Je me retrouvais maintenant à Yu no Kuni accompagné de mon homme oiseau préféré, j'ai nommé Kosobuyui Ûtoshi, et bien sûr de mon fidèle Misu. Nous n'avions que des destinations hasardeuses la plupart du temps, nous contentant de voir où nos pas nous menaient, où nos instincts nous faisaient aller. Depuis trois ans que j'avais quitté ma grotte et mon grand père Dôbutsu au pays de la cascade, je ne fonctionnais que comme cela. Ainsi je découvrais le monde et pouvais faire des rencontres intéressantes ou non. Bien qu'il y avait toujours matière à les rendre attractives. Entre moi et Ûtoshi il n'y avait pas à s'en faire et on s'ennuyait rarement.

Première fois pour ma part que je posais le pied sur les terres de Yu no Kuni, nous avions traversé non sans peine ces marécages humides et chauds, puisque l'été se profilait. Nous étions sortis tout dégueulasses de cette marche marécageuse et on nous indiquait plus loin dans les hauteurs une station thermale peu fréquentée où nous pourrions nous nettoyer. Le personnage qui nous en avait informé était un vieux au teint pâle et à la longue barbe, il m'avait paru loûche et j'étais dubitatif sur notre nouvelle destination à cause de ça. Cet homme avait continué sa route et nous la nôtre. Un habitant du coin sûrement.

Arrivé là-bas, je me retournai et vit que mon acôlyte m'avait faussé compagnie pour aller je ne sais où. Je lâchai un soupir car je n'aimais pas quand il me faisait ça, laissant juste quelques plumes à sa place. Mais je savais bien qu'on était chacun libre de faire ce que l'on voulait. C'était aussi ça, la nature de notre duo. Misu qui n'atteignait pas encore le niveau de ma taille mais qui dépassait en revanche celui de mes genoux lâcha un aboiement aigue et bref en guise d'agâcement lui aussi.

“ Il a dû être attiré par quelque chose, il réapparaîtra.” dis-je à l'intention de mon animal.

Un petit sourire s'affichait déjà sur mon visage en imaginant mon coéquipier s'adonner à son rituel fumant. Quelle habitude...
Ainsi soit-il. La station thermale n'était qu'à quelques mètres de là. Je pénétrai tranquillement et me déshabillai avant de pénétrer dans l'eau très chaude pour me détendre et laver mon corps. Misu ne sauta pas dans l'eau mais je lui en lançai avec mes mains pour le laver un peu. Qu'il n'ait plus ses tâches de boue verdâtre sur le pelage. Saleté de marécage. Mon instinct animal préférait clairement une forêt des plus naturelles avec sa dose de terre, de mousse et de verdure. Misu était d'accord avec moi. Les marécages c'était pour les crapauds et autres serpents. Nous nous étions des renards.
Après une dizaine de minutes j'étais déjà en train de me faire sécher rapidement puis de renfiler mes habits. Mes cheveux étaient encore mouillés en revanche. Ûtoshi n'était toujours pas revenu mais j'entendais néanmoins des pas se rapprocher de là, quelqu'un allait pénétrer d'ici peu dans la pièce de cette station abandonnée. Misu aussi dressait déjà ses oreilles. Il nous semblait que ces pas n'étaient pas ceux de notre coéquipier. Mais il n'y avait aucune raison de s'affoler pour le moment.

Fuir. Plus loin, toujours plus loin. Cette horrible réalité qui s'entrelace dans tes rêves les plus fous et désordonné. Afin de trouver refuge, afin de se cacher, afin de ne pas affronter cette peur de perdre un jour ce qu'il te reste de tes vraies envies, de ta volonté. C'était peut-être ça, que Yahiro cherchait en s'exilant si loin de l'endroit où il logeait actuellement.

L'incapacité à agir contre ceux qui détenaient sa liberté. Ce sentiment paralysant et désobligeant qui lui donnait un sentiment de frustration difficilement supportable. Comment tenait-il ? L'espoir ? Est-ce qu'il pouvait dire qu'il y avait de l'espoir ? Impossible de savoir, tout était flou, brisé, en morceau éparpillé un peu partout dans son être. Un Puzzle qu'il ne pouvait finir seul...

Sa Douce sur les genoux, il posa la paume de sa main sur sa poigne. Ce simple contact le calma, dans cet endroit qui semblait désert et qui n'appartenait qu'à eux, et à personne d'autre qu'eux. Il soupira, un soupir de soulagement traduisant ce réconfort qui l'envahissait au contact de sa belle. Plus que tout, c'était un sentiment un peu fou, incontrôlable et capricieux.

Soudainement, il entendit un bruit. Une voix s'élevant dans cet endroit qui semblait, aux premières apparences, à l'abandon. Qui était-ce ? Il ne reconnaissait pas ce timbre, il ne l'avait jamais entendu. Ses yeux dorés cherchaient l'origine de cette intrusion... Et malgré le brouillard, il vit cet Homme avec son Renard, se déshabillant avant d'entrer dans l'eau brûlante. À cette hauteur, peu importe la vapeur, Yahiro avait une vision absolue sur la scène. Ce n'était probablement pas le cas inverse.

Observant le jeune homme aux cheveux blancs, Yahiro se demandait bien ce qu'il pouvait ressentir actuellement, en l'observant alors qu'il était à nu devant lui ? De la gêne ? Du dégoût ? Du désir ? Pour lui ? Pour une femme ? Pour sa Douce ? L'indécision. C'était un de ses traits de caractère, probablement son principal trait de caractère. Indécis oui, mais seulement lorsque sa Douce était loin de lui.

Finalement, par le silence immobile de la lame, il comprit qu'il n'avait pas besoin d'avoir une réponse immédiate. Il continua de l'observer, mémorisant ses attitudes, ses mimiques... Et alors que Yahiro était quelqu'un qui avait de grandes difficultés pour se concentrer, le comportement de l'homme envers son renard, et l'attention qui lui portait semblaient être égale à celle que Yahiro portait à sa Douce. Délicatesse et précision.

Et, lorsque l'objet de sa fascination eu finit, Yahiro se déplaça jusqu'à lui. Il devait le voir, en être certains. C'était rare, mais pour une fois, ce serait lui qui ferait le premier pas. S'avançant dans un pas régulier, il se dévoila à lui. Sa lame dans son dos, son regard doré se figea dans celui de l'homme aux cheveux d'argent.

« Je ne pensais pas que d'autres personnes viendraient jusqu'ici. Vous vous êtes perdu ? »

Tourner autour du pot. C'était probablement la spécialité de Yahiro. Enfin, lorsque sa belle n'était pas avec lui. Car lorsqu'il sentit les légères vibrations, emplis de violence, dans son dos, son discours changea immédiatement. Écoutant la réponse de l'homme, il s'accroupit avant de tendre sa main vers le Renard afin de faire connaissance avec. Puis, lorsqu'il eut fini, Yahiro enchaîna.

« Je vous ai regardé, vous et votre animal tout à l'heure. C'était étrange de voir un Renard si bien apprivoisé... C'est une... Étrange relation... Entre un Animal et un Homme... »

L'homme qui se montra à nous parmi les fumées de vapeurs des sources chaudes avait la peau mate, un regard doré, et portait une lame dans son dos. Il s'était avancé d'un pas assuré vers moi et Misu, nous demandant si nous nous étions perdus. Je restais dubitatif une à deux secondes, non nous n'étions pas perdu. Devais-je annoncer la présence d'Ûtoshi non loin d'ici ? Certainement pas. En cas de pépin ce serait un plus que sa présence ne soit pas remarquée.

" Perdu ? Non on voyage sans but précis. On avait besoin d'un bon bain. Quelqu'un nous a indiqué la route à lui (je désignais Misu) et moi. "

L'homme voulut fait connaissance avec Misu et ce dernier joua le jeu en tendant sa patte lui aussi. Après ça il vint tout simplement à mes pieds avec une allure tranquille. Là où il se sentait plus en sécurité. L'homme reprit ensuite la parole. Ce à quoi je devais répondre quelque chose :

" Misu et moi sommes liés depuis tout petits. C'est la particularité du clan Dôbutsu. "

Je caressai la tête de ce dernier un instant.

" Nous sommes chez vous peut-être ? Cette station abandonnée vous appartient ? Si oui je ne savais pas. C'est la première fois qu'on vient visiter ce pays, à vrai dire je suis originaire du pays de la rivière et ce n'est pas tout près. "

Un court instant passa et je pensais que peut-être je pouvais lui annoncer mon prénom pour instaurer un climat de confiance. L'homme au teint mate et aux yeux dorés ne semblait pas novice dans l'art du combat. C'était l'impression qu'il me faisait et mon instinct de renard me disait de jouer de ma ruse et de paraître sympathique. Misu ressentait la même chose.

" Mon nom est Dôbutsu Shamaru. Et vous êtes ? "

Je n'avais aucun intérêt à jouer les suicidaires avec cet inconnu. J'étais quand même plus intelligent que ça. Et je remerciais au fond de mOI les forces de la nature d'avoir fait que mon coéquipier ne soit pas là avec nous. Il était parfois instable et avait des envies meurtrières plus violentes que moi. Je craignais d'ailleurs qu'il n'arrive en plein de milieu de discussion et ne vienne envenimer la situation. Mais pour le moment tout se passait tranquillement.

Il désignait son renard comme une personne à part entière, ce qui me rappelait la relation que j'entretenais avec ma Douce. Je la sentais d'ailleurs, vibrante doucement dans mon dos, dégageant une harmonieuse sensation m'assurant que mes choix étaient justes. Cette présence était tout ce qu'il me fallait pour continuer à vivre avec autant de conviction... Et de liberté.

Je m'accroupissais, faisant sentir ma main au renard. Après un petit moment, je lui caressais gentiment la tête d'un air amical, et il me tendit la patte, que je serrai avec un petit sourire en coin. Puis, il revint vers son Maître qui m'expliquait que cette relation avec un animal était une particularité du clan Dôbutsu.

J'avais vaguement entendu parler de ce clan originaire de Kawa no Kuni, simplement grâce à mes voyages. Par contre, j'ignorai tout de leurs usages et coutumes. Je me relevais, le voyant caressé la tête de son ami. Il me demanda si j'étais propriétaire de ce terrain, s'il était chez moi. La question serait : Est-ce que j'avais un chez-moi ? Il me confirma le fait qu'il était originaire de Kawa, et qu'il s'appelait Dôbutsu Shamaru.

« Mitsumori Yahiro, d'aucun clan particulier. Non cet endroit n'est pas mien... Tout ce qui m'appartient est un balluchon, quelques ryos, les habits que je porte sur moi et cette épée. Il faut dire que je suis un peu un Citoyen du Monde. Mon chez-moi, c'est un peu partout et nulle part à la fois il faut croire... »

Une remarque que ma Douce ne s'empêcha pas d'émettre un cliquetis relativement violent. Elle n'aimait pas que je développe un sentiment d'appartenance à son égard. Après tout, c'était moi qui, dans un sens, lui appartenais.

« Vous dites voyager sans but précis mais... Pourquoi être partie de vos terres, si ce n'est pas indiscret ? Personne ne part de son chez soit sans une bonne raison... C'est humain, après tout. »