Les jours se suivaient mais ne se ressemblaient pas au Shozaichi. Pour la nouvelle arrivée que Setsuna était, le Shozaichi se révélait plein de surprise et de beautés. Chaque journée apportait son lot de découvertes et de rencontres en tout genre. La noiraude restait néanmoins fidèle à elle-même et ne parlait jamais plus que nécessaire aux autochtones. Et lorsqu'elle le faisait, c'était toujours dans l'optique d'affiner son avis sur le Shûkai. Si la perspective de rejoindre les rangs de l'Alliance avait d'abord semblé étrange, elle devenait de plus en plus probable. Aujourd'hui, demain, dans plusieurs jours... Ce n'était finalement qu'une question de temps...

*Le temps que tu te fasses à cette idée, tout simplement!* se dit-elle en arrivant dans le quartier commerçant.

Mais ça ne dépendait pas qu'elle, ça aurait été trop facile. La jeune femme devait convaincre les responsables de sa loyauté et de ses capacités. Autant dire qu'il lui restait encore du chemin à faire. Mais l'homme qui l'avait suivie les premiers jours semblait avoir disparu. Signe que le Shûkai avait terminé son enquête sur elle? Possible, oui. Ou alors l'intéressé avait laissé la place à un collègue plus discret que lui. Dans tout les cas elle ne pouvait pas faire grand chose à ce sujet.

Setsuna s'arrêta devant un marchand de rue qui vendait des armes de lancer en tout genre. Elle jeta son dévolu sur un kunaï recouvert de fines gravures et le leva devant elle comme pour mieux apprécier ce qu'elle voyait. La noiraude arrêta bien vite la contemplation de l'objet quand elle découvrit une silhouette bien connue à l'arrière-plan. La silhouette d'une personne qu'elle aurait bien aimé ne jamais recroiser!

*Ho non... Pas lui!* soupira-t-elle en fermant un instant les yeux.

Qu'est-ce que Len faisait sur la place du marché? Et comme par hasard, avec toute sa garde personnelle! Il n'avait pas des esprits à violer aux grandes portes? Setsuna balaya les environs de son regard vermeille, à la recherche d'un échappatoire. Mais le marché était noir de monde et distancer le petit morveux allait être compliqué. Surtout que ce dernier pouvait compter sur ses chaperons pour lui dégager le passage. Et pour ne rien arranger les gens s'écartaient respectueusement en voyant les uniformes, facilitant ainsi sa progression...

*La journée avait pourtant si bien commencé...* déplora-t-elle avant de se cacher derrière l'un des râteliers d'armes de l'échoppe en plein air.

Avec un peu de chance, l'autre passerait sans même sans rendre compte. Et puis même s'il la voyait, il y avait finalement peu de chances qu'il décide de lui prêter attention. Des voyageurs, il devait en voir des dizaines chaque jour. Setsuna fit donc son possible pour chasser de son esprit toute pensée violente envers le gamin, des fois qu'il arrive à les capter. Elle suivit ensuite la progression de l'intéressé en faisant attention à rester cachée.

Mais la roue du destin tourne rarement dans le sens qu'on attendait. Et cette fois encore, cela se vérifia: un brusque mouvement de foule du à la course d'un voleur projeta Setsuna contre le râtelier qui pencha dangereusement avant de tomber du côté de... Len. Les guan dao qu'il supportait tombèrent sur le sol dans un grand fracas, l'une d'elle frôlant de peu le morveux. Ses gardes réagirent immédiatement, certains formant un mur protecteur autours du passeur et d'autres venant entourer Setsuna d'un air menaçant, armes pointée dans sa direction. La noiraude leur montra ses mains paumes ouvertes pour leur montrer qu'elle n'était pas armée.

- "Je... Ce n'est pas ce que vous croyez! Pas du tout même! C'est un malheureux concours de circonstances, je vous assure!" se justifia-t-elle maladroitement, autant surprise qu'eux.

Si les rôles avaient été inversés, Setsuna n'aurait sans doute pas cru à sa propre version. Mais Len pouvait lire les pensées et fouiller les mémoires. Il lui suffirait de questionner son esprit pour se rendre compte qu'elle disait la vérité. Oui, ça allait forcément s'arranger. À moins que... Ce n'était qu'un gosse après tout, il pouvait très bien décider de jouer avec elle. D'autant plus qu'il en avait les moyens...

