L'eau bouillante précéda la vapeur, arracha les feuilles de thés et les graines de cardamone à leur torpeur. Leur parfum se déploya comme une avalanche qui s'évada bien rapidement du second bol, après avoir inondé le premier.

Onpu posa la théière, releva les yeux vers son invité. Il l'avait entendu se déplacer depuis qu'il avait franchi le seuil du palais, même si les sceaux-microphones et les ANBU lui avaient relayé les détails de son arrivée depuis sa présentation aux remparts.
En plongeant son regard dans celui du Shûkaijin, il se surprit à se remémorer le visage de Jisetsu Inori, une jeune femme aux cheveux rose bonbon qu'il avait connu à un festival musical. Etrange comportement que celui d'un cerveau infecté par le venin d'un Furyou...

- Homura-san... le thé est chaud, servez-vous.

Il s'assit en tailleur à même son bureau, attrapa tranquillement son propre bol et commença à chasser la vapeur en soufflant délicatement sur la surface de l'eau.

- Mes hommes vous ont informé aux remparts, vous savez déjà tout. Konoha traverse une période sombre en ce moment, moi le premier. Mais vous êtes évidemment le bienvenu, à l'instar de tout représentant du Shûkai. Courrier ou pas, d'ailleurs.

Même s'il s'était réapproprié l'ambiance de ce bureau ainsi qu'une certaine assurance, il comptait bien y aller à tâtons avec cet inconnu. Les relations entre Konoha et le Shûkai étaient plus complexes qu'elles n'y paraissaient, le background commun des deux factions étant nébuleux. Le cas « Yusuke » y était pour quelque chose.

Cela dit, Jisetsu Homura avait prononcé le mot magique aux remparts. Onpu s'était noyé dans les conséquences des meurtres et des désertions massives que Konoha venait d'essuyer: parler de Furyous lui semblait être un bon moyen de se vider la tête, aussi paradoxal que cela pouvait paraître. A défaut d'être un sujet réjouissant, cela lui permettait de garder un certain recul sur la situation du continent, de remettre de l'ordre dans les priorités en axant ses angoisses vers un mal autrement plus inquiétant.

- Il semble que nous ayons un vaste sujet à aborder. Vous avez toute mon attention.

Le parfum épicé se répandait dans la gorge du luthier comme un dragon, une déferlante bouillante et filiforme.

L'optimisme de cet homme arracha un sourire en coin Suguatoesque à Onpu, tant il faisait plaisir à entendre. L'Hokage avait cependant du mal à croire en son baratin sur la force de la coalition ; selon lui, la préservation du sceau de Shizu était due à un heureux hasard. Son passif avec les Furyou secondaires lui faisant redouter l'omnipotence de ces derniers, il ne pouvait se résoudre à croire que des shinobis normaux aient vraiment pu vaincre l'un d'entre eux.

Cela dit, omnipotents ou pas...

- De fait, les Furyous auront plus de difficultés à régner sur une coalition que sur des peuples divisés. Ce qui rend l'équation délicate, c'est qu'à défaut de pouvoir nous contrôler, ils risquent de vouloir nous écraser. Et ne vous déplaise, ils n'auront aucune difficulté à le faire.

Il reprit une gorgée de thé, sans détourner le regard de celui du Jisetsu, pour ne pas le laisser croire qu'il en resterait là ou qu'il refusait son offre.

- Se serrer les coudes augmentera nos chances de survie, je ne prétends pas le contraire. Ce que j'affirme en revanche, c'est que la dernière chose que nous souhaitons serait d'attirer l'attention des Furyous.
Je ne suis pas certain de savoir de quelle sorte d'union vous me proposez, mais s'il s'agit d'une coalition, je dirais que c'est à la fois la meilleure et la pire idée possible.

Pause. Gorgée.

- Par ailleurs, le passé commun entre mon pays et votre alliance est épineux. Vous n'êtes pas sans savoir qu'en vous rejoignant, les Tôhatsu nous ont tourné le dos. Certains l'ont plutôt mal pris chez nous, et je ne pense pas qu'ils nous portent dans leur cœur de leur côté.

A défaut d'être un motif pertinent pour refuser toute forme d'alliance, ce pourrait être un prétexte relativement cohérent pour le faire, fit-il avec un air malicieux. Vous me suivez?

Il termina son bol avant de s'extraire de son perchoir, et de reprendre avec tout le sérieux du monde en faisant les cent pas dans son bureau.

- Le Shûkai aura notre soutien, et nous accepterons bien volontiers le sien. Mais je serai formel sur un point : tout cela restera officieux.
Je ne dis pas cela par méfiance, ni par rancœur, mais bel et bien dans un effort de stratégie.

Habashi Zanshi m'a récemment assuré son aide, et il semblerait que le Raïkage soit disposé à de nouveau nous prêter main forte avec la disparition de Seitô et ses partisans. Vous êtes quant à vous en de bon termes avec Suna.

Notre union est déjà prête, elle est simplement plus indirecte qu'une coalition. C'est une chaîne d'alliances, et si vous voulez mon avis, cela attirera bien moins le regard des mauvais dieux alentours... Et a fortiori, cela leur donnera peut-être l'illusion de régner sur des peuples séparés.

« Diviser pour mieux régner », disaient les Furyou.
« L'union fait la force », répondait Homura avec fougue.
« Pour vivre heureux, vivons cachés », songeait Onpu.

Onpu s'était resservi. Il écouta la question d'Homura en buvant de larges gorgées, choisissant soigneusement les mots pour lui répondre.

- C'est une menace sérieuse pour tout un chacun. Nous les premiers. Kumo les seconds. En troisième viennent les nukenins en quête d'identité. Ensuite il y a vous.

Il parlait avec un calme relaxant, apaisé par la saveur du thé qui se répandait désormais à travers tout son sang comme un flux curatif, éveillant sa lucidité tout en caressant son bien-être dans le sens du poil.

- Seitô est un homme dont il est nécessaire, vital de se méfier. Même si je présume que certains de ses objectifs s'alignent aux nôtres, notamment en ce qui concerne les Furyous. En tous les cas ses méthodes sont à redouter, et il est clair qu'il rejettera les nôtres.
Cela dit, il ne sera en position de nous poignarder dans le dos que si nous le lui montrons. Je garde une oreille sur lui, je tâcherai de vous tenir informés s'il tente quelque chose sur les territoires de votre alliance.

Au fond du récipient, les tanins étaient réduits à tournoyer dans un volume de fluide de moins en moins vaste. A terme, ils semblaient noircir la teinte du fluide, habituellement d'un brun translucide si clair.
En observant cet univers danser au fond de sa tasse, Onpu se dit que si la dernière gorgée de thé était souvent la meilleure, c'était sans doute parce qu'elle était aussi la plus jolie à regarder.

Sur ces considérations, il releva la tête et répondit avec sérieux à l'homme du Shûkai.

- Avoir des oreilles partout fait partie du travail difficile d'un chef de projet. En tant que membre du triumvirat vous devez en savoir quelque chose, Jisetsu Homura.

L'entretien s'achevait ici. Homura ne serait pas venu pour rien, mais il serait d'utilité publique que le monde extérieure soit persuadé du contraire. Onpu espérait cependant que cette simulation de tension entre leurs nations ne tournerait pas au vinaigre. L'histoire avait prouvé que les conservateurs et les rancuniers étaient capables d'aller très loin.

HRP: