Il lui fallut bien une trentaine de minutes pour arriver à tenir sur ses jambes. L’engourdissement était tel que l’homme ne doutait pas qu’il venait de ce bloc étrange. Pourquoi y avait-il été et qu’est-ce que cette sorte de machine faisait ? Le mot « maison » lui revint en mémoire. Venait-il de sortir de la sienne ? Puis d’autres appellations parsemèrent son esprit, sans en connaître le sens. Tout ce qu’il savait, c’était que l’Homme marchait. Alors il marcha.

Ce fut bien entendu pénible pour lui, ses articulations étant encore comme rouillées par un passé qui lui était inconnu. Il avait du rester immobile, comme s’il avait dormi, mais est-ce que l’Homme devait tant souffrir à chaque réveil ? Quelque-chose lui semblait louche, mais là encore il ne savait pas quoi. Lorsque ses genoux arrêtèrent de le faire souffrir, il sentit quelques choses sous ses pieds nus. Cela ne lui semblait pas agréable de marcher sur certaines parties du chemin qu’il empruntait, hasardement. La pelouse lui était plaisante, la terre ne lui faisait rien, mais certains morceaux de roche n’étaient pas appréciés par la plante de ses pieds. Alors il les évita et continua sa route.

Il marcha ainsi une bonne vingtaine de minutes avant de rencontrer quelqu’un. C’était un homme, pas un animal. Aussitôt, l’homme qui avait tout d’un évadé de prison à l’exception qu’il était entièrement nu se souvint que dans le monde les hommes et les femmes étaient très nombreux.

Mais ce ne fut pas la seule chose qui tarauda son esprit à la vue de cet inconnu. En effet, ce dernier portait des vêtements. Et ainsi, pour la première fois depuis qu’il était sorti du bloc, le balafré se demanda pourquoi il était dénudé.

» Devrais-je m’habiller ?

Une question qui sonnerait comme extrêmement étrange ou folle de la part de n’importe qui. Mais ça, il n’en avait aucune idée. Il parlait avec son instinct. Car c’était tout ce qui lui restait, pour l’instant.

Il ne fut pas surpris de la longue tirade qu’il obtint comme réponse. L’homme qu’il avait en face de lui, car il avait bien à faire à un homme, semblait quelqu’un de réfléchi. Mais réfléchi ne voulait pas dire qu’il allait dire la vérité, bien au contraire. Un idiot pouvait mentir qu’on le saurait tout de suite, et donc dire la vérité que ça se verrait également aussitôt. Mais un homme intelligent et éloquent…

De toute façon, l’homme nu était perdu, et n’avait d’autre choix que d’écouter sans réfléchir son interlocuteur. Egalement sans se voir surpris, il écouta une réponse assez détaillée et surtout soulignant le caractère de société de la question. De ce qu’il en avait comprit, quasiment tous les Hommes s’habillaient mais comme dans probablement tous les domaines, il y en avait qui n’en faisaient qu’à leur tête. Est-ce que c’était le cas du balafré ? Non.

» Je crois que… je crois que je vais m’acheter des vêtements et des chaussures.

Des chaussures pour protéger la plante de ses pieds et des vêtements pour lui permettre de ne pas paraître grossier auprès des gens. Car c’était bien de gens qu’il aurait besoin dans le futur, l’homme étant déjà bel et bien décidé à connaître son passé et à en recoller chaque morceau.

Néanmoins aussitôt avait-il fini de répondre qu’un mot fit tilt dans sa tête. Il réfléchit un instant, avant de regarder à nouveau son interlocuteur dans le blanc des yeux.

» Comment fait-on pour « acheter » ?

Ce verbe lui était pourtant si familier, mais il en avait perdu le sens. Acheter… Il préféra se concentrer sur la question que sa rencontre lui avait posée. A vrai dire, il était tellement perdu qu’il ne se souvenait même plus de l’intitulé exact ni de leur nombre. Mais il avait demandé, grosso modo, qui il était. Etait-ce normal de se présenter ? Qu’importe car que ça le soit ou pas, il lui était impossible de le faire.

» Je ne connais pas mon prénom… Et je ne sais pas non plus d’où je viens. C’est une situation qui est assez… compliquée.

Et c’état le cas de le dire. Sa perte de mémoire lui posait des handicaps dont il avait conscience, mais ce qui était presque plus difficile, c’était de se rendre compte de la différence qu’il avait maintenant avec les autres Hommes comme celui qu’il venait de rencontrer, et de faire la part des choses entre les signes instinctifs ou les quelques réflexes qui lui restait. Lui qui avait tout perdu, à qui et à quoi pouvait-il faire confiance ?

Il semblerait que j'étais allé un peu loin dans mes propos, c'est le moins qu'on puisse dire, mais je ne savais pas pourquoi, c'était plutôt comme si je souhaitais qu'il ait toutes les cartes en mains pour décider si oui ou non il devait s'habiller. C'était pourtant anodin comme choix mais cela semblait capital de mon point de vue. Cela définissait quel type d'homme il était.

Lorsqu'il me répondit qu'il choisissait d'aller s'habiller, je jugeais que j'avais en face de moi quelqu'un de banal au final. J'aurais pu être déçu mais la déception est quelque chose que je suis incapable de ressentir, il n'y a pas de déception ou de tristesse dans mon cœur, d'ailleurs ce mot « coeur » ne fait ici pas référence à l'organe mais bien à la conscience et aux émotions, du coup cette locution est fausse au point de vue purement physique. Le cœur n'est qu'une pompe au final on devrait dire « je n'ai pas de tristesse dans mon cerveau ». Et vous à qui je m'adresse, vous que j'ai crée comme un interlocuteur à l'intérieur de mon moi profond, qu'en pensez-vous ?

D'ailleurs ce cerveau est un organe fascinant, car il régit notre être, ce que l'on pense et ce que l'on est. Il est possible d'imaginer une société où l'on conditionnerait le cerveau humain pour que les personnes soient tous semblables. Si je possédais la connaissance de ce qu'il faut changer pour réaliser cela je m'y emploierai tout de suite. J'imagine déjà une planète où nous sommes tous identiques, où nous nous entraidons les uns les autres, où nous consommons uniquement ce que la planète permet de consommer, où lorsque la reproduction devient trop importantes, les personnes arrêtent d'elles-mêmes afin de ne pas nuire à l'environnement. Malheureusement tout cela est impossible à réaliser pour moi. C'est pour cette raison que j'ai conçu mon plan il y a longtemps.

La phase numéro une est simple, je vais voyager, rencontrer des gens, me créer des contacts et offrir des services d'assassinats à ceux qui le demandent. La phase numéro deux consistera à me faire intégrer dans une nation inspiré par le ressentiment envers autrui et de pousser celle-ci soit vers l'éradication de son voisin soit par une guerre interne tant civile que militaire. La phase numéro trois sera d'essayer de développer une arme d'éradication massive avec l'aide d'une nation prétextant la défense du pays et dans un second temps de voler cette arme. Enfin la dernière phase, je déclencherai une guerre mondiale et utiliserait l'arme pour éradiquer l'espèce humaine, après quoi je vivrai en tant que témoin de l'évolution me servant de mes yeux pour ralentir le temps s'écoulant dans mon corps, prolongeant ma propre existence. Pourquoi ? Simplement pour éradiquer une nouvelle espèce si elle prend le même chemin que nous avons pris. Voilà la résolution que j'ai prise il y a des années de cela.

Je m'étais perdu dans mes pensées, lorsque je revins à la réalité, j'entendais l'homme me demander comment acheter quelque chose. Puis quelques instants plus tard, je l'entendais déclarer qu'il n'avait pas de prénom. C'était inhabituel, c'était comme si cet homme était vierge de toute connaissance humaine. Un homme qui n'était pas encore façonner, il s'agissait là de quelque chose de rare. Je repris la parole afin de répondre dans l'ordre :


« Acheter est une action humaine qui se caractérise par l'échange d'un bien contre de la monnaie. Des pièces faites en métaux. J'ai bien précisé une action humaine puisque nous sommes la seule espèce au monde à choisir de donner tant de valeur à des choses comme celles-ci. C'est une des raisons qui fait que notre société est malade. Tient prends-ça, si tu souhaites acheter. »


Je sortais une bourse remplie de ma poche, celle-ci datant d'un contrat passé, je lui lançais, je n'avais aucun intérêt pour l'argent, je n'avais d'intérêt pour rien au final, mais vu que tout se monnayait avec cela, je me devais d'avoir quelques bourses sur moi. Je repris la parole afin de répondre à sa seconde question.


« Tu ne connais pas ton prénom, peut-être devrai-je t'en donner un, qu'en dis-tu ? Que dis-tu d'Atoum, dans une civilisation ancienne, il s'agissait d'une divinité son nom signifie « celui qui est complet » mais aussi « celui qui n'est pas ». Je me suis dis que vu que tu es un être complet depuis l'extérieur mais que tu ne l'es pas en dedans, ça pouvait être un prénom acceptable. Qu'en penses tu ? »