*Faites qu'il soit dans un bon jour...* supplia-t-elle en silence une quelconque divinité.

C'est une blague ou quoi ? Alors que l'on me surveille quand je suis aux portes pour me protéger et voir si je fais bien mon travail est une chose, mais qu'on me suive toute la journée en mode "Je zieute le moindre de tes mouvements", ça devient juste invivable ! Va falloir que je trouve un truc pour souffler un peu quoi... Rah, ça me fout la rage sérieux !

Hein ?! HO ?! WHAAAAA !!! MAIS C'EST QUOI CE TRUC BIEN TRANCHANT QUI VIENT DE ME FROLER LA PEAU ?! BANDE DE MALADE MENTALE, JE VAIS TE FOUTRE EN PRISON LE RESTE DE TA VIE !

Bon, ça va que ma garde à fait le nécessaire... Mais ils doivent être assez limités hein ? Y a un voleur qui court et eux, ils arrêtent cette fille... Setsuna Nagakawa. Oui, je suis un Yamanaka, avoir une mémoire d'éléphant ne devrai pas vous surprendre ! Bref, en tous les cas, j'explose de rire quand elle tente de se justifier timidement ! Elle est toute mignonne et inoffensive ! Haha, c'est tellement drôle que j'en pleure de rire...

Tiens ça me donne une idée... Arrêtant mon rire, je dis calmement suivis d'un sourire innocent.

« Vous attendez quoi pour rattraper ce voleur qui à faillis me tuer ? Une invitation de Kakeshuou-Sama, ou un rapport de ma part ? »

Réaction directe, les gardes se questionnent du regard, je pousse un soupir, avant de reprendre...

« Ça veut dire : rattrapez-le. »
« Et votre sécurité, Len-Sama ? »

Je pris un air innocent, avant de sourire et de pointer Setsuna du doigt.

« C'est une Ninja, elle s'occupera de moi, et puis si il m'arrive un truc, cherchez Nakagawa Setsuna... Dépêchez-vous ou vous allez être punis. »

YEEEES ! Ils se mettent en route, tandis que Setsuna me regarde avec des gros yeux...

« Allez, on bouge ! Et vu que tu pensais ce matin comment faire pour prouver ta valeur au Shukaï, je pense que c'est tout vu ! Et si tu ne le fais pas, je te fais faire un truc imbécile, et je ne pense pas que tu aimerais que je te face faire un truc d'imbécile ! »

Pas une, ni deux, je continuais mon chemin, en courant et en me faufilant entre les passants et dans les ruelles ! De quoi lui rendre la tâche de me suivre un peu plus difficile ! Avec mon passé de voleur, c'est vraiment tout simple de courir dans une foule ! À la fin, nous arrivons devant un super restaurant ! Et j'ai faim, donc...

« Allons manger ! J'ai faim, et je supporte pas avoir faim ! »

Setsuna en était encore à envisager les conséquences de ce qui avait pu être considéré comme une tentative - fort maladroite il est vrai - du passeur quand ce dernier lança sa garde à la poursuite du voleur. Après quelques réticences de la part des soldats, le gamin leur annonça que c'était la jeune femme elle-même qui allait se charger de sa protection. Une esquisse de sourire apparut sur les lèvres de l'intéressée qui pensa presque immédiatement à une plaisanterie de mauvais goût. Mais il disparut rapidement lorsqu'elle comprit qu'il n'en était rien...

*Veiller sur lui? Et puis quoi encore?*

La noiraude avait beau savoir que Len pouvait lire les pensées, il n'en restait pas moins que c'était assez compliqué de faire le vide dans son esprit. Et encore plus quand ce genre de surprises de vous arrivait. Quoi qu'il en soit Setsuna comptait bien ne pas obéir aux ordres du Yamanaka. Il l'avait peut-être oublié, mais elle ne faisait pas partie de l'Alliance. Elle n'était rien de plus qu'une visiteuse dans la capitale, pas un larbin à la solde d'un gamin à peine entrée dans l'adolescence et, donc, dans la crise qui allait forcément de paire avec. Même si on pouvait lui retirer son autorisation de séjour, elle avait sa fierté! Setsuna lui décocha un sourire carnassier lorsqu'il la menaça de lui faire faire des trucs imbéciles, comme il disait.

