« Voilà Miko, comme ça, continue à tourner lentement mais à la même vitesse jusqu’à ce que tout se soit dilué et que ça redevienne totalement transparent. »

Regardant ma mère alors toute appliquée de par la grande responsabilité qui m’avait été confiée malgré mon jeune âge je continuais à touiller, ne pouvant m’empêcher de ressentir en moi une petite fierté d’aider ma mère à faire son étrange potion même si je n’en comprenais même pas pleinement les effets. Elle commençait tout juste à me former à son art de savante du clan, enfin de sage-femme, ce qui à mes yeux avait tout l’air d’une sorte de gourou mystique quand on savait ce qu’il impliquait. Ma famille prenait à cœur de perpétrer la tradition depuis longtemps et même si d’autres auraient été à même de poursuivre et de maintenir les traditions de l’implantation des insectes si nous n’étions plus là, il n’en demeurait pas moins que malgré le fait que je me faisais violence pour rester humble comme on m’avait maintes fois fait le reproche, je ressentais en moi un sentiment de grandeur, de noblesse. Que voulez-vous je n’étais alors qu’une enfant, comment me le reprocher.

« C’est bientôt près mère »

Fis-je alors que je commençais à voir les derniers composants s’effriter de plus en plus, comme désagrégés. Ma mère retourna voir où j’en étais, puis estimant la choses satisfaisante, m’arrêta dans mon mouvement, éteignit le feu et versa le contenu sur une petite palette de bois creusée.

« Pourquoi versez-vous le pot comme ça mère ? A quoi est-ce que ça va servir ? »

Curieuse car entrant tout juste dans l’âge de l’adolescence, je m’approchais comme intriguée, distinguant derrière mes lunettes noires la faible fumée qui s’échappait du liquide encore chaud. Je savais que ma mère concoctait toute sorte de potions pour les maux de ventres ou autre en plus de ses talents de guérisseuse, mais je n’avais jamais eu le droit de l’assister dans l’élaboration d’une telle potion.

« C’est pour ton père, me répondit-elle, aller viens nous en avons fini, il faut que ça refroidisse et mieux vaut ne pas rester trop longtemps à inhaler les vapeurs. »

Demeurant muette je ne répondis pas davantage, me contentant de la suivre. Pour mon père ? Pourquoi ? Père était un combattant, un stratège, il n’avait aucune utilité apparente d’une potion ainsi laissée sur la table…




Il faisait nuit. Me déplaçant avec légèreté ma chandelle à la main, je fis attention à ne pas faire de bruit. J’avais déjà était formée aux arts ninjas et même si je n’étais pas partie au front, je me débrouillais plutôt bien dans mon domaine au maniement de notre style de combat si particulier. Mère était peut-être très cultivée et très douée dans son art mais malgré le fait qu’elle aussi hébergeait le même type d’insectes que moi, il ne faisait pas l’ombre d’un doute qu’elle n’avait aucun talent de détection ou autre. Mieux valait la laisser dormir, elle ne voulait pas se laisser prendre à fouiner là où elle n’aurait pas dû. Arrivant dans la serre où ma mère élaborait ses potions, je m’aperçus que celle-ci était revenue pour aérer la pièce en ouvrant un carreau au plafond. M’approchant discrètement de la table d’élaboration, j’en parcourus le bois du bois, m’arrêtant juste avant d’arriver à l’un des étranges sillons creusés dans la table qui reliaient des sortes de petit réservoir eux aussi creusés. Pourquoi avoir un genre de table si étrange ? Mère avait appelé ça sa table d’alchimiste, mais pour ne pas utiliser une table en bois standard et des conteneurs et récipients d’un autre genre ? Les traditions sûrement.

Hésitant à plonger son doigt dans le liquide transparent, je parvins finalement à me retenir, me souvenant que je n’en connaissais pas les effets. Mieux valait être prudente malgré l’innocence apparente de la potion. Mère ne faisait jamais rien au hasard. Redéposant mon doigt sur le doigt juste à côté de l’un des bassins, je laissai une de mes punaises descendre le long de mon doigt avant de rejoindre le bois de la table. Demandant par ma simple volonté à l’insecte de goûter le mélange, j’attendis avec impatience d’en voir les effets. Peut-être ne seraient-ils pas visibles car n’affectant que les humains mais je devais au moins essayer. Une chose était sûre : ce n’était une quelconque lotion pour apaiser les maux de crânes, car c’était apparemment uniquement destiné à père. Regardant l’insecte boire, j’attendis quelques secondes avec impatience, avant de le voir s’effondrer sur ses pattes comme agité de soubresauts. Regardant avec horreur le calvaire vécu par cette petite créature sur mon ordre. Regagnant ma chambre quelque temps plus tard, je commençais à réaliser une triste vérité : mère voulait tuer père.




Le lendemain matin, je fus réveillée par l’agitation qui régnait dans ma maison, habituellement si calme. Père était rentré. Sortant de ma chambre, je le saluai tranquillement, encore perturbée de ce que je venais d’apprendre. A qui en parler en premier ? Mère m’imposerait-elle le silence ? Père blesserait-il mère ?

« Ah te voilà de retour sain et sauf. Je suis contente de te revoir. Comme je te l’avais dit, le sérum est prêt, nous l’avons préparé hier avec Miko. »

Mon père répondant au salut de ma mère, il échangèrent quelques autres banalités tout en se dirigeant lentement vers la serre, mon père ayant tout juste déposé ses affaires à l’entrée. Que … Enfin arrivés, je vis avec effroi mon père s’approcher de l’étrange et mortel bassin, n’en tenant plus, je levais mes bras, obligeant mes insectes à créer un mur entre le liquide et mon père. Lourdement vêtue et ma peur cachée derrière ma mine sérieuse et mes lunettes, je pris la parole, alors que mon père et ma mère semblaient aussi tendus que surpris.

« Père arrêtez, ne buvez pas cette eau. Elle est empoisonnée. Mère comment pouvez-vous faire ça ? Jamais je … »

Ma voix se brisant alors que je voyais les rares sourires de mes parents qui commençaient feindre sur le visage, je compris qu’il était au courant, faisant retomber mon mur, comme humiliée pour une raison que je ne connaissais pas encore.

« Je suis au courant Miko, j’ai moi-même demandé à ta mère de préparer cette décoction moi-même. Observe et apprend. »

Mon père ouvrant le bouchon qui bloquait le tube qu’il avait gardé dans le dos, je vis avec surprise une grande quantité de frelons sortir de là, comme étonnée que mon père utilise cette espèce d’insectes, chose qu’il n’avait jamais fait lors de nos entraînements. Constatant que chacun des frelons se positionnait sur le rebord des différents petits bassins, je m’aperçus qu’ils commençaient tous à tremper le bout de leur dard dans le liquide sous les ordres de mon père. Le niveau des bassins commençait à baisser, et les frelons une fois leur affaire faite retournaient dans le tube laissant leur place à d’autre. Lorsqu’il ne resta plus une goutte du liquide, je regardai mon père puis ma mère, me contentant de faire un simple constant.

« Il n’y a plus rien. Tout a été absorbé. »

Aucun de mes parents n’acquiesçant, je continuai sur ma lancée :

« Vous empoisonnez donc les dards de vos insectes père, mais pourquoi ne me l’avoir jamais dit ?»

Mes deux parents se regardèrent tous deux, avant d’acquiescer, ma mère prenant la parole.

« Il s’agit d’une technique très pointue de notre clan permettant de mélanger notre maîtrise à l’utilisation des poisons. Tu n’étais pas prête à y être confrontée. Tu n’en es pas encore au point de pouvoir préparer sans risque les différents poisons. »

Ma mère se tournant, mon père continua indiquant le cadavre de la punaise que je n’avais même pas eu l’idée d’enlever de là.

« Sans compter que nos punaises ne peuvent absorber le poison et le retransmettre. Tu comprendras que manipuler différents insectes n’est pas encore à ta portée. Ton entraînement n’est pas encore assez poussé. Chaque chose viendra en son temps. »

Soutenant le regard indirect de mes parents, je remuai la tête de droite à gauche lentement tout en les fixant, avant de prononcer une simple phrase remplie d’une toute nouvelle résolution

« Apprenez-moi » .