Lâcher la Bride [D'Astrae/Cascades de Hi no Kuni]

Le bruissement des feuilles prises par le vent émettait un son presque délicieux quand on savait, comme Yanosa, que l'avenir se couvrait de nuages. Des nuages noirs, qui s’aggloméreraient sous peu pour ne former qu'une seule et même chape obscure et qui recouvrirait tous les cieux et toutes les contrées du monde. De ces nuages descendraient les calamités auxquelles les Hommes avaient depuis trop longtemps échappé, des marées de souffrances et de ressentiments exacerbés par la haine, des nuées de morts revenus d'outre-tombe pour reléguer le vivant au rang de fange de l'humanité,... Tout cela, dans le seul but de rebâtir sur des fondations saines un monde qui ne souffrirait d'aucune imperfection de principe, et au sein duquel chaque individu dans toute sa singularité pourra exister et mener une vie remplie de sens, d'inévitables souffrances, et d'abnégation primitive. Tout cela viendrait, inéluctablement... Et c'était de sa main que ces flots de désolation nécessaires allaient devoir couler. Une responsabilité qui était, il fallait le dire, sans commune mesure.

C'était ainsi chargé de son éternel fardeau, qu'il se plaisait à porter mais qui nécessitait de lui une volonté sans faille, que Yanosa s'en était allé de Yuki no Kuni, rejoignant le continent où, selon son principal et unique contact, les choses n'allaient pas tarder à bouger. « Bouger »... Quel euphémisme lorsque vous parliez de guerre et de morts par milliers ! Le Nukenin se fichait bien des figures de styles, toutefois, et comme attendant son heure, tel un patient prédateur, il avait décidé de s'offrir ce qui, dans le jargon civil pouvait s'apparenter à des « vacances » ou à une « permission ». Soit entendu que le jeune guerrier rouge n'avait jamais eu besoin de la permission de qui que ce soit pour faire ce qu'il voulait. Mais le contexte aidant et l'attente étant le meilleur choix à faire en cette période, ce ne fut pas sans joie que Yanosa décida de se rendre aux frontières du Pays du Feu, légèrement au nord, désireux de voir enfin de ses yeux les fameuses Cascades qui avaient fait la réputation de cette partie du monde. Bien des fois était-il passé à quelques lieux à peine de ces grandes cataractes d'eau qui se laissaient aller avec toute la force que leur offrait la gravité, mais jamais il n'avait eu le loisir d'y faire un détour. En ce jour, ce caprice très peu exigeant fut donc assouvi pour le Nukenin.

Ses longs cheveux rouges voletant derrière lui comme une traînée de braises, le torse dénudé en raison des températures bien plus accueillantes qu'au Pays de la Neige, Yanosa atteignit les cascades à leur sommet, mirant les sculptures d'anciens héros de guerre taillées à même la roche et qui donnaient à cet endroit cet aspect grotesque, artificiel. Heureusement les cascades, elles, étaient tout ce qu'il y avait de plus naturelles : se hissant sur le crâne de l'une des statues qui surplombait la plus grande chute d'eau sur la rive est, le jashiniste estima d'un coup d’œil la profondeur d'arrivée, soucieux mais pas inquiet de la hauteur qui le séparait du cour d'eau en contrebas, à plus de cinquante mètres. Quelle joie il pourrait retirer en faisant ce saut... La chose était risquée, certes, mais pourquoi se contenter d'observer un panorama lorsque vous pouviez plonger dedans ? Désireux de se changer les idées, Yanosa se laissa aller et ouvrit pour un temps les écoutilles, oubliant un moment qu'il était la Main de Dieu sur cette Terre et mettant de côté son devoir et ses obligations à venir. Ce qu'il voulait c'était sauter. Il allait donc le faire.

Vérifiant que tous les compartiments de son ceinturon étaient bien cloisonnés et arnachés, le Nukenin se pencha plus avant au dessus de la cascade. Droit comme un « i », il ferma alors les yeux, visualisant son point d'arrivée, se gaînant et écartant les bras en se laissant doucement tomber vers l'avant. D'abord presque parallèle au sol, le jashiniste prit le temps de profiter de la pression de l'air sur son torse avant d'incliner sa tête vers le bas, lui ouvrant la voie avec ses deux mains jointes par la paume avant l'inévitable contact avec le bassin qui accueillait les trombes d'eau chutant de la cascade. Perdu dans l'immensité du lieu, le bruit du plongeon se laissa disperser par les vents, tandis que le jashiniste nageait un moment quelques centimètres sous l'eau, profitant de cette quasi-renaissance avant de rejoindre la surface. S'extirpant du liquide d'une traite en inspirant lourdement, Yanosa n'ouvrit pas tout de suite les yeux, plaquant ses cheveux vers l'arrière des deux mains, lentement, se délectant de chaque goutte ruisselant dans son dos...

An X, printemps,

3 mai,

Aujourd'hui fut l'occasion d'une rencontre. Une rencontre assez spéciale s'il en est. Je pensais ne croiser que des habitants et quelques pauvres hères en quittant les sentiers de Hi no Kuni. Il semblerait que mes prévisions aient été faussées. C'est une possibilité qui s'était présentée à moi, certes. Mais je ne pensais pas croiser âme qui vive en m'écartant des routes de terre battue. Cela fait déjà plusieurs jours que je suis ici, allant de village en village, me présentant comme un pauvre voyageur, fatigué et en exil, à cause de la guerre dans les pays proches. Et je dois admettre que la plupart des gens que j'ai pu croiser pour l'instant ont tous su faire preuve de bonté et de considération envers moi. Ce qui est agréablement surprenant, je dois l'avouer. Je pensais que les regards méfiants et que les portes fermées seraient plus nombreuses en arrivant. Mais les faits sont bel et bien là, je me suis trompé sur le compte de bon nombre des habitants. D'après les dires de nombreux d'entre eux, leur pays également a été touché par la guerre. Et ce plus d'une fois. Alors ils connaissent bien la peur. Le dégoût envers ces conflits et ces belligérants, impliquant sans réfléchir des individus innocents. C'est pour cela qu'il te comprennent. Ou du moins qu'ils comprennent le personnage que tu joues.

En somme, les habitants de ce pays ont été marqués par la guerre. Marqués à vif. D'une marque profonde, et qui restera sûrement ancrée pour les années à venir. Certains commencent à prendre conscience de ce qu'est la guerre. De ce que sont les hommes. J'ai exprimé une partie de mes idées à quelques badauds, et la plupart ont approuvé. Il est quelques esprits vifs en ce pays. Quelques individus capable de comprendre ce que j'ai compris. Pas totalement. Seulement partiellement. Et cela est bien triste. Je ne puis guère leur dévoiler ce que je suis. La peur est trop profondément ancrée en eux pour le moment. Et leur compréhension est limitée. Je ne puis leur faire intégrer en quelques années ce qu'il m'a fallu plusieurs décennies, voire même plusieurs siècles pour comprendre. Le temps ferait défaut à un tel enseignement. Et le temps est une chose qu'il ne possèdent pas, contrairement à moi. Certes, je pourrais leur consacrer tout le temps possible. Mais cela ne servirait à rien de constructif. Un Homme n'a pas suffisamment de temps à se consacrer en une seule existence, alors en consacrer à des enseignements que je leur porterai serait stupide. De leur part comme de la mienne. La seule chose que je puisse faire pour ces pauvres hommes est de leur donner des bribes de savoir, de compréhension, pour qu'il puisse approcher d'une réflexion construite par eux même. Qui sait, peut être croiserai-je un jour la route d'un génie, qui sera en mesure de comprendre...

Mais en ce jour, ce n'est pas la perle rare que j'ai débusqué. Toutefois, ce fut une rencontre intéressante. Et qui pourrait être qualifiée d'inattendue, oui. J'avais décidé de m'éloigner un peu du village pour réfléchir, pour me changer les idées. On m'avait dit d'aller admirer la cascade coulant un peu plus loin d'ici, m'en vantant la beauté. Ma première pensée fut un pourquoi pas. Après tout, je n'avais rien à y perdre. Graver à jamais les paysages les plus spectaculaires dans ma mémoire, tel est mon privilège. Et voir ces paysages rongés par le temps et l'Homme, telle est ma malédiction. Seulement, plutôt que de voir cette cascade, ce fut un être qui retint mon attention en arrivant sur les lieux. Un homme qui venait de plonger tête la première depuis le haut du torrent... J'avais suivi sa chut du regard, tout en avançant vers la rive. Je m'étais installé sur un rocher, sortant un carnet vierge ainsi qu'un crayon. Je commençais alors un croquis, tentant de reproduire ce que j'avais sous les yeux sur le papier, tout en attendant que l'inconnu ne remonte à la surface. C'est en le voyant reparaître en dehors de l'eau que je l'interpellais.

« Et bien, ne fait-il pas un peu frais pour vous baigner ainsi ? A moins que vous ne craigniez pas de tomber malade ? »

Tomber malade. Encore un vice qui me fut retiré. J'aurais donc pu m'élancer du haut de cette cascade tout comme lui. J'aurais pu faire ce saut monstrueux, pour graver en moi des sensations fortes. Pour goûter à l'adrénaline. Et je dois avouer regretter de ne pas l'avoir fait sur le coup. Ce sera sûrement une chose que je corrigerai dans les années à venir. Et qui sait. Cet homme que j'avais croisé ce jour là, peut-être le retrouverai-je sur mon chemin...

Pris par l'instant, emporté par les effluves d'eau douce qui lui parvenaient aux narines comme pour l'habiter entièrement, Yanosa ne remarqua pas tout de suite l'homme assis non loin sur un rocher, au bord de la rive. D'ailleurs, si ce dernier ne lui avait pas adressé la parole le premier, il aurait bien pu passer à côté de lui sans que sa présence ne l'effleure. Il était là, sur la droite du jashiniste trempé jusqu'aux os, un carnet et un crayon à la main en train de griffonner quelque chose. Sa capillarité était légèrement négligée, une barbe de plusieurs jours parsemant son menton et des cheveux bruns en bataille formant une sorte de structure déstructurée, un ordre inconstant à l'image du chaos. Ne bougeant d'abord pas d'un pouce, le Nukenin examina l'individu de ses yeux redevenus aussi perçants que ceux d'un aigle, scrutant le moindre signe qui trahirait l'appartenance de son interlocuteur à un quelconque groupe ou village qui voudrait sa mort. Les apparences étaient en effet parfois trompeuses et il valait mieux se montrer prudent, même si en l'occurrence ce carnet et ce crayon semblaient remplir leur fonction première sans qu'une once de chakra malvenue ne soit engagée. Était-il un simple civil ? Un peintre en manque d'inspiration venu se ressourcer, ou bien encore, un mercenaire un tantinet fleur bleue ?

Se décidant à avancer vers la rive en direction de l'individu pour l'instant anonyme, le niveau de l'eau diminuant de la taille aux cuisses, puis des cuisses aux mollets, Yanosa repensa alors un instant à cette phrase qui avait servi de prélude à ce qu'il espérait être une conversation intéressante. Lui, peur d'attraper froid ? Peut-être les cicatrices innombrables et profondes jalonnant son buste allaient-elles pouvoir répondre d'elles-mêmes à cette question... Mais pour qu'il y ait dialogue, et afin de cultiver cette ouverture d'esprit dont il essayait de faire preuve pour élargir sa gamme de concepts, il serait bien plus bénéfique de formuler une réponse en bonne et due forme à cet homme, qui qu'il soit.

« Ha... Si j'avais du me soucier de quelque chose avant de sauter, peut-être aurait-ce été de ma chute, vous ne croyez pas ? On ne peut rien accomplir si on laisse sa peur avoir le dernier mot... »

Le Nukenin avait à présent rejoint la terre ferme et faisait crisser sous ses bottes les cailloux qui bordaient le cour d'eau. Ce dernier continuait inlassablement sa course vers le sud-est, tandis que Yanosa observait vaguement les environs et le sol prêt de lui à la recherche de morceaux de bois, qu'il rassembla promptement avant de les poser, non loin du peintre en plein exercice. Et alors qu'il faisait apparaître au creux de sa main droite une petite boule de feu en la dirigeant vers son futur foyer face à son interlocuteur, il reprit la parole.

« Et vous, mon cher... ? N'avez-vous pas peur de faire une mauvaise rencontre, ainsi isolé au bord d'un cour d'eau ? Ou bien l'appât de la vue vous-a-t-il fait oublier toutes vos craintes.. »

Plongeant sa main au cœur du tas de bois, Yanosa y mit le feu aussi aisément que si le sol avait été maculé de combustible à base d'alcool, retirant rapidement son membre pour le préserver du feu qui prenait peu à peu de l'ampleur jusqu'à atteindre le niveau des cuisses d'un homme moyen. Le jashiniste s'assit alors en tailleur, face au feu et à son interlocuteur quelques pas plus loin, séchant et songeant à la situation.

« Quoi qu'il en soit, soyez rassuré. Je n'ai ni le besoin ni l'envie de vous faire du mal. Et vous ? »

3 mai,

[…] Je le regardais sortir de l'eau du coin de l'oeil, continuant à tracer courbes et lignes brisées sur mon carnet. J'observais son allure, son physique, tout en traçant des arabesques. Assez carré et imposant, le corps musculeux et scarifié à de multiples endroits. J'observais quelques secondes les nuées de cicatrices couvrant l'intégralité de son corps. Ou du moins la partie que j'avais sous les yeux. Sur le moment, je pensais avoir à faire à un soldat, un mercenaire ou une autre sorte de guerrier errant. Je m'attardais un moment à observer son panache de cheveux flamboyants. Rougeâtres, paraissant parfois presque bordeaux, ou approchant de la teinte du rubis lorsque ses mèches de cheveux s'exposaient à la lumière ou à l'ombre. Teinte que je trouvais très intéressante, bien que peu commune... Je l'écoutais me répondre, alors qu'il se rapprochait du bord du cours d'eau. Il me servait un petit discours sur la peur, tout en remettant les pieds sur la rive de cailloux et autres galets plus ou moins grossiers. Je souriais en entendant ces mots. Laisser la peur avoir le dernier mot... Mais le fait est qu'elle finit toujours pas l'avoir, à un moment où à un autre. Seuls ceux qui ont connu la peur peuvent prétendre la dominer pour agir. Toutefois, seuls ceux qui ont compris la peur sont aptes à l'accepter et à l'utiliser à bon escient.

J'en déduisais donc me trouver en présence d'un homme dont le passé avait laissé des séquelles. Un homme à la façon de penser probablement intéressante mais incomplète. Je me contentais de sourire, alors qu'il sortait de l'eau, me dépassant, tandis que je continuais mon croquis, faisant semblant de rien. Je le surveillais du coin de l'oeil, alors qu'il ramassait des morceaux de bois mort. Sans un mot, je me concentrais sur les détails graphiques que je pouvais apporter à mon ébauche. Du moins c'est l'impression que je m’efforçais de donner. Impression que je savais donner depuis des dizaine et des dizaines d'années. Le fait il qu'il ne s'en rendit pas compte, alors que je l'observais en train d'allumer un feu, plaçant directement sa main au centre du tas de bois. En voilà un qui n'avait, il faut bien le dire, pas froid aux yeux. Et pas seulement, certes. Placer ainsi sa main en y tenant une boule de flammes relevait d'un mépris du risque. Il aurait pu la propulser au milieu du bois, plutôt que de venir l'y déposer. Le plus surprenant résidant dans le fait qu'il n'avait pas la moindre trace de brûlure.

Tout en observant son petit aménagement, je l'écoutais s'exprimer. Moi, craindre une mauvaise rencontre ? Dans un tel lieu, je ne risquais pas grand chose. A moins de rencontrer toute une armée, évidemment. Ce qui avait moins d'un dixième de chance sur mille de se produire. Un groupe de brigands aurait pu être une hypothèse plausible, oui. Mais ils n'auraient pas représenté une menace. Alors je n'avais aucune raison de m'inquiéter pour quoi que ce soit. Je me contentais de répondre poliment, avec une légère once de courtoisie.

« Tout dépend de ce que vous appelez des craintes... La peur peut prendre bien des formes après tout. Mais quoi qu'il en soit, je ne suis point ici pour chercher querelle, n'ayez crainte. »

Je posais alors mon crayon entre deux pages, refermant mon carnet, avant de me lever. Je m'approchais un peu des flammes, m'inclinant légèrement devant lui, me décidant à décliner mon identité.

« Permettez moi donc de me présenter, Drahall Ymir D'Astrae, voyageur. A qui ai-je l'honneur ? »

Je finissais sur ces quelques mots. Cette attitude m'intriguait. Je sentais en lui des capacités guerrières. Je sentais un certain flux de chakra. Ce dernier, couplé à ces multiples cicatrices, attirait mon attention. Il n'était pas si vieux. Et il semblait être un guerrier confirmé. Alors comment avait-il pu être blessé tant de fois ? Son expérience aurait du lui éviter nombre de ces estafilades et autres égratignures pourtant bien présentes...

« Vous devez venir de bien loin... pour porter un nom pareil. »

Toujours en tailleur, assis devant le feu qu'il venait de créer pour sécher son corps et ses vêtements au plus vite, Yanosa s'était contenté d'un bref regard vers le haut à travers les flammes pour pouvoir observer ce Drahall, qui avait vraisemblablement coupé court à sa séance de dessin pour se consacrer corps et âme à la discussion qui s'amorçait. La dégaine du bonhomme dégageait quelque chose d'assez étrange, une subtile impression qui parvint jusqu'aux sens affûtés du jashiniste pour lui murmurer à l'oreille que cet homme n'avait probablement pas que le nom d'assez atypique. Le guerrier rouge ignorait encore pourquoi, mais Jashin l'avait poussé vers lui et lui susurrait à présent quelques mots intangibles... Une mise en garde ? Non, ce n'était pas une question de danger... Drahall, dans toute sa simplicité d'homme bercé par une forme d'art innée, semblait plutôt irradier aux yeux du Nukenin, tel un soleil qui n'aurait rien à faire là. Intriguant...

« Ne le prenez pas mal, surtout, je n'accorde que très peu d'importance aux noms de façon générale... Mais ces consonances ne m'évoquent rien que j'ai pu connaître. Et je vous prie de croire que j'ai déjà pas mal voyagé.. »

Subtilement, mais sans faire preuve de la moindre animosité, Yanosa commençait timidement à tâter le terrain. Savoir d'où venait et que faisait Drahall près de ce magnifique point d'eau devenait peu à peu sa priorité du moment, et s'il pouvait en apprendre plus sur cet individu d'apparence ordinaire sans avoir à entrer dans une forme de coercition quelconque, ce serait tant mieux. Le guerrier rouge n'avait en effet aucune envie de se battre à l'instant, fait plutôt rare. Mais malgré tout, alors qu'il ne s'en doutait pas encore, il allait devoir sortir les poings d'ici quelques minutes, un groupe de brigands de grand chemin entamant une reconnaissance vers les deux hommes et leur feu dans l'unique but de leur soutirer leur bourse. Et la vie, s'ils résistaient. Les cinq bougres se déplaçaient de façon relativement furtive dans les bois qui longeaient la rive, tandis que Yanosa lui, se concentrait sur son vis-à-vis.

« Mais, je réalise que je ne me suis pas présenté, et malgré l'importance que j'accorde à ce genre, de chose, je peux bien me montrer un tantinet poli... Seth, c'est mon nom, dit-il en prenant appui en arrière de ses deux bras tendus, adoptant une tenue un peu plus décontractée que jusqu'alors.

Puis-je me permettre de vous demander... ce qui vous amène ici ? Et ne vous méprenez pas, ce n'est pas le sentier qui vous à mené jusqu'ici qui m'intéresse, mais plutôt... votre parcours, si-je puis dire. Au sens large.»

La question était vague, très vague. Un interlocuteur lambda, à ces mots, refrénerait très certainement avec peine une certaine gêne qui précéderait des adieux des plus courtois mais très pressés. Yanosa, comme à son habitude, aimait jauger de façon très directe le comportement et les réactions d'autrui. Et quelque chose lui disait que celles de ce Drahall le prendrait, d’une façon ou d'une autre, à contre-pied..

[…] De loin. En effet, je venais de très loin. Au sens propre comme figuré à vrai dire. Et ce en terme de distance, oui. Mais aussi en terme de temps. Je venais de très loin, des années en arrière. Plusieurs dizaines, voire centaines de générations nous séparaient. J'observais la danse des flammes, tandis que le brasier crépitait, sentant le regard de mon interlocuteur posé sur moi. Je relevais le regard, croisant ses pupilles, alors qu'il continuait, justifiant sa curiosité. Justification bien inutile au demeurant. J'aurais pu lui répondre sans problèmes. Mais puisqu'il tenait tant à s'expliquer... Il est vrai que mon nom ne ressemble désormais en rien à ceux de mes... Contemporains, si tant est que je puisse les appeler ainsi. Selon lui, même au cours de ses voyages, il n'avait croisé d'individus dotés de noms semblables au mien. Et je ne pouvais guère contester son argument. Toutefois, j'étais en mesure de répondre à ses questions sans vraiment lui apporter de réponses. Et ce sans réelles difficultés.

Je fermais les yeux un court instant, alors qu'il continuait, se présentant à son tour. Seth. Tel était son nom. Et s'il disait de mon nom, le sien était assez particulier lui aussi. Il n'était pas totalement étrange, mais... Sa consonance tranchait elle aussi avec les autres prénoms les plus communs. Je souriais tout en l'entendant, alors qu'il terminait en me demandant les raisons de ma présence ici. Le tout dans la plus grande courtoisie, ce qui me surprenait légèrement. En le voyant, je n'aurais pas cru un tel homme capable d'un tel calme. Je n'aurais pas pensé qu'il aurait pu faire montre d'une telle courtoisie dans ses propos. Je l'aurais d'avantage pris pour un guerrier au sang chaud, mais il apparaissait que je m'étais fourvoyé... Je répondais alors, amusé par tant de curiosité si peu dissimulée.

« Et bien … Imagine que je ne le permette pas. Que je refuse de répondre ? Comment ferais-tu, hein ? »

Je m'arrêtais alors, croisant les bras, un sourire moqueur sur le visage. Je restais ainsi quelques secondes, avant de finalement reprendre la parole.

« Je plaisante, évidemment. Enfin... Pour te répondre... Disons que je voyage moi aussi. Que j'ai beaucoup voyagé, et en effet, je viens de loin. De très loin en vérité. Si bien que le nom de mon pays natal est totalement inconnu en ces contrées... »

Ce n'était pas faux. Les années avaient passé. Les changements s'étaient fait. Les pays s'étaient créés. Les frontières également. Et les noms des contrées avaient fait leur apparition. Aujourd'hui, le lieu qui m'avait vu naître avait changé de nom, d'identité. Alors ce que je venais de lui répondre était vrai, même si je ne lui avait pas offert l'entière vérité... Je rechignais à devoir le faire. Dévoiler mon pouvoir risquerait de créer de la convoitise, de l'envie, de la jalousie... Et certains pourraient tenter de se l'approprier, même si cela est totalement impossible... Mais je sortais de mes pensées pour continuer :

« Au final, mes voyages m'ont amené jusqu'ici. J'ai traversé de nombreux pays, j'ai vu de nombreuses choses au cours de mes voyages... Et moi voilà ici. Mais et toi ? Ou plutôt et vous ? Je ne sais pas, suis-je autorisé à te. A vous tutoyer, mon cher Seth ? »

