Cela faisait bien trop longtemps qu’elle n’avait pas pris du temps pour s’entraîner. Ces derniers temps, elle s’était consacrée activement à l’étude de ses manuels pour se tenir prête en cas de mission impromptue.

Néanmoins, par cette chaude après-midi, elle n’avait pas cœur à rester enfermée toute la journée. Quand elle regardait la fenêtre de sa chambre, elle entendait le doux appel de l’extérieur. Et puis, cela faisait bien une dizaine de jours qu’elle était restée chez elle. Sa meilleure amie partie en mission, elle n’avait vu que ses parents et ils étaient d’une très mauvaise compagnie : déficitaires en ouverture d’esprit et en humour. Et puis, leurs opinions sur ses tenues vestimentaires la gonflaient.

Elle mit donc pour un pull moulant blanc cassé et une jupe de tennis marron clair. Elle n’oublia pas de se maquiller les yeux avec différentes nuances de jaune. Puis, elle sortit au pas de course pour s’échauffer. Plus que de voir du monde, elle avait besoin de faire de l’exercice pour se dégourdir les muscles et combattre sa lassitude morale. Elle se dirigea vers les terrains d’entraînement afin de s’exercer aux techniques de corps à corps.

Quand elle arriva sur place, elle trouva pas mal de monde, aussi, elle choisit un coin tranquille pour commencer ses exercices. D’abord, faire circuler son chakra et le concentrer en des points particuliers. Elle bougeait harmonieusement, pleinement concentrée.

Ikiru était heureuse à ce moment-là, elle ne pensait plus à rien, elle ne portait plus aucun fardeau. Ni patients, ni manuels. Que cet instant d’harmonie avec soi-même. Elle tirait beaucoup de plaisir à se ressourcer de la sorte.

Cela dit, rester en plein cagnard à se faire cramer le crâne pouvait devenir embêtant à la longue. Aussi, Ikiru s’ennuyait de plus en plus dans sa pratique. Elle voulait même aller boire du thé à côté de chez elle. Mais, elle le savait, ça signifierait qu’elle aurait la flemme de crapahuter jusqu’ici une nouvelle fois.

Pendant ces tergiversations arriva un jeune homme qu’elle ne connaissait pas. Un bavard, semblait-il, assez beau tout du moins. Bien qu’elle lui trouvait un air trop gentil pour correspondre à ses canons usuels, elle accepta sa proposition sans pour autant le lui dire. Ils auraient toujours de parler une fois qu’elle aurait vu de quoi il était réellement capable.

Aussi, sans lui dire merde ni bonjour, elle se jeta à l’assaut. Elle se porta au contact si rapidement qu’il n’eut pas eu le temps de réagir. Son poing se stoppa à quelques millimètres de son œil gauche. Le coup était tellement rapide qu’il fit voler le couvre-chef de son futur élève. Ikiru fit un saut en arrière avant de lui tendre innocemment la main en disant :

« En effet, tu ne vaux pas grand-chose au corps à corps. Cela dit, je ne suis pas non plus experte en illusionnisme. Moi, c’est Ikiru Sen. Je veux bien t’apprendre à esquiver vu que tu n’as visiblement pas le physique pour créer le danger de près. Mais d’abord, l’échauffement. Faisons quelques tours du terrain avant de nous y mettre. Bien sûr, il ne s’agit pas seulement de faire des cercles, mais d’en profiter pour faire circuler ton chakra pendant l’exercice. »

Et ils partirent donc commencer leur « rendez-vous ». Décidément, le rôle du professeur distrayait beaucoup la jeune fille tout en lui permettant de continuer sa pratique.

Une bonne et heureuse course, un long défilé d’arbres et de verdures. Et comme ce pays sait si bien le faire, de la caillasse. De la caillasse en veux-tu en voilà, de la caillasse à t’en faire gerber, à t’en faire rêver. Pourtant, tout ça, Ikiru n’y pensait pas. Elle était trop occupée à vagabonder mentalement. Le métronome de ses pieds heurtant le sol la faisait partir loin. Son souffle ample et rythmé, ses muscles fins et forts qui tels des outils de maître la portent loin sans grands efforts. Elle laisse libre cours à ses capacités physiques, certainement celles héritées par sa mère.

Pendant ce temps, elle réfléchissait à tout et à rien. Qui était donc cet étrange homme et que voulait-il ? Elle ne le savait guère. Pourtant, elle ne se sentait pas spécialement en danger à ses côtés. Il était venu en ami.

En ami.

Elle chassa cette idée de sa tête. Après tout, elle ne le connaissait pas assez pour lui laisser une place dans sa vie. Elle savait d’expérience que les gens de son clan maîtrisaient le son et en profitaient souvent pour délivrer des illusions difficiles à esquiver. Comme on a rarement l’occasion de fermer ses oreilles, en général ce genre d’attaques est difficile à esquiver. Cela dit, rien ne l’empêchait, elle d’essayer. Après tout, ça devait être faisable de désactiver momentanément son ouïe. Elle lui demanderait d’essayer une fois, probablement. Mine de rien, il lui serait peut-être utile dans ses recherches.

Ikiru pensait aussi à lui demander de lui apprendre une technique d’illusion. Elle savait qu’elle n’avait pas spécialement de talent dessus, mais cela était pertinent d’en connaître au moins une. Ne serait-ce que pour faire douter ses futurs adversaires, les encourager à aller au contact. Et puis, cette technique pourrait lui servir d’appoint. Elle y penserait, plus tard.

En attendant, elle commençait à percevoir sa fatigue. Sa respiration était devenue un peu plus haletante. Mais, elle décida de continuer un peu pour tester sa volonté. S’il était incapable de se mordre les lèvres pour faire des pas en plus, elle ne pourrait rien pour lui.

Il tint le coup, jusqu’à ce que l’ennui de jouer avec lui la gagna. Alors, elle s’arrêta. Elle ne sut quoi répondre à sa phrase alors, elle essaya de le rassurer :

« On fera au moins ça chaque matin et chaque soir. Et chaque fois en augmentant l’intensité. Parce que je ne peux pas t’apprendre à utiliser des techniques de taïjutsu sans te renforcer avant. Les conséquences pourraient être terribles. La technique que je compte t’enseigner va solliciter tes articulations et tes tendons au-delà de leurs capacités habituelles. Sans l’endurance qui va avec, tu risques de te faire plus mal qu’autre chose. Mais maintenant, place à la démonstration. Pas d’armes, pas de ninjutsu et surtout pas de genjutsu. On va simplement déterminer où tu en es pour voir le temps que je dois t’allouer. »

La jeune fille y alla. D’abord en économisant ses forces puis en y allant franco. Bien qu’il se disait moyen au corps à corps, il avait les moyens de se défendre, notamment de bons réflexes. Toutefois, elle était en meilleure forme physique et plus douée dans ce domaine. Aussi, elle prit le dessus naturellement. S’il avait usé de quelques techniques, elle n’aurait pas eu autant de facilité à le battre, sans doute.

« Bon, on va s’arrêter là. Je vais d’abord te montrer ce que je veux t’apprendre, ensuite, on va aller boire du thé, d’accord ? »

Elle se prépara à utiliser sa technique. Ayant formé les signes, elle se jeta sur lui. Elle était sensiblement plus rapide. Cela se faisait sentir et le léger avantage qu’elle avait pris s’était creusé. Elle espérait que voir ce qu’il pourrait faire pourrait l’inciter à donner son maximum. Enfin, elle s’arrêta de peur de trop le blesser.

« J’espère que tu ne m’en gardes pas rancune, s’entraîner au taïjutsu a toujours fait plus ou moins mal. Mais l’avantage, c’est que je peux te soigner en même temps que je te cogne. »

Elle partit d’un rire charmant, presque précieux. Bref et mélodieux. Elle ajouta d’une voix enjouée :

« Bon, tu me dois une tasse de thé. Je connais justement un endroit près de chez moi. C’est le salon de thé Won-Ju. On se change et on s’y retrouve dans une heure. À toute à l’heure ! »

Elle partit toujours en courant, c’était une manière pour elle de repousser ses limites. Ikiru espérait qu’il repartirait lui aussi au pas de course. Quand on transforme son corps en arme, il ne faut pas être avare en efforts.

Elle arriva avec une demi-heure de retard, mais pour se faire pardonner, elle avait enfilé une robe noire moulante qui lui arrivait un peu au-dessus des genoux et qui lui faisait de jolies fesses. Elle était belle sans être décolletée. L’imagination, lui disait sa mère, faisait bien plus que la vision. Elle portait des escarpins noirs et bordeaux avec un rappel de ce rouge dans son fard à paupières. Elle se posa à côté de lui décidée à en avoir le cœur net sur ses capacités à lui.

Décidément, Ikiru trouvait bien étrange ce jeune homme. Il essayait de la convaincre de ne pas le saigner à blanc alors qu’elle n’en avait nullement l’intention. Elle hésitait à choisir ce qu’il y avait de plus cher ne serait-ce que pour le faire chier, mais elle ne le fit pas. Elle n’était pas d’humeur vache. Alors, elle lui parla honnêtement :

« Je suis bien consciente que tu n’es pas riche et je m’en fous, d’ailleurs. On prend juste un thé après une longue journée de travail. Détends-toi, ce n’est pas un exercice de force. Tu n’as pas à me tartiner l’égo, je ne me prends pas pour une princesse. »

Sur ces sages paroles, le thé arriva. La jeune fille prit sa tasse entre les mains. Elle était jolie, blanche et peinte. Celle-ci représentait une femme en yukata rouge qui tenait une mandoline. La chaleur diffusait dans ses mains. Elle approcha le thé de son visage pour en humer le parfum. Il était puissant et doux à la fois. Une variété qu’elle ne connaissait pas. Elle revint alors à son sujet de conversation :

« À l’époque de la Grande Guerre, ma famille avait ouvert une clinique pour soigner les gens. On ne choisissait pas qui on sauvait, alors il y avait plusieurs camps dans les lits. Parfois, ça dégénérait et on devait remettre l’ordre à la force du bras. C’était nécessaire d’apprendre à se défendre, alors j’ai appris. Question de survie. »

Elle souffla légèrement sur son breuvage. Elle aimait la fine ondulation que cela provoquait à la surface du liquide. La musique discrète du clapotis la divertissait. Rien de tel qu’un bon thé pour se remettre d’aplomb. Mais elle se demandait comment lui expliquer son point de vue. Elle hésita un certain temps avant de reprendre :

« Il ne s’agit principalement que de faire circuler son chakra plus vite. Les techniques de Taïjutsu ne nécessitent pour ainsi dire que très peu de subtilité. Il s’agit le plus souvent que de s’endurcir pour pouvoir repousser ses limites. En l’occurrence, il faut que tu mettes à niveau ton corps et le reste ira plus ou moins tout seul, selon tes prédispositions. »

Elle sentait qu’elle oubliait quelque chose, un détail important. Après une nouvelle gorgée, elle percuta. Elle rajouta donc :

« Si tu soumets des muscles qui ne sont pas prêts à un tel stress, il y a un risque de blessure. Et ça, ça ne pardonne pas en mission. Que l’ennemi te touche passe encore, mais que tu te brises sous le poids de ta propre technique, c’est tout bonnement inadmissible. Donc, pour une technique aussi basique, on va juste travailler tes muscles pendant un certain temps. Bien sûr, manger plus de protéines est primordial. Et puis, je ne pense pas que tu vas avoir du mal à l’exécuter. »

Elle finit son thé à petites gorgées et s’excusa en bâillant. Elle était drôlement fatiguée, cela faisait longtemps qu’elle n’était pas sortie faire du sport.

« Bonne nuit et à demain six heures là où tu m’as trouvée ce matin. Oui, six heures sans faute. »