisionnaire se taisait. Elle avait le mauvais rôle certes. Mais pouvait-il en être autrement ? En bonne kunoichi d’abord, et conseillère ensuite, elle s’était acquitté de son ingrate tâche sans sourciller et avec l’entrain et l’intérêt attendu. Le Daimyo la respectait pour cela. Tout le temps que le dialogue entre Otenba et Aomine avait duré, Yoshihiro Tetsugaku s’était employé à analyser le comportement du Bakushô. Il semblait impulsif à bien des égards. Il était très certainement dans le genre carré, buté, le style de personnage qui dès lors qu’il retient quelque chose, dans son esprit supprime toutes les autres possibilités. En tant que dirigeant, ce style de personnage pouvait offrir des garanties mais ce pouvait être également tout le contraire ! Quels dégâts peut causer un dirigeant qui persiste dans l’erreur ! Imaginez...

Rabaissant sa main, après avoir constaté que tout le monde faisait silence, le Dirigeant de la Foudre posa son regard sur le Bakushô. Les derniers propos du colosse étaient plus convaincants. Ce sont ces mots qui plaidaient pour sa cause. En lisant entre les lignes, le Daimyo avait compris. Le principal atout du Bakusho est sa lucidité. Un point non négligeable pour quelqu’un qui est amené à diriger. Le second point est une forme d’intelligence dont tout homme de cet acabit devrait disposer : savoir prendre du recul et analyser avec acuité chaque situation qui le nécessite. Car oui, si Tsuhiro, auquel il était fortement lié, est mort tué par des sunajins et des konohajins tel qu’il l’a exposé en premier lieu, malgré son tempérament de feu, le Bakusho n’avait émis aucune idée qui aille dans le sens d’une quelconque riposte ou autres représailles envers Suna ou Konoha. Il attendait certainement de disposer de plus d’informations par rapport à ce qu’il sait ou croit savoir.

_ Ma préoccupation première est que la stabilité de Kaminari no Kuni soit assurée. Kadoria Tsuhiro n’est plus. Nul ne remet en cause le travail qu’il a abattu malgré son temps très court au pouvoir. C’est entre autres pour ne pas laisser sans suite dans l'immédiat, ce travail, ainsi que ceux accomplis par tous les Kage et Régents précédents, qu’il nous faut un homme capable de s’inscrire dans la continuité de cette action, mais tout en évitant une totale fermeture au monde. Les Kage ont à leur charge la politique militaire et sécuritaire de la Foudre ainsi que sa mise en œuvre. A eux de décider ce qu’ils font de Kumo et de comment ils gèrent les relations militaires avec les autres peuples, entités ou contrées in fine. La Foudre, sur les aspects autres, est ancrée dans l’ouverture. N’oubliez jamais ce point.

Comprendrais-t-il ? Certainement oui. Les relations économiques outrepassent celles militaires et le Daimyô de la Foudre, en plus de gérer d’autres aspects a en charge ce domaine extrêmement important pour le développement de Kaminari et l’évolution vers le bien-être de ses populations. C’est certainement ce qu’avait voulu expliquer Otenba. Aomine l’avait compris comme une invite au rapprochement avec le pays du Feu. Il n’en était rien. Le Daimyô fit un signe de la main. Il avait parlé de sa décision finale depuis belle lurette à son serviteur. Et à la manière selon laquelle Yoshihiro Tetsugaku l’appela, ce dernier compris. Il disparut derrière une porte ouverte menant à une pièce proche et revint quelques secondes plus tard avec une coiffe que tous ici présents pouvaient reconnaître à mille lieux : il s’agissait de celle que porte le Raikage. Le serviteur déposa l’objet à la droite du Daimyô ainsi que deux parchemins et une plume et de l’encre sur la gauche du dirigeant. Ce dernier gardait son regard figé sur le Bakushô. Les Conseillers semblaient surpris, mais lui, ne semblait guère en tenir compte leurs états d'âmes. Dans les discussions d’avant cette réunion, l’orientation allait plus vers la nomination d’un des trois en tant que Régent. Si tel avait été le cas, alors la coiffe apportée aurait dû être légèrement différente.

_ Bakusho Aomine, je te nomme Rokudaime Raikage. Il t’appartiendra de perpétuer l’héritage de ton prédécesseur ou de suivre ta propre voie.