Je finissais sur un son sifflant, accentuant la dernière syllabe. Je m'apprêtais à mimer une courbette, lorsqu'une chose me stoppa. Quelque chose n'allait pas. Je n'aurais su dire de quoi il s'agissait sur le coup, mais je ressentais un malaise aux alentours. Mais le problème était qu'il ne provenait ni de moi, ni de mon interlocuteur... Alors pourquoi avais-je donc cette étrange impression ? Je retournais alors son mon siège de fortune apercevant une silhouette qui se voulait furtive, de l'autre côté de la rive. Je fronçais un sourcil, avant de me retourner vers le dénommé Seth. Je fermais alors les yeux un instant, sondant les parages. D'un rapide coup d'oeil, je dénombrais quatre intrus très proches. Mais je ne fis aucune remarque au jeune homme à la crinière flamboyante. Je voulais voir ce qu'il valait. Et s'il y avait combat, je pourrais observer ce dont il était capable...

Drahall savait se faire taquin, une « qualité » que Yanosa n'appréciait que rarement chez les autres mais qui en l'occurrence trouvait sa place dans ce dialogue de fortune. Feignant de ne pas « coopérer » avec le jashiniste, l'homme au calepin fit preuve d'un certain sens de l'humour avant de donner de vagues explications au Nukenin, un récit bien trop générique et vague pour susciter le moindre intérêt mais qui cachait sans doute une grande part de vérité. Drahall venait de loin, cela transpirait dans son regard et son attitude, mais ce que Yanosa ignorait encore, c'est que son interlocuteur venait également de loin du point de vue temporel... Pour l'heure, ce dernier se présentait toutefois comme un simple voyageur d'expérience, une homme sans doute pourvu d'une relative sagesse forgée par ses pérégrinations et qui vaquait oisivement à ses occupations en errant ça et là. C'était, tout du moins, le ressenti qu'il donnait au guerrier rouge toujours appuyé en arrière sur ses deux bras tendus. Mais la tension qui parcourut ses muscles l'instant qui suivit le couplet grammatical de Drahall fut d'une toute autre nature.

Arraché à la complaisance de cette conversation anodine, Yanosa remarqua en effet soudainement la présence de trois individus tout proches qui entamaient leur approche du duo à partir des bois qui longeaient la rive. Un quatrième s'était posté de l'autre côté du cours d'eau et épiait déjà les deux hommes en train de faire connaissance, prêt à fondre sur eux en sautant par dessus le large filet d'eau, mais échappait encore à la vigilance du Nukenin. Ce dernier se demanda un instant si ces hommes faisaient partie d'un groupe qui aurait compté Drahall dans ses membres, songeant à un guet-apens potentiel... Puis il se ravisa en observant le rapide coup d’œil en arrière lancé par son vis-à-vis, témoin qu'il était tout aussi surpris que lui de voir des brigands de bas étage traîner dans les parages. Se redressant d’une traite avec une impulsion des épaules, Yanosa suscita un léger vent d'hésitation chez les trois hommes qui se présentaient désormais à découvert, épées à la main, des foulards sombres masquant leur visage et visiblement désireux de vite en finir avec leur besogne.

« Allez, faites pas d'histoire ! Laissez tous vos biens au sol et allez faire trempette avant qu'on vous égorge ! »

Yanosa, perplexe devant tant de professionnalisme, jeta un regard faussement blasé à Drahall en tournant momentanément sa tête vers lui, reportant ensuite immédiatement son attention sur les trois hommes qui commençaient à se déplacer de façon à encercler le duo. Sans plus de préambule, le jashiniste se rua sur le brigand central en chargeant une brève impulsion de chakra millimétrée dans son pied gauche, lançant sa paume droite vers l'avant en direction du visage masqué du malheureux. Appuyant de toutes ses forces, Yanosa enfonça alors la tête de sa première victime dans le sol recouvert de galets, tenant pendant une seconde en équilibre sur sa main qui disparaissait presque sous terre, puis après un bref coup d’œil sur sa droite pour actualiser la position du deuxième brigand dans son esprit, exécuta un pivot très vif des épaule dans les airs pour envoyer son pied gauche se ficher dans l'estomac du larron suivant. Les pieds du malheureux quittèrent le sol sous l'impact, tandis que le jashiniste se remettait debout après une petite pirouette plus esthétique qu'utile. Reportant son attention sur Drahall, qui devait avoir trouvé un moyen de se défaire du troisième et dernier brigand présent sur cette rive, le Nukenin reprit alors comme si de rien n'était.

« J'ai beau avoir voyagé, je ne dois pas avoir suffisamment persévéré pour ne même pas connaître ton pays d'origine... Moi, ce sont surtout les affaires qui me mènent d'un endroit à un autre. Une part de hasard, qui se mêle à la nécessité de mon devoir, en somme... »

Yanosa prit un instant de réflexion et reprit une poignée de secondes plus tard.

« As-tu la foi, Drahall ? Crois-tu en quelque chose de plus grand que la simple race humaine ? Peux-tu admettre l'existence d'un Dieu qui puisse infléchir le cours de ta destinée, ou bien penses-tu l'Homme au dessus de tout ? »

Aucun commentaire. Aucune réaction. Juste un sourire amusé. Je croisais le regard de Seth. Il n'y avait pas de doutes à avoir. Et j'avais compris au premier instant. Un simple échange de regards, et nous étions partis. Pour éliminer ces... Déchets humains. Car je n'avais pas d'autre mot pour décrire ces larrons. Ils pensaient vraiment pouvoir nous dépouiller, et ce aussi simplement... J'aurais bien lâché un profond soupir de dépit. Mais ce n'était guère le moment. Je me levais tranquillement, tandis qu'un fléau aux cheveux pourpres réglait leur compte à deux de ces brigands. Je laissais le dernier s'approcher, souriant. Je tirais un morceau de fusain de ma sacoche, dessinant un symbole au creux de ma main tandis qu'il approchait. Je l'arrêtais d'un geste de la main, alors qu'il se trouvait à une paire de mètres de moi. Il aurait pu couvrir la distance d'un bond. Mais je fis un geste de la main, lui intimant de s'arrêter, pour tendre ma paume en direction de son visage.

« Dites moi cher ami. Connaissez-vous ce symbole ? »

Sa seule réponse fut un bond en avant, son arme prête à frapper. Quel dommage. Je claquais alors des doigts, brisant le sceau que je venais de dessiner. Un kunaï jaillit alors du dessin, allant se ficher entre ses deux yeux, presque à bout portant, tandis qu'il tombait au sol dans un bruissement sourd. Sans avoir compris ce qu'il lui arrivait. Sans avoir pu réagir. Et sans avoir pu me toucher. Je soupirais, haussant les épaules, pour finalement me rasseoir. Quelle bêtise affligeante. J'attendais quelques instants, avant que mon interlocuteur ne reprenne le fil de la conversation comme s'il ne s'était jamais rien passé. Je l'écoutais, sans rien dire. Son travail... Oui, je vois. Sans doute un de ces trafiquants de substances plus ou moins illicites. Je ne répondis pas de suite. Car il continua quelques secondes après, m'interrogeant sur mes croyances. Je souriais en l'entendant prononcer sa dernière phrase, alors que mon sang s'échauffait. Moi, penser l'Homme au dessus de tout... Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre. Mais avec ce petit discours, je comprenais un peu mieux les marques de mon jeune ami.

« Et bien. Jashiniste, c'est cela ? Et trafiquant de je ne sais quoi je suppose. Ne m'en veux pas, mais tu n'as ni l'apparence ni le parler d'un marchand lambda. »

Je réfléchissait alors quelques instant, avant de répondre à sa dernière question.

« Ensuite... Non. L'Homme n'est pas au dessus de tout, clairement pas. L'Homme collectionne les erreurs. Les folies. Prétend apprendre de ces dernières, pour les répéter par la suite. Alors non, les Hommes dans leur ensemble ne sont pas grand chose. Au cas par cas, certains sont peut être meilleurs. Plus intelligents. Plus sages, et plus aptes à guider les autres. Mais pour ce qui est de Dieu... J'avoue ne jamais m'être véritablement posé la question... »

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