- "C'est pas précisément ce que tu me demandes de faire, là?" maugréa-t-elle. "Comme si l'humiliation que tu m'as faite subir aux portes ne suffisait pas..."

Len n'avait certainement pas écouté la fin de la réponse puisqu'il était déjà parti en courant. Elle le regarda se faufiler comme une anguille et s'apprêta à tourner les talons quand une évidence lui vint à l'esprit: il avait donné son nom à ses gardes! S'il lui arrivait quoi que ce soit quand il était supposé être sous sa protection, qui allait-on tenir pour responsable? Elle ferma les yeux et retint un juron avant de se lancer à la poursuite du gamin. Setsuna eu de la peine à le rejoindre et n'y parvint d'ailleurs pas totalement jusqu'à ce que Len décide de lui-même de s'arrêter devant un restaurant.

La jeune femme le rejoignit et posa ses mains sur les genoux, se penchant légèrement en avant pour reprendre son souffle. Elle était en bonne condition physique mais aucun entraînement ne vous préparait vraiment à poursuivre un gosse dans des rues remplies de gens. Et spécialement un gosse qui semblait prendre un malin plaisir à vous donner du fil à retordre. La noiraude décocha un regard sombre à Len. Cette fois, il y avait fort à parier qu'il n'aurait pas besoin d'user de son pouvoir pour comprendre les sentiments de sa "gardienne".

Mais le Yamanaka semblait concentré sur sa petite personne. Et plus précisément son estomac! Voila qu'il avait faim maintenant! Ce qui ne dérangeait pas Setsuna en soi puisqu'il cesserait ainsi de courir partout le temps qu'il se nourrisse. Elle se contenta donc d'acquiescer avant de le suivre à l'intérieur du restaurant.

- "Je n'ai pas un ryos en poche au cas où tu avais dans l'idée de m’extorquer un repas!" l'avertit-elle sur un ton catégorique. "Et la prochaine fois qu'il te prend l'envie de courir comme ça, je t'attache! Et ce ne sont pas des paroles en l'air, tu n'as qu'à sonder mon esprit si tu crois que je rigole!"

C'est vrai, quoi! Elle était responsable de sa sécurité après tout alors elle comptait bien remplir son rôle jusqu'au bout. Bon, elle se doutait bien que Len n'allait pas se laisser faire comme ça mais elle ne perdait rien à essayer. Et puis au pire elle se justifierait en disant que c'était pour son "bien". Finalement cette situation avait aussi des bons côtés, quand on y pensait.

Une fois à l'intérieur, Setsuna choisit la table la plus à l'écart. Ce choix était motivé par des raisons de sécurité mais également le désir que d'éventuels clients évitent d'entendre ce que Len pouvait balancer sur elle si jamais il lui prenait l'envie de s'amuser. Le visage fermé, elle prit place en face du gamin et lui désigna la carte:

- "Profite bien de ton repas parce qu'une fois que tu l'as terminé, je te rapporte à tes... parents ou à la personne responsable de toi, peu importe! Ça m'étonnerait que tu sois autorisé à te balader avec une étrangère pour toute escorte de toute façon. Ou alors c'est que tu es moins important que ce que j'imaginais..."

Elle tapota avec ses doigts sur la table pour bien signifier son impatience. Elle était agacée mais en même temps même si la bouille d'ange de Len atténuait quelque peu sa colère. Sans vraiment savoir pourquoi, des souvenirs de son frère lui revinrent en mémoire. Ce genre de "disputes", elle l'avait eu avec lui quelques années plus tôt. Quand il était encore en vie. Elle chassa rapidement ce morceau du passé de sa mémoire pour ne pas donner la chance à Len de l'exploiter avant de reporter son attention sur lui:

- "J'espère au moins que je vais être payée pour assurer ta protection? Parce que le bénévolat, c'est pas vraiment mon truc..."

Aucun Ryos en poche ? Ce n'était pas un problème pour le petit blondinet. Il savait déjà quoi faire, et que faire à ce sujet. Quoi donc ? Et bien tout simplement lui annoncer qu'elle payerait l'addition sur la note de sa prochaine mission. En gros, à son nom l'ardoise ! Il jubilait déjà de l'intérieur de savoir la réaction qu'elle allait avoir en l'apprenant, qu'il n'avait même pas entendu la suite de sa phrase...

La jeune manipulatrice du Haiton et le blondinet encore plus jeune s'assoiyèrent alors à une table. Observant le restaurant, la jeune femme fit une remarque qui fit perdre tout sourire à Len. Il baissa tout simplement les yeux, semblant soudainement tristes, avant d'annoncer d'une voix la plus calme et neutre possible.

« Je n'ai personne. Dommage hein ? N'y tuteur, n'y parents. »

Le dernier mot fit une sorte d'électrochoc à son cœur. Le Passeur n'avait rien d'autre à se rattacher, mis à part les bêtises et l'argent... C'était une triste vérité qu'il se cachait à lui-même, afin de paraître exécrable et que l'on daigne lui porter un minimum d'intérêt. Toute l'innocence de ce qui fait l'enfance d'un gosse était pervertie par l'abandon et le caractère détestables des autres. Malgrès ses compétences en comédie, sa voix défaillis, et il détourna vivement les yeux, avant de plonger sa tête dans la carte, avant de répondre à la dernière question de Setsuna.

« Papy Ôda te paiera ce qui paiera le restaurant. »

Encore une fois, il ne s'était pas réellement remis. Il haïssait cette faille, car c'était la seule chose qui lui donnait autant de mal à dissimuler. Enfin, la serveuse arriva, et il commença la commande... Gigantesque. Que ce soit nouille, sushis et grillades, il avait commandé un plat pour 10. C'était donc un gros mangeur en pleine croissance... Et il avait réussi à reprendre son calme, et son petit sourire mesquin... Bien qu'il n'arrivât pas à fixer la Nakagawa du regard...

« Je suis en pleine croissance... Faut que je mange... »

La jeune femme s'était attendue à un peu près tout comme réaction de la part de Len, sauf à l'attitude qu'il adopta lorsqu'elle fit référence à ses parents où à la personne responsable de lui. Il semblait... triste! L'assurance qu'il dégageait à leur première rencontre et qui avait tant étonné la noiraude semblait avoir disparu, laissant place à un regard fuyant. Pour la première fois, elle le vit comme le jeune qu'il était et non comme le redoutable "Passeur" qui pouvait décider du sort des voyageurs à l'entrée du Shozaichi. Changement pour le moins inattendu...

*Inattendu et bienvenue!* corrigea-t-elle avec un certain plaisir.

Setsuna ne portait pas vraiment Len dans son coeur mais elle ne put s'empêcher de ressentir une certaine empathie pour lui. Elle avait perdu son père mais avait eu sa mère à ses côté ces dernières années tandis que le Yamanaka, lui... Du coup, il devait certainement se débrouiller seul. Son statut de passeur et ses aptitudes étranges avaient certainement fait de lui quelqu'un de riche. La noiraude en vint même à se demander s'il n'avait pas obtenu son poste en bidouillant l'esprit d'un des membres du triumvirat. Comme ce

- "Papy Ôda?" releva-t-elle en haussant un sourcil. "Tu veux dire Kekesho... Kakeshuou, le Samui?"

Autrement dit un véritable sadique d'après les dires d'Aokiji. Et vu qu'elle avait eu son lot de psychopathes ces derniers temps, il était inutile d'en ajouter encore un à la liste...

- "C'est bon, je vais garder un œil sur toi gratuitement..." soupira-t-elle. "T'es pas si terrible que ça finalement quand tu cours pas partout et que tu t'immisces pas dans l'esprit des gens!"

Len avait reprit son air calme et affichait le petit sourire mesquin qu'elle détestait tant... Ce qui, quand on connaissait l'animal, ne laissait rien présager de bon. Setsuna espérait qu'il n'était pas reparti dans une logique d'opposition pour lui faire payer son instant de faiblesse ou simplement pour s'amuser. Quoi qu'il en soit elle ne tenta pas de lever une barrière mentale puisque elle n'en voyait plus l'intérêt. Faire attention à ce qu'elle pensait demandait trop de temps et d'énergie et Len savait pratiquement tout d'elle. Pour conclure, elle ne savait de toute façon pas comment lever une protection mentale ou quelque chose susceptible de la protéger de son pouvoir. Du coup...