Sur ces propos le Daimyo apposa sa signature et son sceau sur les deux parchemins. L’un pour les archives du palais et l’autre pour le nouveau Rokudaime. Mais dans l’immédiat, il ne lui remit guère le document. A priori, il n’en avait pas fini.

_ Au-delà de vos missions normales de Kage, je t'exhorte à enquêter sur le décès de Tsuhiro. Tu donneras par après les suites que tu jugeras nécessaires à cette affaire. Je t'exhorte également à ne pas perdre de vue cette question de l'Ordre et de la Nation. J’ai récemment été amené à participer à une curieuse rencontre dont je te ferai parvenir les conclusions. En troisième lieu, je t'exhorte à appuyer, dès lors que nos possibilités nous le donnerons, le pays du Givre. Nos relations économiques sont bonnes. Améliorer l’entente militaire pourrait nous permettre de passer un pallier dans les relations entre nos deux Etats.

L’homme d’état marqua une courte pause.

_ Nous avons découvert récemment un gisement d’or dans le sud du pays. Il nous faudrait des ninjas pour sécuriser les lieux. Il nous semble que nous y avons été devancés par des gens mal intentionnés. Je n’ai pas d’idée précise de qui ils sont et de leur importance mais il est évident que pour le bien de tous, il faudra apporter une réponse à cette situation.

Le Yoshihiro garda en visuel le Bakushô. Fraîchement nommé et déjà une quantité de travail sur la table. La vie de dirigeant n’est pas de tout repos et le Bakushô en prendrait très rapidement la pleine mesure. Le serviteur s'approcha. Tetsugaku lui remit l'un des parchemins. Cette rencontre venait de prendre fin officiellement.

« Vous plaisantez ? Je refuse. »

Aomine s’était tout d’abord senti ridicule. Il avait tardivement compris que depuis le départ, c’était lui qui consistait apparemment le premier choix pour succéder à son maître. Et forcément, il avait fait le lien avec de nombreux éléments. Par exemple, il voyait à présent que son grade de Bras droit pouvait faire de lui quelqu’un dans la lignée de son ancien supérieur. Il avait compris, et pestait intérieurement de ne pas s’en être douté plus tôt. Mais ce n’était pas la raison pour laquelle il se montra aussi négatif face au Daimyô.

Car oui, c’était bel et bien le Seigneur lui-même qui avait pris la parole pour expliquer ses raisons et le nommer. La coiffe, les parchemins : tout devenait officiel. Aomine avait l’étoffe d’un dirigeant de village militaire, lui-même le savait. Mais il y avait quelque-chose qui avait tout changé.

Tout.

« Comment pouvez-vous me proposer le titre de Rokudaime, celui que portait mon maître ! De tous les Kages, jamais deux personnes ont partagé le même grade et vous voudriez commencer avec moi, qui étais son disciple ?! »

Etait-ce un test pour vérifier jusqu’à quel point il était capable de s’emporter ? Dans un élan de perspicacité sous-entendue, Aomine avait pensé à ce genre d’astuces. Mais il ne pouvait tout de même pas laisser passer de telles idées.

Il appuya ses mains ouvertes sur la table et se releva avec puissance et rapidité. Ses deux mètres devenaient à nouveau intimidant pour le reste de l’assemblée. Et ils étaient tous coupables, soit d’avoir soumis cette idée aberrante, soit de ne pas s’y être opposés !

« Il a mis fin aux tensions avec Suna, et mis un terme à la guerre à Mizu no Kuni contre l’Empire ! Il était le cadet du fondateur du village et vous a tous protégé au péril de sa vie ! Et vous… »

Ses mains se crispèrent. Les poings nouvellement serrés, le Bakushô avait encore du mal à croire ce qu’il avait entendu. Et pourtant, les parchemins pouvaient attester de la véracité de leurs intentions. Incroyable.

« … et vous voulez faire comme s’il n’avait jamais existé ! Je refuse d’être Raïkage si c’est pour le remplacer en tant que Rokudaime ! »

Il haussait clairement le ton face au Daimyô, mais sur l’instant présent, il n’en avait strictement rien à faire.

Spoiler:

Le Daimyô n’avait pas bougé d’un sourcil. Pour sûr, lui aussi était pris de court par la réaction du Monjara. Depuis qu’il était Daimyô, c’est-à-dire depuis fort longtemps, il pouvait compter sur le bout des doigts les fois où un individu avait haussé la voix devant lui. La chose était tout de même assez rare pour être soulignée. L’homme resta stoïque après avoir essuyé un premier refus. Il ne bougea pas non plus lorsque se pointa une de ses gardes. Dentô Shizuka. Un regard vers elle, puis le Seigneur de la Foudre porta son attention sur le colosse. Il n’avait pas remarqué que la Monjara s’activait. Le pouvait-il seulement ? Ses capacités étaient bien trop limitées comparées à celle d’un shinobi. Et pourtant, c’était bien lui, le civil, qui était à la tête de la Foudre. Anomalie ? Qui sait ? Probablement.

Yoshihiro Tetsugaku ne bougea pas non plus lorsqu’Otenba à son tour, fit raisonner sa voix dans la pièce. Décidément. Si le Bakushô en rajoutait une couche, tout ça se finirait mal. Une escalade de démonstration de puissance pour au final un résultat qui n’en vaudrait pas la peine. Tetsugaku fit un signe de désaprobation. Il était inutile que tout cela aille plus loin. Dès lors que les sentiments prenaient le dessus sur la froideur de l’analyse alors les rapports étaient faussés. Peut-être avait-il sous-estimé la portée de ses actes. En ce cas, proposer ce titre de Rokudaime au Bakushô était peut-être une erreur. Mais il était probable également que le Bakushô se soit un peu trop laissé entraîner par ses blessures d’ordre émotionnel, tel que le suggérait Otenba. Dans tous les cas, il était nécessaire de prendre de la hauteur. Considérer les choses sous un autre angle et trouver une solution à ce problème qui au fond n’en était pas un.

Pour autant, après qu’Otenba soit intervenue, le Daimyô ne dit rien. Il se contenta d’observer le Bakushô. Que ferait-il maintenant ? Allait-il se calmer ? Ou allait-il encore plus s’énerver, s’emporter et faire ou dire des choses qu’il regretterait dès lors qu’il aurait franchi le pas de la porte du Conseil ? L’homme laissa passer une minute. Une minute entière pendant laquelle son silence imposa le silence dans la salle. Une minute après que l’ensemble des protagonistes se soient calmés et se soient tus. Car quand bien même les uns et les autres se donnaient la latitude de ruer dans les brancards, la décision finale lui reviendrait. Il était le seul homme d’Etat ici. Le seul qui au fond, en cet instant précis, disposait du sort des habitants de la Foudre entre ses seules mains. Faire supprimer Aomine pour son insolence était une piste possible. Désigner un autre, l’un des deux autres candidats potentiels en était une autre. Croire jusqu’au bout en ce Bakushô, malgré les défauts grossiers de ce personnage était également possible. Toutes ces voies menaient à un destin différent pour Kumo. Mais une seule menait à la stabilité. La seule constante ayant du poids aux yeux du Daimyô.

_ Il était possible pour toi de considérer les choses autrement. Considérer que c’est un honneur de porter le même titre que Kadoria Tsuhiro. Cependant… Je comprends tes réactions.

L’homme d’Etat se tut un instant laissant la place au Bakushô histoire d’écouter ses potentielles réactions. Le serviteur du Daimyô se rapprocha. Ce dernier lui chuchota quelque chose à l’oreille. L’homme sembla s’exécuter. Il reprit les deux parchemins signés de la main du Daimyô.

_ Je n’ai qu’une parole Bakushô Aomine et je n’ai qu’un seul choix. Sauf revirement de situation majeur je considère que tu es un bon choix pour Kumo dans le contexte actuel. Tu seras le Rokudaime Raikage ou alors un Régent. Et si tu le désires réellement, je porterai mon choix sur un autre. Quoi qu'il en soit, je te suggère de réflechir sur tout ces événements et de choisir le titre qui te permettra de rendre hommage à la mémoire de Kadoria Tsuhiro. J’attends ta réponse d’ici demain à la même heure.

Le Daimyô se leva de son siège. Il prit congé de tout un chacun et tourna le dos à Aomine, tout de suite suivi de son serviteur. La garde, Dentô Shizuka, restait en arrière. Elle allait suivre le Daimyô après qu’il ait passé le pas de la porte de ce Conseil sans encombre.

Bakushô Aomine était désormais libre de ses mouvements et libre de ses choix.

Spoiler: