Une pluie battante rythme une nuit d’automne dans la cité de l’Alliance. Et le lapement continu des gouttières qui se déverse dans les rues couvre les pas rapides des noctambules. La fumée s’entasse sous la capuche du trentenaire tandis qu’il passe les portes d’un tripot arborant fièrement un kokani noir en bois.

Le tapage des dés qui roulent et des cartes qui glissent prend le pas sur celui de la pluie. Fuusho s’engouffre dans cette atmosphère particulière, aux odeurs de permissions et de libertés, souvent si fortes qu’elles en dissimulent celle plus nauséeuse de la dépendance. Car ici ne gagne que le propriétaire.

Le fumeur s’approche d’une partie d’oicho-kabu et s’assoie parmi les joueurs. Les quarante cartes sont mélangées et la première distribution opère. Six cartes face visibles pour les six participants, plus une dernière au donneur. La seconde donne se fait face cachée, que seul le joueur de la carte peut regarder. Confiant dans son jeu, un huit et un neuf, Fuusho se laisse tenter à une dernière carte qui restera face cachée jusqu’à la révélation de l’ensemble des mains. Le trentenaire mise gros, persuadé d’une victoire. Mais dès que le donneur révèle les cartes, tous râlent d’un échec. Surtout Fuusho. D’un simple trois il voit son argent se faire happer par l’établissement.

Cette défaite initie une lente descente aux enfers pour lui. Une descente qui durera toute la nuit.

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Les pertes dépassent de loin les quelques gains qu’il a pu accumuler durant les parties successives. Et la dette grossit tandis que son espoir de fortune se fond en mirage. Pourtant il continue. Pleinement conscient de ce qu'il s'inflige, Fuusho poursuit cette quête perdue d'avance. À moins que l'argent n'en soit pas le véritable moteur ?

Les tumultes d’une altercation attirent soudain son attention. Il n’est vraisemblablement pas le seul à perdre ce soir. Ici, tout le monde espère, mais personne ne gagne. Quelqu'un qui n’accepterait pas les règles du jeu ? Un ignorant très vite maîtrisé disparaissant derrière une petite porte, un perdant avalé dans l'arrière salle à l'image de son argent englouti par l'établissement. Encore un, très certainement, qui ne connait pas l'identité des propriétaires.. .

- "Reprenons, messieurs." Annonce le croupier, tout en battant les cartes pour qu'une nouvelle partie débute.

Et le trentenaire replonge, toujours plus loin dans ses dettes.

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Défait, il courbe l'échine tandis que sa dernière cigarette meurt entre ses lèvres. Sans se laisser abattre, il en invoque une nouvelle au creux de sa main. Sa maison étant juste en face de l'établissement, le trentenaire dispose de l'intégralité de son stock de tabac, à volonté. Jetant la mourante dans le cendrier, le bâton de cendre crache un ultime trait de fumée, qui navigue en hauteur pour nourrir l'épaisse couche de volutes stagnant au plafond.

N'ayant plus d'argent à parier, Fuusho quitte la table. Portant son regard sur le reste de la salle, il croise celui d'une jeune femme qui, d'un simple signe de l'index, l'invite à la rejoindre.

La chance lui sourit peut-être. Et il caresse l'espoir fou de ne pas quitter cette maison de jeu complètement bredouille.

- "Vous n'auriez pas une cigarette par hasard ?" Lui demande-t-elle d'un sourire plein de malice. D'un geste instinctif, Fuusho en fait apparaître une dans sa paume et la tend à l'inconnue, à qui, il ne manque pas de demander son nom.

- "Chouki Yukiko et vous ?"

- "Yuuryo Fuusho."

- "Vraiment ?" S'étonne-t-elle d'un hoquet amusé. "Je pensais que vous étiez Gisei..." Son sourire s'élargit, passant de la malice à la ruse. Celui du trentenaire, en revanche, s'efface aussitôt, laissant place à l'inquiétude.

- "Oh, ne vous en faites pas. Je n'ai nul bénéfice à vous démasquer aux yeux de tous." Sa voix s'est faite des plus douce, et suffisamment légère pour que la discussion tourne en aparté. "Du moins, pour l'instant." D'une simple caresse sur la joue, elle l'écarte tout aussi légèrement et s'engouffre vers l'arrière salle. Sa tête dépasse encore de l'encadrure de la porte lorsqu'elle l'invite à le suivre.

Piégé, de toute évidence, Fuusho s'en remet au bon vouloir de Yukiko en lui emboitant le pas.

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- "Est-ce que cela vous convient ?" Conclut la jeune femme, assise derrière son bureau de gérante.

- "Ai-je seulement le choix ?" Question légitime, mais prévisible. Et Yukiko y répond suffisamment vite pour sous-entendre qu'elle s'y attendait.

- "J'estime que vous l'avez fait en entrant dans mon établissement, Yuuryo-san." Maline. Très maline. Avec une longueur d'avance, toujours. Une aptitude qui n'étonne qu'à moitié Fuusho, au vue du poste qu'elle occupe à tout juste vingt-huit ans.

- "Je n'ai pourtant pas choisi de perdre au jeu."

- "De perdre, non. Mais de perdre autant, permettez-moi d'en douter. Notre discussion est le but de votre venue, n'est-ce pas ? Alors ne jouons pas plus la comédie, voulez-vous ? Nous savons tous deux que vos dettes de ce soir ne sont qu'un prétexte à un partenariat profitable à l'un comme à l'autre." Infaillible. Conquérante. Ses doigts pianotent sur l'accoudoir de son fauteuil. Une rythmique très certainement jouée à de nombreuses reprises et qui supporte ses arguments d'un battement régulier.

- "Ne suis-je qu'un livre ouvert pour vous ? Une énigme fade ?" Demande-t-il, cherchant encore les erreurs commises qui auraient pues révéler ses intentions si aisément.

- "Non. Je n'ai eu que des soupçons en vous ayant vu rentrer ici, voilà tout. Des soupçons initiés par votre rencontre avec Orihime-kun il y a plusieurs jours de cela."

- "Je vois." Un simple nom et tout s'éclaire. Orihime, cette autre jeune femme croisée chez un marchand d'armes, sur les terres de Taki. Cette dernière avait relevé ses qualité de faussaire. Et à présent, Yukiko s'en sert. "Souhaitez-vous aborder d'autres points sur ce contrat ?" Simple formalité à travers laquelle Fuusho accepte d'honorer sa dette.

- "Non. Vous m'avez l'air d'être une personne prudente, Yuuryo-san. Continuez ainsi."

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Chez lui, attablé à son bureau, voilà trois heures que le trentenaire s'efforce de reproduire une signature à la perfection. Les papiers et les brouillons s'entassent derrière lui, la plupart chiffonnés de rage ou d'impatience. Trois heures de labeur qui aboutissent enfin. Le résultat est à la hauteur des efforts, ne lui reste plus alors qu'à remplir la lettre vierge qu'il vient de signer... .

Un premier document contrefait pour rembourser l'organisation qui l'endette. Une première malfaçon dans l'espoir d'approcher un peu plus le cœur du Kunimasu.