Ordre de mission:

Parfois, il est inutile de demander à un criminel comment il compte retrouver la trace d’un ancien compagnon. Maintenant, peut-on parler de Goren comme d’un ancien compagnon, c’est encore quelque chose à prouver, mais j’aimais -à l’époque- croire que notre collaboration se ferait plus longue que le temps de me faire chef de Ta no Kuni. En effet, j’appréciais tout particulièrement le côté pragmatique qui s’insinuait furtivement dans toute les décisions du Golem. Malgré ses apparences et son comportement de brute, il avait en effet une manière spéciale de raisonner sur les problèmes qu’il rencontrait, et ne se laissait pas entraver par la morale.
Mais il est peu important de s’étaler sur mes impressions passées, revenons plutôt à l’histoire que je débute ici avec mes humbles tournures… Il n’y avait pas besoin de l’expliquer, nous nous retrouvions tout simplement. Nous n’étions pas encore suffisamment proche pour qu’il partage avec moi l’emplacement de ses planques, nous décidions donc de nous retrouver dans une auberge de grand chemin, à la frontière de Ta et de Yu. Il fallait que je lui parle et lui, je m’en doutais, tremblait d’impatience à l’idée que je puisse lui apporter des informations intéressantes sur l’avancée des opérations concernant le projet de Ta no Kuni.

Il arriva, toujours aussi pompeusement. Pour ma part, j’étais assis à une table, calme et apaisé par le son du vent qui s’essoufflait lentement entre les pans des fenêtres alentours. D’ailleurs, je me surpris à me retrouver seul dans cette auberge. Les voyageurs et les visiteurs de Ta avaient dû se faire moins nombreux suites aux récents évènements. Je ne m’en plaignais pas, mais je le remarquai avec tristesse. Je me m’étais un peu à la place de mon hôte et de sa femme, bientôt accablés par le manque de sou que ces tragédies allaient leur causer.

« Je me suis dit que ce serait un coin tranquille pour discuter. Dans le doute, je t’ai commandé une bière. Je sentais que ça te ferait plaisir. »

En réalité, je souhaitais surtout offrir à mes hôtes un peu plus d’argent, sans leur faire sentir que je leur offrais la charité. Certains hommes étaient trop fiers pour se permettre de demander l’assistance des autres, et je sentais bien que le tenancier de l’établissement, avec sa moustache et son air de vétéran, faisait partie de cette faune là.

Toujours était il que le golem prit place à la table, faisant comme à son habitude le tour de la salle des yeux. J’aurais bien pu lui faire une remarque désobligeante sur le fait qu’avant de m’asseoir, j’avais moi-même pris soin d’inspecter minutieusement les lieux, mais à quoi bon se perdre en bavardages inutiles ?

« Je ne t’ai pas fait venir pour le simple plaisir de ta compagnie, j’ai de bonnes nouvelles… »

Je savais que je captai son attention. Lui-même devait s’en douter, je le faisait passer la frontière pour lui soumettre un plan ; une quelconque opération pour laquelle j’avais besoin de son assistance. Et je le savais plus compétent que quiconque, c’est la raison pour laquelle il était venu, c’est la raison pour laquelle j’avais fait spécifiquement appel à lui.

« L’un de mes anciens alliés et actuel contact au pays des moines m’a fait état de changements. Il a mentionné le fait que, dans les limbes des services de contrats et d’assassinats, on a fait une proposition sur la tête du patriarche, et que cette dernière a été acceptée par deux shinobis de très haut niveau. »

Je pris une gorgée d’absinthe, juste histoire de me rincer le gosier. Je savais que mon interlocuteur aurait besoin de plus que cela pour être intéressé, surtout que notre objectif principal consistait relativement à l’exécution même du patriarche. Mais –et je pense qu’il en était conscient- je savais également de quoi je conversais.

« On ne sait rien de ces deux hommes, si ce n’est qu’ils ont un niveau hors du commun. Il se pourrait même qu’ils soient plus puissants que nous. Mon informateur m’a cependant assuré que quiconque les appréhenderait aurait droit aux grâces et à la reconnaissance du patriarche et de son gouvernement. Alors ce sont peut-être des paroles en l’air, mais je crois que tu comprends où cela pourrait nous mener si nous arrivions à mettre la main sur ces deux tueurs à gage. Nous rapprocher du patriarche pour nous faire passer pour ses alliés… nous rapprocher de lui pour mieux l’exécuter par la suite lorsque nous aurons un plan. »

Enfin, le golem entrevoyait la véritable portée de mon plan. S’habiller en mouton pour entrer dans la bergerie. Cela recommandait du temps et de la patience, mais il fallait au moins s’armer de cela. Malgré tout, la véritable question demeurait tout de même en suspend. Le golem allait-il être intéressé par cette aventure que je lui proposais ?

Spoiler:

S’il y avait bien quelque chose que j’appréciai chez ce bougre de Goren, c’était sa capacité à se satisfaire des plans les plus tordus. J’avais bien en tête de lui faire plaisir avec ma proposition de mission et apparemment, j’y étais bel et bien parvenu. Mais comme toujours, le soldat de pierre retrouvait, dans les méandres des informations que je lui procurai, des tâches noires auxquelles je n’avais pas encore prêté attention.

Ainsi, il soulevait une question importante : pourquoi ne chercherions nous pas à nous allier à ces deux assassins. Etant nous même en quête de la mort du patriarche, Il était sans doute logique que nous nous soyons alliés avec tous les autres individus recherchant le même résultat final. Mais d’après ce que j’avais pu recevoir comme information, le niveau de ces deux ninjas était largement supérieur à la moyenne. Alors, quel grand de ce monde se laisse convaincre aussi facilement ? L’égo était un facteur à prendre en compte, et c’était bien ce qui me dérangeait dans la proposition –pourtant alléchante- de Goren.

« Je ne suis pas complètement contre ton plan, Goren. Mais il y a des données qui nous échappent. Ces hommes sont compétents, bien plus que des assassins lambda. Il se pourrait même qu’ils nous surpassent tous les deux. Nous prenons de gros risques en nous mettant à leur poursuite, mais il semblerait que le jeu en vaux la chandelle. Cependant, de là à croire que de tels shinobis acceptent une proposition d’alliance avec d’autre parias, ce serait jeter les dés avec beaucoup d’espoir. Personnellement, je ne pense pas que cela fonctionnera. »

Je le vis me dévisager. Il prenait mon avis en considération, je le savais bien. Mais il y avait aussi cette lueur dans ses pupilles de goret. Cette toute petite étincelle qui me faisait penser qu’il aurait pu me sauter dessus à tout moment. Il n’aurait pas eu besoin d’un motif, il avait la spectaculaire aura de ceux qui porte la folie comme un manteau de fourrure. Ainsi, alors que je terminai ma phrase, je me tentai à l’imaginer me sauter au cou, m’arracher les yeux en m’enfonçant ses imposants doigts dans les lobes oculaires. J’aurai souffert à coup sûr, mais ça aurait donné un spectacle magnifique.

« Il y a effectivement une sorte de description donnée. Mais elle est assez vague, je ne sais pas si elle nous servira à grand chose. Apparemment, nos deux clients se promèneraient constamment de nuit. Ils porteraient des habits de couleur noire ou sombre et seraient perpétuellement munis de bandeaux violets. Alors il se pourrait bien que nous soyons à la recherche de shinobis homosexuel… personnellement, je n’ai pas très envie de perdre un combat contre ce genre de type. Ils n’ont pas la réputation de bien vous traiter après une défaite… Tu sais c’est un peu comme avec cette expression sur le savon et tout. »

Oui, il m’arrivait de retomber en enfance, dans les petites piques homophobes que je balançai jadis. Non… je n’étais pas un homme particulièrement ouvert d’esprit. Bien au contraire, même si j’étais moi-même capable de m’adonner aux plaisirs variés de la bigamie interposée, j’en demeurais cependant le premier railleur. J’aimais l’autodérision –mais je m’égare du sujet et vais bien devoir y retourner.

« Toujours est-il, nous n’avons pas la moindre piste pour débuter nos recherches. Le patriarche ne nous connaît pas encore suffisamment pour que nous puissions lui demander de participer à un traquenard et nous ne savons pas quand ces deux larrons vont se décider à agir. Alors as-tu la moindre idée de comment nous pourrions procéder ? Personnellement, je pense qu’il serait utile de se faire tout les lieux de repos de la région, de les inspecter /ou de les détruire/ un par un. Mais là, c’est un peu mon avis de profane que je te donne, je ne suis pas vraiment encore calé sur la recherche d’individu, je te rappel que je n’ai pas été shinobi. »

La véritable question demeurait cependant en suspens : Quand allions nous enfin quitter cette table d’auberge et allions nous commencer notre quête ? Nous étions un binôme parfait pour une petite partie de dongeon et dragon : un moine immorale et une brutasse sanguinaire. LE JEU ALLAIT POUVOIR COMMENCER… à supposer que mon partenaire se soit décidé à jeter les dés.

Je plongeai mon regard dans les yeux du golem pendant que celui-ci réfutait chacune de mes propositions. A l’entendre, je me rendais compte que j’avais encore beaucoup à apprendre sur la manière de traquer des soldats entrainés. Au fond, il était vrai que je n’étais encore qu’un débutant, ne serait-ce que dans le domaine de la vie militaire en générale. Ancien moine, ayant passé la plus grande partie de mon existence entre les hauts murs d’un monastère, je n’avais pour moi que ma puissance étrange qui, apparemment, s’élevait à un niveau pour le moins respectable. Ainsi, je ne me vexai pas des remarques presque vexantes que mon partenaire partageait avec moi, il avait raison de le faire, et j’aurais été orgueilleux et stupide de lui en tenir rigueur.

Il résuma plus ou moins correctement la situation, pointant minutieusement ce que nous pouvions ou ne pouvions pas faire. Mais au milieu de ces indications hasardeuses, il me confia le fait qu’il était hautement rattaché aux marchés noirs du coin. Je me demandai alors comment un homme tel que lui, en apparence si brutale, avait pu avoir la présence d’esprit de se créer un pied dans le secteur le plus « voilé » de la profession de criminel. Mais –et je ne faisais que commencer à m’en rendre compte- le golem n’était pas qu’un amas titanesque de muscles, il était également un fin stratège en matière de complot. Il fallait de ce fait s’attendre à ce que ce dernier utilise aussi bien sa tête que ses bras.

Nous nous levâmes donc, tous pressés que nous étions de nous rendre en ce lieu que mon partenaire connaissait et qui m’était encore inconnu. Mais juste avant de passer la porte, ce dernier s’arrêta net, manquant presque de me faire trébucher moi-même. Il se retourna et chercha dans ses vêtements un kunai qu’il balança en pleine tête du maitre des lieux. Pour ma part, mes yeux s’écarquillèrent en voyant le corps tomber au sol et le golem justifier cet acte de barbarie par de la sécurité nécessaire.

« Tu m’aurais prévenu que tu allais faire ça, j’aurais économisé mon argent. Moi qui pensai faire une bonne action pour une fois… Bon allons-y ! »

Je tapai sur l’épaule de mon partenaire et le forçai à sortir. Je n’avais aucune envie de rester en ce lieu plus que nécessaire. Mais en sortant de l’auberge, prêt à me baigner à nouveau dans les rayons bienveillants du soleil, je me rendis compte que la femme de notre hôte faisait son chemin du jardin jusqu’à l’entrée. Elle nous salua lorsque nous passâmes à côté d’elle et nous voulu nous tendre le panier qu’elle tenait entre les mains. Dans celui-ci se trouvaient nombres de fruits et légumes en tout genre, mais elle tenait à nous en offrir un.

« Vous êtes sans le sou et pourtant vous faites acte de générosité à ceux qui vous entourent et croisent votre route. Il y a une place spéciale au ciel pour vous et votre marie, madame. »

Un coup violent de la main, pliée de telle manière qu’elle fut comme une épée tranchant la jugulaire de la pauvre femme. Un peu de chakra fûton, c’est tout ce qu’il fallu pour lui retirer la vie. Pauvre créature, elle avait certainement eu des rêves et des ambitions, jadis… Mais tout cela s’évanouit en même temps qu’elle perdit la vie. Et le golem et moi, nous partîmes comme si de rien n’était, nous rendant au lieu dans lequel il pensait trouver des informations importantes.

Mais alors que nous nous hâtions à réduire la distance entre ce point B et notre position propre, je m’arrêtai moi-même, sans la moindre raison apparente. Je comme un frisson me traverser le corps… dans tout mon être jusque dans mon âme, je percevais comme une énergie négative. Une énergie portée vers l’obscurité et la haine. Une présence mauvaise et hostile.

« Goren, je sens quelque chose… il y a quelqu’un dans le coin, je ne sais pas où, mais je peux le sentir. Mais ce n’est pas du chakra que je perçois… c’est un karma. Une énergie néfaste, une âme qui répand le mal. Ce n’est pas la tienne, et ce n’est pas la mienne, c’est celle de quelqu’un de profondément mauvais. Une énergie spirituelle particulière… »

Je lançai un regard profond à mon compagnon. Je n’avais expérimenté cette aptitude qu’une seule fois avant ce jour là, et c’était en sa propre présence. J’avais senti tout le mal qui se découlait de son corps et de son âme. Mais là, je percevais la chose à plus grande échelle. Qu’était ce que cette capacité à sentir l’énergie spirituelle des autres ? Et est-ce que ce pouvoir me permettrait de retrouver mes cibles ?

Mes dons, si je puis les appeler ainsi, nous menèrent jusqu’au murs d’une ville portuaire regorgeante d’activités. J’étais, à l’époque, suffisamment familiarisé avec la région pour savoir qu’il s’agissait de la ville de Tahori, une cité phare de Ta dont l’essence même se retrouvait dans le commerce maritime et les échanges vers l’arrière pays. Autant dire que l’endroit était le lieu rêver pour se camoufler dans la foule d’une grande agglomération.

Nous nous arrêtâmes devant ses grandes portes et Goren me commença à envisager nos options. Pour lui, il n’y avait pas trente six solutions. Dans une ville aussi grande que Tahori, nous ne pouvions espérer trouver nos deux hommes en nous déplaçant d’hôtels en hôtels et de cafés en cafés. Il était tout simplement trop ardu de retrouver un individu dont on ne connaît même pas l’identité dans un lieu aussi vaste et condensé en population. Il suggéra donc que nous nous postions près des portes de la ville et que nous attendions là la venue de nos fameux clients.

Mais rien qu’à l’écoute de ce plan, j’envisageai déjà les longues heures d’attentes et sans résultats. Les deux hommes étaient malins, trop malins pour se laisser attraper aussi facilement. Nous aurions certes pu miser sur leur orgueil et la confiance excessive qu’ils avaient surement en eux pour supposer qu’ils n’auraient pas pris la peine de se camoufler pour sortir de la ville, mais c’aurait été un pari trop risqué. Pour ma part, j’aimais les informations précises et les actes réfléchis qui sont sûr d’atteindre leurs objectifs.

« Je connais cette ville. Il n’y a pas qu’une seule entrée et nous perdrions trop de temps à essayer de toutes les couvrir. Mes sens me disent que nos hommes sont toujours en ces murs, mais ce pourrait tout aussi bien être une emprunte qu’ils auraient laissée ici. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre plus longtemps donc… je préfère tenter quelque chose. »

Aussitôt dit, aussitôt fait ; je fermai les yeux et plongeai au plus profond de mon âme. J’y vis mon cœur qui battait, en cadence et d’un rythme lent. Je sentis alors s’émaner de ce dernier l’énergie grise, ni mauvaise ni bonne de ma propre personne. De là, je sortis de mon corps et débutai mon chemin spirituel à travers les rues avoisinantes. Ce n’était pas une projection astrale, ne nous perdons pas. C’était plutôt mon imagination qui, poussée au maximum, me menait à la création de rues et de ruelles, ainsi qu’au cheminement et à la traque de l’emprunte spirituelle de nos ennemis.

« Je crois que c’est bon… »

Sans pouvoir aisément expliquer de quelle manière, j’avais entrevue un lieu, senti ce dernier jusqu’au bout des poils se trouvant le long de ma colonne. Je me mis à marcher avec flegme et nous entrâmes dans la ville. Nous marchâmes longtemps entre rues et avenues, nous pûmes alors nous rendre compte que la population de Tahori se promenait effectivement à toutes les heures de la journée et que seul une fois la nuit tombée, ses rues se vidaient de leur monde.

« C’est ici, je sens que la piste s’arrête dans les environs. A moins de quelques centaines de mètres. »

Nous étions arrivés près d’une aire de jeu pour enfant. Il y en avait de toutes les couleurs. Des petits, des grands, des animaux aussi et des mamans de toutes les largeurs et de toutes les tailles. Mais au milieu de cette faune pour le moins infantile, je ne distinguai pas le moindre mâle. Pas un homme à l’horizon. Et pourtant mes sens me poussaient tous vers ce lieu d’amusement pour enfant.

Un instant, je me doutai même de moi, mais il fallait se rendre à l’évidence. Quoi de plus pervers, de plus machiavélique et de plus malin que de se cacher au milieu des brebis lorsque l’on est un loup ? Qui envisagerait ne serait-ce que chercher à interroger des gosses ou des femmes au foyer. Si nos deux énergumènes se cachaient bel et bien dans cette faune là, ils avaient un avantage, car nous n’avions pas la moindre idée de qui ils pouvaient bien être.

« Il sont surement sous la forme de gosses ou de mères. Nous aurons du mal à les démasquer mais je suppose que tu as une idée pour ça aussi. Je sais qu’ils sont là, maintenant c’est à nous de jouer… Néanmoins j’aimerais éviter d’avoir à tuer tout ce beau monde et à faire de nous des cibles de choix pour les autorités. Soyons prudent. »

Le rire du golem me sortit un instant de mes réflexions. J’étais occupé à observer le comportement de ces gosses, à les analyser, un par un et par ordre de grandeur. Mais apparemment, ce n’était pas la chose à faire. Ils étaient indissociables, il m’était réellement impossible de trouver le moindre petit quelque chose qui aurait séparé l’un d’eux de la foule qui l’entourait. Ainsi, le rire de mon compagnon arriva comme une bouée de sauvetage, une excuse pour m’arrêter de chercher. Je levai la tête vers lui et l’interrogeai du regard. Qu’est ce qui pouvait bien le faire rire de la sorte ? Avait-il vu quelque chose ? Avait-il démasqué nos cibles ? C’était peu probable.

Mais lorsque j’écoutai la raison de cet étranglement sortir de la bouche de mon partenaire, ce ne fut pas une incroyable consternation qui se dégagea de mon âme, mais un véritable doute sur mes propres capacités. La phrase que venait de prononcer Goren me fit douter de mon pouvoir. Après tout, étais-je véritablement sûr de ses réels résultats. L’avais-je déjà utilisé, cette espèce de radar spirituel ? C’était bel et bien la première fois et pourtant je m’étais jeté à fond dedans, comme-ci ce dernier m’avait promis des preuves de son fonctionnement en suivant le chemin de la pratique.

Soudain Goren leva une main et pointa du doigt un ivrogne sur un banc, me demandant si je ne pouvais pas user de mes capacité pour créditer ses doutes. Je ne réfléchis pas plus longtemps et fermai les yeux, me concentrant sur la position de cet individu. Malheureusement, j’avais beau me concentrer, je ne parvenais pas à rendre plus précise ma détection. Il fallait croire que je n’étais pas encore prêt à faire de ce don un véritable atout. Ainsi, mes impressions de malignité demeuraient vastes dans la zone nous entourant. Il pouvait très bien s’agir de l’ivrogne, comme il pouvait s’agir des enfants, comme il pouvait encore s’agir des parents. J’étais dans le noir, et cela me poussait à réfléchir. Si je n’avais pas possédé ce don dans un premier temps, qu’aurais-je fait pour découvrir l’identité de ces cibles que nous recherchions si activement ?

« Nos cibles sont des créatures diurnes. Si ça se trouve, ils ont un moyen de ne pas se faire voir pendant le jour. Il m’est d’avis qu’ils pourraient bien se cacher sous la terre, hibernant grâce à une technique qu’ils auraient mise au point. Nous n’obtiendrons rien tant que le soleil brille encore dans le ciel. Il doit bien rester trois heures avant que l’obscurité n’envahisse les lieux. Je crois qu’il serait utile que nous nous reposions à notre tour. »

Je tournai à nouveau la tête vers lui. Je lui laissai le choix de décider. Nous pouvions tenter de leur courir après, ou nous pouvions aller nous reposer, reprendre des forces et entamer une chasse à l’homme hardie une fois la nuit tombée. La balle était dans son camp, mais quelque chose me disait qu’il ne sélectionnerait pas la solution la plus facile. Pour le guider dans son choix, je décidai tout de même de rajouter certaines précisions.

« Goren, garde à l’esprit que si j’ai pu les traquer jusqu’ici -à supposer qu’il s’agisse bien d’eux- je sentirai le moment où ils quitteront cet endroit. De plus, il y a beaucoup moins de badauds de nuit. »

Goren avait finalement décidé qu’il serait effectivement plus bénéfique pour nous de partir nous reposer. Néanmoins, je décelai chez lui une confiance aveugle en mes sens de pisteur. Je n’étais, pour ma part, pas aussi enjoué que lui à l’idée de mettre mes dons à l’épreuve. Car certes, je savais pour le moment en faire bon usage, mais rien ne me disait qu’ils seraient encore utilisable une fois la nuit tombée. C’était encore un pouvoir expérimental et ma nature pessimiste me faisait aisément croire à sa disparition soudaine. Néanmoins, je me gardai bien de faire part de mes doutes à mon compagnon. Pour autant qu’il s’agissait de moi, je désirai imposer une certaine prestance et ne pas apparaître comme un homme insécurisé et douteux de ses moyens.

Nous nous déplaçâmes donc autour de l’aire de jeux pour nous diriger vers un petit resto rapide. Nous y entrâmes et Goren s’assit relativement rapidement au comptoir. Il commanda une bière et de la viande, affirmant que je serais, en ce jour, son débiteur. Sans broncher, je sortis une liasse que je posai sur le comptoir à mon tour, demandant pour mes propres besoins un verre de rhum et des boulettes de viandes.

Passé le repas, nous montâmes discrètement sur le toit du bâtiment et Goren pu alors s’adonner au sommeil qui devait, depuis quelques temps déjà, lui faire tant défaut. Il avait ainsi une dégaine relativement paisible, il fut presque étrange de se dire qu’il était en train de dormir. Et pourtant, au rythme des respirations qui faisaient grandir et se dégonfler son torse, je dus bien en conclure qu’il était effectivement entre les bras de Morphée. Pendant de longues minutes je le regardais donc dormir, jusqu’à ce qu’à mon tour, je trouve l’opportunité de trouver la paix.

J’étais assis, les jambes croisées, le dos bien droit, dans une position que le commun du monde pense être la plus adaptée à la méditation. Je fermai alors les yeux et me laissai respirer. Pendant plusieurs minutes, rien ne vint envahir mon esprit… C’était le néant total. Alors je trouvai le sommeil, et mon esprit alla vagabonder au pays des rêves incohérents mêlant odeur de souffre et cercles infernaux.

Je ne rouvris les yeux que trois heures plus tard, la nuit ayant posé son joug sur le pays de Ta. Je me levai alors lentement, me dirigeai vers la balustrade et jetai un regard attentif à l’aire de jeux. Elle était vide ! Pendant un moment, je crus bien avoir trop fait confiance à mes sens, puis je ressenti à nouveau leur présence, toujours au même endroit. Je compris alors de quoi la situation retournait réellement.

« Goren, nos amis sont toujours là. Mais ils ne tarderont pas à se dévoiler. Ils sont soit métamorphosés en toboggan soit mus dans la terre ou le sable du bac. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons à faire à de gros clients, car ils sont capables de se reposer tout en malaxant du chakra… »

Je tournai la tête vers mon partenaire qui s’était déjà remis debout. Je vis dans ses yeux des reflets de réflexion. Il réfléchissait sans doute au meilleur moyen d’approcher la chose. Mais il nous fallait attendre… attendre que ce binôme décide enfin de sortir de sa cachette.

« Il n’y a plus grand chose à faire mainte… »

Une énergie négative me traversa le corps, me donnant l’impression d’être en proie à un choc électrique ou à des spasmes incontrôlés. Je tournai alors la tête vers l’aire de jeux et je les vis. Debout. L’un à côté de l’autre. Ils étaient tout de noir vêtus, adoptant une position étrange, comme s’ils attendaient quelqu’un. L’un d’eux leva alors la tête et porta son regard dans ma direction. Pendant quelques secondes, nos pupilles se croisèrent alors dans un jet de feu intense.

« Ils sont là… et ils ont l’air d’avoir envie de nous parler. Nous devrions descendre. »

Goren descendit le premier, je le suivis de près. Je ne voulais rien rater de l’entrevue, alors bien que le Golem se mit directement en avant, je m’assurai une place de choix dans son ombre, uniquement là pour m’assurer que tout allait se passer correctement. Car la situation était pour le moins cocasse, mais il nous fallait tout de même soumettre cette proposition d’alliance. Pour ma part, je n’y croyais pas du tout, ce genre d’homme n’était pas de ceux capables de faire partie d’une conjuration. Car c’était bien ce que nous étions, Goren et moi : des conjurés.

Le géant de pierre fit un pas en avant et entama le dialogue. Nos deux interlocuteurs eurent alors bien vite fait de cesser de nous toiser à tous les deux et de se concentrer uniquement sur ce dernier. Je profitai de cette permission presque volontaire pour m’attarder plus précisément sur leur posture et leurs vêtements. Tous deux se tenaient relativement de la même manière, bien que l’un était plus grand que l’autre. Tous deux portaient également le même genre d’accoutrement, à savoir, une combinaison nocturne complète au-dessus de sous-vêtements classiques en filagrammes.

Mais en les écoutant parler, et en sentant de plus en plus leur présence spirituelle en face de moi, je remarquai un point que je considérai comme suffisamment important pour être évoqué. Comme dans tous les binômes, il y avait, dans ce couple, un personnage alpha et un autre béta. Il me semblait d’ailleurs que c’était le plus petit qui portait ce rôle de leader. Etait-ce parce qu’il était le plus vieux ? Ou était-ce parce qu’il était le plus puissant ? C’est d’ailleurs ce dernier qui questionna Goren sur ses motivations à assassiner le patriarche.

« Alors, montagne de pierre, tu vas me faire croire que tu t’attendais à ce que tu arrives en face de moi, me propose un marcher, me donne une raison à la con et que je goberai le tout sans discuter ? »

Le plus petit n’émit pas le moindre commentaire cependant. Il était intéressant de remarquer comment ce dernier n’avait pas encore ouvert la bouche, or mis pour acquiescer sur l’une des affirmations de son frère. Etait-il aussi clame qu’il en avait l’air. De notre position, nous ne distinguions que ses yeux, bleus brillant dans la nuit. Il avait pourtant ce regard calme et serein, rien à voir avec son frère qui s’agitait sur tout et n’importe quoi.

« Vous ne gagnerez pas un combat contre nous, et nous aurions du mal à sortir de cet affrontement sans graves blessures… pourquoi s’obstiner sur une route qui nous fera souffrir à tous les deux alors que nous poursuivons des objectifs communs ? »

Les deux fantômes tournèrent la tête dans ma direction. Je n’avais pourtant pas bougé. Resté à ma place, je me contentai de leur lancer un regard paisible. Il n’y avait à l’intérieur, ni haine, ni aucun sentiment particulièrement belliqueux. Ils durent se dire que je ne savais pas de quoi je parlais. Et… au fond, moi aussi j’aurais aimé qu’ils se disent ça. Cela m’aurait donné une bonne excuse pour me mettre à utiliser mes poings.

« Personne n’est plus fort que nous connard ! »

Ils disparurent dans un écran de fumée. Néanmoins, avant qu’ils ne s’évaporent de la sorte, je vis dans les yeux du plus silencieux une lueur d’intérêt. Alors, je sus exactement comment allait se passer le reste de la mission. J’orientai le regard vers Goren et lui indiquait une direction –la situation m’ayant affutés les sens.

« Ils se dirigent vers les Rizières extérieurs… mais ils ont l’air de se séparer un peu plus à chaque dizaines de mètres. »

Je me lançai dans une course effrénée avec mon compagnon sur les traces de nos proies. Tous deux, nous défilions à une vitesse phénoménale, mais la distance demeurait toujours conséquente entre l’un et l’autre des partis. Néanmoins, marquant la rupture, un poteau de bois se dessina bientôt sur notre route. L’un était parti à droite et l’autre à gauche. D’un simple signe de tête, je fis signe à mon partenaire, ne serait-ce que pour lui faire comprendre la situation. Il saisi mon message et m’annonça qu’il se lancerait tout seul à la poursuite du plus bavard. Il ne me restait donc plus qu’à me lancer moi-même en chasse du plus silencieux.

Mais en laissant Goren partir sur son propre chemin, j’eus soudain le doute de faire une erreur. Peut-être n’était-ce pas prudent de me lancer seul dans cette traque. Que savais-je réellement de cet individu à la langue si peu pendue, au delà du fait qu’il était le frère de son collaborateur ? Etais-je véritablement au bon niveau pour me mesurer à un homme d’une telle carrure ? Mais que savais-je de sa carrure même ? Rien… je n’avais aucune information. Rien que cette petite impression néfaste qui s’évadait de lui quelques minutes plus tôt. C’était comme si son aura s’était exprimée pour lui alors.

L’aura s’arrêta, je le sentis soudain. Non loin, il ne me restait plus que quelques centaines de mètres à parcourir. Au loin je le voyais déjà, immobile au milieu de sa rizière. Les pluies avaient étés relativement rares ces derniers jours, ce qui expliquait pourquoi il ne s’enfonçait pas dans la boue de la terre. Pourquoi restait-il là ? Avait-il compris que je m’étais lancé à sa poursuite ? Voulait-il se lancer dans un combat loyal et épique sur ce terrain parfaitement choisi ? Un tas de questions se bousculèrent dans ma tête à cet instant là, mais je fis tout ce qui était en mon pouvoir pour les réprimer au maximum et je finis en face de ce mystère humain l’esprit vide de toutes contradictions.

« Que cherches-tu ? Pourquoi t’arrêter comme ça ? Pourquoi vous être séparés, toi et ton frère ?»

Je m’étais arrêté à quelques mètres, il leva la tête dans ma direction. Je crus d’abord qu’il allait se lancer à l’assaut, mais il n’en fit rien. Dans la complexité du silence, je décidai donc de l’interroger. Je ne comprenais pas son comportement. Je ne comprenais pas son aura, je ne parvenais pas à la définir. Le tout était particulièrement désagréable et difficile à supporter.

« Il s’est révélé inutile, pressé et incapable de voir ce que je voyais. C’est la raison pour laquelle il va sans doute mourir contre ton partenaire… Mais la question demeure, vas-tu mourir toi aussi, pour équilibrer les comptes et faire rétablir l’équilibre ?»

Je ne crus d’abord pas ce que j’entendais. Cet homme, à l’allure si mystérieuse proférait des propos si détachés, si insensibles. Dans son aura, rien ne se perturbait, même pas à la mention de la mort hypothétique de son frère. Puis, lorsqu’il mentionna ma propre mort, rien non plus. Ce fut comme si je m’étais retrouvé en face d’un objet doté d’une aura. D’ordinaire, lorsque l’on est humain, celle-ci varie –parfois de manière presque imperceptible- suite au ressenti d’émotion. Mais là, il n’y avait rien. Il n’y avait donc qu’une seule vérité à retirer de cette analyse soustractive : L’homme en face de moi était dénué d’émotions.

Le temps sembla s’arrêter. Je venais de rencontrer un homme capable de s’absoudre de la haine et de l’amour. Si je m’étais parfois considéré comme moralement gris, entre le noir et le blanc ; ce dernier avait atteint la perfection du genre. Bien entendu, cher lecteur, vous ne pourrez pas vous figurer la manière dont je me suis rendu compte de la chose, car pour vous le phénomène vous paraît trop court, trop subi. Mais ce sont des constatations que l’on fait en un instant et qui demande des heures de développement narratif. La rencontre avec une chimère, n’est en effet pas chose commune.

« Voyons ce qui se cache derrière cet avenir là… »

L’homme se rua sur moi. En un instant, il fut à distance de coup et chercha à m’asséner un crochet du droit. Au dernier moment, je parvins à le contrer, et pendant pratiquement une minute, ce ne fut que pur taijutsu, violence corporelle contre résistance et moral. Un coup donné résultait par une parade, puis par une projection et ainsi débutai le combat mythique opposant l’apprenti au maitre. Mais si j’étais moi-même un maitre dans l’art de manier les poings, lui l’était tout autant, et cachait certainement d’autres atouts.