- "Bon écoute... comme je le vois, la journée peut se dérouler de deux manières: soit tu me fais tourner en bourrique, je te gifle, et on recommence jusqu'à ce que l'un des deux abandonne, soit on se la joue coopératif et on essaie de passer un bon moment! Je sais pas moi, par exemple on pourrait..." elle se passa une main dans les cheveux, cherchant visiblement quelque chose à faire à deux. "... aller dans des endroits où ta petite garde te laisse pas aller d'habitude? Si tu as envie de te prendre une cuite, je suis prête à fermer les yeux!"

La perspective d'un Len bourré n'était pas réjouissante mais d'un autre côté il serait peut-être aussi plus conciliant. Prendre ce risque, c'était un peu comme jouer à la roulette Saibogu...

- "Ou autre chose?" ajouta-t-elle en haussant les épaules.

Ayant repris son petit sourire mesquin, et tous ses moyens, Len commença à dévorer tous les plats qu'il avait commandés. C'était d'ailleurs assez étonnant de voir un être si petit et si chétif manger autant sans prendre un gramme. Et oui, notre passeur faisait partie de la catégorie des personnes pouvant s'empiffrer en volonté tout en gardant la ligne. Il faut dire qu'en plus d'être énervant mentalement, même son corps s'y mettait pour nous foutre la rage. Oui, on avait à faire ici à un petit blondinet diablotin en puissance !

« C'est bien lui que je veux parler, c'est mon Sensei ! Mais tu devrais aller le voir, car hors de question que je paye celui qui me garde ! Donc ça sera déduit de ta prochaine paye, Nakagawa Setsuna ! »

Il disait ça entre deux grillades. En vérité, il s'en fichait de ce que pouvait dire la fille, car la serveuse pas loin avait déjà noté le prénom et le nom de la jeune femme. Et vu ce que Len avait englouti, l'addition allait être salée ! Mais la suite des dires de la jeune femme mit perplexe notre jeune passeur... Lui faire prendre sa première cuite ? L'alcool n'est-il par interdit aux moins de 18 ans au Shukai ? Voir 20 à 21 ans pour un Shinobi ?

« Euh... Tu sais que j'ai 14 ans hein ? Puis l'alcool, ce n'est pas bon. »

Dit-il en faisant une grimace. Mais apparemment, le petit blondinet avait autre chose en tête pour passer un bon moment avec sa nouvelle "Garde rapprochée". À peine avait-il finit d'engloutir son dessert, qu'il agrippa Setsuna par la main et la sortit du restaurant, continuant de courir dans les rues d'une manière particulièrement agile. Apparemment, la jeune gardienne avait du mal à suivre le rythme de l'ancien voleur.

« Vite ! Vite ! Quelqu'un va nous suivre et nous prendre la place après ! »

Que voulait-il ? Personne ici ne le savait. Tout ce que l'on pouvait dire, c'était de voir un petit garçon surexcité de rejoindre l'endroit de ses désirs. Filant toujours à vive allure, il s'engouffra dans un chemin montagnard, continuant à un rythme acharné. Et c'est une fois tout en haut, que sa camarade du jour comprit pourquoi il venait tant à venir ici. S'approchant de la falaise, Len hurla :

« Je suis le Roi du Monde ! »

En vérité, on aurait presque pu croire que cela était vrai. D'ici, on pouvait voir le coucher de soleil illuminé de sa lumière dorée, voir rouge, la ville du Shukai. Il s'allongea dans l'herbe, et sous cette brise et ce ciel crépusculaire, il soupira dans un sourire radieux, et pour une fois, sincère.

« La liberté m'avait manqué ! »

Juste avant de se souvenir d'un détail... Setsuna ! Avait-elle entendu ?

Len refusa presque immédiatement l'option "boisson à gogo" en arguant qu'il était trop jeune. Setsuna doutait qu'il y a un âge pour ça mais elle était pratiquement obligée de lui donner raison. Dommage, elle était pratiquement certaine qu'en ayant suffisamment bu le morveux serait devenu non seulement plus sympathique mais également docile. Avec un peu de chance il se serait endormi avec un filet de bave au coin des lèvres et un air bienheureux. Mais l'idée d'aller ensuite expliquer au vieux Samui pourquoi son élève était dans un coma éthylique ne la réjouissait pas plus que ça. Voir carrément pas du tout!

- "Ok, on laisse tomber l'idée alors..." lâcha-t-elle laconiquement.

La noiraude observa le gamin manger au moins autant qu'un régiment qui rentre d'une longue journée d'entraînement en espérant qu'il avait de quoi payer. Parce qu'il était tout simplement hors de question qu'elle se ruine alors qu'elle n'allait même pas être payée pour ce travail aussi éprouvant qu'irritant. Le coude sur la table et la joue dans sa paume, elle le regarda dévorer inlassablement les plats qu'on lui amenaient en se demandant si elle ne préférait pas lui courir après dans tout le Shozaichi. Au moins le temps passait plus vite...

Len avait peut-être lu dans ses pensées puisque à peine son dessert terminé il la saisit par la main avant de l'entraîner à sa suite. Setsuna reposa au coin de la table son verre d'eau et adressa un vague signe de la tête accompagné d'un haussement d'épaule au patron de l'établissement. Puisque ce dernier ne leur couru pas après avec de grands couteaux de cuisine, il y avait fort à parier que le blond s'était déjà occupé de l'aspect financier. Il y avait peut-être un coeur qui battait dans sa petite poitrine finalement...

Il n'y a rien de mieux qu'un peu d'exercice pour la digestion, c'est bien connu. Mais il y a exercice et marathon! Len l'entraîna dans son sillage avec une énergie digne de ceux de son âge. Setsuna dut s'excuser plusieurs fois envers les personnes qu'elle percutait puisqu'elle n'avait pas la petite taille du morveux pour se faufiler comme une anguille dans la foule.

- "Tu peux ralentir, oui?" râla-t-elle. "On est pas non plus poursuivis par des Furyous!"

Len lui faisait un peu penser à un chaton qui faisait des bêtises constamment mais qui vous regardait ensuite avec des yeux tels que vous n'aviez jamais le coeur de l'engueuler. Aussi si Setsuna râla pour la forme, quelques sourires apparurent avec régularité sur son visage délicat. Il fallait qu'elle fasse attention à ne pas tomber dans une forme de sentimentalisme qui lui aurait certainement été fatal avec Len. Décidément ce gamin savait gérer son monde! Et puis la noiraude était curieuse de savoir où le Yamanaka l'emmenait. La curiosité laissa donc rapidement la place à l'appréhension lorsqu'ils quittèrent la ville pour emprunter un petit chemin montagnard qui les mena en haut d'une falaise. Lorsqu'il clama qu'il était le roi du monde, Setsuna leva les yeux vers lui en reprenant son souffle.

- "Ça va les chevilles?"

Puis une idée cruelle lui vint à l'esprit: vu la position de Len au bord de la falaise, il suffirait d'un rien pour le faire tomber dans le ravin devant lui. La chute serait certainement mortelle et le morveux emporterait avec lui dans la tombe tous les secrets qu'il lui avait arrachés. Une vague de cendres, des flammes, la force physique... Les moyens ne manquaient pas pour se débarrasser de lui. Elle envisagea sérieusement cette possibilité de revanche puis l'abandonna finalement. Après tout, même si ça lui faisait mal de le reconnaître, elle s'était malgré tout un peu attaché à lui. Aussi lorsque qu'il ajouta que la liberté lui avait manqué, Setsuna releva un regard interrogatif vers lui.

- "La liberté?" releva-t-elle. "Je ne vois pas pourquoi tu..."

Elle s'arrêta et écarquilla les yeux de surprises en croyant comprendre pourquoi il disait ça. La jeune femme partit ensuite d'un grand éclat de rire en prenant conscience de certaines choses.

- "Attends! Tu veux dire que... ta garde personnelle n'est pas seulement là pour te protéger mais aussi pour te surveiller? Tu es en liberté provisoire, quelque chose dans le genre?" s'amusa-t-elle sur un ton victorieux. "En fait t'es un prisonnier dans une cage dorée, c'est ça? T'as fais quoi? Allez, dis-moi tout!"

Du coup l'amener en dehors de la ville n'était pas l'idée du siècle. Elle allait d'ailleurs lui dire qu'il était temps de rentrer mais Len avait l'air tellement heureux qu'elle n'eut pas le coeur de lui refuser cet instant de liberté. Elle vint s'allonger à ses côtés après avoir observé le couché de soleil et la jeu de lumière qu'il créait sur le Shozaichi. La liberté n'avait pas de prix et il fallait savoir la savourer après tout. Setsuna vint donc prendre place aux côtés du gamin et lui adressa un léger sourire avant de reporter son attention sur le paysage devant elle.

- "Il m'a fallu un moment pour me souvenir où j'avais déjà entendu le nom de Yamanaka! C'est l'un des grands clans du pays du feu n'est-ce pas? Ce qui fait de toi une sorte de déserteur, c'est ça?"

Aucune accusation dans ses propos, juste le désir de comprendre un peu mieux la situation de Len. Surtout qu'elle pouvait peut-être en tirer parti:

- "Je connais la valeur de la liberté et le besoin de se retrouver hors de l'agitation de la capitale. Alors si tu veux et à supposer que ton senseï soit d'accords ou, à défaut, pas au courant, on pourrait venir quelques fois ici t'en dis quoi? Et en échange tu pourrais peut-être te montrer plus agréable?"

Maintenant qu'elle avait quelque chose à lui offrir en retour, elle aurait eu tort de ne pas en profiter...

L’errante avait compris, ou tout du moins saisis, la situation actuelle de Len. Si ce dernier était désormais un membre important du Shukai (et ceux, malgré lui), il était aussi sous surveillance accrue. Pour cause ? Devait-il y avoir une raison de surveiller de près quelqu’un ayant le pouvoir d’influer sur la mémoire des gens ? C’était d’une part pour cette raison, et d’autre part car Len s’en servait –et on se demande si ce n’est toujours pas d’actualité- de son pouvoir pour arnaquer, s’enrichir et manipuler les citoyens lambda. En bref, les raisons de la surveillance du petit blondinet ne manquaient pas.

Len répondit donc à la positive, d’un simple hochement de tête, et quand l’errante lui demanda le pourquoi du comment, un sourire satisfait se dessina sur son visage. Vous savez, ce genre de sourire qui veut dire : « Tu veux vraiment savoir pourquoi ? ». Ouais, ce même genre de sourire qui n’annonce pas vraiment quelque chose de bon. Dans un mouvement souple, Len pris sa sacoche et, de celle-ci, en sorti… Une trentaine de porte-monnaie bien garnis, dont celui de Setsuna ! Il sourit, avant d’ajouter :

« Pourquoi ? Avant d’être au Shukaï, comme tous les orphelins, j’étais un voleur. Et je dois dire que je n’ai pas perdu la main ! Tu peux reprendre le tiens si tu veux, j’allais te le rendre de toute manière. Il est quasiment vide. »

Il s’assit tout en remettant les bourses dans son sac. Quand avait-il commit son larcin ? En vérité, personne ne pouvait le savoir. Probablement lors de la première et lors de la deuxième course folle dans la foule. Et celui de Setsuna ? Juste avant de lui prendre la main pour sortir du restaurant… Il avait modifié sa mémoire, lui faisant oublier ce détail, et avait pris une bonne partie de ses économies pour payer le restaurant. D’où le fait que le restaurateur n’avait rien dit en lorsqu’ils sortirent…

Et la demande de Setsuna ne laissa pas le Passeur de marbre. Au contraire, son visage s’illumina d’un sourire relativement rare pour Len : celui d’un sourire sincère. Juste après quoi, il sauta au coup de Setsuna afin de lui faire un câlin. Le Passeur était donc du genre câlin. Qui l’eût cru ? C’était un drôle de petit Bonhomme ! Toujours sur les genoux de sa grande sœur de fortune, il ajouta en la regardant.

« Ouais ! Et on mangera des glaces cinq boules ! Puis on fera pleins de trucs cool et tout ! Puis exagères pas, c’est pas comme si j’étais vraiment désagréable, hein ? »

Setsuna manqua de s'ouvrir la paume de ses mains avec ses ongles lorsqu'elle vit le gamin sortir un sac rempli de porte-monnaies avant de lui tendre le sien. Elle vérifia rapidement que le sien n'était plus dans sa poche avant de tendre une main exigeante pour récupérer son bien. Elle l'ouvrit pour vérifier qu'il ne manquait rien mais comme l'avait fait si justement remarqué Len quelques secondes auparavant, il était pratiquement vide.

- "C'est trop aimable..." murmura-t-elle, les lèvres tremblantes. "Tu me refais un coup comme ça et je te balance de la falaise!"

Len la mettait une nouvelle fois dans l'embarras puisqu'elle était sensée réagir aux frasques du gamin. Après tout il violait la loi et se payait le luxe de lui faire partager ses "découvertes". En ne faisant rien elle était complice et pouvait envoyer un signal de tolérance au Yamanaka qui en profiterait pour remettre ça dès qu'il en aurait l'occasion. D'un autre côté elle savait très bien qu'il pouvait farfouiller et modifier les mémoires sans le moindre soucis. Il lui aurait fait oublier ce qu'elle venait de voir au moment où elle aurait pensé à la livrer. Elle n'avait pas vraiment le choix tout compte fait. Elle exprima son désaccord par un soupire agacé avant de réceptionner Len qui lui sautait au coup.

- "Hé on se calme! A-Arrêtes!" commença-t-elle, presque paniquée.

La noiraude n'avait pas l'habitude de ce genre de comportement et encore moins venant d'un gamin au visage d'ange mais au comportement parfois pervers. Ses appréhensions furent néanmoins rapidement apaisée par le contact avec l'enfant et elle alla même jusqu'à lui rendre son étreinte en glissant une main dans son dos. L'autre étant, bien entendue, fermement posée sur son porte-monnaie...

"Et pour les glaces on verra je suis pas très riche comme tu as pu t'en rendre compte! Alors si tu en veux, faudra que tu me les paies d'accord? C'est pas négociable ça!" s'amusa-t-elle avant d'adopter un air plus mitigé lorsqu'il lui demanda s'il était vraiment si terrible que ça. "Nooooooon! Tu es adorable quand tu ne cours pas, n'escroque pas les gens ou leur viol leur mémoire, leur dérobe leur porte-monnaie ou utilise une pauvre jeune femme comme garde du corps pour échapper à la vigilance de Kekaksh... Kika... Kakechose là!"

Décidément, il faudrait qu'elle arrive à se rentrer le nom de ce vieillard dans sa tête un jour ou l'autre. La noiraude ébouriffa les cheveux de Len avant de se relever et s'étirer.

- "Bon c'est pas tout ça mais là il va vraiment falloir qu'on rentre! J'ai entrainement dans deux heures et je dois encore passer chez moi! Alors je te ramène à ta petite garde d'accord? Je suis sûre qu'elle sera ravie de te revoir!"

Ha, douce ironie...

- "Tu habites où en fait? Et on est d'accords hein? Pas un mot de tout ceci au grand chef sinon je risque de passer un sale quart d'heure! Je peux pas modifier les mémoires moi alors pas mauvais coup d'accord?"

Il était fou de joie, et ce n'était que peu dire. Enlaçant la Noiraude, il s'amusait sur ses genoux comme un petit fou. Il fallait dire que le petit chaton était léger... Très léger même. Pourtant, qu'est-ce qu'il mangeait ! C'était assez surprenant, et impressionnant, de voir un tel décalage... Mais on pouvait aisément l'expliquer par une utilisation intensive de son pouvoir, la croissance de l'adolescence ainsi qu'à un métabolisme particulier en ajoutant le fait qu'il courrait de partout.

Bref, ce n'était pas la question. Quand Setsuna lui fit la remarque qu'il était adorable selon des conditions à peines réalisables pour le blondinet, se dernier se mit à lui faire un grand sourire, dévoilant ses dents parfaitement blanches. Sérieusement, il était à croquer... Il corrigea sa grande sœur de fortune :

« Kakeshuou ! Mais appelle-le Papy Ôda, c'est plus simple ! »

Mais la suite fit perdre le sourire au petit chat, et sa bouille d'ange heureux se transforma en celle d'un enfant, toujours aussi mignon, mais dépité.

« M'ouais. Pas moi en tout cas... J'habite là-bas et toi ? »

Il pointa les quartiers les plus... Riches du Shôzaichi. Non, ce n'était pas une blague, Len était un sale gosse de riche, avec une grosse somme de Ryos en banque, et encore plus en liquide chez lui. Voleur expert et hors pair, c'était un petit filou.

« Oui ! Ca sera notre secret ! On y reviendra hein ? »

Puis, la journée se termina... Len rejoignant sa garde personnel, et Setsuna... Et bien, nous verrons. En tout les cas, ce fut une journée bien remplie pour le petit Passeur, qui, une fois chez lui, ne tarda pas à rejoindre les bras de Morphée. Au fond, peut-être que son apparence coller avec son moi intérieur ? Qui sait ? Seul l'avenir nous le dira...